II. UNE PRIORITÉ MAINTENUE SUR LES DÉPENSES DE PERSONNEL

Les crédits de masse salariale (crédits de titre 2) augmentent en 2021 de 2,02 % pour la police nationale et de 0,70 % dans la gendarmerie nationale . Comme les années précédentes, cette augmentation s'explique majoritairement par la poursuite du renforcement des effectifs et par le financement de mesures catégorielles et indemnitaires.

A. LA POURSUITE DU PLAN QUINQUENNAL DE RENFORCEMENT DES EFFECTIFS

1. Un schéma d'emplois ambitieux, en particulier dans la police nationale

La mise en oeuvre du plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes sur le quinquennat se poursuit en 2021. Les schémas d'emplois des programmes 176 et 152 prévoient ainsi la création nette de 1 145 emplois dans la police nationale et de 335 emplois dans la gendarmerie nationale .

Ces prévisions représentent un effort de recrutement conséquent , puisque, compte tenu des besoins concomitants de remplacement des départs à la retraite, 8 516 recrutements seront au total nécessaires dans la police nationale et 11 731 dans la gendarmerie nationale.

Réalisation du plan quinquennal
de renforcement des effectifs (en ETP)

Exécuté 2018

Exécuté 2019

PLF 2020

PLF 2021

Police nationale

+ 1 404

+ 1 707

+ 1 398

+ 1 145

Gendarmerie nationale

+ 475

+ 636

+ 439

+ 335

Source : commission des lois du Sénat, sur la base des RAP et des PAP.

Comme les années précédentes, ces emplois supplémentaires devraient principalement venir renforcer les effectifs de sécurité publique . De ce fait, les apports d'effectifs devraient concerner, au premier chef, le corps d'encadrement et d'application dans la police nationale (gardiens de la paix) et celui des sous-officiers dans la gendarmerie nationale.

Selon les informations communiquées au rapporteur, un effort particulier devrait également être fait sur les effectifs de la police aux frontières , notamment pour répondre aux enjeux de lutte contre l'immigration irrégulière et pour faire face aux conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Enfin, des créations de postes sont également envisagées pour accompagner la montée en puissance des services de renseignement .

2. Des doutes persistants sur la soutenabilité de la politique de recrutements massifs

Le rapporteur a, dans le cadre de ses précédents rapports, déjà eu l'occasion d'émettre des doutes quant à la soutenabilité de la politique de renforcement massif des effectifs engagée par le Gouvernement.

Dans les faits, les recrutements nécessaires pour atteindre les schémas d'emplois ont placé les dispositifs de formation sous forte tension , nécessitant, en 2017 et 2018, des aménagements de la durée de formation initiale des gardiens de la paix et des sous-officiers de la gendarmerie.

Si, comme l'a relevé la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire 5 ( * ) , « la mise en oeuvre du schéma d'emploi de la mission a suscité moins de difficulté [en 2019] », le rapporteur s'inquiète du risque d'épuisement des viviers et d'abaissement du niveau de sélection des nouvelles recrues qui pourrait en résulter . C'est, d'ailleurs, également une crainte de la direction générale de la police nationale (DGPN), qui fait état de difficultés « pour renouveler le vivier de candidats, en particulier pour le concours de gardien de la paix » et d'une « relative désaffection des candidats pour les concours internes et externes de la police nationale » 6 ( * ) .

Le plan de substitution de personnels actifs par des personnels administratifs engagé par la police nationale est de nature à fluidifier la mise en oeuvre du plan de recrutement et à alléger les dispositifs de formation, en permettant le retour sur le terrain d'agents expérimentés. Pour l'heure, les objectifs fixés - 500 substitutions par an sur la période 2018-2022 - n'ont toutefois pas été atteints (508 substitutions réalisées en 2018, mais seulement 368 en 2019).

Au-delà de ces difficultés de recrutement et de formation, rien n'indique que la politique de recrutement décidée par le Gouvernement ait eu un impact réel sur la capacité opérationnelle des forces.

