B. UNE DÉGRADATION DU SOLDE INÉVITABLE

1. Une trajectoire définie à partir des hypothèses de travail du Conseil d'orientation des retraites

Le présent projet de loi de financement rectificative constitue une réponse aux perspectives négatives développées par le Conseil d'orientation des retraites (COR) dans son rapport de septembre 2022.

Celles-ci sont bâties sur deux conventions comptables et plusieurs hypothèses afférentes au taux de chômage, à la croissance de la productivité du travail et à l'évolution démographique (espérance de vie, indice de fécondité).

La convention « équilibre permanent des régimes » (EPR) prévoit une intervention financière de l'État limitée au strict équilibrage des régimes de la fonction publique civile et militaire d'État (compte d'affectation spéciale « Pensions ») et des régimes spéciaux retracés au sein de la mission « Régimes sociaux et de retraite » pour lesquels il verse une subvention. Pour des raisons démographiques, cette intervention a vocation à diminuer à moyen terme. La deuxième convention comptable, « effort de l'État constant » (EEC) prévoit une intervention de l'État financière stabilisée , indépendante de la baisse annoncée des dépenses du CAS Pensions et de la mission « Régimes sociaux et de retraites » . Ainsi les moindres dépenses constatées en direction de ces deux postes budgétaires seraient intégralement réinvesties dans le système des retraites. Le Gouvernement s'appuie sur la convention EPR dans le scenario central de la réforme proposée dans le projet de loi. La rapporteure pour avis juge également que celle-ci apparaît plus cohérente au regard de l'objectif affiché par ailleurs de réduction de la dépense publique.

S'agissant des hypothèses de travail, quatre taux de croissance de la productivité du travail sont présentés dans le rapport du COR : 1,6 %, 1,3 %, 1 % et 0,7 % (cf infra ). Le Gouvernement a choisi dans son scenario central le taux de 1 % , soit le taux constaté au cours des vingt dernières années. Le taux de chômage retenu s'établit à 4,5 % à long terme , en cohérence avec l'objectif du Gouvernement de parvenir au plein emploi à l'issue du présent quinquennat.

En ce qui concerne les hypothèses démographiques , le COR se fonde, à partir des scénarios centraux développés par l'INSEE sur :

- un indicateur de fécondité à la baisse. Établi à 1,86 en 2021, contre 2 en 2014, il devrait atteindre 1,80 au cours du présent exercice. Le COR estime que le taux de vrait se maintenir à ce niveau jusqu'en 2070 ;

- une espérance de vie , qui atteindrait 31,3 ans à 60 ans en 2070 pour les femmes (27,5 ans en 2021) et 29,3 ans à 60 ans en 2070 pour les hommes (23 ans en 2021). Le COR note, à ce titre, un ralentissement : les gains atteindraient, à 60 ans, 0,2 an par décennie pour les femmes et 0,6 an pour les hommes par décennie pour l'espérance de vie contre un rythme de 1,5 à 2 ans par décennie constaté avant 2014 ;

- un solde migratoire établi, dans le scénario central, à 70 000 entrées annuelles nettes.

La rapporteure pour avis relève que certaines de ces hypothèses peuvent apparaître en décalage avec la réalité observée , qu'il s'agisse du solde migratoire, plus élevé dans les faits que le scénario central retenu ou de l'augmentation de l'espérance de vie, certaines études relevant plutôt un début de baisse de celle-ci.

Évolution de l'espérance de vie depuis 1950

(en années)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'INSEE

Elle s'inquiète surtout de l'évolution du taux de fécondité et souhaiterait qu' une partie des excédents que la réforme paramétrique pourrait dégager puisse financer des mesures réglementaires (trimestres supplémentaires) destinées à mieux prendre en compte la maternité dans le déroulé de carrière et des investissements en faveur du maintien des femmes dans l'emploi (construction de crèches par exemple).

Population par génération depuis 1945

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'INSEE

2. Le système des retraites sera déficitaire dès 2023

Le système des retraites français repose sur le principe de répartition . Aux termes de celui-ci, les cotisations prélevées sur les actifs financent les pensions versées aux retraités . Dans ces conditions, la part des ressources du système rapportée au produit intérieur brut (PIB) constitue l'indicateur le plus à même d'évaluer la soutenabilité du système des retraites. Ce taux de prélèvement a atteint 13,8 % en 2021.

Il équivalait quasiment au poids des dépenses de retraites rapportées au PIB et a donc permis au système des retraites de dégager un excédent de 900 millions d'euros. L'exercice 2022 confirme cette tendance avec un excédent annoncé de 3,2 milliards d'euros.

Solde observé du système des retraites

(en % du PIB)

Source : Conseil d'orientation des retraites, rapport de septembre 2022

Ce retour à l'équilibre après la crise Covid reste cependant précaire. Le COR estime ainsi, dans son rapport de septembre 2022, que l'exercice 2023 devrait être marqué par un retour du déficit. Dans le scenario central retenu par le Gouvernement pour sa réforme (convention EPR, croissance de la productivité du travail à long terme de 1 % et taux de chômage à long terme fixé à 4,5 %), il atteindrait ainsi 1,8 milliard d'euros à la fin de l'année et pourrait s'élever à législation inchangée, à 13,5 milliards d'euros à l'horizon 2030.

