- L'ESSENTIEL
- I. UNE CONTRIBUTION LÉGITIME DE LA MISSION
À L'EFFORT BUDGÉTAIRE, SOUS RÉSERVE DE TROUVER LE JUSTE
ÉQUILIBRE
- II. LA NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER
LES CRÉDITS CONSACRÉS À LA LUTTE CONTRE
L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
- III. UN RECUL IMPORTANT DU BUDGET DE L'ASILE DONT
IL FAUDRA VEILLER À LIMITER AUTANT QUE POSSIBLE
LES CONSÉQUENCES
- IV. POUR FAIRE FACE À LA BAISSE DES
CRÉDITS, UNE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION À
RATIONALISER
- I. UNE CONTRIBUTION LÉGITIME DE LA MISSION
À L'EFFORT BUDGÉTAIRE, SOUS RÉSERVE DE TROUVER LE JUSTE
ÉQUILIBRE
- EXAMEN EN COMMISSION
- COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE
M. BRUNO RETAILLEAU, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 150 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025, |
TOME II IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION |
Par Mme Muriel JOURDA et M. Olivier BITZ, Sénateurs |
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8 Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Le budget proposé en 2025 pour la mission « Immigration, asile et intégration » est en rupture avec les augmentations constatées les années précédentes (+ 7 % en crédits de paiement - CP - pour le PLF 2024, après une augmentation de + 6 % l'année précédente). Dans le détail, le montant des crédits demandés en 2025 pour la mission s'élève à 1,73 Md€ en autorisations d'engagement (AE), soit une diminution de 2 % (- 34 M€) par rapport aux crédits ouverts en 2024, et à 2,05 Mds€ (- 109 M€) en crédits de paiement, soit une diminution de 5 %. S'agissant des CP, les inflexions les plus nettes portent sur les moyens attribués aux actions n° 3 « lutte contre l'immigration irrégulière » (- 60 M€, - 23,5 %) et n° 12 « intégration des étrangers primo-arrivants » (- 80 M€, - 45,4 %). Pour rappel, la première regroupe notamment les crédits relatifs au fonctionnement et à l'investissement dans le parc de rétention administrative, tandis que la seconde couvre les actions déployées au niveau local et national pour l'intégration des étrangers primo-arrivants. Les crédits alloués à la politique de l'asile ne sont quant à eux stables qu'en apparence. Les documents budgétaires font état de fortes réductions de crédits s'agissant de l'allocation pour demandeur d'asile (- 47,2 M€) et du parc d'hébergement des demandeurs d'asile (- 71,2 M€). Ces diminutions sont compensées par le rattachement à la mission des crédits liés aux bénéficiaires de la protection temporaire ukrainiens (+ 106,8 M€), et ce conformément à une demande récurrente du Parlement depuis le début du conflit. On note enfin un réajustement des moyens attribués aux deux opérateurs. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) bénéficie de la part de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) d'un transfert de 29 ETP fléchés vers l'activité de protection. Le budget de l'OFPRA est par ailleurs stable à 108 M€1(*). A contrario, le plafond d'emplois de l'OFII connaît une régression de 34 ETP2(*). L'augmentation faciale des crédits de l'office doit par ailleurs être relativisée (+ 20 M€), dès lors que celle-ci se limite à compenser la diminution des crédits européens qu'il perçoit. La commission n'a pas masqué sa préoccupation vis-à-vis de ce recul important des moyens attribués à une mission qu'elle juge prioritaire. Celui-ci est d'autant plus notable qu'une partie conséquente de l'effort est actuellement concentrée sur le volet « lutte contre l'immigration irrégulière », auquel elle attache de longue date une particulière importance. Sur la proposition de ses rapporteurs, Muriel Jourda et Olivier Bitz, la commission ne s'est toutefois pas opposée à l'adoption des crédits. D'une part, il est légitime que la mission prenne sa part à l'indispensable effort global de maîtrise du déficit public. D'autre part, les engagements pris par le ministre de l'intérieur devant la commission devraient, s'ils se concrétisaient, ramener cette contribution à un niveau plus raisonnable. Les ajustements annoncés devraient notamment permettre de préserver l'effectivité du dispositif de lutte contre l'immigration irrégulière en général et la poursuite du plan « CRA 3 000 » en particulier. Au-delà des questions strictement budgétaires, les rapporteurs se félicitent par ailleurs que les demandes récurrentes de la commission aient été entendues. L'attention portée par le ministre de l'intérieur à la prévention des flux entrants, à la gestion du parc immobilier ou encore au renforcement de l'exigence du parcours d'intégration républicaine est ainsi conforme en tout point aux recommandations émises de longue date par la commission. |
I. UNE CONTRIBUTION LÉGITIME DE LA MISSION À L'EFFORT BUDGÉTAIRE, SOUS RÉSERVE DE TROUVER LE JUSTE ÉQUILIBRE
Alors que la France se trouve dans une situation budgétaire particulièrement dégradée, il est tout à fait légitime que l'ensemble des missions de l'État contribuent à l'effort national de réduction du déficit. Pour prioritaire qu'il soit, il n'est donc pas anormal que le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » soit en baisse. La commission a néanmoins estimé que les ordres de grandeur figurant dans le projet transmis au Sénat n'étaient pas satisfaisants. En effet, l'effort actuellement requis est à la fois :
· excessif : la diminution faciale de 109 M€ des crédits attribués en CP ne représente qu'une fraction de l'effort demandé. Le rattachement à la mission des dépenses liées à la prise en charge des bénéficiaires Ukrainiens de la protection temporaire doit en effet notamment être pris en compte3(*). Comme l'a indiqué le directeur général des étrangers en France (DGEF) au cours de son audition, la diminution réelle du budget de la mission serait plutôt de l'ordre de 306 M€, soit environ - 15 % (à raison de respectivement 106,8 M€ et 90 M€ pour l'ADA et l'hébergement des 60 0004(*) Ukrainiens a priori5(*) présents en France). Cette inflexion intervient en outre à un moment charnière pour la politique migratoire française, qui doit faire l'objet d'importants investissements au titre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur du 24 janvier 2023 et de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration du 26 janvier 2024. Celles-ci prévoient notamment un objectif de 3 000 places disponibles en rétention administrative à horizon 2027 ainsi que le conditionnement, au plus tard en 2026, de la délivrance d'un titre de séjour de longue durée à la réussite d'examens linguistiques et civiques ;
· insuffisamment ciblé : la commission a notamment apprécié avec un certain scepticisme le recul de 60 M€ des crédits consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière, qui est une priorité gouvernementale assumée et légitime.
Ces réserves s'appliquent toutefois à la version initiale d'un projet de loi de finances préparé dans des délais extraordinairement contraints et dont l'exécutif a régulièrement indiqué qu'il serait amené à évoluer au cours des débats. Dans ce contexte, la commission a pris acte de l'engagement du ministre de l'intérieur de présenter devant le Sénat un amendement abondant les crédits de la mission à hauteur de 59 M€ en AE et 34 M€ en CP, et ce afin de garantir le financement de la création de nouvelles places de rétention. Si ce réajustement resterait limité, il aurait néanmoins le mérite d'établir un compromis plus raisonnable entre maîtrise des finances publiques et sauvegarde des fondamentaux de la politique migratoire. Au-delà des aspects strictement budgétaires, les rapporteurs ont également souligné la conformité du discours de l'exécutif sur la politique migratoire aux positions défendues de longue date par la commission. Le ministre de l'intérieur met notamment résolument l'accent sur la nécessité de contenir les flux entrants, de renforcer l'exigence du parcours d'intégration et d'établir un ciblage des motifs d'admission au séjour conforme aux intérêts de la France. Au bénéfice de ces trois éléments, la commission ne s'est donc pas opposée à l'adoption des crédits.
II. LA NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER LES CRÉDITS CONSACRÉS À LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
A. UNE IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE QUI SE MAINTIENT À UN NIVEAU ÉLEVÉ
Les flux d'immigration irrégulière sont en hausse constante depuis la fin de la pandémie de la covid-19. Les indicateurs traditionnellement utilisés pour objectiver ce phénomène sont parlants. Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État se porte à 441 228 en 2023, soit une augmentation de plus de 10 % par rapport à 2022 (400 327). Par ailleurs, 72 589 étrangers ont été contrôlés en situation irrégulière au premier semestre 2024, contre 123 800 sur l'année 2023. La première nationalité concernée est, de loin, algérienne (15 875), devant les nationalités tunisienne (6 783), marocaine (6 270) et soudanaise (3 617).
Si le volume de mesures de non-admission aux frontières est quant à lui en recul en 2023 (80 346, - 11,8 %), ce léger retrait s'explique, selon la police aux frontières, principalement par la mise en place de dispositifs de régularisation des étrangers en situation irrégulière en Italie et en Espagne ainsi que par une intensification des patrouilles à la frontière franco-italienne. En outre, la police aux frontières doit désormais composer avec les conséquences de l'arrêt dit « ADDE » du 21 septembre 2023 de la Cour de justice de l'Union européenne, qui limite drastiquement les possibilités d'édiction de refus d'entrée aux frontières intérieures. La directrice nationale de la PAF a ainsi indiqué au cours de son audition que cette jurisprudence multipliait par 8 le temps de travail des agents sur chaque dossier.
Au niveau européen, on constate a contrario une diminution nette des entrées irrégulières détectées (191 900 sur les 10 premiers mois de l'année 2024, - 43 %). Cette tendance recouvre toutefois des réalités contrastées. Le fort décrochage de la route de la méditerranée centrale (- 62 %) est notamment contrebalancé par des augmentations d'ampleur variable sur les routes de de la méditerranée orientale (+ 14 %) et d'Afrique de l'ouest (+ 14 %), ainsi qu'à la frontière franco-britannique (+ 5 %).
B. UNE REVALORISATION INDISPENSABLE DES CRÉDITS DÉDIÉS À LA POLITIQUE DE RETOUR
1. Des éloignements qui n'évoluent pour le moment qu'à la marge
Le volume des éloignements réalisés n'a que marginalement évolué en 2023 et reste loin de son niveau prépandémique. La PAF a ainsi procédé à 11 722 retours forcés en 2023 contre respectivement 11 410 en 2022 et, surtout, 18 906 en 2019. Selon les données communiquées par la DGEF, un léger regain d'efficacité est observé sur le premier semestre 2024, avec 6 405 éloignements réalisés (+ 9,8 %). Les rapporteurs regrettent en revanche que, contrairement aux années précédentes, les données relatives au taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne leur aient pas été communiquées.
Les explications avancées à cette stagnation des éloignements dans les documents budgétaires mentionnent notamment le manque de coopération de certains États d'origine, au premier rang desquels les trois États du Maghreb. Pour rappel, le taux de délivrance global des laissez-passer consulaires dans les délais s'établit à 57,5 %6(*) en 2024.
Si ce bilan quantitatif est, en tout état de cause, encore très insuffisant, une analyse qualitative laisse entrevoir quelques points de satisfaction. La limitation des protections contre l'éloignement opérée par la loi du 26 janvier 2024 précitée a permis l'édiction d'un nombre significatif de mesures d'éloignement à l'encontre d'étrangers parfois auteurs d'importants troubles à l'ordre public. Selon les données transmises par la DGEF, 2 195 mesures d'éloignement ont été prononcées dans ce cadre entre le 28 janvier et le 1er octobre 2024, dont 106 effectivement exécutées (à raison de 1 940 OQTF et 255 expulsions).
Le bilan est enfin en demi-teinte s'agissant des retours aidés. Leur nombre constaté en 2023 (4 467) s'est établi très en deçà de la prévision initiale (7 200). La réforme de l'allocation au retour n'est toutefois intervenue qu'à compter du mois d'octobre, si bien que ses premiers effets n'interviendront probablement qu'en 20247(*). Dans ce contexte, la cible de 8 000 retours aidés ne devrait probablement pouvoir être atteinte qu'à horizon 2025.