À cet égard, il peut être observé que le plan quinquennal de renforcement des effectifs n'a toujours pas permis d'enrayer la dégradation du taux d'engagement des effectifs sur le terrain 7 ( * ) observée depuis plusieurs années . Cet indicateur, qui s'élevait à 39,3 % en 2011, a ainsi chuté à 36,4 % en 2019 dans la police nationale ; il est passé, sur la même période, de 68,8 % à 59,3 % dans la gendarmerie nationale.

Les responsables de programmes entendus par le rapporteur expliquent ce constat par plusieurs facteurs. Il est tout d'abord rappelé que les créations de postes réalisées n'ont pas toutes été affectées aux services de sécurité publique, mais ont, pour partie, été orientées vers des postes spécialisés (renseignement notamment).

Au demeurant, la capacité opérationnelle des forces a pâti, au cours des dernières années, des différentes réformes de l'organisation du temps de travail induites, dans la gendarmerie nationale, par l'application de la directive européenne sur le temps de travail et, dans la police nationale, par la réforme des cycles de travail engagée en 2014. Il est, à cet égard, heureux que la direction générale de la police nationale ait décidé, bien que probablement trop tardivement, d'abandonner l'expérimentation du cycle dit de la vacation forte 8 ( * ) et d'expérimenter de nouveaux cycles moins coûteux en effectifs.

3. La nécessité d'engager sans attendre d'importantes réformes structurelles, rappelée dans le nouveau Livre blanc de la sécurité intérieure

Quoi qu'il en soit, le défi capacitaire ne pourra, de l'avis du rapporteur, être résolu par le seul biais du recrutement ; il nécessite, avant toute chose, un approfondissement des réformes structurelles, seules de nature à faciliter les mutualisations et à dégager de réelles marges de manoeuvre opérationnelles.

Le Livre blanc de la sécurité intérieure publié le 16 novembre 2020 formule, à cet égard, des propositions intéressantes, qui, pour une partie d'entre elles, reprennent des recommandations soutenues par le Sénat depuis plusieurs années.

Il en est notamment ainsi de la rationalisation de l'organisation et des modalités de gouvernance de la police nationale , dont la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure 9 ( * ) dénonçait, en 2018, le fonctionnement « en tuyaux d'orgue ». Il est heureux que le sujet soit évoqué dans le cadre du Livre blanc, au travers de plusieurs pistes de réformes.

Pour sa part, le rapporteur se prononce en faveur d'une réforme profonde de la police nationale, qui consisterait à généraliser, à l'ensemble du territoire national, le modèle des directions territoriales de la sécurité expérimenté depuis quelques mois dans certaines collectivités d'outre-mer. Ce modèle permettrait de se rapprocher des modalités d'organisation et de commandement de la gendarmerie nationale, qui garantissent la définition d'une stratégie unique sur un territoire et une meilleure mutualisation des moyens.

Dans la même ligne, la rationalisation, au sein de la police nationale, des unités de sécurité publique est également une piste qui, de l'avis du rapporteur, mériterait d'être étudiée afin de limiter la dilution des effectifs.

L'expérimentation des directions territoriales de la police nationale

Depuis le 1 er janvier 2020, une réforme de l'organisation déconcentrée de la police nationale est en phase d'expérimentation à Mayotte, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.

Dans chacune de ces collectivités a été instituée une direction territoriale de la police nationale , qui s'est substituée aux différentes directions métiers (sécurité publique, police aux frontières, police judiciaire, etc.).

Cette réforme poursuit trois objectifs :

- améliorer l'efficacité opérationnelle des forces à effectifs constants et mutualiser les fonctions transversales (formation, recrutement, etc.) ;

- améliorer l'efficacité de la gouvernance territoriale, au bénéfice d'une stratégie de sécurité unique adaptée au territoire ;

- améliorer la communication sur l'action policière

Le premier bilan de cette expérimentation est positif . Selon les informations transmises par la DGPN, « la réforme fait l'objet d'un consensus auprès des autorités judiciaires et administratives des trois territoires concernés, tout comme des élus locaux. [...] Les résultats opérationnels apparaissent également prometteurs et démontrent l'intérêt de la création des DTPN , notamment dans la lutte contre l'immigration irrégulière mais également en termes de présence sur la voie publique » 10 ( * ) .

