II. LES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : UNE DÉMARCHE PRAGMATIQUE FONDÉE SUR UNE DYNAMIQUE TERRITORIALE
Au terme de cet examen, votre commission des Lois vous soumet sur les différents volets du projet de loi dont elle s'est saisie pour avis, des amendements qui, outre les clarifications, précisions et corrections d'erreurs qui s'imposent, tendent à faire prévaloir une démarche pragmatique et respectueuse des principes fondamentaux de la décentralisation en matière d'urbanisme et de logement social, à restaurer un équilibre entre vendeurs et acquéreurs, à garantir le respect de principes fondateurs de notre droit tels que le principe de la légalité des délits et des peines, le respect du droit de propriété ou encore le respect de la vie privée et à afficher des dates d'entrée en vigueur différée lisibles par tous pour les mécanismes nécessitant de respecter un délai pour leur mise en oeuvre après la promulgation de la loi.
A. ASSURER UNE VÉRITABLE APPROCHE TERRITORIALE EN MATIÈRE D'URBANISME
Votre
commission des Lois entend, tout d'abord, affirmer qu'une
réforme du
droit de l'urbanisme
doit avoir pour finalité de promouvoir une
véritable dynamique territoriale
dans un
cadre juridique
clarifié
reconnaissant pleinement le
rôle des acteurs
décentralisés.
La loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la
simplification de la coopération intercommunale - à laquelle le
Sénat a apporté sa pleine contribution sur les rapports de nos
collègues Daniel Hoeffel au nom de la commission des Lois et Michel
Mercier au nom de la commission des Finances - offre un
cadre institutionnel
rénové
pour le développement de la coopération
intercommunale. Ce dispositif doit en particulier permettre de mieux distinguer
les différentes strates de l'intercommunalité de projet : la
communauté urbaine pour les grandes agglomérations de
plus de
500 000 habitants
; la communauté d'agglomération
pour celles de
plus de 50 000 habitants
comprenant une commune
centre ou un chef lieu de département de
plus de 15 000
habitants
; les communautés de communes ayant vocation à
concerner le milieu rural.
Or si les élus locaux bénéficient de ces nouveaux
outils institutionnels
, ils ne disposent pas encore des
outils
d'aménagement
leur permettant de définir un projet
d'aménagement et de développement des territoires se traduisant
dans les documents d'urbanisme.
De même que le succès de l'intercommunalité de projet doit
reposer sur la libre adhésion des élus locaux à des
périmètres pertinents pour mettre en oeuvre des projets communs
de développement, la réforme du droit de l'urbanisme doit
affirmer le
rôle majeur des acteurs décentralisés
à partir
d'outils juridiques adaptés
aux nouvelles
exigences territoriales. Cette réforme doit être conçue et
mise en oeuvre en cohérence avec la réforme de la
coopération intercommunale dont elle constitue le prolongement naturel.
Au regard de cet objectif essentiel, le projet de loi adopté par
l'Assemblée nationale apporte des
réponses insuffisantes
.
Il ne permet pas aux acteurs locaux d'identifier clairement le cadre juridique
dans lequel ils pourront concevoir et mettre en oeuvre les projets
d'aménagement et de développement des territoires.
Certes, la substitution du schéma de cohérence territoriale aux
schémas directeurs peut permettre de promouvoir une véritable
stratégie territoriale privilégiant une logique
d'aménagement. Encore faut-il que ce document d'urbanisme s'appuie sur
un
véritable diagnostic
de la situation des territoires
concernés dans les principaux domaines intéressant les politiques
publiques locales, qu'il s'agisse du développement économique, de
l'emploi, de l'équilibre social de l'habitat, de la protection de
l'environnement ou encore des transports.
Ce diagnostic doit ensuite servir de soubassement à un
projet
d'aménagement et de développement
qui fixe les principaux
objectifs que les élus locaux ont arrêtés dans un cadre
concerté. Parmi ces objectifs, doivent en particulier figurer
l'équilibre social de l'habitat, la mixité sociale et la
construction de logements sociaux. En outre, ils doivent prendre en compte
la question de plus en plus sensible des entrées de ville ainsi que la
prévention des risques. C'est en fonction de ce projet que les
orientations d'urbanisme pourront être définies dans le
schéma de cohérence territoriale.
La même démarche, distinguant ces trois phases (diagnostic,
projet, orientations d'urbanisme) doit être retenue dans le cadre des
plans locaux d'urbanisme
, dans le respect de la règle de
compatibilité avec les schémas de cohérence territoriale.
La
nouvelle dénomination
donnée aux
plans d'occupation
des sols
entend traduire la volonté de faire prévaloir une
démarche d'aménagement sur une démarche purement
foncière. La dénomination actuelle étant familière
aux acteurs locaux, votre commission des Lois a néanmoins jugé
préférable de la maintenir.
S'inscrivant dans une démarche d'aménagement, ces documents
d'urbanisme doivent néanmoins conserver toute leur portée
normative en ce qui concerne l'affectation des sols et le droit d'implanter des
constructions. Le projet de loi mérite à cet égard
d'être clarifié.
Les plans locaux d'urbanisme devront traduire les exigences de
qualité architecturale et paysagère
, trop souvent
négligées dans les documents actuels, faute d'une
réflexion préalable sur le projet urbain qui sous-tend la
définition des règles d'utilisation des sols.
