EXAMEN EN COMMISSION

Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Nous débutons notre matinée d'examen des missions de la deuxième partie du projet de loi de finances avec le rapport pour avis sur la mission « Immigration, asile et intégration », qu'Olivier Bitz et moi-même allons vous présenter.

Le projet de budget pour 2025 tel qu'il nous est présenté n'est pas tout à fait conforme à celui que nous espérions. Il rompt en effet avec plusieurs années d'augmentation constante des crédits. La diminution observée est de l'ordre de 2 % en autorisations d'engagement (AE), soit 34 millions d'euros, et de 5 % en crédits de paiement (CP), soit 109 millions d'euros. Olivier Bitz et moi-même avons donc conduit nos travaux avec une certaine circonspection.

En premier lieu, l'effort budgétaire demandé nous a d'emblée paru assez important, et ce d'autant plus qu'il convient de prendre en compte le nouveau rattachement à la mission des crédits liés à la prise en charge des bénéficiaires de la protection temporaire ukrainiens. Si l'on neutralise ce changement de périmètre, on arrive à une diminution de 15 % du budget de la mission.

En second lieu, cette contraction budgétaire se concentre sur trois segments particuliers de la mission à laquelle notre commission est traditionnellement très attentive.

Le premier est la lutte contre l'immigration irrégulière. Les crédits de l'action correspondante connaissent une baisse de 23,5 %, soit 60 millions d'euros. Je rappelle que cette action finance notamment le dispositif de rétention administrative, et ce alors que l'objectif de 3 000 places en centres de rétention administrative (CRA) à l'horizon 2027 fixé par la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) est maintenu.

Les autres points ont trait aux conditions matérielles d'accueil, avec une diminution importante du budget de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) ainsi que la suppression de près de 6 000 places d'hébergement - Olivier Bitz reviendra plus en détail sur le sujet.

Si ce budget n'est pas celui que nous espérions, je vous propose néanmoins de ne pas nous y opposer.

Tout d'abord, vous le savez, la France se trouve dans une situation budgétaire profondément dégradée. Il est donc légitime que l'ensemble des missions de l'État contribuent à l'effort national de réduction du déficit.

Ensuite, nos réserves s'appliquent à la version initiale d'un projet de loi de finances (PLF) préparé dans des délais excessivement contraints et dont l'exécutif a régulièrement indiqué qu'il serait amené à évoluer au cours des débats. Dans ce contexte, il me semble que nous devons prendre acte de l'engagement pris par le ministre de l'intérieur devant notre commission de présenter un amendement visant à abonder les crédits de la mission à hauteur de 59 millions d'euros en AE et 34 millions d'euros en CP. Je suis bien consciente qu'il ne s'agit que d'un ajustement, mais cet amendement aurait toutefois le mérite d'établir un compromis que je qualifierais de plus raisonnable entre la maîtrise des finances publiques et la mise en oeuvre d'une véritable politique migratoire.

Enfin, et il s'agit de la raison la plus importante à mes yeux, je relève la conformité du discours de l'exécutif sur la politique migratoire avec les positions défendues de longue date par notre commission. Le ministre de l'intérieur met notamment résolument l'accent sur la nécessité de contenir les flux entrants - nous le demandons systématiquement depuis plusieurs années lors de la présentation de cet avis budgétaire -, de renforcer l'exigence du parcours d'intégration et d'établir un ciblage des motifs d'admission au séjour conforme aux intérêts de la France.

C'est pour ces trois raisons que je vous propose de ne pas nous opposer à l'adoption des crédits.

Nous allons maintenant vous présenter dans le détail les crédits pour chacun des trois piliers de cette mission : la lutte contre l'immigration irrégulière pour ce qui me concerne et les crédits relatifs à l'asile et à l'intégration pour Olivier Bitz.

Sur la lutte contre l'immigration irrégulière tout d'abord, les flux se maintiennent à un niveau élevé. Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) s'élève à 441 000 en 2023, soit 40 000 de plus que l'année précédente. Plus de 72 000 étrangers ont par ailleurs été contrôlés en situation irrégulière durant le premier semestre 2024, contre 120 000 sur la totalité de l'année précédente. La pression migratoire est donc élevée.

