III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION : CONCILIER LIBERTÉ DE CROYANCE ET LUTTE CONTRE LES DÉRIVES SECTAIRES
Le Sénat et l'Assemblée nationale ont marqué dès la première lecture de la proposition de loi leur accord sur les objectifs à atteindre en matière de lutte contre les groupements sectaires. A ce stade, votre commission, tout en retenant les principaux ajouts apportés au texte par l'Assemblée nationale, souhaite prendre en considération les réserves qui ont été formulées depuis que celle-ci a statué.
A. AMÉLIORER LE DROIT EXISTANT PLUTÔT QUE DE CRÉER UN DÉLIT SPÉCIFIQUE
La création par l'Assemblée nationale d'un délit de manipulation mentale a suscité des réserves nombreuses, en particulier de la part des représentants des principales confessions religieuses entendus par votre commission des lois 3 ( * ) .
Par ailleurs, Mme Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, a décidé de consulter la commission nationale consultative des droits de l'homme sur cette disposition. Celle-ci a rendu son avis le 21 septembre 2000.
Avis de la commission nationale consultative des droits
de l'homme
" La Commission nationale consultative des droits de l'homme constate que la simple appartenance à un " groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d'exploiter la dépendance psychologique et physique des personnes qui participent à ces activités " n'est pas punie par l'article 9 de la proposition de loi, ce qui respecte la liberté fondamentale de pensée, de conscience et de religion. " Consciente de la nécessité de mieux coordonner l'action pénale contre les pratiques sectaires, elle constate que les faits dont la répression est envisagée sont déjà largement prévus par l'article 313-4 du code pénal en réprimant particulièrement les abus provoqués par l'ignorance ou la situation de faiblesse caractéristiques de l'état dans lequel se trouvent les victimes des pratiques sectaires. " Elle estime que des compléments devraient être apportés : " 1 - En déplaçant cet article dans le code pénal pour ne pas concerner uniquement les actes préjudiciables concernant les biens. " 2 - En aggravant la répression lorsque le ou les auteurs du délit sont des responsables de droit ou de fait d'un groupement sectaire au sein duquel l'infraction a été commise et qui avait pour but ou pour effet de créer ou d'exploiter la dépendance psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités. " 3 - En prévoyant la responsabilité de la personne morale. " Dans ces conditions, la création d'un délit spécifique de " manipulation mentale " ne nous paraît pas opportune ". |
Votre commission estime elle aussi que la création d'un délit réprimant spécifiquement les agissements de groupements sectaires n'est pas opportune. Elle constate cependant avec l'Assemblée nationale que la définition actuelle du délit d'abus de faiblesse ne protège que les personnes vulnérables en raison d'une déficience, de leur âge, d'un état de grossesse.
Elle propose en conséquence par un amendement :
- de déplacer le délit d'abus frauduleux de l'état de faiblesse du livre III (atteintes aux biens) au livre II (atteintes aux personnes) du code pénal, afin qu'il ne sanctionne plus seulement les préjudices patrimoniaux ou matériels ;
- de compléter ce délit pour prévoir qu'il est constitué non seulement en cas d'abus de la faiblesse d'un mineur ou d'une personne particulièrement vulnérable, mais également en cas d'abus de la faiblesse d'une personne " en état de sujétion psychologique ou physique résultant de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement " ;
- de prévoir des peines aggravées lorsque le délit est commis par le dirigeant d'un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ;
- de prévoir la responsabilité pénale des personnes morales pour ce délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse ainsi modifié.
Cette solution peut permettre d'inscrire la lutte contre les dérives sectaires dans un cadre connu du juge pénal, celui de la répression de l'abus de faiblesse, tout en prenant en considération la spécificité des moyens employés par les groupements sectaires.
* 3 Cf. annexe.