•
Inscrite dans une dynamique territoriale, la réforme du
droit de l'urbanisme doit être parfaitement cohérente avec le
nouveau régime de la coopération intercommunale
. Or, force
est de constater que le projet de loi n'offre pas toutes les
garanties
nécessaires pour qu'il en soit ainsi.
Les schémas de cohérence territoriale qui seront mis en place
ne doivent pas être une voie détournée pour remettre en
cause les périmètres de l'intercommunalité.
Certes, dans bien des cas - comme pour les actuels schémas directeurs -
les périmètres des schémas de cohérence
territoriale seront plus larges que ceux des établissements publics de
coopération intercommunale constitués dans les
agglomérations. Cette solution pourra être de nature à
faciliter la recherche des
complémentarités
entre
l'agglomération et son espace environnant et à veiller à
l'émergence de
choix d'urbanisme équilibrés
.
Cependant, cette complémentarité ne pourra être obtenue que
si les périmètres des schémas de cohérence
territoriale sont définis dans un
cadre concerté
et ne
mettent pas en cause la
cohérence
des structures
intercommunales.
L'avis préalable de la commission
départementale de la coopération intercommunale
peut
permettre de veiller au respect de cette cohérence. Pour les mêmes
motifs, cette
concertation
devra prévaloir dans la phase
d'élaboration du schéma de cohérence territoriale, afin
que l'ensemble des territoires concernés puissent voir leurs attentes
prises en compte. Elle doit s'étendre au-delà des communes et de
leurs groupements au
département
, lequel peut être
directement intéressé au contenu du schéma de
cohérence territoriale.
Enfin, les conditions d'adoption du schéma de cohérence
territoriale doivent traduire un large consensus sur son contenu. Une
majorité renforcée
doit donc être requise
lorsque des établissements publics de coopération
intercommunale à fiscalité propre inclus dans le
périmètre du schéma ont fait connaître leur
désaccord avec son contenu.
Le schéma de cohérence territoriale ne saurait non plus
constituer un moyen pour l'agglomération de
bloquer toute
possibilité d'urbanisation
dans les communes qui ne sont pas
incluses dans le périmètre du schéma. L'interdiction
prévue par le projet de loi initial, sauf dérogation
accordée par le représentant de l'Etat, apparaît comme une
atteinte inacceptable
à la libre administration des communes
concernées. La formule retenue par l'Assemblée nationale
consistant à exclure du champ de cette interdiction les communes
situées à plus de 15 kilomètres de la
périphérie d'une agglomération de plus de 15 000
habitants au sens du recensement général, et à plus de
quinze kilomètres du rivage de la mer , n'apparaît pas
satisfaisante. Outre le risque de contentieux sur l'appréciation des
critères ainsi posés, elle pourrait aboutir à des
distorsions de traitement difficilement acceptables.
Or, le projet de loi prévoit par ailleurs la faculté pour le
représentant de l'Etat de demander la modification des dispositions d'un
plan local d'urbanisme qui
compromettraient
la réalisation d'un
schéma de cohérence territoriale. Cette disposition paraît
de nature à prévenir des contrariétés flagrantes
entre ces différents documents, qui seraient effectivement difficilement
acceptables.
•
La réforme du droit de l'urbanisme doit, en outre, avoir
pour objet de promouvoir l'ensemble des territoires et pas seulement les
espaces urbains.
Si les règles et documents d'urbanisme revêtent un
caractère essentiel dans les agglomérations confrontées
à une urbanisation mal maîtrisée et concentrant trop
souvent les maux de notre société, ils concernent
également les
espaces périurbains et ruraux
pour lesquels
ils peuvent constituer des outils de développement adaptés.
Or, qu'il s'agisse de l'énoncé des principes fondamentaux de
l'urbanisme ou de la définition du contenu des documents d'urbanisme,
le projet de loi oublie ces territoires.
Entre le
"
développement urbain
" et les "
espaces
naturels
", il existe pourtant d'autres réalités
territoriales.
Votre commission des Lois vous propose, en conséquence, de modifier le
dispositif proposé afin de lui donner une véritable
dimension
territoriale.
Dans le même esprit, elle vous suggère de
souscrire, sous réserve de quelques précisions, aux dispositions
ajoutées par l'Assemblée nationale prenant en compte la situation
particulière des
zones de montagne.
•
Un urbanisme efficace doit également être un urbanisme
décentralisé.
Force est de constater à cet
égard que les dispositions issues de la loi du 7 janvier 1983 - que le
projet de loi reproduit pour l'essentiel - n'ont pas poussé jusqu'au
bout la logique de la décentralisation, conservant à l'Etat des
prérogatives importantes. Ces prérogatives peuvent dans certains
cas se justifier au regard des intérêts en cause. Pour autant,
sous cette réserve, les élus locaux doivent pouvoir agir en
acteurs responsables
et bénéficier d'une compensation
effective des charges qui leur sont imposées
.
Votre commission
des Lois vous propose plusieurs modifications dans ce sens.
Enfin, les élus locaux sont en droit d'attendre une plus grande
sécurité juridique
dans la mise en oeuvre de leurs
actions d'urbanisme
. Si plusieurs dispositions du projet de loi
poursuivent opportunément un objectif de
simplification
, en
cherchant à limiter les risques contentieux, cette démarche
paraît devoir être approfondie.