E. UNE ACTIVITÉ JURIDICTIONNELLE TOUJOURS TRÈS SOUTENUE DANS UN CONTEXTE INTENSE DE RÉFORMES
Les délais de traitement des affaires demeurent, pour les dernières données connues, à un niveau trop élevé.
En matière civile, il faut toujours près de 10,5 mois en 2018 pour voir son affaire traitée . Votre rapporteur observe que le projet annuel de performance agrège opportunément de manière anticipée les délais des tribunaux de grande instance avec ceux des tribunaux d'instance au prétexte de la création du tribunal judiciaire au 1 er janvier 2020. Ce faisant, cela permet de baisser sans aucun doute le délai affiché de traitement, puisque les tribunaux d'instance ont un délai moyen de traitement des affaires de 6,5 mois. Il conviendra donc de suivre l'évolution de ce délai.
Votre rapporteur constate en outre, comme l'année dernière, une dégradation des délais de traitement des affaires pénales . Ainsi, le délai moyen de jugement des crimes s'élève, en première instance, à 42,2 mois en 2018 contre 40,5 mois en 2017.
En matière civile, près de 1,78 million d'affaires nouvelles ont été portées devant les tribunaux et les cours d'appels en 2018, tandis qu'en matière pénale, sur les 4,18 millions d'affaires traitées par les parquets, 1,3 million étaient poursuivables 12 ( * ) et 610 475 ont effectivement fait l'objet de poursuites 13 ( * ) .
Dans ce contexte, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice met en oeuvre de nombreuses réformes tant sur le plan de l' organisation judiciaire que sur le fond du droit .
Sur le fond du droit, en matière pénale, l'échelle des peines correctionnelles est modifiée et devrait entrer en vigueur en mars 2020. En matière civile, la procédure devrait aussi être largement revue - notamment l'introduction de l'instance - pour entrer en vigueur en même temps que le nouveau tribunal judiciaire, au 1 er janvier 2020.
Le programme des réformes à mettre en oeuvre en matière d'organisation judiciaire est particulièrement conséquent : expérimentation de cours criminelles départementales depuis septembre dernier, création du tribunal judiciaire, spécialisation des juridictions en première instance et en appel ainsi que révision de l'implantation des cabinets d'instruction sur le territoire.
S'agissant du tribunal judiciaire , votre rapporteur attire l'attention sur l'article L. 212-8 du code de l'organisation judiciaire qui dispose que « le tribunal judiciaire peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres de proximité dénommées « tribunaux de proximité », dont le siège et le ressort ainsi que les compétences matérielles sont fixées par décret ». Ainsi, la loi donne au pouvoir réglementaire la faculté de créer, s'il le souhaite, des chambres de proximité , sans en faire une obligation.
Toutefois, conformément à son annonce de ne pas modifier les implantations judiciaires existantes pour répondre au besoin de proximité et d'accessibilité de la justice, le Gouvernement a fait paraître le 1 er septembre 2019 14 ( * ) un décret désignant comme chambres de proximité l'ensemble des tribunaux d'instance existants à ce jour, situés en dehors de la ville du siège du tribunal de grande instance.
La garde des Sceaux a aussi précisé lors de son audition par votre commission que la spécialisation des juridictions de première instance ne se fera pas en même temps que l'entrée en vigueur du tribunal judiciaire. Votre commission veillera à ce que cette spécialisation ne conduise pas à dévitaliser certaines juridictions .
Enfin, la révélation par la presse d'une note du cabinet de la garde des Sceaux, dont l'existence n'a pas été démentie par la ministre lors de ces deux auditions par la commission des lois, a jeté le trouble sur les conditions dans lesquelles la suppression des cabinets des juges d'instruction serait décidée par le Gouvernement et sur l'objectivité des critères retenus. Tous nos collègues ont unanimement regretté l'existence même de cette note à l'instar de notre collègue Antoine Lefèvre, qui n'a pas accepté d'approuver les crédits de la mission « Justice » pour cette raison 15 ( * ) .