Ce constat rend d'autant plus indispensable la revalorisation des crédits dédiés à la politique de retour, comme le ministre s'y est engagé. Pour votre information, la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) a procédé à 11 700 retours forcés en 2023, contre 11 400 l'an passé. En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français (OQTF), nous n'avons pas encore été destinataires de leur taux d'exécution. Les explications avancées à cette stagnation des éloignements dans les documents budgétaires concernent notamment le manque de coopération de certains États d'origine, au premier rang desquels les trois États du Maghreb.

Au-delà de l'analyse quantitative, un point de satisfaction se dégage si l'on effectue une approche qualitative. Vous vous en souvenez, la dernière loi relative à l'immigration a réduit les protections contre l'éloignement dont bénéficiaient certains étrangers, pourtant parfois auteurs de graves troubles à l'ordre public. Selon la direction générale des étrangers en France (DGEF), environ 2 200 mesures d'éloignement supplémentaires ont pu être prononcées entre janvier et octobre du fait de cette évolution de la législation. L'effort devra bien évidemment être maintenu pour garantir l'exécution de ces mesures, mais nous pouvons néanmoins collectivement nous féliciter de ce résultat.

J'en viens au dispositif de rétention administrative. La capacité totale du parc de rétention n'évoluera pas en 2025. Pour rappel, celle-ci atteint 1 959 places en 2024. La prochaine livraison est attendue en 2026, avec un nouveau centre de rétention administrative de 140 places à Bordeaux.

Le plan CRA 3 000 est déjà bien lancé, avec des projets en cours sur le site Périchet, ou encore à Vincennes, Béziers, Nantes, Dijon et Dunkerque. Nous estimons donc que l'objectif très ambitieux de 3 000 places en 2027 n'est pas inaccessible. Tout retard pris aujourd'hui enterrerait néanmoins cet objectif, repris par le Gouvernement actuel. À cet égard, nous pouvons nous réjouir de l'engagement pris par le ministre de rehausser les crédits correspondants.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Il me revient de vous présenter les crédits relatifs à la politique de l'asile et à l'intégration.

La réduction des délais de traitement des demandes d'asile est l'un des objectifs clés de notre politique migratoire. C'est d'abord un enjeu humain que les demandeurs soient fixés au plus vite sur leur situation, mais c'est également un enjeu budgétaire. Sur ce point, nous sommes sur la bonne voie.

En effet, la dynamique de réduction des délais amorcée en 2020 s'est poursuivie en 2024. S'il est encore loin de l'objectif assigné de six mois, le délai moyen de traitement est en amélioration constante à 9,1 mois en août 2024, soit 4 mois de moins qu'en 2022. Si une légère dégradation est observée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sur les derniers mois, le transfert de 29 équivalents temps plein (ETP) de la part de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) devrait permettre de renouer rapidement avec cette dynamique baissière.

À terme, les réformes introduites par la dernière loi relative à l'immigration pourraient encore accentuer cette dynamique. Je pense à l'expérimentation des espaces « France asile », qui n'ont pas encore été mis en service, et à la territorialisation de la CNDA.

Ces chiffres sont de bon augure, mais il convient de rester prudent. Nous sommes, d'une part, encore loin de l'objectif des six mois, qui ne peut être envisagé qu'à moyen terme. Je note par ailleurs un effort de sincérité du Gouvernement, qui l'a renvoyé à 2027. Cela me semble effectivement plus conforme à la réalité du terrain. D'autre part, l'édifice est fragile et toute augmentation abrupte de la demande d'asile pourrait interrompre cette dynamique. Compte tenu de la dégradation du contexte international, cela ne peut malheureusement être totalement exclu.

Le second point d'intérêt de la politique de l'asile est celui des conditions matérielles d'accueil. Disons-le clairement, le budget proposé pour l'ADA est particulièrement ambitieux. Si l'on retranche les crédits fléchés vers les Ukrainiens, nous arrivons à une baisse de 47 millions d'euros. Cela est loin d'être anecdotique, même s'il est vrai que la budgétisation de l'ADA s'est révélée, ces dernières années, moins hasardeuse que par le passé. Au vu de ces éléments, nous considérons qu'un ajustement des crédits en gestion ne peut être exclu à ce stade.

