B. UN PARI INCERTAIN : L'EMPLOI DES SENIORS
1. Un taux d'emploi relativement faible
La majoration de l'âge légal de départ en retraite peut interroger au regard du faible taux d'emploi des plus de 50 ans. Même s'il est en très nette hausse depuis 2003, le taux d'emploi des 55-64 ans - 53,8 % - reste inférieur à la moyenne européenne, établie à 59,6 % au sein de l'Union européenne et à 60,8 % au sein de la zone euro. Le décrochage est particulièrement patent pour la classe d'âge 60-64 ans.
Activité des seniors en France en décembre 2021
(en %)
50-54 ans |
55-59 ans |
60-64 ans |
65-69 ans |
55-64 ans |
|
Population totale (en milliers) |
4 453 |
4 275 |
4 032 |
3 822 |
8 440 |
Taux d'activité |
87,9 |
79,9 |
38,2 |
9,1 |
59,7 |
Taux d'emploi |
83,3 |
75,1 |
35,5 |
8,6 |
53,8 |
Taux de chômage |
5,2 |
6,0 |
6,9 |
5,1 |
6,3 |
Cumul emploi retraites |
- |
2,0 |
12,6 |
53,7 |
5,2 |
Part du halo autour du chômage 14 ( * ) |
3,5 |
3,5 |
2,4 |
1,1 |
2,9 |
Taux d'emploi UE 27 |
NR |
72,9 |
45,3 |
NR |
59,6 |
Source : commission des finances du Sénat d'après la DARES, Les seniors et le marché du travail en décembre 2021, avril 2022
À l'heure actuelle, 11 % environ des nouveaux retraités affiliés au régime général liquident leurs droits à l'issue d'une période de chômage. Ce taux est ainsi de 13 % pour la génération 1950.
Répartition des assurés de la
génération 1950
selon la situation l'année
précédant la liquidation
Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport sur les objectifs et les effets du projet de réforme des retraites
Plusieurs éléments sous-tendent la faiblesse de l'emploi des seniors. Beaucoup relèvent de présupposés - manque d'adaptabilité, problème de formation, santé fragile - qui, pour certains, ne résistent pas à l'examen. L'absentéisme pour raison médicale concerne ainsi davantage les plus jeunes. 46 % des salariés âgés de 18 à 34 ans se sont vu prescrire un arrêt maladie en 2022, contre 34 % des salariés de plus de 50 ans, ce taux étant inférieur à la moyenne (42 %).
2. Une vision volontariste reposant sur une analyse de la réforme des retraites de 2010
Le Gouvernement indique, dans les documents annexés au projet de loi, que la progression de l'âge de départ en retraite devrait conduire à une augmentation du nombre de personnes en emploi âgées de 55 à 64 ans . Le nombre de personnes en emploi âgées de 55 à 64 ans augmenterait de plus de 100 000 unités en 2025. Ces estimations rejoignent celles de la Caisse nationale d'assurance-vieillesse transmises au COR en janvier 2022, et aux termes desquelles 180 000 personnes seraient concernées en 2027 et 384 000 en 2032 en cas de progression de l'âge d'ouverture des droits d'un trimestre à partir de 2023 .
Le Gouvernement insiste ainsi sur un taux d'emploi majoré de 2 % pour la population âgée de 60 à 64 ans en 2025, de 6 % en 2030 puis de 6,4 % en 2035. Le taux d'emploi des 55-59 ans serait stable.
