B. DES DÉPENSES MAL MAÎTRISÉES, SOUTENUES PAR LES REVALORISATIONS DES PRESTATIONS ET PAR LE « SÉGUR »
1. Une augmentation tous azimut des dépenses, soutenues par les revalorisations des prestations et le « Ségur »
Les charges nettes des régimes obligatoires de base et du FSV se sont élevées en 2022 à 591,6 milliards d'euros, en augmentation de 24,3 milliards d'euros par rapport à 2021 (+ 4,3 %) et de 21,0 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de financement initiale.
La croissance des charges a deux causes principales. D'une part, la montée en puissance des mesures du « Ségur de la santé » a conduit à un surcroît de dépense de + 2,7 milliards d'euros, portant le total à 12,7 milliards d'euros pour l'ensemble des branches. D'autre part, les prestations en espèces des différentes branches ont, toutes, été revalorisées de 4 % le 1er juillet 2022 pour prévenir les effets de l'inflation sur le pouvoir d'achat des bénéficiaires, ce qui n'avait pas été prévu par la loi de financement initiale.
Les prestations légales (549,0 milliards d'euros) ont ainsi augmenté de 4,2 % (+ 22,2 milliards d'euros) en 2022.
Cette forte augmentation des dépenses intervient dans un contexte de forte diminution (- 6,6 milliards d'euros) des dépenses de crise sanitaire par rapport à 2021 (11,7 milliards d'euros contre 18,3 milliards d'euros). Si la crise sanitaire n'est plus le facteur principal d'évolution des dépenses, celles-ci n'en continuent pas moins de progresser. Les dépenses de la sécurité sociale apparaissent dès lors mal contrôlées.
Charges nettes des régimes obligatoires de base et du FSV par branche
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après le PLACSS 2022, la Cour des comptes et la commission des comptes de la sécurité sociale
2. À nouveau en 2022, l'Ondam est largement dépassé
D'une ampleur particulière, les dépenses relevant de l'Objectif de dépenses de l'assurance maladie (Ondam) se sont établies à 247,2 milliards d'euros en 2022, soit une progression de 3,09 % par rapport à 2021. L'objectif initial en LFSS pour 2022, fixé à 236,8 milliards d'euros, est largement dépassé (4,4 %).
L'exécution 2022 de l'Ondam s'est caractérisée par des dépenses liées à la crise sanitaire supérieures au montant provisionné, par une forte dynamique des dépenses de santé et par des mesures en réponse à l'inflation. Malgré des mesures de régulation, l'Ondam voté en LFSS pour 2022 s'est trouvé largement dépassé, y compris pour des dépenses « hors Covid-19 ».
Les dépenses relevant de l'Ondam
L'Ondam est voté chaque année par le Parlement en loi de financement de la sécurité sociale et vise à encadrer l'évolution des dépenses publiques de santé. Il est conçu comme un objectif à ne pas dépasser, sans constituer un plafond au sens strict.
Le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie adresse une notification au Parlement, au Gouvernement et aux caisses nationales maladie en cas de risque de dépassement de l'Ondam supérieur à 0,5 %, pour que puissent être adoptées des mesures de redressement.
L'Ondam intègre les prestations légales en nature d'assurance maladie et d'accident du travail, les dotations aux établissements de santé et médicosociaux et les rémunérations forfaitaires des professionnels de santé. Il n'inclut pas les indemnités journalières maternité et paternité, les pensions d'invalidité, ni les rentes d'accidents du travail-maladies professionnelles. Les dépenses sont diminuées par les remises versées par les entreprises pharmaceutiques sur les prix publics des médicaments en fonction des volumes vendus.
Six sous-objectifs le structurent :
- soins de ville ;
- établissements de santé ;
- établissements et services médico-sociaux pour personnes âgées, établissements et services médico-sociaux pour personnes en situation de handicap,
- fonds d'intervention régional (FIR) ;
- soutien national à l'investissement ;
- autres prises en charge.
Source : Cour des comptes
Évolution de l'Ondam constaté et de
l'Ondam corrigé
des dépenses Covid-19 et des dépenses
« Ségur »
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Cour des comptes
Ce dépassement a trois causes.
Il s'agit d'abord de la poursuite de la crise sanitaire (6,8 milliards d'euros). Les dépenses « Covid-19 » n'avaient pas fait l'objet de provisions suffisantes pour faire face à la vague Omicron du début d'année ; résultat, les dépenses constatées (11,7 milliards d'euros) ont été plus de deux fois supérieures à la provision initiale (4,9 milliards d'euros).