S'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile, la question la plus sensible, le PLF pour 2025 intègre une importante réduction capacitaire. Celle-ci est de l'ordre de 6 000 places, pour un montant total de 71 millions d'euros. Le Gouvernement relativise les effets de cette diminution en tablant, d'une part, sur la réduction du taux d'indisponibilité par une meilleure régulation du parc et, d'autre part, sur l'amélioration attendue des délais d'instruction des demandes d'asile.

Sans remettre en cause le travail remarquable des agents de l'Ofii pour fluidifier le parc, ce scénario nous semble très optimiste. Il semble en effet illusoire que la suppression de plus de 6 000 places soit sans effet sur le taux d'hébergement. Cela est d'autant plus vrai qu'il faut également prendre en compte le rattachement de l'hébergement des Ukrainiens à ce poste de dépenses, pour approximativement 100 millions d'euros... Tout l'enjeu sera donc d'en limiter les conséquences, en particulier vis-à-vis des demandeurs d'asile les plus vulnérables, afin qu'ils ne se retrouvent pas à la rue. Nous serons vigilants sur ce point.

J'en viens enfin aux crédits relatifs à la politique de l'intégration.

Je commencerai par un point de satisfaction : l'achèvement programmé de la dématérialisation des procédures d'admission au séjour et d'éloignement. Nous avons longuement discuté de ce projet de l'administration numérique des étrangers en France dans notre commission. Il devrait être pleinement opérationnel en 2025, avec un décommissionnement en parallèle de l'application obsolète de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (Agdref) dont vous avez tous entendu parler. Nous tenons à saluer l'achèvement de ce projet précieux de longue haleine pour les usagers.

J'en viens à l'instrument clé de notre politique d'intégration, le contrat d'intégration républicaine. Celui-ci est épargné par les baisses de crédits, mais il n'est pas certain que cela suffise. Je vous rappelle en effet que la dernière loi relative à l'immigration conditionne la délivrance d'un titre de séjour longue durée à la réussite à des examens linguistiques et civiques. Ce passage d'une obligation de moyens à une obligation de résultat aura nécessairement un coût. Des pistes sont sur la table pour le maîtriser, par exemple la fin de l'obligation de suivi des enseignements pour les étrangers maîtrisant déjà le socle de connaissance de requis ou encore la dématérialisation de tout ou partie des enseignements. Il va sans dire que nous suivrons ce dossier avec attention.

Un dernier point sur le programme « Agir », qui est un projet de guichet unique pour l'accompagnement des réfugiés vers le logement et l'emploi. Il fait l'objet d'un redimensionnement afin de plafonner à 25 000 le nombre de ses bénéficiaires. Nous estimons que cette inflexion n'est pas injustifiée, eu égard aux limites de l'exercice. D'une part, les taux de sortie positive en logement (30 %) comme en emploi (18 %) sont modestes en 2023. Par ailleurs, ce programme semble bénéficier essentiellement aux étrangers déjà les mieux intégrés, au détriment des autres.

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, ce budget n'est pas celui que nous appelions, il n'est peut-être même pas celui que nous espérions. Dans le contexte actuel et sous réserve que l'engagement du ministre soit tenu, il nous semble en revanche qu'il a le mérite de préserver l'essentiel et qu'il est, dès lors, le moins insatisfaisant que nous puissions attendre. C'est pourquoi nous vous proposons de ne pas nous y opposer et de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

Mme Corinne Narassiguin. - Nous sommes assez étonnés de voir que le premier budget Barnier-Retailleau de la mission « Immigration, asile et intégration » soit en baisse de 5 %. Cette baisse se répercute sur les programmes relatifs à la garantie de l'exercice du droit d'asile, l'accueil des étrangers primo-arrivants et la lutte contre l'immigration irrégulière, cette dernière action étant pourtant présentée comme une priorité du ministre de l'intérieur.

Concernant l'objectif de 3 000 places en CRA en 2027, nous nous étonnons également qu'aucune nouvelle dépense ne soit engagée pour s'assurer de la création effective de ces places, d'autant que les crédits consacrés aux mesures d'éloignement sont en nette baisse.

Les deux points les plus problématiques pour le groupe socialiste concernent les crédits destinés à financer le parc d'hébergement. La suppression de plus de 6 500 places va impacter toutes les catégories d'hébergement, les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile, l'hébergement d'urgence, les centres d'accueil et d'examen. Or on estime que 6 000 personnes sont d'ores et déjà sans domicile fixe, notamment à Paris, dans le nord de la capitale et en Seine-Saint-Denis.