L'allègement des tâches de procédure pénale continue, par ailleurs, de figurer, à juste titre, parmi les principales priorités pour renforcer la présence policière sur le terrain. Au-delà des réformes législatives déjà conduites, d'importantes attentes sont placées sur le nouveau logiciel de rédaction des procédures de la police nationale, SCRIBE, dont il est essentiel que le déploiement, annoncé pour la fin de l'année 2021, puisse intervenir le plus rapidement possible.

Enfin, il peut être pris acte du souhait du ministère de l'intérieur de poursuivre la réduction des missions périphériques , qui recouvrent, pour l'essentiel, des missions historiquement affectées aux forces de sécurité en raison de leur grande disponibilité, mais qui sont aujourd'hui considérées par les personnels comme des « tâches indues » les éloignant de leur coeur de métier.

Si le constat est partagé, il importe que cette volonté, maintes fois réaffirmée au niveau politique, se traduise enfin dans la pratique . Force est en effet de constater que les engagements pris en début de quinquennat dans le cadre du déploiement de la police de sécurité du quotidien n'ont donné lieu, à ce jour, qu'à des résultats très décevants. Dans la police nationale, le volume des missions périphériques était ainsi évalué, en 2019, à 9 % de l'activité totale, un taux équivalent à celui de l'année 2017 11 ( * ) . La situation est meilleure dans la gendarmerie nationale, au sein de laquelle ce taux est passé de 4,08 % en 2017 à 3 % en 2019.

Pour ce faire, le rapporteur estime souhaitable qu'un pilotage étroit soit mis en place au plus haut niveau du ministère de l'intérieur. Il observe, par ailleurs, que la montée en puissance des autres acteurs de la sécurité , appelée de ses voeux par le Livre blanc et envisagée dans les textes législatifs en cours d'examen au Parlement 12 ( * ) , constitue une opportunité de favoriser le renforcement de la capacité opérationnelle des forces de sécurité nationale et de les recentrer sur leurs missions essentielles.


* 5 Cour des comptes, Note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission Sécurités en 2019.

* 6 Réponses aux questionnaires budgétaires.

* 7 Le taux d'engagement des effectifs sur le terrain est un indicateur de performance commun aux programmes 176 « Police nationale » et 152 « Gendarmerie nationale ». Il mesure le nombre d'heures consacrées par les agents hors des locaux à l'effectif réellement disponible.

* 8 L'organisation des temps de travail au sein de la police nationale a fait l'objet, à compter de 2016, d'une importante réforme, impulsée par deux mouvements concomitants : d'une part, la nécessité de mise en conformité des rythmes de travail des agents avec la législation européenne ; d'autre part, les conséquences de la concertation sociale engagée en 2014 au sein de la police nationale. A été expérimenté, dans certains services de sécurité publique, un cycle dit de la vacation forte, qui repose sur trois vacations consécutives de matin ou d'après-midi, suivies de deux jours de repos. Très prisé par les policiers, ce cycle était toutefois très coûteux en effectifs.

* 9 Rapport n° 612 (2017-2018) de M. François Grosdidier, fait au nom de la commission d'enquête relative à l'état des forces de sécurité intérieure, déposé le 27 juin 2018. Ce rapport peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r17-612-1/r17-612-1.html .

* 10 Réponses aux questionnaires budgétaires.

* 11 Indicateurs de performances figurant dans les rapports annuels de performance annexés, chaque année, au projet de loi de règlement.

* 12 Proposition de loi relative à la sécurité globale de M. Jean-Michel Fauvergue et Mme Alice Thourot, déposée à l'Assemblée nationale le 20 octobre 2020.

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