II. LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI DANS SES TITRES II, III, IV ET V : UN DISPOSITIF INITIAL PEU MODIFIÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, QUE VOTRE COMMISSION SOUHAITE AMENDER AFIN DE METTRE EN OEUVRE LES PRINCIPES QUI ONT GUIDÉ SON ANALYSE
Il convient de rappeler, à cet égard, que cette proposition de loi a été adoptée les 16 et 17 janvier 1996, à une très large majorité. Seul le groupe socialiste s'est abstenu 1 ( * ) .
A. UN DISPOSITIF INITIAL PEU MODIFIÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE...
Votre commission ne reviendra bien sûr pas sur les dispositions du titre I qui sont de la compétence de la commission des Lois. Elle vous demande donc de vous reporter pour tous ces aspects au rapport n° 295 de M. Luc Dejoie, rapporteur de la commission des Lois. Auparavant, cependant, elle souhaite rappeler les prémices et la genèse de cette proposition de loi.
1. Prémices et genèse de la proposition de loi
a) Les prémices
Comme votre commission l'a déjà rappelé, un certain nombre de rapports ont, les années passées, fait un certain nombre de propositions relatives au régime de l'adoption. Il en est ainsi du rapport « Boutin » de 1989, émanant du Conseil Supérieur de l'Adoption, du rapport du Conseil Économique et Social de 1990 dit rapport « Burnel » qui regrettait, notamment, l'absence de données sur les familles d'accueil. Ce rapport proposait également un certain nombre de dispositions comme le parrainage, en tant que soutien affectif, sans créer de dispositif juridique, la réduction des délais, la facilité, pour la femme accouchant secrètement, de donner des informations toujours anonymes, une révision de l'application faite de l'article 350 du code civil sur la déclaration d'abandon, la création, au sein du Ministère des Affaires sociales, d'une Mission « Adoption » ayant en charge l'animation et l'évaluation de la politique nationale en matière d'adoption et, enfin, la moralisation de l'adoption internationale en renforçant le rôle des intermédiaires agréés et les moyens de la Mission à l'adoption internationale (MAI).
Un autre rapport, dont le sujet débordait quelque peu celui de l'adoption, puisqu'il s'agissait « d'affirmer et promouvoir les droits de l'enfant après la Convention internationale des droits de l'enfant » 1 ( * ) , proposait, entre autres, de modifier dans un sens voisin de la proposition de loi initiale de M. Mattéi, le 4° de l'article 62 du code de la famille et de l'aide sociale puisqu'il le rédigeait ainsi (le père ou la mère ou la personne qui a remis l'enfant sont informés) : « de la possibilité de demander le secret de l'identité du ou des parents dans l'acte de naissance de l'enfant. Cette demande n'est recevable que si l'enfant est âgé de moins d'un an. Elle doit être formulée expressément, et sera portée sur le procès-verbal de remise, et signée du ou des parents ayant effectué la remise. Le procès-verbal de remise sera tenu secret. ».
b) La genèse de la proposition de loi
Comme votre commission l'a déjà mentionné, cette proposition de loi est la suite logique du rapport auquel avait donné lieu la mission confiée à M. Jean-François Mattéi, le Premier ministre d'alors, M. Edouard Balladur. Ce rapport contenait vingt-quatre propositions. Nombre d'entre elles ne concernent pas la partie du texte soumise à l'examen de votre commission. D'autres sont du domaine réglementaire comme la confirmation de la Délégation à l'adoption internationale, nouvelle appellation de la MAI, comme autorité publique, la coordination de la Délégation à l'adoption internationale avec le ministère de la Justice et celui des Affaires sociales, la création d'un Organisme national de concertation sur l'adoption (l'ONCA) et la modification du Conseil supérieur de l'adoption. Sont, en revanche, explicitement du ressort de votre commission, en ce qui concerne l'agrément et, en particulier ce qui a trait à sa reconnaissance nationale, l'identité des modalités d'agrément et conditions de validité que ce soit pour l'adoption interne ou internationale, le rapprochement des oeuvres dans le cadre d'une « confédération », l'organisation de l'accès aux informations relatives aux origines, la réduction du délai de rétractation pour, uniquement, l'enfant dont la filiation n'est pas établie ou est inconnue, l'instauration d'une Autorité centrale interministérielle, la délégation de certaines procédures aux organismes agréés pour l'adoption, la création d'une prestation à destination des familles nourricières qui adoptent les enfants qu'elles élèvent, et, enfin, et surtout, l'affirmation du principe de l'assimilation de l'adoption à une naissance.
