N° 515

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mai 2019

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , relatif à l' organisation et à la transformation du système de santé ,

Par M. Jean-François LONGEOT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Hervé Maurey , président ; M. Claude Bérit-Débat, Mme Pascale Bories, MM. Patrick Chaize, Ronan Dantec, Alain Fouché, Guillaume Gontard, Didier Mandelli, Frédéric Marchand, Mme Nelly Tocqueville, M. Michel Vaspart , vice-présidents ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Jean-François Longeot, Cyril Pellevat , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Jérôme Bignon, Joël Bigot, Jean Bizet, Jean-Marc Boyer, Mme Françoise Cartron, MM. Guillaume Chevrollier, Jean-Pierre Corbisez, Michel Dagbert, Michel Dennemont, Mme Martine Filleul, MM. Jordi Ginesta, Éric Gold, Mme Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Benoît Huré, Olivier Jacquin, Mme Christine Lanfranchi Dorgal, MM. Olivier Léonhardt, Jean-Claude Luche, Philippe Madrelle, Pierre Médevielle, Louis-Jean de Nicolaÿ, Jean-Jacques Panunzi, Philippe Pemezec, Mme Évelyne Perrot, M. Rémy Pointereau, Mme Angèle Préville, MM. Jean-Paul Prince, Christophe Priou, Mme Françoise Ramond, M. Charles Revet, Mmes Nadia Sollogoub, Michèle Vullien .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

1681 , 1762 , 1767 et T.A. 245

Sénat :

404 et 516 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mardi 21 mai 2019 sous la présidence de M. Hervé Maurey, président, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a examiné le rapport pour avis de M. Jean-François Longeot sur le projet n° 404 relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé et adopté 30 amendements portant sur 18 articles.

Ce texte, déposé à l'Assemblée nationale le 13 février dernier et transmis au Sénat le 26 mars dernier, vise à traduire le volet législatif du plan « Ma Santé 2022 » , présenté par le Président de la République le 13 septembre 2018.

Lors de cette réunion, la commission pour avis a rappelé l'attention qu'elle porte depuis sa création à la problématique des inégalités territoriales dans l'accès aux soins, caractérisées sous le vocable de « déserts médicaux ». La majorité des commissaires, toutes sensibilités politiques confondues, a tenu à marquer son attachement au principe d'égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire et à la mise en oeuvre de mesures de nature à mieux réguler la répartition géographique des professionnels de santé , en particulier les médecins.

Alors que le rythme d'adoption des lois « Santé » tend à s'accélérer depuis 10 ans, les inégalités d'accès aux soins se creusent sur l'ensemble du territoire . Auparavant résumées à l'opposition classique entre Nord et Sud, elles se retrouvent désormais à toutes les échelles géographiques selon une configuration centre/périphérie. Si toutes les professions de santé sont concernées par ce phénomène, les inégalités d'accès aux médecins sont particulièrement marquées. Les écarts de densité entre départements varient en moyenne de 1 à 3 pour les médecins généralistes . Ainsi, 9 % de la population française vit aujourd'hui dans un désert de médecins généralistes, soit près de 6 millions de personnes . L'accès aux spécialistes est encore plus disparate, avec un rapport de 1 à 8 , et même de 1 à 24 pour les pédiatres. Ces inégalités devraient d'ailleurs se renforcer dans les années à venir.

Les conséquences de cette situation sont potentiellement dévastatrices et des géographes tels qu'Emmanuel Vigneron ont ainsi démontré les conséquences de la désertification médicale sur l'état de santé des populations. La carte des « déserts médicaux » se superpose aujourd'hui à celle de la mortalité précoce.

À cette situation sanitaire et sociale préoccupante, s'ajoute un fardeau inacceptable pour les finances publiques : la Cour des comptes estime que les inégalités territoriales d'accès aux soins coûtent entre 900 millions d'euros et 3 milliards d'euros par an au système de santé.

Ce constat sur le creusement des inégalités d'accès aux soins et le manque d'ambition du projet de loi n'a pas empêché la commission pour avis de juger satisfaisantes plusieurs dispositions du texte . Ainsi, l'élargissement des modalités de recours au médecin adjoint dans les zones sous-denses et la sécurisation du bénéfice du contrat d'engagement de service public en cas d'évolution du zonage des zones sous-denses sont de nature à encourager l'exercice médical dans ces territoires. Le renforcement de l'association des élus , notamment des parlementaires, à la politique de santé est également positif. Enfin, les partages de compétences entre professionnels de santé, l'assouplissement du régime des protocoles de coopération, d'ailleurs préconisé par le rapport d'information de la commission sur les « déserts médicaux » (2013), ou encore le développement du « télésoin » peuvent libérer du temps médical et rapprocher les soins des populations. La commission pour avis souscrit naturellement à ces orientations.