2. Un plan « CRA 3000 » qui doit impérativement être sacralisé
Après plusieurs années d'augmentation lente mais continue, la capacité totale du parc de rétention n'évoluera pas en 2025. Pour rappel, celle-ci a atteint 1 959 places en 2024 du fait de la livraison du CRA d'Olivet et de l'extension de celui de Perpignan (respectivement 90 et 12 places). La prochaine livraison est attendue en 2026 avec un nouveau CRA de 140 places à Bordeaux. Des opérations d'ouverture et d'extension de CRA sont d'ores et déjà engagées à Périchet ainsi qu'à Vincennes. Par ailleurs, la DGEF a indiqué aux rapporteurs que la création de trois CRA supplémentaires serait engagée en 2025 (Béziers, Nantes et Mayotte) tandis que deux autres projets étaient en cours de développement (Dijon et Dunkerque). S'il n'est pas inaccessible, l'objectif de 3 000 places à horizon 2027 fixé par la LOPMI apparaît à tout le moins ambitieux. À cet égard, les rapporteurs se félicitent de l'engagement pris par le ministre de l'intérieur d'augmenter les crédits correspondants au cours des débats budgétaires. La commission suivra avec une attention particulière l'avancement de ce dossier, qui se situe aujourd'hui à un point de basculement. Le moindre retard pris aujourd'hui dans ce chantier au long cours se traduira en effet immédiatement par l'obsolescence de fait de l'objectif de 3 000 places à horizon 2021.
L'autre point d'intérêt concerne l'important recul du taux d'éloignement des étrangers placés en rétention (35,2 % en 2023 contre 43,2 % l'années précédente)8(*). Le Gouvernement estime néanmoins que l'intensification des efforts de coopération diplomatique sur la dernière pourrait permettre un rebond, avec des cibles rehaussées à 50 % en 2024 et 60 % en 2026.
Source : Commission des lois, à partir des données budgétaires
III. UN RECUL IMPORTANT DU BUDGET DE L'ASILE DONT IL FAUDRA VEILLER À LIMITER AUTANT QUE POSSIBLE LES CONSÉQUENCES
A. UNE PROGRESSION CONSTANTE MAIS FRAGILE DES DÉLAIS DE TRAITEMENT DES DEMANDES
Les rapporteurs ont relevé avec satisfaction que la dynamique de réduction des délais de traitement des demandes d'asile amorcée en 2020 s'était poursuivie en 2024. S'il est encore loin de l'objectif assigné de 6 mois, le délai moyen de traitement des demandes d'asile est en amélioration constante à 9,1 mois en août 2024, contre 10,9 mois en 2023 et 13,2 mois en 2022. La situation est toutefois contrastée selon les étapes de la procédure et appelle à la prudence compte tenu de l'augmentation régulière de la demande d'asile :
· en GUDA : après une augmentation conjoncturelle en 2022 due à la crise ukrainienne (4,1 j), le délai d'enregistrement en GUDA est progressivement revenu à la normale (3,8 jours en 2023 et 2,2 jours sur les 8 premiers mois de l'année 2024). On constate par ailleurs une diminution des demandes sur la période récente (98 100 en 2024, - 8 %) ;
· à l'OFPRA : le
délai moyen était de 132 jours sur les huit premiers mois
de l'année 2024, en légère augmentation par
rapport à 2023 (127 jours) mais encore très inférieur aux
niveaux relevés sur les années précédentes (159
jours en 2022 et 261 jours en 2021). La capacité décisionnelle de
l'OFPRA est en effet inférieure à la demande depuis la fin 2022,
ce qui explique à la fois cette rechute des délais et
l'augmentation du stock de dossiers (65 000 aujourd'hui contre 53 370
fin 2023 et 47 296 fin 2022). L'apport de 29 ETP
supplémentaire pourrait néanmoins permettre de renouer avec la
dynamique baissière des dernières années et de
respecter l'objectif de 160 000 décisions annuelles en 2025. Ces
renforts seront d'autant plus bienvenus que, comme l'a souligné le
directeur général de l'OFPRA au cours de son audition, la
réduction des demandes observées en 2024 dans les GUDA ne s'est
pas encore répercutée sur
les demandes
enregistrées par l'OFPRA (142 649 demandes d'asile y ont
été enregistrées en 2023 et la barre des 100 000
a été franchie dès août 2024, en augmentation de
11 %)9(*) ;
· à la CNDA : la baisse ces deux dernières années du nombre de décisions rendues (66 358 contre 67 142 en 2022 et 68 403 en 2021) a été compensée par un important tassement du nombre de recours enregistrés en 2022 (61 552 contre 68 243 en 2021), partiellement rattrapé en 2023 (64 685). Tirant parti de ce contexte favorable, la CNDA traite depuis 2022 plus de dossiers qu'elle n'en enregistre, ce qui se traduit par une diminution des délais et une réduction du stock. Tout indique que cette dynamique devrait se poursuivre en 2024. Au premier semestre, la CNDA a ainsi traité 34 053 dossiers, pour un délai de jugement annuel moyen de 5 mois et 9 jours (6 mois et 3 jours en 2023) et un stock de 21 908 dossiers (contre 26 132 en 2023 et encore 33 353 en 2021). Si le délai de 5 mois en procédure normale est désormais quasiment respecté (5 mois et 19 jours), une difficulté subsiste toutefois s'agissant du délai de procédure accélérée (4 mois et 16 jours).
* Délai constaté au 31 août pour l'OFPRA et au 31 juin pour la CNDA
Source : Commission des lois, à partir des données budgétaires
Dans ce contexte, les objectifs de délais de traitement des demandes d'asile doivent nécessairement être envisagés à moyen terme et leur satisfaction est étroitement liée aux fluctuations de la demande d'asile (avec une prévision d'évolution annuelle de 5 % par an d'ici 2027 qui semble ambitieuse et devra être confirmée). À cet égard, un effort de sincérité du Gouvernement doit être salué. Le renvoi en 2027 de l'objectif d'un délai d'examen de 60 jours à l'OFPRA semble en effet plus conforme aux réalités observées sur le terrain que les projections des dernières années.
S'il est encore trop tôt pour mesurer précisément leurs effets, les innovations introduites par les articles 62 et 70 de la loi du 26 janvier 2024 précitée pourraient contribuer à accentuer la réduction des délais. Leur déploiement est toutefois encore inégal à ce stade :
· une expérimentation des espaces « France Asile » qui n'a pas encore démarré : au cours de son audition, le directeur général de l'OFPRA a indiqué que les trois sites pilotes prévus par l'expérimentation avaient bien été identifiés (à Cergy, Metz et Toulouse) et les aménagements effectués. L'entrée en service de ces nouveaux espaces rassemblant les services d'enregistrement du préfet, les agents de l'OFII (pour l'octroi des conditions matérielles d'accueil) ainsi que les services de l'OFPRA (pour la réalisation des premières démarches d'entrée dans la procédure d'asile) est toutefois conditionnée à l'achèvement des discussions en cours pour l'attribution des moyens requis à l'OFPRA ;
· un recul encore insuffisant sur les nouvelles chambres territoriales de la CNDA : cinq chambres ont d'ores et déjà été créées (deux à Lyon, une à Nancy, une à Bordeaux et une à Toulouse), tandis que deux autres ouvertures sont programmées en septembre 2025 (à Marseille et Nantes). Au cours de son audition, le président de la CNDA a dressé un bilan relativement positif de cette réforme, in fine plutôt bien acceptée par les personnels. Les craintes initiales sur l'indisponibilité des interprètes ne semblent, à ce jour, pas s'être concrétisées, tandis que les premières audiences décentralisées ont fait l'objet d'un taux de renvoi inférieur à la moyenne. Compte tenu des enjeux, les rapporteurs suivront ce dossier avec attention sur l'année à venir.
B. LES CONDITIONS MATÉRIELLES D'ACCUEIL : UNE RÉDUCTION DES CRÉDITS QUI NE SERA PROBABLEMENT PAS NEUTRE
1. Une budgétisation de l'ADA particulièrement ambitieuse
Les rapporteurs considèrent que la budgétisation proposée de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) doit être abordée avec prudence. Si les crédits prévus pour 2025 sont facialement en hausse (+ 59,3 M€), celle-ci s'explique intégralement par l'intégration des dépenses liées à la perception de l'ADA par les 54 300 Ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire en France (106,8 M€). Cette intégration, qui répond enfin à une demande parlementaire insistante, fait plus que compenser la diminution de 16 % des crédits affectée à l'ADA de droit commun (- 47,2 M€ pour un montant total de 246,6 M€).
Si la budgétisation de l'ADA s'est révélée ces dernières années moins hasardeuse que par le passé, ce scénario peut néanmoins sembler ambitieux. Celui-ci repose en effet sur une prévision de diminution des flux de demandeurs d'asile de 5 % en 2024, suivie d'une augmentation de 5 % en 2025 qui demeure largement à confirmer. Si une baisse des demandes a effectivement été enregistrée dans les GUDA, cette dynamique ne s'étend pas encore à l'OFPRA (où les délais moyens de traitement ont légèrement augmenté en 2024). Or, le volume des dépenses consacrées à l'ADA est largement dépendant de l'évolution des délais de traitement des demandes d'asile. Par ailleurs, la dégradation récente du contexte international pourrait remettre en cause cette prévision. Dans ce contexte, les rapporteurs constatent qu'un ajustement des crédits en gestion ne peut être exclu à ce stade.
2. Une importante diminution des capacités d'hébergement dont il faudra limiter les répercussions sur le taux d'hébergement
Le projet de loi de finances pour 2025 intègre une importante réduction de l'offre d'hébergement des demandeurs d'asile. Les documents budgétaires font ainsi état d'une diminution de 71,2 M€10(*) des crédits affectés au parc d'hébergement. Après plusieurs années de progression capacitaire, un choix net a donc été fait par le Gouvernement. Ainsi, la capacité totale du parc devrait s'établir à 113 258 places en 2025 contre 119 347 en 2024 (et ce alors que l'objectif initial pour cette année était initialement fixé à 122 582 places).
Le Gouvernement relativise les effets de cette diminution en mettant en avant, d'une part, les effets d'une meilleure régulation du parc depuis mi-2022 qui aurait permis de « gagner » 5 000 places par la réduction du taux d'indisponibilité et, d'autre part, l'amélioration attendue des délais d'instruction des demandes d'asile dans un contexte de hausse possiblement modérée des flux. Pour ces raisons, le Gouvernement table sur un impact limité sur le taux d'hébergement des demandeurs d'asile. Pour rappel, celui-ci est en progression (64,8 % pour le début de l'année 2024 contre 61 % en 2023 et 58 % en 2022) tandis que le taux d'occupation indu est stable (79 % des places effectivement occupées par des demandeurs d'asile sur les deux dernières années).
Capacité du parc d'hébergement pour demandeurs d'asile (au 31/12)
Les rapporteurs considèrent ce scénario optimiste. Sans remettre en cause l'important travail conduit par les services de l'État pour fluidifier la gestion du parc, il semble illusoire que la suppression de 6 000 places (dont certaines suppressions « sèches ») soit sans effet sur le taux d'hébergement. Tout l'enjeu sera alors d'en limiter les conséquences, en particulier vis-à-vis des demandeurs d'asile les plus vulnérables. Ce point fera l'objet d'une vigilance particulière au cours de l'année.
IV. POUR FAIRE FACE À LA BAISSE DES CRÉDITS, UNE POLITIQUE DE L'INTÉGRATION À RATIONALISER
A. UNE DÉMATÉRIALISATION DES PROCÉDURES D'ADMISSION AU SÉJOUR QUI TOUCHE À SA FIN
Le virage numérique piloté par la DGEF s'agissant de la dématérialisation des procédures d'admission au séjour touche désormais à sa fin. 16,5 M€ seront affectés au déploiement de « l'administration numérique des étrangers en France » en 2025, soit 3 M€ de moins que l'année précédente et pour un coût total depuis le lancement de ce projet de 107 M€ (pour un coût était originellement estimé à 52,9 M€). L'émergence de coûts supplémentaires pour le maintien en condition opérationnelle des modules progressivement mis en ligne a néanmoins retardé les économies attendues (estimées à 15 M€ annuels dès 2023).
La DGEF a confirmé que 80 % des procédures étaient actuellement dématérialisées et que le dispositif serait généralisé au cours de l'année 2025 (dans le même temps, l'application obsolète dite « AGDREF » sera décommissionnée). Les rapporteurs tiennent à saluer l'achèvement d'un projet de longue haleine et précieux pour les usagers.