2. Les points saillants de la proposition de loi telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale
Les points plus particulièrement notables, selon votre commission, sont les suivants :
a) La reconnaissance de la valeur nationale de l'agrément et les dispositions destinées à faciliter l'exercice de la fonction de membre d'une commission d'agrément
Concernant les dispositions dont elle est saisie, votre commission considère que, l'une des avancées les plus significatives est la reconnaissance de la valeur nationale de l'agrément, qui sera désormais accordé après consultation d'une commission. Cela apparaît être une mesure de bon sens puisque, sans cette disposition, cet agrément aurait eu une valeur reconnue dans les pays étrangers mais n'aurait pas été utilisable d'un département à l'autre.
Ainsi, les salariés du secteur privé pourront-ils avoir droit à des autorisations d'absence pour pouvoir assister aux réunions des commissions d'agrément. S'ils représentent des associations familiales affiliées à l'UNAF (Union nationale des associations familiales) ou à une UDAF (Union départementale des associations familiales), leur rémunération, qui devra être maintenue par l'employeur, sera remboursée à ce dernier par, selon le cas, l'UNAF ou une UDAF. Si l'association familiale à laquelle ils appartiennent n'est pas affiliée soit à l'UNAF, soit à une UDAF, le remboursement de leur rémunération sera pris en charge par les Conseils généraux. Cette dernière disposition a été introduite par un amendement du Gouvernement. Toutefois, votre commission ne la trouve guère opportune.
Ces dispositions ont été étendues à la fonction publique territoriale et à la fonction publique hospitalière. En ce qui concerne la fonction publique d'État, le régime des autorisations d'absence n'est pas fixé par la loi. La proposition de loi n'a donc prévu aucune disposition sur ce point.
b) La réduction des délais de rétractation
Concernant l'accouchement secret, actuellement la mère a trois mois pour se rétracter et reprendre son enfant. La proposition de loi réduit ce délai à six semaines qui est un compromis entre l'intérêt de l'enfant qui est d'être adopté le plus vite possible et les effets qui peuvent être imputés à la dépression post-partum. Votre commission note toutefois que la réduction des délais de rétractation concerne également le cas de l'enfant remis expressément en vue d'admission comme pupille de l'État par ses deux parents ainsi que le délai relatif à l'admission des orphelins.
c) La limitation de la demande de secret à l'identité des parents et pour un enfant de moins d'un an et le recueil ainsi que la communication de renseignements dits « non identifiants »
C'est probablement l'un des aspects les plus sensibles du texte. Le rapport « Pascal » rendu à la fin du mois de février 1996 a bien démontré les conséquences dommageables d'une demande de secret interprétée extensivement par l'Administration.
Sur ces différents aspects, la proposition de loi est très prudente, et votre commission le restera également. Elle permet, tout d'abord, de limiter la demande de secret pour un enfant âgé de moins d'un an, ce qui apparaît de bon sens. On a, en effet, du mal à imaginer que l'on puisse, comme cela est possible dans la législation actuelle, demander pour un pré-adolescent ou un adolescent, le secret non seulement de l'identité de ses parents, mais aussi de son lieu et de sa date de naissance. La proposition limite donc également la demande de secret qui ne concerne plus l'état-civil de l'enfant, mais seulement l'identité des parents.
Si l'accouchement secret, pour un certain nombre de considérations, notamment de santé publique, est maintenu, toutefois, la proposition de loi initiale institue la possibilité pour la mère (ce n'est pas une obligation) de donner des renseignements « non identifiants » (âge, origine géographique, couleur des cheveux, taille, etc. 1 ( * ) ). L'Assemblée a étendu cette possibilité à ceux qui remettent l'enfant de moins d'un an avec demande de secret. Les conditions dans lesquelles s'effectuera ce recueil seront précisées par décret en Conseil d'État après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Par ailleurs, le recueil d'éléments non identifiants -votre commission préfère parler de renseignements ne portant pas atteinte au secret- semble une bonne chose. Il ne paraît pas opportun de prévoir une liste précise de ces éléments. Il vaut mieux, selon votre commission, laisser libres les conseils généraux de demander le type de renseignements qu'ils trouvent opportuns, dans la mesure où précisément, il n'est pas porté atteinte à ce secret. Nombre de services de l'Aide sociale à l'Enfance ont déjà travaillé sur ce point. Le département de la Loire en porte témoignage.