Évolution prévisionnelle du solde du système des retraites 2020-2030

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport du Conseil d'orientation des retraites de septembre 2022

Cette perspective négative ne semble pouvoir être inversée à long terme.

Solde prévisionnel du système des retraites

(en % du PIB)

Source : Conseil d'orientation des retraites, rapport de septembre 2022. Données obtenues en appliquant la convention EPR, un taux de croissance de la productivité annuelle à long terme de 1 % et un taux de chômage à long terme de 4,5 %

La dégradation du solde ne saurait en fait être contrariée qu'en cas de croissance annuelle de la productivité à long terme de l'ordre de 1,6 %, soit le taux constaté sur les quarante dernières années. Le système serait alors à l'équilibre à l'horizon 2050.

De façon contre-intuitive au regard du vieillissement constaté de la population, cette dégradation à long terme relève davantage d'un effet ressources que d'une progression incontrôlable des dépenses.

Évolution du solde, du taux de dépenses et du taux de prélèvement du système des retraites jusqu'en 2070

(en % de PIB)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport du COR de septembre 2022. Données obtenues en appliquant la convention EPR, un taux de croissance de la productivité annuelle à long terme de 1 % et un taux de chômage à long terme de 4,5 %

3. Une stabilisation relative des dépenses

Le Conseil d'orientation des retraites relève, dans son rapport de septembre dernier, que la dégradation ne relève pas d'une « dynamique non-contrôlée des dépenses ». Celles-ci devraient atteindre 13,9 % du PIB en 2027 puis 14,3 % du PIB en 2030, en retenant les paramètres du scenario du Gouvernement. Le COR met en avant, à l'inverse, une baisse du niveau relatif des pensions à long terme.

La part des dépenses du système des retraites dans le PIB devrait en effet, selon lui, diminuer, sauf dans le cas où la croissance de la productivité annuelle ne dépasserait pas 0,7 % par an, hypothèse qui n'a pas été retenue dans le scénario central du Gouvernement. Aux termes de celui-ci, la part des dépenses dans le PIB devrait atteindre 13,5 % du PIB à l'horizon 2070.

Dépenses du système de retraite en % du PIB observées et projetées

Source : Conseil d'orientation des retraites, rapport de septembre 2022

Cette évolution peut paraître paradoxale au regard de la progression attendue du nombre de pensionnés d'ici 2070. 23,1 millions de personnes seraient alors retraitées contre 18,8 millions en 2030 et 16,9 millions en 2021.

Évolution prévisionnelle du nombre de retraités entre 2021 et 2070

(en millions)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents annexés au rapport du Conseil d'orientation des retraites de septembre 2022

La stabilisation observée de la part des dépenses rapportée au PIB à long terme tient, pour l'essentiel, au décrochage du niveau des pensions par rapport à celui de la rémunération des actifs. Les arrérages sont en effet indexés sur l'inflation, leur évolution est donc moins importante que celle observée des salaires. La baisse, ces dernières années, du rendement technique du point décidé par l'AGIRC-ARRCO constitue également un facteur de ralentissement de la progression du niveau des pensions. Le gel du point d'indice de la fonction publique a également pesé sur les pensions des fonctions publiques. Le COR estime ainsi que si la pension représentait en moyenne 50,3 % des revenus d'activité en 2021 , ce ratio devrait chuter pour atteindre 36,9 % à l'horizon 2070 , dans le scenario retenu par le Gouvernement pour sa réforme.

Pension moyenne de l'ensemble des retraités, relative au revenu d'activité moyen

(en % du revenu d'activité moyen brut)

Source : Conseil d'orientation des retraites, rapport de septembre 2022

L'augmentation de l'âge de départ conjoncturel à la retraite , sous l'effet des réformes passées (relèvement de l'âge minimum de liquidation de pension de deux ans dans le cadre de la réforme de 2010, puis allongement de la durée de cotisation dans le cadre de la réforme de 2014) et du recul de l'âge d'entrée dans la vie active, contribue également à freiner la dynamique des pensions.

Cette stabilisation ne doit pas occulter par ailleurs une modification de la répartition des dépenses, avec une progression des dépenses liées au régime général.

Évolution prévisionnelle de la part des dépenses de retraites dans le PIB, réparties par régime de retraite (scenario du Gouvernement)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données annexées au rapport annuel du Conseil d'orientation des retraites de septembre 2022

La rapporteure pour avis note cependant que la progression en volume des dépenses prévue pour le quinquennat 2022-2027 (1,8 % par an) est supérieure à celle prévue pour le PIB (1,7 % par an).