B. LE CONTRAT D'INTÉGRATION RÉPUBLICAINE : BIEN NÉGOCIER LE VIRAGE DES EXAMENS LINGUISTIQUES ET CIVIQUES
Après des hausses de 24 % en 2023 et de 3 % en 2024, les crédits du programme 104 affectés à la politique d'intégration connaissent une diminution de l'ordre de 15 % en 2024.
Si cette diminution ne concerne pas les crédits affectés à l'instruction linguistique et civique dispensée dans le cadre du contrat d'intégration républicaine, il n'est pas certain que la seule stabilité de ce poste de dépense11(*) puisse permettre de subvenir aux besoins de financement. Le conditionnement prévu à horizon 2026 par l'article 20 de la loi du 26 janvier 2024 précitée de la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle à la réussite à des examens linguistiques (de niveau A2) et civiques supposera en effet une adaptation des parcours de formation. Le coût correspondant est estimé à 100 M€ en année pleine par le ministre de l'intérieur12(*). À cet égard, les rapporteurs considèrent que les pistes évoquées par la DGEF et l'OFII s'agissant d'une fin de l'obligation de suivi des enseignements et d'une dématérialisation des enseignements pourraient être intéressantes. En tout état de cause, l'hypothèse d'une diminution du nombre de CIR conclus ne saurait être abordée qu'en tout dernier ressort. L'enjeu est d'autant plus important que le taux d'atteinte actuel du seul niveau A1 est d'ores et déjà décevant (68 % en 2023 contre 67,1 % en 2022).
C. UN REDIMENSIONNEMENT BIENVENU DU PROGRAMME « AGIR »
Les crédits de l'action n° 12,
« Intégration des étrangers
primo-arrivants régressent de plus de 40 %
(- 79 M€). Pour rappel, cette action finance
notamment les contrats territoriaux d'accueil et d'intégration (CTAI)
ainsi que le déploiement du programme
« AGIR »13(*). Selon les éléments
présentés par le DGEF lors de son audition, ce programme, en
cours de généralisation (78 départements en
bénéficiaient en août 2024), ferait l'objet d'un
redimensionnement afin de plafonner à 25 000 le nombre de ses
bénéficiaires. Les rapporteurs estiment que cette
inflexion n'est pas injustifiée, eu égard aux limites de
l'exercice. D'une part les taux de sortie positive en logement
(30 %) comme en emploi (18 %) sont limités en 2023.
D'autre part, le bien-fondé de ce programme peut être
interrogé, dès lors qu'il semble surtout conduire à
augmenter les chances de réussite de ceux des étrangers qui
bénéficiaient déjà des meilleures perspectives
d'intégration, au détriment des autres. S'agissant de la
rétractation des crédits fléchés vers
les CTAI, les rapporteurs ne peuvent
qu'être dubitatifs face à la demande faite aux
collectivités territoriales « de rechercher
davantage de synergies avec les autres programmes budgétaires de
l'État [...] et d'augmenter leur part de
financement ».
*
* *
La commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits au projet de loi de finances pour 2025.
Cette mission sera examinée en séance publique le 2 décembre 2024.
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Nous débutons notre matinée d'examen des missions de la deuxième partie du projet de loi de finances avec le rapport pour avis sur la mission « Immigration, asile et intégration », qu'Olivier Bitz et moi-même allons vous présenter.
Le projet de budget pour 2025 tel qu'il nous est présenté n'est pas tout à fait conforme à celui que nous espérions. Il rompt en effet avec plusieurs années d'augmentation constante des crédits. La diminution observée est de l'ordre de 2 % en autorisations d'engagement (AE), soit 34 millions d'euros, et de 5 % en crédits de paiement (CP), soit 109 millions d'euros. Olivier Bitz et moi-même avons donc conduit nos travaux avec une certaine circonspection.
En premier lieu, l'effort budgétaire demandé nous a d'emblée paru assez important, et ce d'autant plus qu'il convient de prendre en compte le nouveau rattachement à la mission des crédits liés à la prise en charge des bénéficiaires de la protection temporaire ukrainiens. Si l'on neutralise ce changement de périmètre, on arrive à une diminution de 15 % du budget de la mission.
En second lieu, cette contraction budgétaire se concentre sur trois segments particuliers de la mission à laquelle notre commission est traditionnellement très attentive.
Le premier est la lutte contre l'immigration irrégulière. Les crédits de l'action correspondante connaissent une baisse de 23,5 %, soit 60 millions d'euros. Je rappelle que cette action finance notamment le dispositif de rétention administrative, et ce alors que l'objectif de 3 000 places en centres de rétention administrative (CRA) à l'horizon 2027 fixé par la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) est maintenu.
Les autres points ont trait aux conditions matérielles d'accueil, avec une diminution importante du budget de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) ainsi que la suppression de près de 6 000 places d'hébergement - Olivier Bitz reviendra plus en détail sur le sujet.
Si ce budget n'est pas celui que nous espérions, je vous propose néanmoins de ne pas nous y opposer.
Tout d'abord, vous le savez, la France se trouve dans une situation budgétaire profondément dégradée. Il est donc légitime que l'ensemble des missions de l'État contribuent à l'effort national de réduction du déficit.
Ensuite, nos réserves s'appliquent à la version initiale d'un projet de loi de finances (PLF) préparé dans des délais excessivement contraints et dont l'exécutif a régulièrement indiqué qu'il serait amené à évoluer au cours des débats. Dans ce contexte, il me semble que nous devons prendre acte de l'engagement pris par le ministre de l'intérieur devant notre commission de présenter un amendement visant à abonder les crédits de la mission à hauteur de 59 millions d'euros en AE et 34 millions d'euros en CP. Je suis bien consciente qu'il ne s'agit que d'un ajustement, mais cet amendement aurait toutefois le mérite d'établir un compromis que je qualifierais de plus raisonnable entre la maîtrise des finances publiques et la mise en oeuvre d'une véritable politique migratoire.
Enfin, et il s'agit de la raison la plus importante à mes yeux, je relève la conformité du discours de l'exécutif sur la politique migratoire avec les positions défendues de longue date par notre commission. Le ministre de l'intérieur met notamment résolument l'accent sur la nécessité de contenir les flux entrants - nous le demandons systématiquement depuis plusieurs années lors de la présentation de cet avis budgétaire -, de renforcer l'exigence du parcours d'intégration et d'établir un ciblage des motifs d'admission au séjour conforme aux intérêts de la France.
C'est pour ces trois raisons que je vous propose de ne pas nous opposer à l'adoption des crédits.
Nous allons maintenant vous présenter dans le détail les crédits pour chacun des trois piliers de cette mission : la lutte contre l'immigration irrégulière pour ce qui me concerne et les crédits relatifs à l'asile et à l'intégration pour Olivier Bitz.
Sur la lutte contre l'immigration irrégulière tout d'abord, les flux se maintiennent à un niveau élevé. Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) s'élève à 441 000 en 2023, soit 40 000 de plus que l'année précédente. Plus de 72 000 étrangers ont par ailleurs été contrôlés en situation irrégulière durant le premier semestre 2024, contre 120 000 sur la totalité de l'année précédente. La pression migratoire est donc élevée.
Ce constat rend d'autant plus indispensable la revalorisation des crédits dédiés à la politique de retour, comme le ministre s'y est engagé. Pour votre information, la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) a procédé à 11 700 retours forcés en 2023, contre 11 400 l'an passé. En ce qui concerne les obligations de quitter le territoire français (OQTF), nous n'avons pas encore été destinataires de leur taux d'exécution. Les explications avancées à cette stagnation des éloignements dans les documents budgétaires concernent notamment le manque de coopération de certains États d'origine, au premier rang desquels les trois États du Maghreb.
Au-delà de l'analyse quantitative, un point de satisfaction se dégage si l'on effectue une approche qualitative. Vous vous en souvenez, la dernière loi relative à l'immigration a réduit les protections contre l'éloignement dont bénéficiaient certains étrangers, pourtant parfois auteurs de graves troubles à l'ordre public. Selon la direction générale des étrangers en France (DGEF), environ 2 200 mesures d'éloignement supplémentaires ont pu être prononcées entre janvier et octobre du fait de cette évolution de la législation. L'effort devra bien évidemment être maintenu pour garantir l'exécution de ces mesures, mais nous pouvons néanmoins collectivement nous féliciter de ce résultat.
J'en viens au dispositif de rétention administrative. La capacité totale du parc de rétention n'évoluera pas en 2025. Pour rappel, celle-ci atteint 1 959 places en 2024. La prochaine livraison est attendue en 2026, avec un nouveau centre de rétention administrative de 140 places à Bordeaux.
Le plan CRA 3 000 est déjà bien lancé, avec des projets en cours sur le site Périchet, ou encore à Vincennes, Béziers, Nantes, Dijon et Dunkerque. Nous estimons donc que l'objectif très ambitieux de 3 000 places en 2027 n'est pas inaccessible. Tout retard pris aujourd'hui enterrerait néanmoins cet objectif, repris par le Gouvernement actuel. À cet égard, nous pouvons nous réjouir de l'engagement pris par le ministre de rehausser les crédits correspondants.
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Il me revient de vous présenter les crédits relatifs à la politique de l'asile et à l'intégration.
La réduction des délais de traitement des demandes d'asile est l'un des objectifs clés de notre politique migratoire. C'est d'abord un enjeu humain que les demandeurs soient fixés au plus vite sur leur situation, mais c'est également un enjeu budgétaire. Sur ce point, nous sommes sur la bonne voie.
En effet, la dynamique de réduction des délais amorcée en 2020 s'est poursuivie en 2024. S'il est encore loin de l'objectif assigné de six mois, le délai moyen de traitement est en amélioration constante à 9,1 mois en août 2024, soit 4 mois de moins qu'en 2022. Si une légère dégradation est observée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sur les derniers mois, le transfert de 29 équivalents temps plein (ETP) de la part de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) devrait permettre de renouer rapidement avec cette dynamique baissière.
À terme, les réformes introduites par la dernière loi relative à l'immigration pourraient encore accentuer cette dynamique. Je pense à l'expérimentation des espaces « France asile », qui n'ont pas encore été mis en service, et à la territorialisation de la CNDA.
Ces chiffres sont de bon augure, mais il convient de rester prudent. Nous sommes, d'une part, encore loin de l'objectif des six mois, qui ne peut être envisagé qu'à moyen terme. Je note par ailleurs un effort de sincérité du Gouvernement, qui l'a renvoyé à 2027. Cela me semble effectivement plus conforme à la réalité du terrain. D'autre part, l'édifice est fragile et toute augmentation abrupte de la demande d'asile pourrait interrompre cette dynamique. Compte tenu de la dégradation du contexte international, cela ne peut malheureusement être totalement exclu.
Le second point d'intérêt de la politique de l'asile est celui des conditions matérielles d'accueil. Disons-le clairement, le budget proposé pour l'ADA est particulièrement ambitieux. Si l'on retranche les crédits fléchés vers les Ukrainiens, nous arrivons à une baisse de 47 millions d'euros. Cela est loin d'être anecdotique, même s'il est vrai que la budgétisation de l'ADA s'est révélée, ces dernières années, moins hasardeuse que par le passé. Au vu de ces éléments, nous considérons qu'un ajustement des crédits en gestion ne peut être exclu à ce stade.
S'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile, la question la plus sensible, le PLF pour 2025 intègre une importante réduction capacitaire. Celle-ci est de l'ordre de 6 000 places, pour un montant total de 71 millions d'euros. Le Gouvernement relativise les effets de cette diminution en tablant, d'une part, sur la réduction du taux d'indisponibilité par une meilleure régulation du parc et, d'autre part, sur l'amélioration attendue des délais d'instruction des demandes d'asile.
Sans remettre en cause le travail remarquable des agents de l'Ofii pour fluidifier le parc, ce scénario nous semble très optimiste. Il semble en effet illusoire que la suppression de plus de 6 000 places soit sans effet sur le taux d'hébergement. Cela est d'autant plus vrai qu'il faut également prendre en compte le rattachement de l'hébergement des Ukrainiens à ce poste de dépenses, pour approximativement 100 millions d'euros... Tout l'enjeu sera donc d'en limiter les conséquences, en particulier vis-à-vis des demandeurs d'asile les plus vulnérables, afin qu'ils ne se retrouvent pas à la rue. Nous serons vigilants sur ce point.
J'en viens enfin aux crédits relatifs à la politique de l'intégration.