Il s'agit ensuite de mesures compensatoires versées aux établissements sanitaires et médico-sociaux pour 3,4 milliards d'euros, au titre de l'inflation (2,7 milliards d'euros), comprenant notamment la revalorisation du point d'indice de la fonction publique hospitalière ainsi qu'une compensation des hausses de charge du fait de l'inflation sur les prix énergétiques. Des mesures d'urgence pour faire face à la faible attractivité des métiers dans les établissements de santé ont également été prises, contribuant au dépassement de l'Ondam (0,7 milliard d'euros).
Il s'agit enfin de la dérive de certaines dépenses pour 1,5 milliard d'euros, notamment de produits de santé et d'indemnités journalières.
Évolution des dépenses d'ONDAM en 2022
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la Cour des comptes
Évolution de l'Ondam depuis 2004
(en milliards d'euros et en pourcentage)
Note de lecture : en abscisse, montant de l'Ondam en milliards d'euros ; en ordonnées, taux d'évolution de l'Ondam en pourcentage : un pois vert indique que l'objectif a été respecté, un pois rouge qu'il a été sur-exécution. En 2022, l'Ondam s'est établi à 247,2 milliards d'euros, soit une augmentation de 3,09 % par rapport à 2021, ce qui représente une sur-exécution par rapport à l'objectif voté en LFSS 2022 (236,8 milliards d'euros soit 4,4 %).
Source : commission des comptes de la sécurité sociale
L'Ondam hors Covid-19 a ainsi progressé de 6,3 % (14 milliards d'euros) entre 2021 et 2022 et de 5,3 % en dehors du « Ségur de la santé », un rythme d'accélération qui contraste avec l'évolution maîtrisée d'avant-crise (2,3 % en moyenne entre 2017 et 2019).
La branche maladie, dont la majeure partie des dépenses entre dans le champ de l'Ondam, voit ses dépenses augmenter de 12 milliards d'euros (5,22 %), la plus fortement augmentation des dépenses de la sécurité sociale.
3. Les dépenses des branches maladie et vieillesse sont particulièrement dynamiques
a) Les dépenses de la branche maladie hors ONDAM sont également mal contrôlées
Minoritaires au sein de la branche maladie, les dépenses hors Ondam ont néanmoins été très dynamiques (+ 5,8 %). Il s'agit de prestations non strictement liées au risque maladie : les indemnités journalières de congés maternité ou paternité, les pensions d'invalidité indemnisant une perte de capacité de travailler, et des charges de gestion diverses.
Les dépenses de la branche maladie hors Ondam ont principalement été portées par les indemnités journalières maternité et paternité, dont le coût (4,1 milliards d'euros) a progressé de 11,4 %, du fait de l'allongement du congé paternité voté en LFSS pour 2021 et mis en place à partir du 1er juillet 2021. Cette mesure a joué en année pleine en 2022, malgré une natalité toujours en retrait (- 2 %), du fait de son extension aux professions libérales qui en étaient auparavant exclues.
Les pensions d'invalidité ont également crû, du fait des revalorisations de 4 % intervenues au 1er avril et au 1er juillet et en raison d'une hausse des bénéficiaires, portant leur montant à 8,6 milliards d'euros.
b) En 2022, les prémisses d'une aggravation du déficit de la branche vieillesse dans les années suivantes
Les dépenses de la branche vieillesse se sont élevées à 262,8 milliards d'euros pour tous les régimes obligatoires de base, en augmentation de 2,42 % (+ 6,2 milliards d'euros) par rapport à la prévision en LFSS et de 4,97 % par rapport à 2021.
La hausse des pensions en 2022 s'explique principalement par les deux revalorisations mises en oeuvre, de 1,1 % le 1er janvier 2022 en fonction de l'inflation constatée, et de 4 % intervenue le 1er juillet, de manière anticipée, qui a pesé pour 2 % sur l'année 2022.
Charges nettes de l'assurance vieillesse (tous régimes) et du FSV
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la commission des comptes de la sécurité sociale
Pour les assurés du régime général, les charges de prestations légales se sont élevées à 142,3 milliards d'euros en 2022, en augmentation de 5,1 % par rapport à 2021. Le nombre de retraités bénéficiaires a augmenté de 1,1 %, soit + 165 000, pour s'élever à 15 millions. Le montant moyen des pensions servies aux nouveaux retraités est aussi plus élevé que le montant de celles servies aux personnes décédées au cours de l'année, d'où résulte un effet de noria à hauteur de 0,6 point. Le nombre de bénéficiaires de pensions de réversion est resté stable en 2022, comme au cours des dernières années.
