III. LA POLITIQUE DE NUMÉRISATION DES COMMERÇANTS ET ARTISANS DE PROXIMITÉ DOIT INSTAMMENT CHANGER D'ÉCHELLE
Compte tenu de l'importance croissante dans le débat public du sujet de la numérisation des PME, le rapporteur a souhaité porter son attention plus particulièrement sur :
• le soutien financier direct apporté aux entrepreneurs qui souhaitent prendre le virage du numérique ;
• le fonctionnement de l'initiative France Num, sur laquelle s'appuie le Gouvernement pour promouvoir sa politique en la matière.
A. UNE PRISE EN COMPTE TARDIVE MAIS RÉELLE DE L'IMPÉRATIF DE NUMÉRISATION DES COMMERÇANTS ET ARTISANS, QUI DOIT ENCORE ÊTRE COMPLÉTÉE D'UN VOLET FINANCIER POUR RÉELLEMENT ASSURER SON ESSOR
1. Un retard préjudiciable de numérisation, largement documenté
Les PME françaises n'ont pas encore pris le virage de la numérisation, que ce soit pour des raisons objectives comme le coût financier des équipements et de la formation, ou subjectives comme le sentiment que cette transformation n'est pas urgente. Selon Bpifrance, « un dirigeant sur cinq considère que le temps de se transformer n'est pas venu. 45 % des dirigeants interrogés n'ont pas de vision de cette transformation de leur entreprise ; 87 % n'en font pas une priorité stratégique. Et ils sont encore 47 % à considérer que l'impact du digital sur leur activité ne sera pas majeur à cinq ans 23 ( * ) ».
Ainsi que l'ont montré les travaux récents de la Délégation aux entreprises du Sénat 24 ( * ) , l'écart entre les attentes des consommateurs et l'offre de ces PME grandit, puisque désormais 70 % des consommateurs achètent et paient en ligne, tandis que 12,5 % seulement des PME vendent en ligne.
Or si l'intérêt de la transformation numérique pour l'économie de proximité était déjà démontré avant le confinement, ce dernier l'a soudainement et fortement renforcé. Être visible sur internet et/ou développer des solutions de commande-retrait a en effet permis aux commerces non-alimentaires de compenser partiellement leur perte d'activité, parfois jusqu'à 25 %.
Le deuxième confinement, qui plus est à l'approche des fêtes de Noël, est une période charnière pour la survie de l'économie de proximité (stocks élevés, trésorerie déjà faible, loyers à régler, hausse de l'endettement). L'urgence d'aider efficacement ces entrepreneurs à prendre le virage du numérique n'a jamais été aussi forte, afin d'atténuer, autant que faire se peut, la chute du chiffre d'affaires et de renforcer structurellement à moyen terme leur compétitivité.
2. Un renforcement de la formation et de l'accompagnement des PME en matière de numérique, mais qui ne peut suffire sans un réel volet financier
a) L'importance de la numérisation des PME semble enfin actée par l'exécutif
Dans l'objectif d'accélérer cette numérisation, le Gouvernement a annoncé une série de mesures dans le cadre du plan de relance et du présent PLF :
• le recensement, sur un site internet dédié 25 ( * ) , de solutions numériques leur permettant par exemple de rejoindre une place de marché locale, de mettre en place une solution de logistique et de livraison, ou de créer un site internet. Les prestations référencées sur ce site sont gratuites d'accès pendant la durée du confinement ;
• une campagne de sensibilisation des entreprises (60 000 entreprises contactées par le réseau consulaire d'ici la fin de l'année, diffusion d'un guide pratique) ;
• une accélération du lancement des dispositifs d'accompagnement et de formation à la numérisation des entreprises (10 000 diagnostics approfondis proposés par le réseau consulaire devant débuter avant 2021, lancement de formations-actions gratuites pour lesquelles 26 millions d'euros sont prévus, lancement d'un MOOC « numériser ma TPE ») ;
• une aide forfaitaire de 500 euros, à destination des entreprises fermées administrativement, afin de couvrir une partie des coûts liés au lancement d'une activité en ligne ( cf. supra ) ;
• l'exclusion du chiffre d'affaires réalisé en commande-retrait du calcul de l'aide accordée au titre du Fonds de solidarité, afin d'inciter les entreprises à privilégier ce canal de ventes ;
• comme vu supra , un ensemble d'actions collectives à destination des collectivités, notamment sous forme de subventions pour mettre en place des plateformes locales.