Je commencerai par un point de satisfaction : l'achèvement programmé de la dématérialisation des procédures d'admission au séjour et d'éloignement. Nous avons longuement discuté de ce projet de l'administration numérique des étrangers en France dans notre commission. Il devrait être pleinement opérationnel en 2025, avec un décommissionnement en parallèle de l'application obsolète de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (Agdref) dont vous avez tous entendu parler. Nous tenons à saluer l'achèvement de ce projet précieux de longue haleine pour les usagers.
J'en viens à l'instrument clé de notre politique d'intégration, le contrat d'intégration républicaine. Celui-ci est épargné par les baisses de crédits, mais il n'est pas certain que cela suffise. Je vous rappelle en effet que la dernière loi relative à l'immigration conditionne la délivrance d'un titre de séjour longue durée à la réussite à des examens linguistiques et civiques. Ce passage d'une obligation de moyens à une obligation de résultat aura nécessairement un coût. Des pistes sont sur la table pour le maîtriser, par exemple la fin de l'obligation de suivi des enseignements pour les étrangers maîtrisant déjà le socle de connaissance de requis ou encore la dématérialisation de tout ou partie des enseignements. Il va sans dire que nous suivrons ce dossier avec attention.
Un dernier point sur le programme « Agir », qui est un projet de guichet unique pour l'accompagnement des réfugiés vers le logement et l'emploi. Il fait l'objet d'un redimensionnement afin de plafonner à 25 000 le nombre de ses bénéficiaires. Nous estimons que cette inflexion n'est pas injustifiée, eu égard aux limites de l'exercice. D'une part, les taux de sortie positive en logement (30 %) comme en emploi (18 %) sont modestes en 2023. Par ailleurs, ce programme semble bénéficier essentiellement aux étrangers déjà les mieux intégrés, au détriment des autres.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, ce budget n'est pas celui que nous appelions, il n'est peut-être même pas celui que nous espérions. Dans le contexte actuel et sous réserve que l'engagement du ministre soit tenu, il nous semble en revanche qu'il a le mérite de préserver l'essentiel et qu'il est, dès lors, le moins insatisfaisant que nous puissions attendre. C'est pourquoi nous vous proposons de ne pas nous y opposer et de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Mme Corinne Narassiguin. - Nous sommes assez étonnés de voir que le premier budget Barnier-Retailleau de la mission « Immigration, asile et intégration » soit en baisse de 5 %. Cette baisse se répercute sur les programmes relatifs à la garantie de l'exercice du droit d'asile, l'accueil des étrangers primo-arrivants et la lutte contre l'immigration irrégulière, cette dernière action étant pourtant présentée comme une priorité du ministre de l'intérieur.
Concernant l'objectif de 3 000 places en CRA en 2027, nous nous étonnons également qu'aucune nouvelle dépense ne soit engagée pour s'assurer de la création effective de ces places, d'autant que les crédits consacrés aux mesures d'éloignement sont en nette baisse.
Les deux points les plus problématiques pour le groupe socialiste concernent les crédits destinés à financer le parc d'hébergement. La suppression de plus de 6 500 places va impacter toutes les catégories d'hébergement, les centres d'accueil pour les demandeurs d'asile, l'hébergement d'urgence, les centres d'accueil et d'examen. Or on estime que 6 000 personnes sont d'ores et déjà sans domicile fixe, notamment à Paris, dans le nord de la capitale et en Seine-Saint-Denis.
Nous observons une baisse de 45 % des CP de l'action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants », alors que la dernière loi relative à l'immigration prévoit que les étrangers primo-arrivants qui souhaitent demander une carte de séjour pluriannuelle au bout d'un an doivent avoir le niveau A2 en français. La loi prévoit des obligations pour les personnes qui souhaitent s'intégrer, mais sans donner les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. À cet égard, je n'ai obtenu aucune réponse à la question que j'ai posée au ministre de l'intérieur sur les dépenses liées à la formation linguistique.
M. André Reichardt. - Le budget consacré aux associations d'aide aux migrants a défrayé la chronique ces dernières semaines. Disposez-vous d'informations sur les montants en jeu ? Une évaluation de l'efficience de cette aide a-t-elle été faite par le passé ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous l'avons déjà constaté la semaine dernière, alors que les rapporteurs pour avis sont plutôt réservés sur les crédits dédiés aux missions examinées, ils émettent un avis favorable à leur adoption... Pourquoi donner un avis favorable à ce stade ? Vous l'avez dit, des amendements seront déposés par le Gouvernement. Dès lors, pourquoi ne pas proposer une abstention ?
Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur pour avis. - Madame de La Gontrie, il est arrivé assez fréquemment dans le passé que la commission ait donné un avis favorable sur les crédits des missions, alors que le rapporteur avait émis des réserves dans son rapport.
S'agissant de la mission « Immigration, asile et intégration », je vous rappelle que nous n'avons eu de cesse ces dernières années, avec Philippe Bonnecarrère, d'expliquer qu'il était inutile d'augmenter les budgets si le Gouvernement ne mettait pas en place une politique réellement susceptible de réguler l'immigration. Or le ministre de l'intérieur a précisément annoncé la mise en oeuvre de cette politique.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - M. Bitz a indiqué que ce n'était pas le budget que vous espériez.
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Mais c'est celui que nous avons.
Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur pour avis. - Ce budget est animé par la volonté du Gouvernement de mener une politique différente en matière d'immigration ; c'est ce que nous réclamions depuis des années. Il est donc naturel que nous voulions accompagner son action en étant favorables au budget qui nous est proposé.
Par ailleurs, les contraintes budgétaires imposent manifestement des efforts. D'ailleurs, les budgets régaliens sont plutôt moins impactés que les autres - et heureusement. En l'occurrence, le budget qui nous est présenté devrait être abondé en AE et en CP. Nous prenons acte de cet engagement et avons pour habitude de croire en la parole des ministres.
C'est pourquoi nous préférons nous satisfaire d'une politique qui est conforme à celle que nous réclamons depuis des années.
Madame Narassiguin, nous l'avons dit, aucune nouvelle place en CRA n'est prévue l'année prochaine mais de multiples projets sont lancés. Le budget est cohérent avec les annonces qui ont été faites.
Monsieur Reichardt, on compte plus de 1 400 associations d'aide aux migrants, pour un budget total de de plus d'un milliard d'euros. Dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques, nous traitons cette année des accords internationaux. Il y a effectivement la question de savoir comment ces crédits sont engagés et utilisés par ces associations, qui justifierait un travail du Sénat.
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Madame Narassiguin, vous avez raison de souligner que la suppression de 6 000 places pourrait effectivement avoir des conséquences sur le taux d'hébergement des demandeurs d'asile, qui a considérablement progressé ces dernières années.
À cet égard, deux éléments de réponse nous ont été apportés. D'une part, aujourd'hui, 20 % des personnes hébergées ne sont pas des demandeurs d'asile. Le Gouvernement s'engage à mobiliser les services concernés pour faire en sorte que ces hébergements leur soient bien réservés. D'autre part, un certain nombre de places existaient budgétairement, mais n'étaient pas mises à leur disposition en raison de travaux à réaliser. Nous resterons attentifs à cette situation et aux conséquences humaines.
S'agissant des obligations d'apprentissage, notamment du français, mon approche sera plus modérée que la vôtre. Considérant les contraintes budgétaires actuelles, il convient de repenser l'organisation des enseignements qui sont dispensés. L'enseignement à distance peut constituer un élément de réponse à cet égard, tout en répondant aux objectifs fixés par la loi relative à l'immigration.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. BRUNO RETAILLEAU, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, qui s'inscrit dans un contexte particulièrement difficile pour nos finances publiques.
Pour autant, nos politiques publiques, et singulièrement celles dont vous avez la responsabilité au sein du Gouvernement, nécessitent des moyens budgétaires adéquats pour atteindre les objectifs assignés. Nous aimerions vous entendre évoquer ce difficile équilibre et les trois missions budgétaires qui ressortissent de votre portefeuille : « Immigration, asile et intégration », « Sécurités » et « Administration générale et territoriale de l'État ».
M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur. - Ce projet de budget a été préparé dans une période difficile. En quelques semaines, il a fallu l'établir dans un contexte de dérapage des finances publiques historiquement très élevé, dont il porte la marque.
Cependant, un budget ne résulte pas seulement de choix comptables ou techniques, mais aussi de choix politiques. Avec Michel Barnier, nous assumons de faire des économies, mais il ne s'agit pas de sacrifier l'urgence sécuritaire à l'urgence budgétaire. Procéder à un tel sacrifice aurait été démocratiquement discutable et économiquement préjudiciable.
D'abord, cela aurait été démocratiquement discutable puisque notre pays est confronté à une hyperviolence. Un refus d'obtempérer a lieu toutes les vingt minutes et une attaque avec arme toutes les heures. De plus, un millier d'agressions sont signalées chaque jour par nos compatriotes. Derrière ces chiffres, il y a des existences amputées, des corps brisés et parfois des vies volées.
Par ailleurs, chaque semaine, j'essaie d'appeler les gendarmes, les policiers et les sapeurs-pompiers qui ont été blessés pendant leur service. Ceux qui risquent leur vie pour protéger celles de nos compatriotes méritent le respect. Ils méritent aussi que l'on mette des moyens à leur disposition.
Ensuite, le sacrifice de l'urgence sécuritaire aurait aussi été économiquement préjudiciable. Si la sécurité des Français n'a pas de prix, les insécurités, elles, ont un coût. À ce titre, le Sénat avait estimé à 1 milliard d'euros au moins le coût collectif entraîné par les émeutes de l'été 2023. La Cour des comptes évalue à 1,8 milliard d'euros le coût de la lutte contre l'immigration illégale. Depuis 2017, l'indice d'attractivité de la France a baissé en raison de l'insécurité croissante, ce qui pèse aussi sur nos finances. Ainsi, pour remettre de l'ordre dans les comptes, il faut rétablir l'ordre, aussi bien dans la rue qu'à nos frontières ; c'est ce que demande l'immense majorité de nos concitoyens.
Le budget du ministère de l'intérieur servant cet objectif, il est préservé et renforcé. Avec 24,1 milliards d'euros, dont 15,06 milliards d'euros dédiés aux dépenses de personnel et 9,5 millions d'euros aux dépenses de fonctionnement et d'investissement, il respecte la trajectoire financière prévue dans le cadre de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).
Ce budget est renforcé puisqu'il augmente de 750 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024. De plus, un amendement budgétaire visera à augmenter de 125 millions d'euros les crédits de paiement (CP) et de 150 millions d'euros les autorisations d'engagement (AE), notamment en ce qui concerne l'immigration et la police. Cette augmentation se répartit ainsi : 225 millions d'euros pour la masse salariale et 527 millions d'euros pour le fonctionnement et l'investissement, qui viseront notamment à renforcer le numérique.
En ce qui concerne la mission « Sécurités », qui englobe la police, la gendarmerie, la sécurité civile et la sécurité routière, l'augmentation s'élève à 587 millions d'euros, sans tenir compte de l'amendement budgétaire que je vais présenter.
Pour cette mission, j'ai retenu plusieurs orientations. D'abord, au titre de la masse salariale, je souhaite respecter tous les engagements pris en 2022 dans le cadre des protocoles de modernisation des ressources humaines de la police et de la gendarmerie nationales, qui avaient fait l'objet d'un accord unanime avec les organisations syndicales. Il s'agit d'un engagement de l'État vis-à-vis de ces dernières et de nos personnels.
En matière immobilière, l'objectif est d'abord de poursuivre la mise en oeuvre des grands projets structurants qui sont en cours, parmi lesquels la création d'hôtels des polices à Nice et Valenciennes. Nous reprendrons également l'entretien du parc domanial de la gendarmerie nationale grâce à de nouvelles opérations de réhabilitation, notamment pour les casernes de Babylone à Paris et de Chauny dans l'Aisne, ou pour le site de Saint-Astier.
Au-delà, il nous faut poursuivre la réflexion pour analyser les conditions de recours à des marchés de partenariat avec le privé, notamment dans le cadre de grandes opérations à venir, comme celle de la réhabilitation du site de Satory, qui coûtera plusieurs centaines de millions d'euros. Le modèle patrimonial de la gendarmerie est à bout de souffle ; on ne peut plus continuer ainsi.
