IV. LA LOI PEUT ÊTRE RAPIDEMENT APPLIQUÉE, MAIS DANS DES CONDITIONS DE RÉGULARITÉ DISCUTABLES
Il peut
arriver, ce qui est surprenant, que le caractère prioritaire d'une loi
amène à négliger la régularité de ses
conditions d'application.
La
loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité
relève de ce cas de figure
.
La
commission des lois
note, à ce sujet :
L'article 15 de la loi prévoyait que les conditions
d'application de la loi seraient fixées par décret en Conseil
d'Etat, précisant que le décret relatif aux conditions dans
lesquelles seraient traitées et conservées les informations
relatives à la formation, la modification et la dissolution du pacte
civil de solidarité serait pris après avis de la Commission
nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Cette loi a reçu une application extrêmement rapide, dans des
conditions qui peuvent sembler discutables.
En pratique, la mise en oeuvre du Pacs a précédé
l'intervention des décrets d'application. Le garde des Sceaux a
adressé le 10 novembre 1999 une circulaire aux greffes des tribunaux
d'instance donnant les consignes à suivre pour l'enregistrement des Pacs
" dès la promulgation de la loi ". La circulaire se contente
de préciser que " jusqu'à l'entrée en vigueur des
décrets d'application prévus par la loi, il conviendra de
recueillir le consentement exprès des partenaires à l'inscription
sur un registre des données relatives à leur pacte ". La
circulaire précise également que " ce registre n'est pas
ouvert au public car il est susceptible de comporter des éléments
touchant à la vie privée des intéressés ". Les
droits des créanciers n'étaient donc pas garantis, en
méconnaissance de la décision du Conseil constitutionnel
n° 99-419 DC du 9 novembre 1999.
Des Pacs ont ainsi été enregistrés à partir du 18
novembre 1999. Dans un rappel au règlement en date du 17 novembre 1999,
le rapporteur de la proposition de loi, M. Patrice Gélard, a
considéré qu'une application directe au vu d'une simple
circulaire constituerait une " grave atteinte à la
hiérarchie des normes ", une circulaire ne pouvant selon lui ni se
substituer à un décret adopté en Conseil d'Etat avec
l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ni
outrepasser les décisions du Conseil constitutionnel. Interrogée
par le rapporteur lors de son audition par la commission des Lois sur le budget
de la justice, le 23 novembre 1999, Mme le garde des Sceaux a
considéré que la loi était suffisamment précise
pour être appliquée directement et s'est étonnée de
voir un parlementaire s'inquiéter de l'entrée en vigueur trop
rapide d'une loi...
Cette mise en application précipitée s'est accompagnée
semble-t-il d'erreurs juridiques préjudiciables aux contractants :
le document annexé à la circulaire du 10 novembre,
destiné à être remis au public, cite le legs au dernier
vivant comme une clause possible d'un pacte civil de solidarité. Il
apparaît cependant qu'une clause testamentaire introduite dans un Pacs
serait nulle car assimilable à un pacte sur succession future.
La loi a fait l'objet de trois décrets en Conseil d'Etat en date du
21 décembre 1999 :
- décret n° 99-1089 pris pour l'application des articles
515-3 et 515-5 du code civil et relatif à la déclaration,
à la modification et à la dissolution du pacte civil de
solidarité. Ce décret détaille les procédures par
les greffes des tribunaux d'instance à chaque stade et impose des
délais aux greffiers pour procéder aux différentes
inscriptions ;
- décret n° 99-1090 relatif aux conditions dans
lesquelles sont traitées et conservées les informations relatives
au Pacs et autorisant la création d'un traitement automatisé des
registres. Ce décret, pris après avis de la CNIL, prévoit
notamment les modalités de communication par les greffes des tribunaux
d'instance des informations relatives au Pacs à diverses administrations
ou personnes intéressées. Les créanciers pourront avoir
connaissance de l'existence d'un Pacs mais ne pourront se faire communiquer
aucun renseignement concernant le partenaire de la personne au sujet de
laquelle la demande sera faite ;
- décret n° 99-1091, portant application des dispositions
du 3
ème
alinéa de l'article 31 de la loi
n°78-17 du 6 janvier 1978 à l'enregistrement et à la
conservation des informations nominatives relatives à la formation, la
modification et la dissolution du pacte civil de solidarité. Ce
décret, pris après avis conforme de la CNIL, autorise les greffes
des tribunaux d'instance à enregistrer les données susceptibles
de révéler le sexe des partenaires d'un pacte. Il autorise
également certaines administrations ou organismes sociaux à les
conserver. Il interdit cependant de " sélectionner une
catégorie particulière de personnes à partir de ces
données ".
Deux décrets, n° 2000-97 (en Conseil d'Etat) et 2000-98, en
date du 3 février 2000, ont tiré les
conséquences de la conclusion d'un Pacs s'agissant de l'attribution des
prestations familiales et d'autres prestations sociales ainsi que du revenu
minimum d'insertion.
Une des difficultés essentielles de l'application de la loi
résidait dans l'obligation expressément posée par le
Conseil constitutionnel de concilier le droit au respect de la vie
privée avec le droit d'information des créanciers. Dans sa
décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, le Conseil
avait déclaré la loi conforme à la Constitution sous
certaines réserves, précisant notamment qu'il appartiendrait au
pouvoir réglementaire, " d'aménager dans le décret
prévu par l'article 15 de la loi déférée
l'accès des tiers aux différents registres de manière
à concilier la protection des droits des tiers et le respect de la vie
privée des personnes liées par un pacte ". Il est
légitime de se demander si l'impossibilité pour un
créancier de connaître le nom du partenaire d'un pacte respecte
suffisamment le droit d'information des tiers. S'agissant des
collectivités d'outre-mer, la loi ne leur était pas applicable.
Le Sénat avait supprimé la disposition d'extension adoptée
à l'initiative du Gouvernement et celle-ci n'avait pas été
reprise par l'Assemblée nationale, les organes délibérants
des différentes collectivités n'en ayant pas été
saisis. Les décrets d'application ont cependant dû traiter de la
question des personnes domiciliées en métropole mais nées
en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna,
à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, de manière
à assurer la transcription des pactes passés en métropole
au tribunal de première instance du lieu de naissance, équivalent
du tribunal d'instance. "