Ces renseignements seront conservés au service de l'Aide sociale à l'Enfance à la disposition des enfants concernés ou de leurs représentants légaux. Toutefois, se pose le problème de l'accès des mineurs à ces informations. Le présent texte répond par l'affirmative, mais à la condition, cependant, que cette communication soit entourée de sérieux « garde-fou », assistance d'une personne habilitée à cet effet par le président du Conseil général, et accord préalable du représentant légal, puisque le cas peut se présenter de pupilles non adoptés qui souhaitent connaître leurs origines. Cette possibilité même et l'éventualité d'un désaccord entre parents adoptifs et enfants adoptés, posent à l'évidence des questions. Il y aura incontestablement débat sur ce point.
En ce qui concerne les renseignements à caractère médical, ils ne pourront être communiqués à l'enfant majeur ou au représentant légal que par l'intermédiaire d'un médecin spécialement désigné. Cette disposition a été insérée par référence aux mesures figurant dans la loi du 11 juillet 1978 sur la communication des documents administratifs.
d) La situation des pupilles de l'État
Leur adoptabilité est accrue. Ainsi, en cas de filiation établie et connue, le délai d'admission de l'enfant comme pupille de l'État, au cours duquel le service de l'Aide sociale à l'enfance s'enquiert des intentions de l'autre parent, lorsque le premier souhaite ladite admission, a-t-il été raccourci : il passe d'un an à huit mois.
Par ailleurs, si le tuteur de l'enfant considère que le projet d'adoption n'est pas une mesure adaptée, il doit en indiquer les motifs au conseil de famille 1 ( * ) . Si le mineur est capable de discernement, il est entendu par le tuteur et par le conseil de famille avant la définition du projet d'adoption et le choix des adoptants éventuels.
De plus, lorsqu'aucun projet d'adoption n'est formé plus de six mois après l'admission comme pupille de l'État d'un enfant, son dossier est communiqué, sous forme non nominative, au ministre chargé de la famille par le tuteur qui devra indiquer les raisons d'une telle situation.
Il faut noter, enfin, que le préfet, en tant que tuteur des pupilles de l'État, a vu ses pouvoirs renforcés 2 ( * ) , puisqu'il peut désormais prendre toutes mesures d'urgence qu'exige l'intérêt du pupille de l'État, lorsque ce dernier se trouve dans une situation de danger manifeste.
e) Une quasi-assimilation de l'adoption à la naissance en matière de droit du travail et de prestations familiales
La proposition de loi a cherché à assimiler le plus possible l'adoption à une naissance. Elle crée donc la possibilité d'un congé parental d'éducation ou d'un emploi à temps partiel pour s'occuper de l'enfant adopté ou confié en vue d'adoption même s'il a plus de trois ans, ce qui n'était pas le cas auparavant : toutefois, en ce cas, c'est-à-dire si l'enfant a plus de trois ans, le congé parental et la période d'activité à temps partiel sont au maximum d'un an à compter de l'arrivée au foyer de l'enfant. Votre commission ne peut que s'accorder sur ce type de disposition à condition, toutefois, que soit prévu un âge limite.
Parallèlement, même si l'enfant adopté a plus de trois ans, l'allocation parentale d'éducation (APE) - versée au parent qui s'arrête de travailler dès le deuxième enfant jusqu'à ce que en principe ce dernier ait trois ans-, est accordée pour une durée minimale, ce qui n'existait pas non plus. Là encore, votre commission souhaite que soit prévu un âge limite dans la mesure où verser une allocation parentale d'éducation ne lui semble guère justifié eu égard aux difficultés transitoires de la branche famille et aux dispositions douloureuses contenues dans l'ordonnance du 24 janvier 1996.
La proposition de loi prévoit également, pour le bénéfice de l'APE, le cas des arrivées concomitantes de plusieurs enfants adoptés, qu'elle assimile à des naissances multiples. Dans cette optique, le droit à l'APE est prolongé pour l'arrivée de trois enfants au moins comme pour la naissance de triplés ou davantage. Mais si la limite de la prolongation pour les naissances multiples est évidente : jusqu'à ce que les enfants atteignent un âge déterminé qui est le même pour chacun et qui est de six ans, en revanche, la rédaction concernant les enfants adoptés n'est pas adaptée puisqu'ils ont, dans la quasi-totalité des cas, des âges différents.