Toutefois, une grande majorité des interlocuteurs entendus par le rapporteur pour avis affirme douter de la capacité du projet de loi à améliorer à court terme le quotidien de nos concitoyens. Ainsi, la « suppression » du numerus clausus n'aura qu'un effet limité voire aucun effet sur la répartition des futurs professionnels de santé sur le territoire. En outre, les conséquences de cette réforme ne commenceront à produire leurs effets que d'ici dix à quinze ans.

Face à l'urgence de la situation, une réponse plus ambitieuse est donc nécessaire, et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a adopté 30 amendements en ce sens . Ces mesures s'inscrivent dans une triple logique :

- adapter les études de médecine et le système de soins à l'exigence de proximité ;

- réguler l'offre de soins et réaffirmer le principe d'égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire ;

- développer les délégations de tâches et alléger les contraintes administratives pour libérer du temps médical dans tous les territoires de la République.

Sur le volet formation , la commission pour avis a adopté 5 amendements , dont quatre visent à développer les stages effectués en zones sous-denses au cours des études de médecine :

- à l'article 1 er , la commission pour avis a adopté un amendement en commun avec le rapporteur pour avis de la commission de la culture, notre collègue Laurent Lafon, visant à préciser que les études de santé favorisent , par leur organisation, la répartition équilibrée des futurs professionnels de santé sur le territoire au regard des besoins de santé ;

- à l' article 2 , elle a adopté trois amendements . Le premier a pour objectif de valoriser les étudiants qui ont choisi d'effectuer un stage en zones sous-denses dans les modalités d'affectation des postes ouverts aux étudiants en troisième cycle des études de médecine. Le deuxième résulte de riches échanges en commission et vise à imposer la réalisation d'un stage en zones sous-denses pour les internes de médecine, au cours du troisième cycle. Le troisième, également en commun avec le rapporteur pour avis de la commission de la culture, vise à intégrer les modalités d'organisation des stages en zones sous-denses dans le cadre du troisième cycle des études de médecine ;

- à l' article 2 bis , la commission pour avis a adopté un amendement visant à encourager les étudiants de deuxième cycle à effectuer des stages en zones sous-denses .

S'agissant des contrats d'engagement de service public (CESP) , la commission propose d'aligner le bénéfice du zonage des zones sous-denses, pour les signataires de tels contrats, sur la durée de l'internat de médecine générale, c'est-à-dire trois années ( article 4 ) afin de sécuriser les projets professionnels et personnels des étudiants .

En outre, elle a proposé d'élargir davantage les modalités de recours au médecin adjoint ( article 5 ) . Elle a également adopté un amendement à l'article 7 septies pour rendre effective la procédure de désignation d'un médecin traitant introduite par les députés.

Au-delà, outre la suppression de dispositions faiblement normatives ( articles 7 B et 7 E ) ou qu'elle juge inappropriées ( article 10 ter ), la commission pour avis a souhaité prévoir la mise en oeuvre d'un système de garde dans chaque canton à l'article 7 , dans le cadre des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et dont les modalités seraient déterminées aux termes de négociations conventionnelles . Au même article 7 , la commission pour avis a adopté un amendement visant à alléger les formalités applicables aux projets territoriaux de santé en transformant la procédure de validation de ces projets par les directeurs généraux des agences régionales de santé en procédure de transmission pour avis simple, tout en préservant l'information du conseil territorial de santé.

La commission pour avis a également adopté 7 amendements sur le volet des hôpitaux de proximité ( article 8 ) et des groupements hospitaliers de territoire ( article 10 ) visant à renforcer l'autonomie des anciens hôpitaux locaux au sein des GHT et à garantir en conséquence une offre hospitalière de proximité et de qualité dans tous les territoires. Un amendement vise notamment à supprimer l'habilitation à légiférer par ordonnance demandée par le Gouvernement concernant les hôpitaux de proximité , votre commission ayant regretté la méthode du Gouvernement sur ce point.