Le rapporteur, à l'instar des acteurs entendus, salue ces annonces, qui témoignent que la numérisation des PME, longtemps parent pauvre de la politique de compétitivité, est désormais reconnue comme un sujet d'importance cruciale pour la survie de l'économie de proximité face à certains acteurs, notamment extra-européens.
b) Le virage du numérique risque pourtant de rester un voeu pieu sans une aide massive au financement de la formation et des équipements
Le rapporteur regrette que les annonces multiples, parfois novatrices, concernent quasiment toutes les trois mêmes axes : la sensibilisation, les diagnostics de numérisation, et la formation-accompagnement sous forme de « conseils ». Ils sont certes nécessaires mais ne peuvent suffire. L'ensemble des travaux en la matière conclut en effet que, au-delà des problématiques de formation ou de diagnostic, le coût financier que représente le virage numérique, surtout pour les plus petites entreprises, est un frein majeur à leur numérisation.
Certes une aide forfaitaire de 500 euros a été créée, mais :
• son périmètre sera circonscrit aux entreprises contraintes administrativement de fermer et n'ayant aucune présence sur internet (sans que ne soient indiqués les critères pour qualifier cet aspect). Seules 120 000 entreprises, dans l'hypothèse où l'enveloppe est entièrement consommée, pourront en bénéficier, ce qui ne semble pas à la hauteur des enjeux, ainsi que l'ont confirmé au rapporteur plusieurs acteurs entendus qui souhaitent un élargissement de la cible ;
• il s'agit d'une aide financée par un redéploiement ponctuel de crédits depuis le Fonds de solidarité, crédits qui devraient ensuite être reversés vers le Fonds en 2021, selon les services du ministère. Il ne s'agit donc pas d'une ouverture nette de crédits, mais d'une baisse temporaire des fonds dédiés à la compensation de perte d'activité ;
• en outre, elle ne concerne pas la participation des entreprises à la formation au numérique des salariés, qui devrait pourtant être reconnue comme une contribution à une mission d'intérêt général, ainsi que l'a proposé récemment 26 ( * ) la sénatrice Mme Pascale Gruny au nom de la Délégation aux entreprises du Sénat.
Le risque est donc réel que les entreprises de l'économie de proximité aient une bonne connaissance de leurs insuffisances numériques, grâce aux diagnostics, tout en ne disposant pas des moyens financiers d'y remédier. Tant le réseau consulaire que la CPME ont ainsi confirmé au rapporteur que le volet financier de la numérisation des PME restait un angle mort de cette politique publique, alors même qu'il est le plus attendu.
Du fait de la multiplication des outils (diagnostics, formations individuelles ou collectives, conseils, chèque numérique) et des acteurs (site du ministère, réseau consulaire, régions et communes, entreprises privées, France Num, plateformes locales), un fort besoin de simplicité et de clarté est exprimé par les entrepreneurs. Un dispositif fiscal simple, à leur main, aiderait à réellement faire « décoller » la politique de numérisation.
Sur proposition du rapporteur pour avis, la commission a adopté à l'unanimité un amendement créant un crédit d'impôt de 50 % des dépenses de formation et d'équipement engagées par les PME, dans la limite de 10 000 euros par an. Cette initiative a reçu le soutien d'une grande partie des membres de la délégation aux entreprises du Sénat, présidée par ailleurs par le rapporteur.
La politique des « petits pas » en la matière ne saurait suffire, tant le retard accumulé est important.
* 23 Bpifrance Le Lab, communiqué de presse, 4 octobre 2019, « Histoire d'incompréhension : les dirigeants de PME et ETI face au digital ».
* 24 Rapport d'information n° 635 fait au nom de la délégation aux entreprises, « Accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard ? », présenté par Mme Pascale Gruny, 4 juillet 2019.
* 25 www.clique-mon-commerce.gouv.fr
* 26 Rapport d'information n° 635 fait au nom de la Délégation aux entreprises du Sénat sur l'accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard ? par Mme Pascale Gruny.