L'augmentation du nombre des départs à la retraite en 2022 s'explique par trois facteurs :
- la démographie ;
- l'atténuation des effets de la réforme de 2010 qui a progressivement reporté à 62 ans l'âge légal de départ à la retraite ;
- enfin, à hauteur de 5 % selon la CNAV, l'anticipation de départs à la retraite liée à la réforme des retraites adoptée en 2023.
La situation de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), est particulièrement préoccupante, le régime étant également déficitaire. Les charges de prestations légales pour vieillesse et invalidité de cette caisse se sont élevées à 24,4 milliards d'euros en 2022, en progression de 6,8 %, du fait des revalorisations des pensions et de la progression du nombre de nouveaux pensionnés (+ 3,2 %). Le déficit s'accroitra en 2023 (- 2,8 %), ce qui pose la question de la soutenabilité des retraites des agents des collectivités territoriales.
Solde des principaux régimes de retraite de
base
autres que le régime général (RG)
(en milliards d'euros)
Source : commission des comptes de la sécurité sociale
Le solde des régimes de retraite de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) est demeuré quasiment stable (+ 0,1 milliard d'euros d'amélioration) pour atteindre - 2,5 milliards d'euros en 2022. Il enregistre donc un déficit malgré le solde excédentaire du FSV (+ 1,3 milliard d'euros). Surtout, la progression des charges excédant celle des recettes, le solde de l'ensemble des régimes de base de la branche vieillesse se dégraderait dans les années à venir, à commencer par -0,7 % en 2023.
4. Les autres branches voient également leurs dépenses hors Ondam augmenter et leurs excédents se réduire
a) Le montant des prestations versées par la branche famille en augmentation
En 2022, les charges nettes de la branche famille se sont élevées à 51,4 milliards d'euros, en augmentation de 3,42 % (+ 1,7 milliard d'euros) par rapport à la prévision de la LFSS 2022 et de 5,1 % par rapport à 2021.
Cette augmentation s'explique largement par la progression des dépenses de prestations légales du fait des revalorisations de la base mensuelle des allocations familiales (BMAF) de 1,8 % le 1er avril 2022 et de 4 % le 1er juillet 2022.
Les minima sociaux versés pour le compte de tiers - mais non financés par la branche famille - comme la prime d'activité pour le compte de l'État ou l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) pour la branche autonomie, ont également augmenté. Les charges totales de prestations de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) connaissent donc une augmentation de 3,48 % en 2022.
Masse des prestations versées ou financées par la branche famille
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les données de la commission des comptes de la sécurité sociale
Les prestations familiales proprement dites, versées et financées par la branche famille, ont également connu une augmentation de 3,33 % en 2022, notamment du fait de la revalorisation de 50 % de l'allocation de soutien familial (ASF), au 1er novembre 2022, pour un coût estimé à 0,2 milliard d'euros. Cette tendance se poursuit alors même que le nombre de bénéficiaires tend à décroître du fait de la faible natalité (723 000 naissances en 2022 selon l'Insee, contre 833 000 en 2010), ce dont témoigne la baisse du recours à la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE), destinée aux parents d'enfants de moins de trois ans qui cessent de travailler ou réduisent leur temps de travail8(*).
Les revalorisations successives du SMIC (+ 2,2 % au 1er octobre 2021, + 0,9 % au 1er janvier 2022 ; + 2,65 % au 1er mai 2022 et + 2,01 % au 1er août 2022), portant l'évolution du SMIC à 5,2 % en moyenne annuelle, ont par ailleurs contribué à la hausse des prises en charges de cotisations des assistantes maternelles et des gardes à domicile au titre du complément de mode de garde (CMG).
Les prestations extralégales nettes ont été très dynamiques (+ 10,9 %) en lien avec la dernière année de la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2018-2022 et avec la hausse des dépenses d'action sociale de la mutualité sociale agricole (0,2 milliard d'euros), qui a résulté de mesures en faveur des agriculteurs au titre des épisodes de gel et du renchérissement du prix de l'énergie.
Enfin, les transferts à la charge de la CNAF ont également connu une forte augmentation (+ 6,6 %), avec la hausse du recours au congé paternité, dont l'allongement à 2021 a eu un effet en année pleine et celle des prises en charge de prestations au titre des majorations pour enfants versées à la CNAV et aux régimes agricoles qui ont bénéficié aussi de la revalorisation anticipée de 4 % au 1er juillet 2022.