En matière numérique, il est indispensable que policiers et gendarmes disposent des équipements nécessaires pour être efficaces au moment de leurs interventions. Ces équipements incluent des caméras-piétons, des drones, des moyens de lutte anti-drones, mais également des systèmes d'information adaptés à leur métier au quotidien. Ils croulent sous des procédures de plus en plus importantes et le recours à l'intelligence artificielle pourrait leur simplifier la tâche. L'expérience des usagers a déjà été améliorée grâce au numérique, puisque la plainte en ligne a été généralisée il y a quelques semaines, sur l'ensemble du territoire national, après avoir fait l'objet d'une expérimentation. Les travaux vont se poursuivre, par exemple sur la numérisation de la procédure pénale, qui permettra de gagner beaucoup de temps administratif et de soulager policiers et gendarmes.
Au titre de la sécurité civile, l'État maintiendra son engagement dans le cadre des pactes capacitaires, à hauteur de 45 millions d'euros. Il faut aussi conforter les colonnes de renfort, notamment pour la lutte contre les grands feux. Un effort significatif de 13 millions d'euros sera fourni en ce sens. Par ailleurs, nous devons entreprendre une réflexion sur le renouvellement de la flotte, composée d'appareils différents, notamment de types Canadair, Beechcraft ou Dash. Nous dépenserons 100 millions d'euros en 2025 et 500 millions en cinq ans, pour renouveler la flotte des hélicoptères EC 145. De plus, nous louons certains moyens aériens, ce dont nous ne pourrons sans doute pas nous passer ; il faut de l'agilité en la matière. La question de l'état de la flotte à l'horizon de quinze ou vingt ans est posée.
Enfin, les crédits alloués à la sécurité routière permettront de suivre les orientations fixées par le comité interministériel de la sécurité routière de juillet 2023 : éduquer, prévenir et sanctionner. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) permet à des collectivités d'installer des radars automatiques et l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai) bénéficiera de 13 millions d'euros supplémentaires. La question se posera de savoir ce qui reviendra à l'État et aux collectivités.
J'en viens à la mission « Administration générale et territoriale de l'État » et je tiens à l'idée que mon ministère n'est pas seulement celui des sécurités, mais aussi celui de l'administration territoriale de l'État.
En la matière, je plaide pour que l'État déconcentré s'organise autour des préfets de département, qui doivent assurer l'autorité d'une même voix pour l'ensemble des services de l'État. L'administration de l'État territorial est à l'os et, là encore, des questions patrimoniales se posent. Les crédits augmenteront de 300 millions d'euros et nous soutiendrons les moyens consacrés à l'immobilier, à hauteur de plus de 30 millions d'euros. Des créations de postes auront également lieu.
En matière d'immobilier, deux grands projets concernent le ministère. En premier lieu, la construction du siège de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) va commencer à Saint-Ouen, pour un coût de 1,2 milliard d'euros. En plus de dix ans, les effectifs de la DGSI ont doublé. Au moment des attaques terroristes, nous avons pris conscience de l'existence de trous dans la raquette en matière de renseignement. Un effort national a été fourni et la DGSI doit absorber plus de 5 000 collaborateurs.
En second lieu, l'administration centrale du ministère s'installera à Saint-Denis, dans l'ensemble immobilier Universeine, qui accueillera 2 700 agents. Cette opération aura un coût de presque 300 millions d'euros. Il s'agit d'un projet assez vertueux puisqu'un certain nombre de structures qui visaient à accueillir les athlètes pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques seront réutilisées.
Enfin, la transformation numérique reste centrale, notamment avec l'ouverture du service du Réseau Radio du Futur. En matière d'hébergement numérique, il faudra privilégier des solutions souveraines autant que possible.
J'en viens à la mission « Immigration, asile et intégration », dont les crédits ont d'abord beaucoup diminué. J'ai donc indiqué au Premier ministre qu'il fallait aligner nos objectifs et nos moyens, même si aucune mission ne doit être à l'abri des économies.
Cette baisse a été envisagée en raison d'une décroissance prévisionnelle du nombre d'Ukrainiens accueillis. En effet, nous accueillions 96 000 Ukrainiens en 2022 et nous estimons que ce chiffre sera inférieur à 40 000 en 2025.
De plus, nous souhaitons rationaliser la gestion des places d'hébergement. Ces dernières sont largement occupées par des publics qui ne devraient pas y avoir accès, comme les déboutés du droit d'asile. En conséquence, le public que nous sommes censés accueillir ne peut pas l'être. De la même manière, l'hébergement d'urgence, qui relève de la compétence de ma collègue Valérie Létard, est désormais occupé à 70 % ou 80 % par des étrangers en situation irrégulière, ce qui pose d'énormes problèmes. Toute la chaîne d'hébergement rencontre des difficultés, qu'il faudra progressivement résoudre.
Je confirme que nous ouvrirons de nouvelles places dans les centres de rétention administrative (CRA), puisque nous visons l'objectif de 3 000 places en 2027. De plus, 29 nouveaux équivalents temps plein (ETP) seront attribués à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), permettant notamment de réduire les délais de traitement des demandes d'asile. Cela entraînera des économies s'agissant de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA). Enfin, le déploiement des espaces « France asile » permettra également de réaliser des économies, notamment en termes de transport.
Mme Muriel Jourda, présidente, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Le projet de budget, tel qu'il nous est transmis, mentionne une baisse de 60 millions d'euros des crédits fléchés vers la lutte contre l'immigration irrégulière.
Vous venez d'indiquer, comme vous l'avez déjà fait à l'Assemblée nationale, que le budget de la mission serait sans doute revalorisé, ce dont on peut se réjouir. Pouvez-vous donner des précisions quant aux montants et à l'affectation de ces crédits supplémentaires ?
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - L'efficacité d'une politique publique ne se mesure pas toujours au montant des budgets investis, tout le monde ici en a conscience. Néanmoins, la mission « Immigration, asile et intégration » connaît pour l'instant une baisse prévisionnelle et j'espère avoir une bonne nouvelle dans quelques minutes. Cette diminution s'élève à 35 millions d'euros en AE et à 110 millions d'euros en CP. Par ailleurs, nous avons réintégré à la mission les crédits consacrés aux Ukrainiens. Globalement, il s'agit d'un effort de 300 millions d'euros.
D'abord, le budget consacré à l'hébergement des demandeurs d'asile baisse de 71 millions d'euros ; 6 500 places ne seraient plus financées. Je m'interroge sur la soutenabilité d'une telle baisse. En effet, non seulement nous financerons 6 500 places en moins, mais les places réservées aux Ukrainiens seront également financées sur cette ligne. Avec une prévision de 5 % de demandeurs d'asile en plus pour l'année prochaine - certains experts évoquent même 6 % ou 7 % -, l'objectif n'est-il pas trop ambitieux ?
En ce qui concerne les crédits dédiés à l'ADA, le budget prévoit 47 millions d'euros en moins. Comme il s'agit d'une dépense obligatoire, les crédits seront certainement ajustés au cours de l'année. Cependant, je m'interroge là aussi sur la soutenabilité de l'effort demandé.
Enfin, j'en viens aux CRA. Avec la diminution de 47 millions d'euros des CP et de 115 millions d'euros des AE, l'objectif de créer 3 000 places en 2027 n'est-il pas compromis ? De façon plus générale, je m'interroge sur la gestion des CRA. En effet, le profil des personnes retenues change et il s'agit beaucoup plus qu'avant de personnes troublant l'ordre public. De même, la durée de rétention progresse puisque nous sommes passés en une année de 29 à 33,3 jours en moyenne. Je m'interroge donc sur les moyens octroyés aux policiers, dont ce n'est pas le métier d'intervenir dans les CRA, mais aussi sur la nature de la rétention en CRA et sur des vulnérabilités, en matière de bâtiment et de formation des agents.
Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteure spéciale de la commission des finances sur la mission « Immigration, asile et intégration ». - Vous l'avez dit, une partie des places d'hébergement existantes ne sont pas occupées par ceux qui devraient les occuper. Nous sommes aussi confrontés à une autre problématique puisque 2 000 logements posent question quant à leur état, si bien qu'ils n'entrent plus dans la comptabilisation des places. Ainsi, sur les 6 500 logements qui disparaîtraient, 4 000 ne sont pas occupés par les bonnes personnes ou sont dans un tel état qu'ils ne sont pas occupés ; le différentiel est faible. Des consignes ont été données aux préfets pour faire le point sur cette situation dans l'ensemble des départements. L'impact budgétaire ne serait pas aussi élevé qu'on le pense si les choses étaient faites dans les règles, avec la diligence souhaitée.
En ce qui concerne l'intégration, la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration prévoit une obligation de résultat. Il ne s'agira plus seulement, pour les étrangers en situation régulière, d'être assidus à leurs cours de français et d'accepter de participer à quatre journées consacrées à nos valeurs civiques, pour accéder à des titres de séjours longs, mais de bien de réussir des examens. Pour le moment, le travail nécessaire n'a pas été accompli. Or on constate un échec dans l'apprentissage du français comme dans l'enseignement de nos valeurs civiques. Il s'agit d'une question non pas de moyens, mais de volonté. Aujourd'hui, les documents faisant état de nos valeurs ressemblent à des catalogues de droits, mais n'évoquent pas les devoirs. Il faut rappeler l'importance de la laïcité et de l'égalité entre les hommes et les femmes. Cette question pèsera certainement davantage dans le budget suivant et j'y serai attentive.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » sur le programme « Sécurité civile ». - Je souhaiterais évoquer deux points d'inquiétude quant aux moyens nationaux de la sécurité civile, présentés au sein du programme 161.
La semaine dernière, je me suis rendue sur la base aérienne de la sécurité civile à Nîmes pour échanger sur les enjeux liés à la flotte nationale. Aussi, je souhaiterais aujourd'hui compléter ces échanges en abordant la problématique de la disponibilité des moyens aériens pour la lutte contre les feux de forêt. En 2024, la saison des feux a été d'une intensité modérée, notamment grâce à la réactivité des acteurs de la sécurité civile et à l'efficacité de notre doctrine opérationnelle. Toutefois, au cours de l'été, des inquiétudes quant à la faible disponibilité des moyens aériens ont interrogé la capacité de notre flotte à assurer la même efficacité si, à l'avenir, des feux plus importants devaient survenir. Quelle est votre position sur ces enjeux de disponibilité de nos aéronefs, qui sont vieillissants ? Quelles conclusions tirez-vous des difficultés observées à assurer le maintien en condition opérationnelle ? Comment assurer la capacité de la flotte à faire face à une saison de feux de forêt dont l'intensité serait similaire à celle de 2022 ? Ces interrogations ne sont pas sans lien avec le projet de renouvellement de la flotte d'avions bombardiers d'eau, dont j'espère que vous direz un mot.
J'en viens aux inondations exceptionnelles survenues dans plusieurs départements au cours de l'année 2024 et aux drames subis ces derniers jours par nos voisins espagnols. Alors que la multiplication des épisodes de fortes pluies et des risques de crues est inévitable pour les années à venir, comment anticipez-vous les besoins accrus en matière d'investissement dans le matériel et la formation des acteurs de la sécurité civile ? Comment le ministère entend-il répondre en termes budgétaires à ces risques naturels qui vont croissants et qui préoccupent nombre de nos concitoyens ?
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la mission « Sécurités ». - On peut se réjouir que les budgets de la police et de la gendarmerie soient en légère augmentation et que des crédits supplémentaires soient ouverts dès cette année pour tenir les promesses faites aux policiers et aux gendarmes en contrepartie de leur engagement pendant les jeux Olympiques.
Toutefois, le PLF prévoit un schéma d'emploi nul pour la gendarmerie, ce qui constitue un renoncement important par rapport aux 500 ETP supplémentaires prévus par la Lopmi pour 2025, tandis que les objectifs opérationnels, eux, sont maintenus inchangés, avec la création de 239 brigades et de 7 escadrons. Est-il réaliste de faire beaucoup plus avec moins de militaires que prévu - à moins qu'il y ait un rattrapage d'ici à 2027 ? Mais cela semble difficile à envisager au vu des besoins très importants constatés sur d'autres postes de dépenses, je pense notamment à l'indispensable rénovation du parc immobilier.
