B. LA NÉCESSAIRE HARMONISATION DES LÉGISLATIONS EUROPÉENNES
1. Le Conseil de l'Europe et la Commission européenne, acteurs de cette harmonisation
Dès la fin des années 80, le Conseil de l'Europe, soucieux d'adapter le droit à une technologie vouée à un développement sans précédent, avait élaboré un premier texte. La convention du 5 mars 1989, " instrument juridique contraignant contenant les principes essentiels qui devraient régir la radiodiffusion transfrontière " a permis de combler ce vide juridique et d'encadrer un secteur en plein essor. Pour le Conseil, les programmes audiovisuels ne sauraient faire l'objet d'une réglementation analogue à celle concernant les autres biens et services, mais doivent relever d'une approche spécifique, en incluant notamment leur aspect culturel. Il lui incombait alors -cette préoccupation étant toujours d'actualité- d'assurer la compatibilité des différentes législations nationales de ses membres, au moyen de règles et de principes communs, dépassant les strictes considérations économiques.
En d'autres termes, la convention se veut un ensemble de règles communes destinées à assurer le développement harmonieux des services de programmes de télévision transfrontière. Elle pose les principes de garantie de réception et de non-restriction de la retransmission des services conformes à ces règles communes.
Cependant, à la suite de cette convention, la Commission européenne a forgé un instrument juridique -la directive du 3 octobre 1989- qui a entraîné, dans les pays alors membres des communautés européennes, un aménagement de leur législation interne. Ce texte répondait plus précisément à l'exigence d'organiser, à l'échelle européenne, le marché de la radiodiffusion télévisuelle, en prenant acte des conséquences du développement technologique de ce secteur : l'extension des zones de diffusion, l'internationalisation ainsi que la concentration des opérateurs.
La cohérence entre la convention de 1989 et la directive télévision sans frontière, qui couvraient, à quelques exceptions près, des sujets identiques, a été recherchée. Le texte du Conseil de l'Europe, pour les pays également membres des Communautés européennes d'alors, ne présentait que peu d'incidences, en raison de la supériorité normative de la directive sur la convention, qui demeurait cependant contraignante pour les sujets uniquement évoqués par elle.
L'intérêt de cette convention apparaissait également politique : dans un contexte marqué par l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale, et de certains Etats du bassin méditerranéen, au Conseil de l'Europe, son adoption permettait aux nouveaux membres d'harmoniser leur législation avec les grands principes qui prévalaient dans l'ensemble de l'Union européenne.
Désormais, la directive couvre les quinze Etats membres de l'Union européenne, tandis que la convention, ratifiée par 18 Etats, est potentiellement applicable par les quarante-trois membres que compte le Conseil de l'Europe ; vingt-et-un d'entre eux l'ont déjà ratifiée.
2. Assurer la cohérence de la convention de 1989 avec la directive de 1997
La convention européenne sur la télévision transfrontière, adoptée par le Comité du Conseil de l'Europe le 15 mars 1989, est entrée en vigueur le 1 er mai 1993. La France a, quant à elle, signé la convention le 12 février 1991. Une fois le projet de loi autorisant son approbation adopté en juin 1994, la convention est entrée en vigueur en droit interne avec la publication du décret n° 95-438 du 14 avril 1995.
Ce texte présentait, dès son adoption, certaines lacunes que notre collègue, M. le sénateur Michel d'Aillères 2 ( * ) avait alors notées. Hormis trois dispositions spécifiques à la convention -accès aux événements majeurs, émission de plages publicitaires destinées au public d'une seule Partie et définition des règles de transparence-, certaines incertitudes demeuraient quant aux points couverts conjointement par la convention et la directive " télévision sans frontière ".
Les procédures de conciliation et d'arbitrage demeuraient délicates dans le cas d'un litige opposant, d'une part, un Etat appliquant la directive transposée et, d'autre part, un Etat relevant de la convention. Le premier risquait ainsi de se voir imposer un règlement juridique distinct de celui qu'aurait ordonné la Cour de justice des Communautés européennes dans un domaine comme l'audiovisuel, qui relève pourtant de sa compétence.
D'autres différences demeuraient sur des points essentiels comme les critères retenus pour la répression de programmes à caractère pornographique, ou encore raciste . En outre, si le principe d'un quota d'oeuvres européennes était retenu, à la fois par la directive et la convention, le manquement à cette disposition, dans les deux textes, ne faisait pas l'objet d'une sanction précise.
Qui plus est, l'imputation de la responsabilité différait entre les deux textes, s'agissant des infractions commises à l'occasion de retransmission par la voie satellitaire. Alors que la directive retenait la responsabilité de l'Etat, siège du radiodiffuseur, celle-ci incombait, d'après la convention, à l'Etat sur le territoire duquel se trouvait la liaison vers le satellite. Les conditions étaient ainsi réunies pour que soit provoqué un conflit de responsabilité, en l'absence de convergence entre le texte de la Commission et celui du Conseil de l'Europe.
Aussi, la récente modification de la directive, intervenue le 30 juin 1997, a permis aux autorités de Bruxelles de combler certaines lacunes antérieures et de clarifier la plupart des points demeurés jusqu'à ce jour lacunaires.
Si le principe de la libre circulation des programmes est réaffirmé, les objectifs culturels, impliquant la mise en oeuvre de quotas de production et de diffusion, sont redéfinis. Aux termes des articles 4 et 5 de la directive modifiée, les télévisions devront consacrer au moins la moitié de leur temps de diffusion et 10 % de leur budget de programmation à des oeuvres européennes, pouvant par ailleurs être réalisées par des producteurs indépendants.
En outre, il incombe à chaque membre de l'Union européenne de prendre les mesures garantissant l'accès gratuit, en direct ou en différé, de la majeure partie du public aux événements reconnus d'importance majeure pour la société (article 3 bis § 1 et § 2). Cette disposition est également assortie d'une obligation pour un opérateur d'un Etat membre, propriétaire des droits de retransmission d'un événement majeur, de ne pas priver de sa diffusion d'autres publics éventuels.
Afin d'assurer la cohérence avec la directive redéfinie, le Conseil de l'Europe a estimé nécessaire d'amender certaines dispositions de la convention. En ce sens, à la suite de son adoption par le Comité des ministres, le 9 septembre 1998, le protocole d'amendement a été ouvert à l'acceptation des différentes parties à la convention.
Toutefois, une procédure d'acceptation tacite ou " notification négative " a été introduite afin de réduire la période séparant l'adoption du Protocole et son entrée en vigueur, la date ultime pour la transposition de la directive " télévision sans frontière " révisée étant fixée au 30 décembre 1998. Ce procédé s'inspire de clauses analogues utilisées pour l'entrée en vigueur d'amendements à des textes tels que l'Accord européen relatif à l'échange de substances thérapeutiques d'origine humaine 3 ( * ) ou encore l'Accord européen relatif à l'échange de réactifs pour la détermination des groupes sanguins.
Cependant, lors de la négociation, la France a excipé de l'inconstitutionnalité de cette procédure pour s'opposer à sa mise en oeuvre.
Dans un souci de compromis, notre pays a finalement levé sa réserve en échange de la reconnaissance de son éventuelle objection à l'entrée en vigueur automatique du Protocole, dans le cas d'une absence de ratification à l'issue des deux années probatoires définies par le texte.
* 2 Rapport de M. Michel d'Aillères sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention européenne sur la télévision transfrontière (n° 455-1993-1994).
* 3 STE n° 33, 1960 ; STE n° 39, 1962.