Variation du taux d'emploi liée à la progression de l'âge d'ouverture des droits
Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport sur les objectifs et les effets du projet de réforme des retraites, janvier 2023
Ces estimations reposent sur une des analyses ex post de la réforme de 2010 qui avait également décalé de deux ans l'âge légal de départ en retraite . La direction générale du Trésor avait ainsi estimé, dans un document transmis au Conseil d'orientation des retraites en janvier 2022, qu'il n'y avait pas eu de ralentissement de l'emploi des seniors sous l'effet de la réforme. Elle notait ainsi un décalage de deux ans du taux d'activité des seniors, la faiblesse du taux d'emploi des 60-64 ans restant en dessous de la moyenne européenne en raison de départs à la retraite plus précoces. Cette vision a priori volontariste met en exergue un effet dit « horizon » 15 ( * ) , aux termes duquel les entreprises adapteraient leur stratégie de recrutement à ce décalage : ainsi plus l'horizon avant un départ à la retraite est long, plus le taux d'emploi des seniors tend à progresser.
3. Un effet « horizon » à relativiser ?
La rapporteure pour avis reste mesurée quant à cet effet quasi mécanique de l'augmentation de l'âge d'ouverture des droits.
Elle note que la mission sur le maintien en emploi des seniors avait relevé, en janvier 2020, que les hypothèses sur lesquelles travaille régulièrement l'INSEE qui tendent à corréler augmentation du taux d'activité des seniors et recul de l'âge de départ en retraite restent entourées d'une marge d'incertitude et ne garantissent pas un accroissement du taux d'emploi des seniors 16 ( * ) .
La Cour des comptes avait, en outre noté, en octobre 2019 17 ( * ) , que le nombre de demandeurs d'emploi de plus de 50 ans avait fortement augmenté depuis 2008 en raison de l'augmentation des effectifs des générations en âge de travailler, de la crise économique de 2008, de la transformation accélérée des métiers mais aussi du recul de l'âge de départ en retraite. Le nombre de chômeurs de 50 ans et plus a ainsi été multiplié par deux depuis 2008, soit une hausse largement supérieure à celle du nombre de chômeurs âgés de 15 à 24 ans (+ 11 %) et de 25 à 49 ans (+ 26 %) sur la même période. Le critère d'âge apparaît nettement discriminant pour le retour à l'emploi. Les périodes de chômage sont, par ailleurs, particulièrement longues pour les seniors : 673 jours en moyenne contre 388 jours pour l'ensemble des demandeurs d'emploi. La Cour des comptes relevait ainsi que les entreprises n'avaient pas pleinement répercuté le recul de l'âge de départ en retraite sur la gestion de leurs effectifs. Le chômage et l'inactivité jouent ainsi un rôle de transition entre l'emploi et la retraite .
Deux études de l'INSEE 18 ( * ) et de l'UNEDIC 19 ( * ) sur la réforme des retraites de 2010 soulignent également que l'accroissement de l'emploi lié au relèvement des âges légaux ne saurait occulter une progression du chômage pour cette classe d'âge. Cette donnée est également mise en avant par la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (CNAV) dans son estimation de l'évolution de l'emploi induite par une majoration de l'âge de départ d'un trimestre par génération (+ 27 000 personnes en 2027 et + 48 000 personnes en 2032). Par ailleurs, le nombre de personnes placées en situation d'invalidité ou d'inactivité serait également appelé à croître : + 56 000 en 2027 puis + 108 000 en 2032 pour les premières et + 98 000 en 2027 puis + 191 000 en 2032 pour les secondes.
Effet du décalage de l'âge d'ouverture des droits par statut d'activité
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la CNAV au Haut conseil pour le financement de la protection sociale et contenues dans le tome 2 du rapport« Pour des finances sociales soutenables adaptées aux nouveaux défis », janvier 2022
La rapporteure pour avis note enfin que la direction générale du Trésor relève, dans les documents transmis au COR en janvier 2022, que, d'après les recherches micro-économiques sur la réforme de 2010, la hausse de l'âge de départ à la retraite a tendance à maintenir les seniors dans la situation qu'ils occupaient à l'atteinte de l'âge de départ pré-retraite. Dans ces conditions, il est à craindre que le taux de personnes au chômage au moment de la liquidation des droits à 62 ans, soit 11 % selon l'étude d'impact, ne soit pas appelé à se réduire.