S'agissant de la police, ce PLF marque un coup d'arrêt concernant l'investissement, et en particulier le renouvellement du parc automobile. Il est vrai qu'il avait été arrêté avec l'annulation de crédits dès le début de l'année 2024. Or les voitures sont un outil de travail quotidien. Leur dégradation affecte les conditions de travail des policiers, mais aussi la conduite des opérations. Mais je sais que vous héritez de cette situation. Pouvez-vous nous assurer que les crédits prévus seront bien engagés, contrairement à 2024 ? Cela a-t-il été identifié comme une priorité pour les années à venir ? Car c'en est une.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - Merci pour vos propos ; nous sommes nombreux à souhaiter un État déconcentré fort incarné par le préfet. Les deux dernières années ont été jalonnées par diverses annonces en faveur de l'administration territoriale de l'État.
Concrètement, ont été lancées en février dernier les rencontres de l'administration territoriale de l'État, mais la dissolution a eu raison de ces ateliers, pourtant essentiels. Le programme « Missions prioritaires des préfectures » arrive dans sa dernière année, envisagez-vous reprendre ces travaux ? Irez-vous au-delà de la simple préservation des effectifs ? Relancerez-vous ce dialogue ?
Je souhaite également aborder d'autres actions et projets portés par les crédits de la mission budgétaire « Administration générale et territoriale de l'État » que sont le programme France identité numérique et l'organisation des élections. Le projet d'identité numérique régalienne repose sur trois impératifs fondamentaux : le besoin de souveraineté face aux initiatives des acteurs privés, la garantie de sécurité et la lutte contre la fraude documentaire ainsi que la simplification des démarches pour les usagers. À cet égard, les premiers résultats des procurations de vote entièrement dématérialisées sont encourageants et témoignent de l'adhésion croissante de nos concitoyens, plus de 100 000 électeurs en ayant bénéficié lors des élections de juin 2024.
Néanmoins, le cadre légal de la procédure électorale apparaît encore insuffisamment adapté : le justificatif d'identité numérique n'est pas reconnu comme preuve d'identité le jour du scrutin. Alors que les communes font déjà état de difficultés dans la gestion des procurations reçues le jour même des élections, la généralisation des procurations dématérialisées ne fera qu'aggraver le problème. Seriez-vous favorable à une évolution réglementaire fixant une date limite pour l'établissement des procurations ?
Habituellement, la commission des lois rejette les crédits de cette mission non pas par principe, mais pour attirer l'attention du ministre sur la nécessité d'un État territorial fort, notamment les sous-préfectures. Il semblerait que la majorité évolue vers un vote favorable, lequel n'en attirera pas moins votre attention pour qu'aucun territoire ne soit oublié.
M. Bruno Retailleau, ministre. - L'amendement budgétaire décidé par le Premier ministre abondera la mission « Immigration, asile et intégration » de 56 millions d'euros en AE et de 34 millions d'euros en CP. Dans ce budget difficile, chacun est amené à réaliser des économies, mais ces crédits supplémentaires étaient nécessaires. Nous essayons par ailleurs d'optimiser au maximum, en nous ajustant à la décroissance du nombre d'Ukrainiens accueillis et en mettant en place un pilotage de l'hébergement beaucoup plus volontariste. Je constate que certaines préfectures de région y parviennent bien mieux que d'autres - il y a des marges de progression.
Pour faire baisser nos dépenses d'ADA, nous envisageons de recruter 29 ETP à l'Ofpra, qui devraient concourir à réduire la durée des procédures ; les premiers espaces France asile à Cergy-Pontoise, à Toulouse puis à Metz permettront également d'économiser trois semaines de délai de traitement et de nombreux frais de transport.
Il faut tenir sur l'objectif de 3 000 nouvelles places en CRA. Sur les 34 millions de nouveaux crédits de paiement, une bonne part y est consacrée. Mais c'est moins une question de crédits que de lourdeur des procédures. J'ai donc prévu une équipe dédiée au sein de mon ministère pour accélérer cette mise en oeuvre. Le CRA de Nice comporte une quarantaine de places qu'on pourrait étendre à 140, mais il nous faut négocier avec la ville de Nice.
La durée moyenne de placement a augmenté, pour atteindre 33 jours. Le problème principal pour augmenter le nombre de places sera le personnel. Ce ne sont pas des postes attractifs. À Lyon, ce sont des gendarmes mobiles, mais ce n'est pas leur métier. Souvent, ce sont des agents de la police aux frontières. Il importe de procéder à des externalisations sur les tâches non régaliennes, comme pour la restauration. Mais je n'ai pas de réponse définitive pour le moment concernant cette question.
Nous voulons être très volontaristes sur l'immigration, en articulant notre action autour de trois piliers.
D'abord, une action très en avant, au niveau international, via des accords bilatéraux. Mardi dernier, nous avons signé avec le Kazakhstan un accord conforme au droit européen - il n'a rien à voir avec l'accord italo-albanais - permettant d'y renvoyer des étrangers dès lors qu'on établit des preuves de transit ou de séjour. Cela pourrait concerner les plus de 83 000 Afghans présents en France. Un binôme formé par un ambassadeur et un représentant du ministère de l'intérieur sera chargé de développer ces accords.
Ensuite, nous défendons une réponse européenne, avec une application anticipée du pacte sur la migration et l'asile et la création des centres d'attente qu'il prévoit. Les demandes d'asile de ressortissants de pays ayant un taux de protection de moins de 20 % seront traitées plus rapidement. Je suis heureux de constater, lors des réunions européennes, un consensus pour la refonte de la directive « Retour », mal nommée, puisqu'elle empêche précisément les retours. Ursula von der Leyen nous a confirmé qu'elle considérait cette refonte comme une question urgente.
Enfin, nous déploierons une stratégie au niveau national, avec deux circulaires et un projet de loi qui reprendra les dispositions qui avaient été censurées par le Conseil Constitutionnel pour des raisons de forme.
Nous ne pouvons plus accepter le désordre migratoire. Nous devons mieux mobiliser les outils existants, par exemple la libération conditionnelle-expulsion, par laquelle la peine peut être réduite à condition d'un retour volontaire dans le pays d'origine. Nous ne pouvons pas compter uniquement sur les CRA pour gérer une politique de retour. D'où les politiques de réadmission que je mène, par exemple avec le Maroc.
Madame Ciuntu, effectivement, une partie des places d'hébergement ne sont pas disponibles ; plus de 4 000 places sont occupées par des publics qui ne devraient pas les occuper. Nous serons déterminés sur cette question aussi.
Effectivement, la loi de janvier dernier transforme l'obligation de moyens en obligation de résultat. Nous sommes en phase de préparation des marchés publics pour la réforme des dispositifs d'apprentissage de la langue et d'instruction civique. Pour la langue, nous étudions la possibilité d'un enseignement à distance. Je crois que la mise en concurrence de l'appel d'offres nous permettra de faire des économies.
Nîmes est une belle base d'entretien de notre flotte d'aéronefs de lutte contre l'incendie, malheureusement vieillissante. Il y a deux ans, le Président de la République avait pris l'engagement de renouveler quatre appareils. Deux commandes ont été passées avec un cofinancement européen. Nous aurons donc à payer moins en 2025 qu'en 2024.
Nous avons besoin de redimensionner la flotte : nos moyens sont insuffisants. Nous allons continuer à renouveler notre parc d'hélicoptères à hauteur de 100 millions d'euros.
Nous allons relancer, le 25 novembre, le Beauvau de la sécurité civile avec l'ensemble des partenaires. Je tiens à préserver le modèle français, qui présente le meilleur rapport entre le coût et la qualité, caractérisé par la mixité des statuts, la complémentarité et l'ajout de moyens nationaux si besoin. Mais cela implique qu'on ne nous demande pas d'appliquer aux volontaires la directive Travail. Les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas des salariés !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce sont des collaborateurs occasionnels du service public.
M. Bruno Retailleau, ministre. - Eux-mêmes tiennent à ce statut de volontaire. Nous louons aussi en saison d'autres appareils, pour un coût de 30 millions d'euros : dix hélicoptères bombardiers d'eau et six avions légers de type Air Tractor.
Concernant mon retour d'expérience sur les inondations, cela n'a rien à voir avec les inondations qui ont eu lieu à Valence : nous avons une culture des risques. Après la tempête Xynthia, j'avais présidé au Sénat une commission d'enquête qui avait montré à l'époque que notre culture des risques était proche de zéro ; mais les progrès ont été immenses.
Cette culture repose sur la chaîne du risque depuis l'amont - la prévision, avec Météo France, puis FR-Alert - jusqu'à l'aval, que doivent préparer les plans communaux de sauvegarde. Les maires doivent se prêter à des exercices très concrets, tels que le repérage des personnes grabataires à secourir en priorité. J'incite les associations départementales d'élus à guider les maires dans ce domaine.
Madame Dumont, les pactes capacitaires avec les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) sont fondamentaux : les appels d'offres sur toute la France permettent d'obtenir une baisse des coûts de l'ordre de 30 % et un matériel interopérable : cela facilite le soutien entre départements lors des grands feux.
À ce propos, le jour même de la catastrophe à Valence, j'ai proposé à mon homologue espagnol l'envoi de 200 à 250 sapeurs-pompiers, mais il a refusé dans un premier temps. Il m'a ensuite demandé l'envoi d'une cinquantaine d'entre eux. Je compte réunir les autres ministres de l'intérieur européens pour créer un état-major capable de gérer les très grandes crises de manière coordonnée - aujourd'hui, les choses se font en bilatéral.
Monsieur Leroy, nous aurons bien 238 nouvelles brigades, soit une de moins que prévu, dont 57 restent à déployer. J'ai demandé au nouveau directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) un calendrier précis, afin de pouvoir envoyer aux maires un engagement écrit sur la date de création de chaque brigade.
Le calendrier de création nécessite, vous avez raison, des emplois supplémentaires, notamment l'an prochain. Ce sera mon combat. J'ai la masse salariale, mais Bercy bloque sur le schéma d'emploi. Je tiens à ce qu'on respecte les engagements pris.
S'agissant des investissements dans la police, monsieur Leroy, des crédits seront engagés pour acheter 1 600 voitures de police.
Le principal problème porte sur l'immobilier : en quinze ans, on est passé de loyers à hauteur de 300 millions d'euros à 600 millions d'euros ! Comme l'État n'avait pas assez de crédits pour investir, il a demandé aux collectivités et aux bailleurs sociaux de le faire à sa place. Mais le modèle a ses limites : les loyers cannibalisent les crédits. Nous ne sommes plus capables de remettre à niveau notre patrimoine immobilier. Les partenariats public-privé (PPP) ont du sens pour de grands projets comme Satory. J'ai demandé au DGGN de me proposer un plan de sortie.
Madame Cukierman, si les rencontres ont eu lieu, elles n'ont effectivement donné lieu à aucune restitution. J'ai souhaité une reprise des rencontres en décembre. C'est fondamental pour les services déconcentrés. J'ai également souhaité une augmentation des effectifs dans les préfectures et sous-préfectures : nous suivrons la trajectoire de cette année, avec une centaine de créations de postes.
Vous m'indiquez que le cadre normatif des procurations dématérialisées n'est pas satisfaisant. Mais cela relève de la loi : il faudra que le Sénat y pourvoie.
Concernant la date limite, cela relève du domaine réglementaire. Je vais y réfléchir. À quel délai pensiez-vous ?
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - Je ne demande pas une réponse tout de suite. De nombreuses communes nous disent qu'il est difficile de gérer un afflux de procurations après 18 heures le vendredi ...
M. Bruno Retailleau, ministre. - Je compte sur la commission des lois du Sénat pour me faire des propositions sur ce point, madame la présidente.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Monsieur le ministre, ayant été le rapporteur de la Lopmi au Sénat, je me réjouis que vous soyez parvenu à en conserver les équilibres fondamentaux. Lors de sa première année d'exécution, une loi d'orientation est toujours formidable, mais, dès la deuxième année, il faut lutter pour que des crédits programmés ne soient pas supprimés. En l'occurrence, vous avez préservé l'essentiel, même si je souscris aux remarques formulées par Henri Leroy.
Par ailleurs, votre prédécesseur, Gérald Darmanin, m'avait demandé de me pencher sur le sujet de l'immobilier, dont vous avez dit quelques mots. Celui-ci s'était mué en père Noël, faisant la tournée des mairies pour annoncer que des casernes de gendarmerie seraient construites à toute allure, mais nous voyons bien que les choses ne se passent pas ainsi.