Concernant la régulation de l'offre de soins dans les territoires et l'installation des médecins libéraux , la commission pour avis a adopté deux amendements portant articles additionnels après l'article 4, dans le prolongement des demandes exprimées par plusieurs associations d'élus, au premier rang desquelles l'Association des petites villes de France, Villes de France et l'Association des maires ruraux de France, et des recommandations formulées par la Cour des comptes dans plusieurs rapports entre 2014 et 2017 :

- le premier s'articule autour d'un double dispositif : en premier lieu, il tend à renvoyer à la négociation conventionnelle entre les médecins et l'Assurance-maladie, la détermination des conditions dans lesquelles les médecins doivent participer à la réduction des inégalités territoriales dans l'accès aux soins et, le cas échéant, la détermination des mesures de limitation d'accès au conventionnement dans les zones sur-dotées, définies par l'agence régionale de santé.

En second lieu, à défaut d'accord sur ce point entre les médecins et l'Assurance-maladie dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, cet amendement vise à mettre en oeuvre un système dit de conventionnement sélectif , afin de limiter les installations des médecins dans les zones sur-dotées selon un principe « une arrivée pour un départ ».

Ce dernier dispositif est en vigueur en Allemagne et correspond, par ailleurs, à ce qui existe pour d'autres professions de santé, avec des effets positifs sur la répartition des professionnels concernés (sages-femmes, infirmiers libéraux, masseurs-kinésithérapeutes) mais il n'a jamais été tenté pour les médecins.

Il ne s'agit pas d'une mesure de coercition mais de régulation de l'offre de soins, qui permettrait par ailleurs de maîtriser la croissance des dépenses de santé en zones sur-dotées. La commission relève à cet égard que 87 % des personnes interrogées dans un sondage IFOP pour le JDD souhaitent obliger les médecins à s'installer dans les zones sous-denses ;

- le second vise à introduire une précision relative au principe d'égal accès aux soins à l'article du code de la sécurité sociale relatif aux libertés d'exercice et d'installation des médecins . L'inscription de ce principe, consacré tant par le Conseil constitutionnel que par le Conseil d'État vise à rappeler que la liberté d'installation des médecins peut être limitée pour lutter contre les inégalités d'accès aux soins au nom de la protection de la santé, principe particulièrement nécessaire à notre temps au sens du Préambule de 1946.

En outre, la répartition territoriale globalement plus favorable de certaines professions de santé, ainsi que leur démographie dynamique font, plus que jamais, des partages de compétences une des réponses à la problématique des « déserts médicaux » . Aussi, dans la continuité des orientations du rapport du Président Maurey de 2013, la commission pour avis propose certains approfondissements ponctuels et pragmatiques :

- à l'article 7 quater , un amendement adopté par la commission vise à permettre aux pharmaciens correspondants de prescrire des examens de biologie médicale pour les patients atteints de pathologies chroniques, dans le cadre de l'exercice coordonné.

- à l'article 7 sexies A , la commission pour avis propose d'étendre le droit de prescription de sages-femmes à l'ensemble des actes, produits et prestations nécessaires à l'exercice de leur profession, sans limites réglementaires, pour éviter les situations de doubles consultations . Par ailleurs, la reconnaissance de la place des sages-femmes dans le système de santé comme praticiennes de premier recours , proposée par la commission pour avis à cet article, pourrait permettre de mieux identifier leur place dans le système de santé, afin de garantir un meilleur accès aux soins pour les Françaises sur l'ensemble du territoire.

Enfin, si le numérique n'est pas une panacée, il représente une solution particulièrement intéressante, pour autant que son déploiement soit adapté aux besoins des territoires. La commission pour avis a ainsi adopté 4 amendements sur ce volet :

- à l'article 12 , deux amendements adoptés par la commission proposent de faire de l'espace numérique de santé un outil au service des populations et des territoires. Ils prévoient que l'espace numérique intègre des services permettant aux patients de connaître la disponibilité des professionnels de santé autour d'eux et de saisir l'organisme gestionnaire pour qu'un médecin traitant leur soit proposé ;

- aux articles 13 et 13 bis , deux amendements précisent que le déploiement de la télémédecine et du télésoin devra tenir compte des inégalités d'accès à Internet, afin d'éviter que la fracture numérique ne s'ajoute à la fracture sanitaire.

Par ailleurs, un amendement adopté par la commission pour avis contraint le pouvoir réglementaire à prendre en compte la spécificité des déserts médicaux dans la détermination des conditions de prise en charge financière des actes de télémédecine, pour garantir un remboursement effectif des téléconsultations sur l'ensemble du territoire.

Sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, dont elle s'est saisie pour avis.

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