4. Quel impact pour l'index seniors ?
Au-delà de ces réserves sur l'effet réel de l'allongement de l'âge légal sur l'activité, la rapporteure pour avis relève que la seule mesure destinée à appuyer une logique de recrutement des seniors et donner du sens à l'effet « horizon » contenu dans le projet de loi de financement rectificative consiste en la mise en oeuvre d'un « index seniors ». Prévu à l'article 2, supprimé en première lecture à l'Assemblée nationale mais rétabli dans le texte transmis en application de l'article 47-1 de la Constitution, il devrait obliger les entreprises à rendre publique la part de leurs salariés en fin de carrière. Le dispositif couvrira, à partir du 1 er novembre 2023, les entreprises de plus de 1 000 salariés, avant d'être étendu, à partir du 1 er juillet 2024, à celles de plus de 50 salariés. Le texte soumis en première lecture à l'Assemblée nationale ne visait que les entreprises de plus de 300 salariés.
La non-publication de l'index donnerait lieu à une pénalité plafonnée à 1 % de la masse salariale . Celle-ci serait affectée à la caisse nationale d'assurance-vieillesse. Cette pénalité serait appliquée par l'autorité administrative, en tenant compte des efforts constatés par l'entreprise en matière d'emploi des seniors et des motifs de méconnaissance de l'obligation de publication. Une concertation avec les partenaires sociaux est prévue afin de préparer le décret mettant en place cet index.
L'étude d'impact annexée au présent projet de loi de financement relativise l'effet vertueux sur les finances publiques de ce dispositif en indiquant qu'en moyenne, dans un premier temps, seules 10 % des entreprises concernées seraient sanctionnées, la pénalité devant atteindre 0,5 % de la masse salariale, compte-tenu du pouvoir de modulation laissé à l'autorité administrative. À partir de 2026, le montant perçu par la CNAV devrait ainsi atteindre 6,6 millions d'euros par an.
Impact prévisionnel de l'index seniors : montant de la pénalité perçue par la CNAV et nombre d'entreprises non-déclarantes
(en % et en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après l'étude d'impact annexée au projet de loi de financement rectificative
La rapporteure pour avis insiste sur le fait que la sanction vise la non-publication d'un index et non l'absence de maintien dans l'emploi ou de recrutement en tant que tel des seniors. Elle note par ailleurs que la taxation renforcée des indemnités pour ruptures conventionnelles concernant les seniors, prévue à l'article 2 bis (de 20 à 30 %) aurait, a priori, un effet plus dissuasif, particulièrement pour les petites entreprises, et génèrerait davantage de recettes. La CNAV pourrait bénéficier d'une manne supplémentaire comprise entre 200 et 250 millions d'euros par an.
La mise en place d'un dispositif « 1 senior, 1 solution» sur le modèle de celui mis en oeuvre pour les jeunes pourrait également apparaître pertinent. Mis en place en 2020, ce dispositif mobilise aides à l'embauche, formations et accompagnements.
* 14 Il s'agit des personnes qui n'ont pas d'emploi mais qui souhaitent travailler, sans pour autant être en recherche active le mois précédent ou disponibles dans les deux semaines.
* 15 Jean-Olivier Hairault, François Langot, Thepthida Sopraseuth. Les effets à rebours de l'âge de la retraite sur le taux d'emploi des seniors. Économie et Statistique, n° 397, 2007.
* 16 Sophie Bellon, Olivier Meriaux et Jean-Manuel Soussan, Favoriser l'emploi des travailleurs expérimentés, Rapport remis au Gouvernement le 14 janvier 2020.
* 17 Cour des comptes, référé S2019-1878, octobre 2019.
* 18 Y. Dubois et M. Koubi, «Report de l'âge de la retraite et taux d'emploi des seniors : le cas de la réforme des retraites de 2010»; Insee Analyses N°30, janvier 2017.
* 19 Unédic, «Allocation chômage et réforme des retraites», Note pour le Conseil d'orientation des retraites du 16 octobre 2016.