B. ... MAIS SANS AMBITION FACE À DES DÉFIS POURTANT CRUCIAUX.

1. L'effort de recherche dans notre pays est toujours insuffisant

En février dernier, le Premier ministre a lancé la gestation d'un projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Trois groupes de travaux ont remis leurs rapports sur le financement de la recherche, sur l'emploi et les carrières et sur la recherche partenariale et l'innovation en septembre dernier. À ce jour, aucun calendrier n'est clairement établi. Tous les acteurs sont en attente d'une ambition claire pour l'avenir de la recherche dans notre pays . Ils ne la trouveront pas dans le budget.

L'enjeu est de taille : l'effort de recherche de la France n'a pas évolué depuis plus de trente ans . En effet, la dépense intérieure de R&D (DIRD) 14 ( * ) oscille depuis les années 1990 autour de 2,25 % du PIB (2,21 % en 2017), loin de l'objectif collectivement fixé en Europe dès le début des années 2000 : parvenir à 3 % du PIB. Pis, en 2017, l'effort de recherche a diminué dans notre pays, à 2,21 % du PIB 15 ( * ) . Pourtant, l'Allemagne dépasse les 3 % du PIB comme la Suède, la Finlande, la Suisse, et l'Autriche en Europe. La France est seulement le 13 e pays du monde sur cet indicateur 16 ( * ) !

En valeur , la situation de la France comparée à l'Allemagne est encore plus délicate : la DIRD française est plus de deux fois inférieure à la DIRD allemande : 65,267 milliards de dollars en 2017 pour la première contre 132 milliards de dollars pour la seconde. Cela ne reflète pas la comparaison du PIB de nos deux pays, puisque celui de l'Allemagne n'était la même année qu'1,4 fois plus élevé que celui de la France.

Il y aura donc du chemin à parcourir par la loi de programmation de la recherche pour hisser notre pays à la hauteur. La contribution publique aux dépenses de R&D s'élève à 0,78 % en France contre 0,93 % en Allemagne 17 ( * ) . Elle devrait tendre vers 1 % du PIB. Il faudra probablement lier la hausse des budgets publics à un assouplissement des règles régissant les organismes de recherche afin de renforcer leurs performances scientifiques et l'attractivité des carrières.

Mais la différence de performance entre la France et les pays comparables provient surtout de la recherche privée : les entreprises allemandes financent davantage la R&D que les entreprises françaises (66,2 % des dépenses intérieures de R&D contre 56,1 %). Il est généralement admis que ce « retard » français est attribuable à la structure sectorielle de l'économie, autrement dit, au recul de l'industrie dans notre production de richesse 18 ( * ) . Mais, outre la politique industrielle, la politique de recherche et d'innovation peut inciter la recherche publique à travailler avec le privé. L'un des enjeux de la loi de programmation sera de poursuivre le renforcement de ces liens et d'accroître la dynamique visant à passer du laboratoire au produit.

Le rapporteur estime que la feuille de route est claire : porter la part publique de financement de la recherche à 1 % du PIB et la part privée à 2 % du PIB .

2. Des politiques de recherche et d'innovation de moins en moins lisibles.

Les dépenses publiques de recherche et d'innovation dans notre pays sont éclatées entre de nombreux tuyaux budgétaires.

Au sein du budget de l'État, il faut ajouter à la Mires le budget de la défense pour la R&D 19 ( * ) , dont les investissements sont désormais orientés par une Agence de l'innovation de défense. Il atteint 1 milliard d'euros en AE, conformément à la loi de programmation militaire de 2018.

Les dépenses du troisième programme d'investissements d'avenir sont également intégrées au budget de l'État, dans une mission dédiée, qui bénéficie cette année de 2,1 milliards d'euros de crédits de paiement pour des dépenses plus ou moins liées à la recherche et à l'innovation. La plupart des dépenses financées par cette mission relèvent de la Mires ou de la mission Économie. C'est un premier élément de complexité qui porte atteinte à la lisibilité du budget . Or, rapporté à la part « recherche » de la Mires, les dépenses du PIA 3 représentent une part de plus en plus significative ces dernières années, passant de 2,5 % en 2017 à 6,8 % en 2019 20 ( * ) ...

Vers un PIA 4 ?

Une évaluation du premier volet du PIA est actuellement menée afin de mesurer ses impacts aussi bien économiques que sociétaux et environnementaux, et sa gouvernance. Une décision de lancement d'un éventuel PIA 4 pourrait être prise à la lumière des résultats de cette évaluation, attendus d'ici la fin de l'année.
Il convient cependant de noter que, au deuxième trimestre 2019, 13,6 milliards d'euros sur les 57 milliards d'euros des trois plans n'ont pas encore été contractualisés, et seuls 40 % des crédits ont été décaissés.

Au-delà du budget, un nouveau véhicule financier non identifié est né en 2018 : le fonds pour l'industrie et l'innovation (FII). Il est censé financer chaque année 250 millions d'euros de dépenses en faveur de l'innovation. Or, la plupart de ces dépenses relèvent soit de la Mires soit de la mission Économie, en particulier s'agissant des plans pour l'intelligence artificielle et Nano 2022.

Plan Nano 2022 et plan pour l'intelligence artificielle : deux exemples de l'éparpillement des outils financiers mobilisés par l'État

Le plan pour l'intelligence artificielle annoncé l'année dernière, doté de plus d'1,5 milliard d'euros sur le quinquennat et dont le rapporteur Daniel Dubois avait analysé les prémices, est financé par différentes missions budgétaires (dont la Mires pour ce qui est de la contribution d'organismes de la recherche publique), le PIA, le FII et le fonds de transformation de l'action publique (FTAP). Dans la mesure où il s'agit d'un enjeu absolument crucial pour la compétitivité de notre économie à long terme si nous ne voulons pas être dépassés, une annexe de suivi de ce plan devrait être fournie aux parlementaires dans le cadre de l'examen des lois de finances.