La gestion du patrimoine locatif est un vrai sujet, en particulier pour ce qui concerne la gendarmerie. Selon un diagnostic que j'ai réalisé, celle-ci compte 1,1 million de mètres carrés de locaux, dont environ la moitié sont domaniaux et l'autre moitié sont en location. Or, à l'évidence, la gendarmerie n'a pas la compétence pour gérer une telle masse locative. Il convient donc de s'interroger sur l'éventualité d'en confier la gestion à des professionnels, par exemple à Action Logement. De même, nous devons nous poser la question de la création d'une foncière logement pour plus d'efficience.
J'ai bien compris que vous étiez conscient du problème, qui, à terme, est explosif d'un point de vue budgétaire, en témoignent les disparités de loyer entre police, gendarmerie et préfectures. Aussi, qu'envisagez-vous pour le résoudre ?
M. Guy Benarroche. - Monsieur le ministre, de manière générale, j'ai noté que vos prévisions se fondaient sur l'application d'une politique volontariste, reposant notamment sur les préfets, en vue de réaliser des économies. Pourtant, une telle politique n'a toujours pas été mise en oeuvre et le budget à venir risque de compliquer la tâche à quiconque souhaite le faire.
Je vous rappelle que les préfectures souffrent déjà d'un manque criant de personnel pour traiter les dossiers, qui allonge les délais d'attente. Pourtant, 350 suppressions de postes dans les préfectures et les sous-préfectures sont prévues dans le budget pour 2025. Les conséquences seront lourdes - elles le sont même déjà - pour la justice administrative.
Je reviendrai sur les propos de certains de mes collègues sur l'asile et l'immigration. Voilà la photographie de ce qui est prévu concernant l'hébergement : 6 179 places d'accueil en moins ; une réduction de 71 millions d'euros par rapport à 2024. De nombreux demandeurs d'asile vont ainsi se retrouver dans des structures d'hébergement d'urgence de droit commun, dormir dans la rue ou payer des marchands de sommeil.
De plus, les crédits alloués à l'exercice du droit d'asile ont également diminué de 16 %, ce qui affectera essentiellement les cours de français. Cela semble totalement paradoxal, compte tenu des nouvelles exigences requises en matière linguistique pour obtenir un titre de séjour depuis l'adoption de la dernière loi relative à l'immigration.
Pour ce qui est de l'intégration par la formation professionnelle, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) perdra des effectifs en 2025, son budget s'élevant à 275 millions d'euros, contre 281 millions d'euros en 2023. Cette structure joue pourtant un rôle majeur pour que les primo-arrivants s'intègrent par l'emploi et veille à la bonne exécution du contrat d'intégration républicaine (CIR).
Par ailleurs, les demandeurs d'asile sont dans l'impossibilité de signer un contrat de travail, ils se voient refuser une régularisation et la dotation relative à l'ADA diminue de 16 % après avoir déjà diminué de 10 % en 2024. Dès lors, ils n'ont d'autre choix que de travailler au noir, sans protection salariale ni couverture santé, alors qu'ils aspirent à travailler ou le fond déjà.
L'Ofpra bénéficie certes de 29 postes supplémentaires, mais lors des auditions que nous avions menées pour préparer l'examen de la loi relative à l'immigration, les fonctionnaires de cette structure ainsi que ceux de l'Ofii nous avaient alerté sur le manque criant de personnel formé. Il est attendu des espaces « France asile » qu'ils résolvent les problèmes et diminuent les délais, mais des délais plus courts signifient également moins de temps pour monter un dossier. La diminution des délais n'est pas une fin en soi : il faut avant tout que les demandes soient traitées correctement. Pour l'heure, nous n'avons aucune garantie à cet égard.
Enfin, monsieur le ministre, j'ai visité quatre CRA rien qu'en 2024. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait que l'on ne peut pas compter que sur les CRA pour mener la politique de retour, car le profil des retenus a changé. Ces derniers sont désormais majoritairement des personnes qui sortent de prison et ont vocation à y retourner, faisant de ces structures des centres de détention, dont les bâtiments comme le personnel sont inadaptés à la situation. Dès lors, comment expliquer l'effort financier accordé à ces structures, qui sera inefficace faute d'avoir au préalable repensé leur rôle en matière de politique de retour ?
Monsieur le ministre, vous étiez à Marseille avec Didier Migaud vendredi dernier, le 8 novembre, pour aborder la question de la lutte contre le narcotrafic, que vous érigez en grande cause nationale. Pouvez-vous me donner des éléments chiffrés sur les efforts réels qui seront consacrés par l'État à cette grande cause nationale ?
Mme Corinne Narassiguin. - Je m'associe aux questions de Guy Benarroche.
Monsieur le ministre, vous insistez sur la nécessité de tenir l'objectif de 3 000 places dans les CRA à l'horizon 2027, mais je n'ai toujours pas compris comment vous comptiez vous y prendre d'un point de vue budgétaire. Il me semble pour le moins optimiste de compter uniquement sur une accélération des procédures, sachant que nous avons avant tout un problème d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui n'est pas seulement dû aux laissez-passer consulaires.
Les frais d'éloignement sont en baisse de 11,6 %, ce qui signifie qu'il y aura plus de personnes en CRA et moins de moyens pour les éloigner. Je ne comprends pas la logique.
Tous types d'hébergements confondus, la réduction capacitaire concernerait ensuite 9 000 places, alors que nous comptons déjà 6 000 personnes sans domicile fixe en France.
Compte tenu de l'incertitude géopolitique, il semble hasardeux de miser sur une éventuelle résolution de la guerre en Ukraine occasionnant une baisse de réfugiés ukrainiens. Par ailleurs, vous avez mentionné l'éloignement des ressortissants afghans ; nous devrions plutôt nous préparer à accueillir massivement des femmes afghanes. Le sous-financement de l'accueil demeure un énorme problème.
En ce qui concerne l'intégration, l'article 20 de la dernière loi relative à l'immigration, que vous avez largement inspiré, fait l'objet d'un problème d'application. Celui-ci impose des obligations de résultat en matière d'apprentissage de la langue française. Or les crédits de l'action n° 12, Intégration des étrangers primo-arrivants, du programme 104 baissent de 45 %. Les moyens d'enseignement du français étaient déjà insuffisants avec le durcissement des exigences linguistiques pour l'obtention d'un titre de séjour. Nous ne voyons pas comment nous pourrons atteindre les objectifs de cette loi.
Par ailleurs, vous avez annoncé vouloir supprimer la circulaire Valls. J'aimerais obtenir des explications à ce sujet, d'autant que nous attendons toujours l'actualisation de la liste des métiers en tension, qui est nécessaire pour appliquer la loi du 26 janvier 2024.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Monsieur le ministre, depuis plusieurs semaines, vous dites vouloir allonger de manière très importante la durée maximale de rétention administrative, pour la porter à 210 jours. Comment comptez-vous procéder avec un budget en baisse ? Peut-être ne pensez-vous pas le faire dès l'année prochaine ?
En ce qui concerne les OQTF, je vous repose la question que j'ai posée la semaine dernière à Othman Nasrou en séance publique, qui n'a pas su me répondre : pourquoi les préfectures ne demandent-elles pas la délivrance des laissez-passer consulaires dès lors que la personne concernée est détenue et fait l'objet, comme c'était le cas du meurtrier présumé de la jeune Philippine, d'une interdiction du territoire français (ITF) prononcée par une juridiction ?
Par ailleurs, la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions a autorisé jusqu'au 31 mars 2025 l'expérimentation, dans des circonstances très spécifiques, d'une vidéosurveillance algorithmique, sans reconnaissance faciale. Avant une éventuelle pérennisation, un comité d'évaluation, présidé par Christian Vigouroux, doit émettre ses conclusions d'ici au 31 décembre 2024.
J'ai noté que le préfet de police, faisant preuve d'une forme de clairvoyance qui ne m'étonne pas de sa part, a annoncé dès le 25 septembre que le bilan était positif et qu'il était favorable à une pérennisation de l'expérimentation. Vous en avez fait de même le 2 octobre. Permettez-moi donc de m'assurer que vous avez bien l'intention de tenir compte des conclusions du comité d'évaluation...
Enfin, comme vous recherchez des crédits, vous pourriez réaliser des économies sur le logiciel d'analyse vidéo Briefcam, qui a fait l'objet d'une inspection conjointe de l'inspection générale de l'administration (IGA) et de l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Celui-ci a coûté 1,287 million d'euros alors qu'il n'a été utilisé que 177 fois par la police et 386 fois par la gendarmerie en huit ans. Une rationalisation des achats réalisés par le ministère de l'intérieur serait opportune.
M. Hussein Bourgi. - Monsieur le ministre, je vous remercie des informations que vous avez bien voulu nous communiquer.
Lorsque nous avons adopté la Lopmi, l'annonce de la création de plus de 200 nouvelles brigades de gendarmerie avait suscité un grand enthousiasme chez les maires. Depuis lors, des informations contradictoires circulent : selon certaines, une crise des vocations nous empêcherait de trouver des volontaires pour s'engager dans la gendarmerie ; selon d'autres, plus plausibles, les délais de formation des nouveaux gendarmes retarderaient leur déploiement.
À l'aune des nouvelles orientations budgétaires, l'enthousiasme a fait place à la perplexité. Les maires comme les gradés de la gendarmerie sont dans l'expectative et se demandent si le foncier réservé par les premiers servira un jour aux seconds. Il serait utile que vous fixiez un cap pour déterminer ce qui sera fait d'ici à la fin du quinquennat pour restaurer la confiance des différents acteurs, que je sens s'étioler sur le terrain.
Par ailleurs, année après année, et en particulier à l'occasion des grands incendies survenus il y a deux ans, vos prédécesseurs se sont engagés à augmenter nos capacités dans le domaine du matériel aérien tout en nous indiquant que nous devions travailler en bonne intelligence avec nos partenaires européens pour passer des commandes groupées. Combien de pays se sont-ils engagés à passer commande ? Pour acquérir combien d'engins ? Avez-vous l'espoir, à court ou moyen terme, que ces avions soient effectivement commandés ?
M. Christophe Chaillou. - Tout d'abord, monsieur le ministre, en ce qui concerne les centres de rétention administrative, je ne peux que me joindre aux propos de plusieurs de mes collègues. Dans mon département du Loiret, un centre récemment ouvert compte vingt places vacantes, à cause du manque de personnel. Vous avez raison de souligner les difficultés à convaincre des agents de rejoindre ces centres pour accomplir des missions pas nécessairement enthousiasmantes. En conséquence, de jeunes policiers sont mobilisés alors qu'ils seraient plus utiles dans le domaine public. Nous devons collectivement nous interroger sur l'adéquation entre les moyens que nécessitent les CRA et leur efficacité.
Ensuite, de nombreuses promesses ont été faites en matière d'immobilier pour les gendarmeries. Des bailleurs ont d'ores et déjà engagé des fonds et attendent, comme les élus, que des décisions fermes soient prises. J'ai en tête des exemples précis sur lesquels je vous transmettrai des informations.
Enfin, les loyers dus au titre des gendarmeries seront-ils comme promis versés en décembre ? Pour la commune de Dampierre-en-Burly, dans mon département, ils représentent 200 000 euros.
M. Bruno Retailleau, ministre. - Monsieur Daubresse, la trajectoire de la Lopmi était ambitieuse et croyez-moi, c'est déjà un tour de force de la respecter en 2025.
Vous connaissez bien les questions de logement. Pour les gendarmeries, je ne vois que des avantages à ce que nous trouvions des solutions innovantes. Aussi, j'ai demandé au nouveau directeur général de la gendarmerie nationale, le général d'armée Hubert Bonneau, d'y réfléchir en ne s'interdisant aucune piste, y compris en questionnant le recours à des partenariats public-privé ou encore à des solutions privées.
Vos propositions méritent d'être expertisées. Je n'ai aucune doctrine, aucun préjugé sur la question. Il est problématique que des gendarmes et leur famille soient parfois logés dans des casernes au niveau de confort insuffisant. Nous devons y réfléchir en profondeur et n'écarter aucune solution. Je demanderai au général Bonneau de vous contacter.
Monsieur Benarroche, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » ne perd pas 300 agents ; nous allons même augmenter les effectifs au-delà d'une centaine de postes en 2025. Je me bats pour cela et je tiens absolument à obtenir gain de cause.
