N° 16

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes,

Par Mme Lauriane JOSENDE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet (2), président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir le numéro :

Sénat :

741 (2023-2024)

(2) M. François-Noël Buffet a été nommé membre du Gouvernement le 21 septembre 2024.

L'ESSENTIEL

Déposée le 24 juillet 2024 par Sylvie Robert et les membres du groupe SER la proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes a pour principal objectif de renforcer les garanties offertes aux journalistes contre les pressions susceptibles d'entraver leur mission d'information du public.

La commission des lois s'est saisie pour avis, avec délégation au fond, de son article 5, relatif à la protection du secret des sources.

Cet article vise à étendre le champ des immunités pénales en matière de secret des sources à tous les journalistes exerçant leur profession, y compris de manière non rémunérée ou de manière ponctuelle, aux directeurs de publication et à « tout collaborateur d'une rédaction » « amené à prendre connaissance d'informations permettant de découvrir une source ».

Il entend aussi soumettre tout acte de procédure tendant à lever le secret des sources au juge des libertés et de la détention.

Il propose enfin d'augmenter le quantum de peine applicable en cas d'atteinte au secret des sources.

Ces choix posent des enjeux de constitutionnalité et d'opportunité sur lesquels la commission des lois s'est déjà prononcée en 2016 lors de l'examen du projet de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias. À l'initiative de son rapporteur Lauriane Josende, elle a adopté l'article 5 en le limitant à l'extension du secret des sources à tous les journalistes et aux directeurs de publication.

I. LE SECRET DES SOURCES EST CONSACRÉ PAR LE DROIT EUROPÉEN ET PROTÉGÉ PAR LE DROIT INTERNE

A. UN RÉGIME CONFORME AUX EXIGENCES DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

Le régime actuel de protection des sources en droit français découle de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes. Celle-ci a apporté, selon la formule du rapporteur de la commission des lois du Sénat, alors François-Noël Buffet, une « consécration attendue » à un principe qui relevait jusqu'alors en droit interne de l'éthique journalistique et de dispositions « lacunaires »1(*).

Cette loi du a inscrit dans l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse le principe de la protection des sources et posé les garanties procédurales permettant de le protéger.

Article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public.

Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public.

Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.

Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources.

Au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité.

Ces évolutions ont permis de mettre le droit français en conformité avec le droit issu de la Convention européenne des droits de l'Homme, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) ayant consacré la notion de secret des sources. La CEDH estime en effet que le secret des sources est « un attribut du droit à l'information, à traiter avec la plus grande circonspection » (CEDH 27 novembre 2007 Tillack c/ Belgique) et « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse » (CEDH 28 juin 2012 Ressiot c/ France). C'est de la jurisprudence de la Cour que découlent les limites imposées par l'article 2 de la loi de 1881 à l'atteinte au secret des sources, et notamment l'exigence d'« un impératif prépondérant d'intérêt public ».


* 1 Dispositions contenues dans la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page