Nous observons une baisse de 45 % des CP de l'action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants », alors que la dernière loi relative à l'immigration prévoit que les étrangers primo-arrivants qui souhaitent demander une carte de séjour pluriannuelle au bout d'un an doivent avoir le niveau A2 en français. La loi prévoit des obligations pour les personnes qui souhaitent s'intégrer, mais sans donner les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. À cet égard, je n'ai obtenu aucune réponse à la question que j'ai posée au ministre de l'intérieur sur les dépenses liées à la formation linguistique.

M. André Reichardt. - Le budget consacré aux associations d'aide aux migrants a défrayé la chronique ces dernières semaines. Disposez-vous d'informations sur les montants en jeu ? Une évaluation de l'efficience de cette aide a-t-elle été faite par le passé ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous l'avons déjà constaté la semaine dernière, alors que les rapporteurs pour avis sont plutôt réservés sur les crédits dédiés aux missions examinées, ils émettent un avis favorable à leur adoption... Pourquoi donner un avis favorable à ce stade ? Vous l'avez dit, des amendements seront déposés par le Gouvernement. Dès lors, pourquoi ne pas proposer une abstention ?

Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur pour avis. - Madame de La Gontrie, il est arrivé assez fréquemment dans le passé que la commission ait donné un avis favorable sur les crédits des missions, alors que le rapporteur avait émis des réserves dans son rapport.

S'agissant de la mission « Immigration, asile et intégration », je vous rappelle que nous n'avons eu de cesse ces dernières années, avec Philippe Bonnecarrère, d'expliquer qu'il était inutile d'augmenter les budgets si le Gouvernement ne mettait pas en place une politique réellement susceptible de réguler l'immigration. Or le ministre de l'intérieur a précisément annoncé la mise en oeuvre de cette politique.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - M. Bitz a indiqué que ce n'était pas le budget que vous espériez.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Mais c'est celui que nous avons.

Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur pour avis. - Ce budget est animé par la volonté du Gouvernement de mener une politique différente en matière d'immigration ; c'est ce que nous réclamions depuis des années. Il est donc naturel que nous voulions accompagner son action en étant favorables au budget qui nous est proposé.

Par ailleurs, les contraintes budgétaires imposent manifestement des efforts. D'ailleurs, les budgets régaliens sont plutôt moins impactés que les autres - et heureusement. En l'occurrence, le budget qui nous est présenté devrait être abondé en AE et en CP. Nous prenons acte de cet engagement et avons pour habitude de croire en la parole des ministres.

C'est pourquoi nous préférons nous satisfaire d'une politique qui est conforme à celle que nous réclamons depuis des années.

Madame Narassiguin, nous l'avons dit, aucune nouvelle place en CRA n'est prévue l'année prochaine mais de multiples projets sont lancés. Le budget est cohérent avec les annonces qui ont été faites.

Monsieur Reichardt, on compte plus de 1 400 associations d'aide aux migrants, pour un budget total de de plus d'un milliard d'euros. Dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques, nous traitons cette année des accords internationaux. Il y a effectivement la question de savoir comment ces crédits sont engagés et utilisés par ces associations, qui justifierait un travail du Sénat.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Madame Narassiguin, vous avez raison de souligner que la suppression de 6 000 places pourrait effectivement avoir des conséquences sur le taux d'hébergement des demandeurs d'asile, qui a considérablement progressé ces dernières années.

À cet égard, deux éléments de réponse nous ont été apportés. D'une part, aujourd'hui, 20 % des personnes hébergées ne sont pas des demandeurs d'asile. Le Gouvernement s'engage à mobiliser les services concernés pour faire en sorte que ces hébergements leur soient bien réservés. D'autre part, un certain nombre de places existaient budgétairement, mais n'étaient pas mises à leur disposition en raison de travaux à réaliser. Nous resterons attentifs à cette situation et aux conséquences humaines.

S'agissant des obligations d'apprentissage, notamment du français, mon approche sera plus modérée que la vôtre. Considérant les contraintes budgétaires actuelles, il convient de repenser l'organisation des enseignements qui sont dispensés. L'enseignement à distance peut constituer un élément de réponse à cet égard, tout en répondant aux objectifs fixés par la loi relative à l'immigration.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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