Cette situation, dans laquelle les dépenses croissent plus vite que les recettes, explique que la situation de la branche famille soit fragilisée : son excédent s'établit à 1,9 milliard d'euros en 2022, en dégradation de 1 milliard d'euros par rapport à 2021. Cette fragilisation se poursuivrait encore en 2023, avec un excédent de 1,3 milliard d'euros, représentant une dégradation de 0,6 milliard d'euros par rapport à 2022.
b) La branche AT-MP, seule, voit son excédent se consolider malgré la hausse de ses dépenses
Les charges de la branche AT-MP sont reparties à la hausse (4,2 % par rapport à 2021, soit +0,4 milliard d'euros), tirées par les dépenses du champ de l'Ondam qui en représentent plus du tiers. Les prestations hors Ondam de la branche AT-MP ont également augmenté (+ 2,1 %) en lien avec le dynamisme des rentes pour incapacité permanente du fait de la revalorisation anticipée des prestations de 4 % au 1er juillet 2022, qui s'ajoute à la revalorisation légale de 1,8 % intervenue au 1er avril.
La branche a également versé des transferts à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail, représentant une hausse de 1,0 milliard d'euros en 2021 à 1,1 milliard d'euros en 2022, et à la branche vieillesse au titre de l'amiante (- 11,8 % en 2022) et au titre de la pénibilité (+ 11,6 %).
Évolution des charges nettes de la branche AT-MP (tous régimes)
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les données de la commission des comptes de la sécurité sociale
Les recettes de la branche AT-MP ayant été plus dynamiques que ses dépenses, son excédent s'est consolidé. Il s'établit à 1,7 milliard d'euros en 2022, contre 1,3 milliards d'euros en 2021, ancrant fermement la branche AT-MP parmi les branches « contributives ».
c) La jeune branche autonomie, contributrice en 2022, s'apprête à voir ses dépenses fortement progresser
En 2022, les charges nettes de la branche autonomie se sont élevées à 35,18 milliards d'euros, en augmentation de 2,33 % (+0,8 milliard d'euros) par rapport à la prévision de la LFSS 2022, et de 8,01 % par rapport à 2021.
La plus grande partie relève de l'objectif global de dépense (OGD), qui correspond aux dépenses de l'Ondam dédiées aux personnes âgées et aux personnes handicapées : les dépenses inclues dans l'OGD progressent de 6,17 %. Outre les dotations versées aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), l'OGD est tiré par la croissance des prestations sociales, liée à l'extension des revalorisations des accords du « Ségur de la santé » à l'ensemble des établissements médico-sociaux et de la filière socio-éducative pour (0,9 milliard d'euros), et au financement de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique de 3,5 % à compter de juillet 2022.
Par ailleurs, les dépenses d'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) sont demeurées très dynamiques (+ 12,4 %), sous l'effet combiné de leur évolution structurelle et de la revalorisation anticipée des prestations en avril et en juillet 2022.
Les transferts ont eux aussi nettement augmenté (+ 21,6 %), particulièrement en ce qui concerne les transferts aux départements. Le principal facteur de cette hausse est le fait que la CNSA porte la refonte du financement des services d'aide à domicile dans le cadre du virage domiciliaire qui a conduit à l'application d'un tarif plancher à respecter par les départements pour les services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD), en contrepartie d'une compensation financière, mise en place par la LFSS pour 2022.
Enfin, les transferts aux départements au titre de la prestation de compensation du handicap (PCH) ont crû de 38,9 %, la CNSA ayant financé la nouvelle prestation PCH parentalité pour 0,2 milliard d'euros.
Charges nettes de la branche autonomie du régime général
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la commission des comptes de la sécurité sociale
Ainsi, l'excédent de la CNSA en 2022 s'est maintenu à un niveau similaire à celui enregistré en 2021 (0,2 milliard d'euros), les recettes et les dépenses ayant globalement progressé au même rythme.
Toutefois, la CNSA serait nettement déficitaire en 2023, et son solde s'établirait à -0,8 milliard d'euros. Les recettes croîtraient de 3,6 %, bien moins rapidement que les charges (+ 6, 7%). Contributrice en 2022, la nouvelle branche deviendrait donc déficitaire dès 2023, du fait de la mauvaise maîtrise de la dynamique de ses dépenses.
* 8 Cour des comptes, RALFSS 2022.