4. Une baisse des ressources liée à une stabilisation du nombre de cotisants et à une réduction de l'assiette de cotisation

La diminution des ressources affectées au système peut apparaître logique au regard de la diminution du ratio démographique, qui de 2,1 cotisants pour un retraité au début des années 2000 est passé à 1,7 cotisant pour un retraité en 2020 et devrait s'établir à 1,2 cotisant pour un retraité en 2070 . Si, jusqu'en 2040, la population active est amenée à croître chaque année, la dynamique tend à s'inverser à cet horizon. Le Conseil d'orientation des retraites table ainsi sur un nombre d'actifs établi à 29,2 millions en 2070, contre 30,1 millions en 2021.

Évolution prévisionnelle de la population active

(en milliers)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents annexés au rapport du Conseil d'orientation des retraites de septembre 2022

Le COR estime néanmoins que cette dégradation serait à long terme tempérée par la baisse du niveau relatif des pensions.

Au-delà du facteur démographique, le Conseil d'orientation des retraites relève trois autres facteurs conduisant à une diminution du taux de prélèvement .

Les contributions de l'État au régime de la fonction publique sont, en premier lieu, appelées à diminuer à moyen terme, compte tenu de l'évolution démographique de ce régime et, notamment, de la baisse de l'emploi public.

La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), à laquelle cotisent les agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière, devrait également voir ses effectifs de cotisants baisser.

Il convient de rappeler à ce stade que le régime des retraites de la fonction publique d'État (taux de cotisation établi à 85,4 % pour les fonctionnaires civils et 137,2 % pour les militaires) comme la CNRACL (taux de cotisation établi à 41,75 %) bénéficient de ressources majorées, destinées à compenser le déséquilibre démographique.

Enfin, le double recul de la natalité et du chômage affaiblissent les contributions de la branche famille et de l'Unedic au système.

En retenant le scénario central du Gouvernement utilisé pour la préparation du présent projet de réforme paramétrique, le taux de prélèvement serait ramené à 13,4 % du PIB à l'horizon 2040 et à 12,7 % du PIB à l'horizon 2070.

Évolution prévisionnelle du taux de prélèvement jusqu'en 2070
dans le cadre du scenario central du Gouvernement.

(en % de PIB)

Source : commission des finances, d'après les données annexées au rapport du COR de septembre 2022

La baisse des ressources est considérée comme inévitable par le COR, indépendamment du taux de croissance de la productivité retenu.

Évolution prévisionnelle du taux de prélèvement jusqu'en 2070 (convention EPR)

(en % de PIB)

2023

2030

2040

2050

2060

2070

Taux de croissance annuelle de la productivité à 1,6 %

13,7 %

13,7 %

13,3 %

12,8 %

12,5 %

12,3 %

Taux de croissance annuelle de la productivité à 1,3 %

13,7 %

13,7 %

13,3 %

12,9 %

12,6 %

12,5 %

Taux de croissance annuelle de la productivité à 1 %

13,7 %

13,7 %

13,5 %

13,1 %

12,8 %

12,7 %

Taux de croissance annuelle de la productivité à 0,7 %

13,7 %

13,7 %

13,6 %

13,2 %

12,9 %

12,9 %

Source : commission des finances, d'après les données annexées au rapport du COR de septembre 2022

5. Un enjeu pour les finances publiques

En dépit de leur stabilité relative, les dépenses de retraite restent un enjeu en termes de finances publiques. L'absence de dérapage mise en avant par le Conseil d'orientation des retraites ne saurait, en effet, occulter l'évolution naturelle de ces dépenses, estimée à 1,8 % en volume par an sur l'actuel quinquennat .

Il convient de rappeler à ce stade que le Gouvernement s'est assigné pour objectif un déficit public établi à 2,9 % du PIB à l'horizon 2027. L'atteinte de cette cible suppose une trajectoire où les dépenses publiques ne progressent pas, en volume, de plus de 0,6 % par an.

Comme l'avait relevé, au Sénat, le rapporteur général de la commission des finances lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, en isolant les dépenses par catégorie d'administration et en les retraitant des mesures d'urgence liées aux crises sanitaire et énergétique, la progression des dépenses des administrations de sécurité sociale sur le quinquennat ne doit pas dépasser 0,8 % par an en volume, soit une progression inférieure à celle des dépenses de retraite.

Objectifs du Gouvernement d'évolution des dépenses primaires prévu au projet de loi de programmation des finances publiques retraitées des mesures de crise (sanitaire et énergétique)

(base 100 en 2022)

Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Dans ces conditions, l'évolution naturelle des dépenses de retraites - qui, il convient de le rappeler, représentent 25 % des dépenses publiques - semble incompatible avec l'objectif affiché de réduction du déficit public à l'horizon 2027, sauf à encadrer sévèrement le reste de la dépense publique, toutes administrations publiques confondues. Dans ces conditions, déterminer une cible d'évolution du solde du système des retraites relève bien, comme l'a indiqué le Comité de suivi des retraites dans son avis de septembre 2022, d'une logique d'arbitrage entre différentes catégories de dépenses publiques et ne concerne pas que le niveau des pensions.

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