Sur la mission « Immigration, asile et intégration », la baisse des crédits de l'Ofii provient de la baisse des crédits européens, à hauteur de plus de 41 millions d'euros. Nous avons choisi de compenser cette baisse pour moitié en crédits de paiement pour 2025. Pour le reste, nous aiderons l'opérateur à trouver des solutions pour mener à bien ses missions. Je m'y suis engagé auprès de son directeur.
Sur la question de l'hébergement, je dois encore vous préciser que les occupations indues représentent 17 % des places disponibles. Il convient donc de les réduire.
Pour mieux intégrer, il faut lutter contre l'immigration irrégulière. Nous ne pouvons plus recevoir un demi-million d'étrangers par an - 327 000 primo-délivrances d'un titre de séjour, 137 000 demandeurs d'asile, 35 000 régularisations, auxquels s'ajoutent, selon les chiffres de mon ministère, 60 000 à 70 000 personnes en situation irrégulière -, soit l'équivalent d'une ville comme Lyon. Nous sommes dépassés par le nombre.
Lors de la réunion du dernier conseil Justice et Affaires intérieures, vingt-sept ministres de l'intérieur de gouvernements de tous bords, aussi bien conservateurs de droite que sociodémocrates de gauche, se sont tous exprimés et je n'ai senti aucune différence de perception sur l'immigration. En clair, la politique européenne en matière d'immigration fait désormais consensus, alors qu'elle provoquait jadis des divisions, en témoigne la lettre adressée aux États membres par Ursula Von der Leyen le 14 octobre dernier. Au reste, le consensus existe aussi en France, à en croire les enquêtes d'opinions et y compris parmi les électeurs de gauche.
Par ailleurs, nous avons abordé la question des contrats d'intégration républicaine. Nous allons produire un effort sans précédent sur le programme Agir - Accompagnement global et individualisé des réfugiés - pour accompagner individuellement 25 000 personnes vers l'emploi.
Sur l'intégration, 372 millions d'euros de crédits ont été consommés en 2024, et nous proposons 370 millions pour 2025. Comme moi, vous avez dirigé de grandes collectivités territoriales. Vous savez qu'il faut regarder ce qui est réellement dépensé pour comparer ce qui est comparable.
Les CRA sont bien sûr des centres fermés et il est hors de question d'assumer la politique des retours uniquement au travers de ces structures. Madame de La Gontrie, il convient d'anticiper davantage, ce qui n'est pas toujours simple. J'ai demandé un dialogue accru entre les procureurs et les juges des libertés.
Le délai de 210 jours ne s'appliquera pas à tout le monde. Je pense en particulier aux criminels sexuels en risque de récidive. Pour le cas du meurtrier de Philippine, la transmission du laissez-passer consulaire s'est jouée à un jour près, alors que le délai de 90 jours n'était pas écoulé. Voilà l'écueil que je veux éviter.
Pour ce qui concerne la lutte contre le narcotrafic, ceux qui connaissent la question savent qu'en matière de police judiciaire, un renfort de 25 enquêteurs est considérable. En outre, nous avons créé il y a quelques mois une unité d'investigation nationale pour tenir compte de l'aspect tentaculaire des enquêtes. La question des moyens est en quelque sorte subsidiaire : si les bonnes stratégies ne sont pas mises en oeuvre, tous les moyens du monde ne donneront aucun résultat. Et la stratégie que nous avons présentée avec mon collègue garde des sceaux permet de changer de cadre, d'avoir une véritable rupture. Face au narcobanditisme et à la criminalité organisée, nous voulons faire ce que nous avons fait contre le terrorisme, en modifiant un certain nombre de normes juridiques et en mobilisant de nouveaux outils. Certes, comme je l'ai indiqué à Marseille - la DZ Mafia est en train de polluer de nombreuses villes de France -, ce sera long : il faudra peut-être dix ans à quinze ans pour obtenir les résultats souhaités.
Madame Narassiguin, j'ai déjà évoqué les CRA. Souhaitez-vous que j'insiste sur un point en particulier ?
Mme Corinne Narassiguin. - Comment allez-vous financer les places supplémentaires et, surtout, traiter la question de l'éloignement avec des budgets en baisse ?
M. Bruno Retailleau, ministre. - Nous allons mobiliser Frontex. Récemment, deux vols groupés organisés par Frontex sont partis en Géorgie et en Albanie ; nous avions négocié les escortes avec les pays d'origine. Cette méthode change tout, et elle nous permettra de mieux contrôler le budget de l'éloignement.
Vous avez évoqué l'article 20 de loi du 26 janvier 2024. Sur le CIR, certains pays font de l'apprentissage en ligne. Othman Nasrou est en train de travailler sur le dossier.
Voilà quelques mois, nous nous sommes opposés sur le fait de savoir s'il fallait accorder un droit opposable à la régularisation. La majorité sénatoriale a très largement voté contre, de même que l'Assemblée nationale ensuite. Nous souhaitons donc remplacer la circulaire Valls, car le cadre législatif a changé.
D'une part, le champ d'application n'est plus le même : jadis, étaient concernés tous les métiers confondus ; aujourd'hui, il s'agit des métiers en tension. Des concertations sont menées dans chaque région ; les résultats nous en seront communiqués. La future circulaire devra prendre en compte cette nouvelle réalité.
D'autre part, le contrôle des conditions d'éligibilité diffère également. Auparavant, le préfet régularisait les personnes qui avaient un travail. Mais nous voulons démanteler des filières de travail clandestin. Il est trop facile de tirer les salaires vers le bas. Je rappelle qu'il y a pratiquement un demi-million d'étrangers en situation régulière au chômage. Je ne veux pas qu'il soit plus facile d'être régularisé en ayant trouvé un travail après être entré frauduleusement que de demander un titre de séjour parfaitement régulier. La circulaire Valls est donc obsolète. Le contrôle doit également porter sur l'intégration et le respect des principes républicains.
Madame de La Gontrie, les 210 jours en CRA ne concernent pas tous les publics. Il s'agit d'éviter les récidives en matière de crimes sexuels. Mais, en effet, lorsque nous gardons certaines personnes plus longtemps, cela bloque des places. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire d'anticiper, notamment lorsqu'un juge des libertés et de la détention décide d'une libération. C'est le sens des accords bilatéraux que nous concluons avec les pays d'origine, en particulier des grandes plaques continentales d'où proviennent les flux migratoires - je pense à l'Afrique, à l'Asie, etc. -, ainsi qu'avec les pays de séjour ou de transit.
Je suis très favorable à la vidéosurveillance augmentée, en rappelant que la loi ne permet pas de l'utiliser pour procéder à de la reconnaissance faciale. Le droit prévoit sept ou huit critères d'utilisation. Je crois savoir que vous allez mettre en place une mission d'information sur le sujet.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Aux termes de la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, il revient au Gouvernement de remettre un rapport avant le 31 décembre.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Mais je vous confirme que nous avons décidé la mise en place une mission d'information, dont Marie-Pierre de La Gontrie et Françoise Dumont sont les rapporteurs. Elle rendra ses conclusions avant le mois de mars.
M. Bruno Retailleau, ministre. - Et, pour le Gouvernement, la commission Vigouroux rendra ses conclusions, je pense, d'ici à la fin de l'année.
J'ai participé voilà quelques semaines à un G7 des ministres de l'intérieur consacré aux outils numériques. D'autres pays démocratiques sont confrontés aux mêmes problèmes et font appel aux mêmes technologies que nous. Certes, nous avons un certain nombre de contraintes juridiques que d'autres n'ont pas. Essayons de voir comment tirer le meilleur parti de ces nouvelles technologies sans, évidemment, porter atteinte aux libertés publiques.
Monsieur Bourgi, sur les brigades de gendarmerie, il y a des informations contradictoires ; il faut un cap. J'ai demandé au général Bonneau de m'indiquer ce qui est tenable. Une fois que j'aurai ses conclusions, j'apporterai ma pierre à l'édifice, en informant par écrit les maires des engagements de l'État, des délais et du calendrier.
Sur les incendies, le problème est que l'Europe part, une fois de plus, en ordre dispersé. Les Canadairs sont hors de prix : plus de 50 millions d'euros. C'est une question de souveraineté en matière de sécurité civile. Dans les années 2000, Michel Barnier a été à l'initiative d'un embryon de travail communautaire en la matière. Je souhaite que la France fasse preuve de volontarisme et réunisse les ministres chargés de la sécurité civile, afin de pouvoir faire des commandes publiques groupées, par exemple en nous inspirant du pacte capacitaire.
Monsieur Chaillou, une somme de 1 milliard d'euros, dont 200 millions d'euros à 300 millions d'euros au titre des loyers de la gendarmerie, a été négociée et obtenue en loi de fin de gestion. N'hésitez pas à communiquer à mon cabinet le nom de la commune que vous avez évoquée. En tout état de cause, les loyers pourront être honorés. Je le rappelle, à l'origine, il y avait une sous-budgétisation ; puis, avec les jeux Olympiques et les événements survenus en Nouvelle-Calédonie, la cigale se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le ministre, nous vous remercions de vos réponses.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Direction générale des étrangers en France (DGEF)
M. Éric Jalon, directeur général
Direction nationale de la police aux frontières (DNPAF)
Mme Valérie Minne, directrice nationale de la police aux frontières
Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)
M. Didier Leschi, directeur général
Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)
M. Julien Boucher, directeur général
Cour nationale du droit d'asile (CNDA)
M. Mathieu Hérondart, président
* 1 La diminution de 11 Mds€ de la subvention pour charges de service public sera compensée par une augmentation équivalente des financements attribués au titre du Fonds européen « Asile, Migration et Intégration » (FAMI).
* 2 Un transfert de 5 ETP vers la DGEF (en conséquence du transfert de compétence en matière d'amendes pour les employeurs ayant recours à des travailleurs non autorisés) vient s'ajouter à celui des 29 ETP précités.
* 3 Doit également être prise en compte la revalorisation salariale des opérateurs de l'hébergement des demandeurs d'asile au titre de l'extension des accords dit « Ségur » prévue par l'accord de branche du 4 juin 2024.
* 4 Selon les données communiquées par la DGEF, 60 105 autorisations provisoires de séjour délivrées au titre de la protection temporaire étaient en cours de validité au 30 septembre 2024. Cet indicateur est en diminution sur la période récente (68 445 au 1er janvier 2023), en partie du fait d'un report vers la demande d'asile (8 000 primo-demandes sur les huit premiers mois de 2024, soit une augmentation de + 377 % par rapport à 2023).
* 5 Les statistiques disponibles ne permettent pas de déterminer précisément ce chiffre, comme en atteste l'écart entre le nombre d'APS en cours de validité et celui des Ukrainiens bénéficiaires effectifs de l'ADA (54 300).
* 6 2 329 pour 4 025 demandes.
* 7 Celle-ci consistait principalement à augmenter le montant de l'aide au retour en contrepartie d'une plus grande dégressivité.
* 8 Outre l'évolution du profil des étrangers retenus, le Gouvernement explique également cette hausse par la persistance ponctuelle de contraintes sanitaires ainsi que par une coopération laissant à désirer des États d'origine, en particulier les trois États du Maghreb.
* 9 Cela s'explique, d'une part, par le nouvel essor de demandeurs d'asile ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire (8 000 demandes sur les huit premiers mois de l'année 2024) et, d'autre part, par l'importance des « réadmissions éteintes » qui rendent, à échéance d'un délai de 6 mois, la France responsable de l'examen de la demande d'asile d'un étranger théoriquement soumis à la procédure « Dublin ».
* 10 À raison de - 24,3 M€ du fait du renoncement à l'objectif de 1 500 créations de nouvelles places en 2024 et de la non-reconduction de 1 395 places effectivement non-ouvertes sur cette année et de - 44,8 M€ correspondant à 6 429 places d'HUDA dont le financement n'est pas prolongé.
* 11 L'augmentation des crédits de l'action n° 11 s'explique en effet par la compensation de la diminution des crédits européens dans les charges de fonctionnement de l'OFII (cf. supra).
* 12 Audition devant la commission des lois de l'Assemblée nationale le 21 novembre 2023.
* 13 Le programme vise à l'instauration d'un guichet unique pour l'accès au logement et à l'emploi des réfugiés