Le plan Nano 2022 est également financé par la Mires, le PIA et le FII. Pis, le FII vient, au final, abonder le programme 192 par le biais d'un fonds de concours. Ou comment des dépenses débudgétisées se retrouvent au final dans le budget général !

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Il s'agit donc d'un instrument de débudgétisation qui, afin de soustraire cette somme de toute velléité future de coupe budgétaire, la soustrait également au contrôle du Parlement. Le rapporteur partage ainsi les critiques émises par Alain Chatillon, dans son rapport pour avis sur le compte d'affectation spéciale « participation financières de l'État ».

Il semble d'ailleurs que le Gouvernement a déjà modifié la doctrine d'intervention du fonds. La répartition communiquée au Parlement était jusqu'ici décrite comme suit : 150 millions d'euros pour financer des « grands défis » identifiés par le Conseil de l'innovation ; 70 millions d'euros pour financer le plan de soutien aux entreprises très innovantes géré par Bpifrance (plan « deep tech » ) ; 25 millions d'euros pour financer le plan de soutien à la filière nanoélectronique Nano 2022 ; 5 millions d'euros affectés à la discrétion du Conseil de l'innovation. Désormais, la répartition serait celle-ci : s'ajouteraient aux 70 millions d'euros du plan deep tech une enveloppe variable de 90 à 120 millions d'euros par an consacrée au financement de Grands défis et une enveloppe variable de 60 à 90 millions d'euros pour soutenir des filières stratégiques à travers le plan Nano 2022 et le nouveau venu de l'année 2019 : le plan batteries électriques 21 ( * ) .

Le rapporteur souligne à nouveau cette année l'importance de rendre compte chaque année au Parlement de l'utilisation de ces crédits extra-budgétaires , a minima dans l'une des annexes au projet de loi de finances déjà existantes.

Par ailleurs, ces dispositifs sont mis en oeuvre par une multiplicité de structures qui ont toutes des circuits de décision et des méthodes différentes : les ministères, le secrétariat général pour l'investissement, le Conseil de l'innovation, Bpifrance, l'Agence nationale de la recherche...
Le rapporteur estime qu' une rationalisation s'impose . C'est un enjeu démocratique, celui de la transparence des fonds publics, mais aussi économique : comment rendre efficaces des dépenses dont personne ne parvient vraiment à effectuer le suivi ?

En somme, en additionnant la totalité des crédits mobilisés par l'État pour le financement plus ou moins direct de la recherche et l'innovation, on atteint un total de près de 19 milliards d'euros 22 ( * ) .

S'ajoutent également aux dépenses de l'État celles :

- des collectivités territoriales : elles ont déclaré affecter un budget de 958 millions d'euros en 2017 aux opérations de recherche et de transfert de technologie (R&T). 70 % de cette dépense provient des régions (674 millions d'euros), 7 % des départements (69 millions d'euros) et 22 % des communes et EPCI (215 millions d'euros) ;

- de l'Union européenne : les programmes cadres européens de R&D (PCRD) constituent le principal instrument de financement de la recherche et de l'innovation à l'échelle du continent. En moyenne depuis 2015, les équipes de recherche françaises sont parvenues à obtenir 997 millions d'euros de financement par an (58 % obtenus par des équipes de recherche publiques, 36 % par des équipes de recherche privées). Le plan d'action national en vue d'accroître la participation des chercheurs français aux appels à projets européens déjà décrit l'année dernière est particulièrement bienvenu : notre manque à gagner est de l'ordre 600 millions d'euros par an !

En somme, en additionnant la totalité des crédits publics reçus pour financer la recherche et l'innovation en France, on atteint un montant d'environ 21 milliards d'euros. Une description claire de ces différentes strates mériterait de figurer dans le jaune budgétaire relatif aux politiques nationales de recherche et de formations supérieures.


* 14 Dépenses engagées pour des travaux de R&D exécutés sur le territoire national quelle que soit l'origine des fonds. Sauf indication contraire, les chiffres ci-dessous sont issus du jaune budgétaire sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures.

* 15 Contre 2,22 % en 2016.

* 16 Chiffres de l'Unesco cité dans le rapport du groupe de travail sur le financement de la recherche dans le cadre de la préparation de la loi de programmation de la recherche.

* 17 Source : rapport du groupe de travail sur le financement de la recherche.

* 18 En 2013, la Cour des comptes estimait que « si la France avait la structure industrielle de l'Allemagne tout en gardant l'intensité de recherche des entreprises situées en France, l'effort de recherche du secteur privé atteindrait 2,75 % du PIB français, et serait donc bien supérieur à celui de l'Allemagne (1,91 %) » (Cour des comptes, Le financement public de la recherche, un enjeu national , Rapport public thématique, juin 2013).

* 19 Mission « Défense », programme 144, action n° 7, sous-action n°3.

* 20 Estimation effectuée en additionnant les programmes 421 et 422 du PIA 3.

* 21 Le président de la République a annoncé, en février dernier, un investissement de 700 millions d'euros au cours des cinq prochaines années pour le développement d'une filière européenne de la batterie aux côtés de l'Allemagne, qui investirait 1,12 milliard d'euros.

* 22 L'exercice est nécessairement approximatif en raison de l'opacité de certaines dépenses et de la difficulté de délimiter clairement ce qui relève de la recherche et de l'innovation.

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