Les principales réformes d'organisation judiciaire prévues par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice Le tribunal judiciaire (articles L. 211-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire) La fusion, au 1 er janvier 2020, des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance permet la création du tribunal judiciaire. Les tribunaux d'instance qui ne sont situés dans la même ville que le tribunal de grande instance peuvent devenir des chambres de proximité, dénommées « tribunaux de proximité ». Les tribunaux d'instance situés dans la même ville que le tribunal de grande instance de leur ressort deviennent eux une simple implantation immobilière de ce dernier. À cette date, l'organisation judiciaire de première instance sera formée de 164 tribunaux judiciaires dont dépendront 125 chambres de proximité (contre 285 tribunaux d'instance aujourd'hui). Au sein de chaque tribunal judiciaire et de ses chambres de proximité, siègera un juge spécialisé, le juge des contentieux de la protection, en charge des matières antérieurement dévolues aux juges d'instance, à l'exception des élections professionnelles (tutelles, baux d'habitation, surendettement, crédit à la consommation). La saisine de la juridiction devrait ainsi être simplifiée pour le justiciable, qui ne pourra se voir opposer l'incompétence en cas d'erreur de saisine au sein du même arrondissement judiciaire. La spécialisation des juridictions en première instance (article L. 211-9-3 du code de l'organisation judiciaire) Parallèlement à cette réorganisation autour des tribunaux judiciaires, il est prévu une nouvelle répartition territoriale des contentieux en première instance, pour renforcer la spécialisation des magistrats sur les contentieux les plus techniques, remédier aux situations d'isolement de certains juges et garantir une justice de qualité. Ainsi, lorsqu'il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un département, certains d'entre eux pourront être spécialement désignés par décret pour connaître seuls, dans l'ensemble de ce département - ou dans certaines conditions, dans deux départements - de matières civiles ou de certains délits et contraventions. La liste a été déterminée par un décret en Conseil d'Etat publié le 1 er septembre 2019 16 ( * ) . Le choix des matières de spécialisation a été effectué, selon les termes mêmes de la loi, en prenant en compte le « volume des affaires concernées » et la « technicité » de ces matières. Figurent par exemple parmi ces matières : les actions relatives aux baux commerciaux ou à la responsabilité médicale en matière civile et les délits et contraventions prévus et réprimés par le code du travail ou de la sécurité sociale en matière pénale. Le choix des tribunaux judiciaires spécialisés 17 ( * ) pourra résulter d'une proposition du premier président de la cour d'appel et du procureur général près cette cour, après avis des chefs de juridiction et consultation des conseils de juridiction concernés. La rationalisation des pôles de l'instruction (article 52-1 du code de procédure pénale) Certains tribunaux judiciaires pourront être privés de juge d'instruction, chaque département devant toutefois en conserver un au minimum. Cette mesure vise à éviter les situations d'isolement de certains juges d'instruction et faciliter les co-saisines. Il semble que le volume des affaires concernées sera également pris en compte même si cela n'apparaît pas expressément dans la loi : le choix devrait être effectué parmi les 72 tribunaux de grande instance au sein desquels il n'y a actuellement qu'un juge d'instruction. Une même mesure est prévue pour les juges de l'application des peines parmi environ 55 tribunaux de grande instance au sein desquels un seul emploi de juge de l'application des peines est localisé. L'expérimentation de la spécialisation en matière civile en appel (article 106 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice) Deux cours d'appel pourront, pour une durée de trois ans, être spécialement désignées par décret pour juger, sur le ressort de plusieurs cours d'appel d'une même région, les recours contre les décisions des juridictions de première instance rendues dans certaines matières civiles fixées par décret en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières. Le décret devrait être prochainement publié et un début d'expérimentation en janvier 2020 est envisagé. Les cours d'appel de Rouen, Caen, Douai et Amiens sont pressenties pour expérimenter la spécialisation. L'expérimentation des cours criminelles (article 63 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice) Ces cours criminelles sans jury sont compétentes pour juger, en première instance - à la place de la cour d'assises - les majeurs ayant commis un crime puni de quinze ans 18 ( * ) ou de vingt ans 19 ( * ) de réclusion criminelle lorsqu'il n'est pas commis en état de récidive légale. Elles sont créées à titre expérimental pour trois ans, dans l'objectif de lutter contre l'engorgement des cours d'assises et la correctionnalisation d'affaires criminelles graves, notamment les viols. La réforme vise aussi à une réduction de la durée des débats par rapport à ceux qui se déroulent devant une cour d'assises avec jurés. À cet effet, la cour criminelle n'est composée que de professionnels et le dossier de la procédure sera à leur disposition pendant le délibéré. La procédure suivie est cependant la même que celle existant devant la cour d'assises, conservant le principe d'oralité des débats. Sept cours criminelles ont été créées dans les départements suivants : Ardennes, Calvados, Cher, Moselle, Réunion, Seine-Maritime et Yvelines 20 ( * ) . Les premières audiences se sont tenues à compter du 1 er septembre 2019. |
* 12 Les autres affaires n'étaient pas poursuivables soit en raison de l'absence d'infraction ou de charges insuffisantes (19 %), soit en raison d'un défaut d'élucidation (81 %).
* 13 Le reste des affaires poursuivables a connu l'une des trois issues suivantes : classement sans suite pour inopportunité des poursuites (12,3 %), procédure alternative aux poursuites réussies (36,3 %), composition pénale réussie (4,9 %).
* 14 Décret n° 2019-914 du 30 août 2019 modifiant le code de l'organisation judiciaire et portant diverses adaptations pour l'application de l'article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
* 15 Compte rendu de la réunion du 29 octobre 2019 de la commission des finances, projet de loi de finances pour 2020 - Mission » Justice » - Examen du rapport spécial, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20191028/fin.html#toc3
* 16 Décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le code de l'organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
* 17 Le décret désignant les tribunaux judiciaires spécialisés n'est pas encore paru.
* 18 Les crimes concernés sont, notamment, les actes de torture ou de barbarie non aggravés, les viols non aggravés, les violences mortelles sans intention de donner la mort non aggravés (appelés « coups mortels «), les extorsions non aggravées.
* 19 Ceux punis d'une peine de vingt ans de réclusion criminelle sont notamment certains actes de torture et de barbarie aggravés, les coups mortels aggravés, les viols aggravés, les enlèvements et séquestrations non aggravés, les vols avec arme et les extorsions aggravées.
* 20 Arrêté du 25 avril 2019 relatif à l'expérimentation de la cour criminelle.