Concernant encore les prestations familiales, l'intervention de l'ordonnance relative aux mesures urgentes tendant au rétablissement de l'équilibre de la sécurité sociale fait que l'alignement de l'allocation d'adoption, créée par la loi relative à la famille du 25 juillet 1994, sur l'allocation pour jeune enfant (APJE), en instituant une allocation d'adoption courte sans condition de ressources et une allocation d'adoption longue sous condition de ressources, les deux alignées sur l'APJE soit 955 francs, -contre 624 francs actuellement- qui figure dans ce texte, ne peut être maintenu dans la mesure où l'APJE est désormais intégralement sous condition de ressources depuis la parution de ladite ordonnance. Si les dispositions adoptées à l'Assemblée nationale restaient en l'état, cela signifierait, en effet, que les parents adoptifs auraient droit à plus de prestations que les parents biologiques.
f) De nouveaux droits et aides accordés aux adoptants
•
Une nouvelle prestation à
la charge des conseils généraux pour indemniser les assistantes
maternelles qui adoptent le ou les enfants dont elles ont la garde
Sur ce point, votre commission souhaite remarquer qu'il n'est pas besoin de créer une nouvelle prestation à caractère général sans limitation de durée et en fonction d'un critère de ressources imprécis à la charge des départements pour des cas, somme toute, limités. De plus, les conseils généraux ont toute latitude pour accorder des aides temporaires adaptées aux différentes situations qui peuvent se présenter. Nombre d'entre eux octroient d'ailleurs des aides en cas d'adoption par des assistantes maternelles.
•
Les nouveaux droits et aides
accordés, notamment aux candidats à l'adoption qui veulent
recourir à l'adoption internationale
En effet, la proposition de loi instaure la possibilité d'obtenir, aussi bien dans le secteur privé que pour les trois fonctions publiques, des congés non rémunérés pour préparer l'adoption d'un enfant. Dans le cas du secteur privé, le texte adopté, qui résulte d'un amendement du Gouvernement, prévoit un congé maximal de six semaines, si l'enfant réside à l'étranger. Pour les trois fonctions publiques, l'article, qui résulte de la proposition de loi initiale, a prévu cinq jours lorsque l'enfant réside en France et huit semaines au maximum lorsqu'il réside à l'étranger. Il revient, donc, à votre commission d'harmoniser ces durées entre le secteur privé et les fonctions publiques.
Les parents qui adoptent un enfant étranger peuvent aussi demander, ou donner leur accord, à un accompagnement de celui-ci pendant un an par le service de l'aide sociale à l'enfance ou une association servant d'intermédiaire à l'adoption, ceci afin de favoriser une meilleure adaptation à sa nouvelle famille et à son nouveau pays. Ceci est, d'ailleurs, demandé par de nombreux pays aux oeuvres d'adoption à qui ils confient des enfants.
Enfin, cette proposition de loi institue également un système de prêts que peuvent accorder les régimes de prestations familiales pour permettre aux parents adoptant des enfants étrangers d'aller chercher ces enfants et de rester dans le pays concerné le temps nécessaire.
À cet égard, votre commission ne fera qu'une seule remarque : il ne lui semble pas pertinent de privilégier l'adoption internationale, notamment en matière de prestations, de prêts ou de dispositifs d'accompagnement alors que précisément le but de la présente proposition de loi est de favoriser l'adoption d'enfants plutôt âgés, qui se trouvent en établissements ou familles d'accueil. Il y a là quelque chose de profondément illogique qui pourrait être ressenti comme choquant.
* 1 Ainsi que Mme Christine Boulin (UDF).
* 1 Rapport officiel (1993) Rapport au Secrétaire d'État à la famille, aux personnes âgées et aux rapatriés.
* 1 Ces mentions proviennent du rapport de mission de M. Mattéi, intitulé « Enfants d'ici, enfants d'ailleurs ».
* 1 Dont, par ailleurs, le mandat des membres est doublé, passant de trois à six ans. De plus, la possibilité de renouvellement de ce mandat n'est plus limitée.
* 2 Par l'adoption d'un amendement de Mme Neiertz et du groupe socialiste.