C. UN DISPOSITIF À ÉVALUER D'URGENCE, QUI AGIT COMME UN RÉVÉLATEUR DES FAIBLESSES DE L'ÉCOLE MATERNELLE ET DE LA PRISE EN CHARGE DE LA PETITE ENFANCE
1. L'urgence d'une évaluation
Au regard des enjeux de réussite scolaire et des ressources mobilisées par ce dispositif - 1 413 ETP d'enseignants, soit environ 60 millions d'euros de dépenses de personnel hors charges pour pensions, ainsi que les investissements consentis par les collectivités territoriales - il est impératif que son évaluation soit menée au plus tôt par le ministère . Celle-ci viserait à déterminer tant les effets de la scolarisation sur les performances des élèves qu'à comparer les différents modes d'accueil (cf. supra ).
D'ici les résultats de cette évaluation, i l conviendrait de consolider le dispositif, en donnant une priorité claire à l'accueil au sein de dispositifs spécifiques - classe dédiée et dispositifs passerelles - et ce dans les territoires prioritaires . Ces derniers ne doivent pas se limiter à l'éducation prioritaire mais inclure, selon le contexte local, les quartiers prioritaires de la ville (QPV), certains territoires ruraux et de montagne.
ð Recommandation n° 3 : Évaluer les conséquences pour les élèves de la scolarisation à deux ans selon ses différentes modalités. |
ð Recommandation n° 4 : Donner une priorité claire à l'accueil des enfants de deux ans au sein des dispositifs spécifiques et dans les territoires prioritaires. |
2. Un révélateur des faiblesses de l'école maternelle et de l'accueil de la petite enfance
Les résultats très décevants des élèves français à l'école primaire, mis en évidence par les enquêtes PIRLS et TIMSS (cf. supra ), et leur tendance à la baisse, doivent mener à s'interroger sur la qualité de l'accueil dès les premières années de scolarisation. En effet, les travaux de recherche mettent en évidence l'importance décisive que revêtent les premières années dans l'acquisition du langage, de la numération ou encore d'autres compétences comme les relations sociales ou la capacité à contrôler ses émotions 56 ( * ) .
a) Une offre insuffisante et inégale
Malgré une progression sensible quoiqu'en deçà des objectifs fixés 57 ( * ) , l'offre d'accueil des enfants de moins de trois ans demeure en-deçà des besoins , à 56,6 places pour 100 enfants en 2015, dont 17,8 places dans des structures d'EAJE 58 ( * ) , soit moins que dans des pays comparables comme l'Allemagne 59 ( * ) .
Cette offre est très inégale selon les territoires , avec une « capacité d'accueil [théorique] qui varie de 10 places en Guyane à près de 92 places en Haute-Loire » 60 ( * ) .
Les disparités d'ordre social sont également très prononcées . L'enquête « Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants » menée par la DREES en 2013 révèle que 5 % seulement des enfants de moins de trois ans issus des 20 % des ménages les moins favorisés sont accueillis à titre principal dans une structure collective, contre 22 % pour le quintile le plus favorisé ; 88 % sont gardés par leurs parents 61 ( * ) .
La convention d'objectif et de gestion de la branche famille de la Sécurité sociale 2018-2022 prévoit la création de 30 000 places supplémentaires en crèches et de 1 000 places en relais d'assistantes maternelles, ayant vocation à être implantées en priorité dans les QPV. Dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée en septembre 2018, a été annoncée la mise en place d'un mécanisme d'incitation financière à l'accueil des enfants les moins favorisés dans les structures d'EAJE.
b) Une qualité de l'accueil à renforcer
(1) Renforcer le contenu éducatif des crèches
Comme le rappelait Éric Charbonnier, analyste à la direction de l'éducation de l'OCDE, l'enjeu d'un développement satisfaisant de l'accueil des jeunes enfants « impose une réflexion sur la qualité de la prise en charge dans les crèches » et les autres structures d'EAJE 62 ( * ) . Un rapport de Terra Nova constatait, en 2014, que celles-ci étaient « encore trop partiellement des lieux d'éducation » et qu'il convenait de renforcer la dimension éducative de ces structures, en s'inspirant des « exemples de crèches à haute qualité éducative ayant fait leur preuve », à l'instar de celles mettant en oeuvre le programme « Parler Bambin » 63 ( * ) .
Outre la rénovation du CAP « Petite enfance » (cf. supra ), le Gouvernement a annoncé, en septembre 2018, la mise en oeuvre d'un plan de formation continu et un nouveau référentiel pour 600 000 professionnels de la petite enfance pour favoriser le développement de l'enfant et l'apprentissage du langage avant l'entrée à l'école maternelle. L'élaboration du référentiel devrait être confiée au Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), sans que soient précisées les modalités d'association de l'éducation nationale, ce qui témoigne du cloisonnement des systèmes d'accueil (cf. infra ).
ð Recommandation n° 5 : Poursuivre la démarche de renforcement du contenu éducatif des structures dEAJE, en y associant l'éducation nationale. |
(2) Donner une priorité réelle à l'école maternelle
Alors que la France a été un pays précurseur en matière d'école préélémentaire, les comparaisons internationales révèlent une forme de décrochage de l'école maternelle, lié notamment à :
- un sous-investissement manifeste par rapport aux autres pays de l'Union européenne : en 2014, la France dépensait 7 760 dollars en parité de pouvoir d'achat (PPA) par élève, quand la moyenne des pays de l'UE-22 64 ( * ) se situait à 8 850 dollars PPA 65 ( * ) ;
- un taux d'encadrement plus faible en France, où l'on compte en moyenne 23 enfants par enseignant contre 14 en moyenne dans les pays de l'OCDE et 13 dans les pays de l'UE-22 ; la note d'analyse de France Stratégie rappelle qu'« avec 25,5 élèves par classe en moyenne au cours des trois dernières années, la France dépasse la taille maximale des classes autorisée dans la quasi-totalité des pays de l'Union européenne pour la tranche d'âge 3-5 ans » 66 ( * ) ;
- une prise en compte insuffisante du développement de l'enfant au profit d'une précocité des apprentissages scolaires , jugée peu efficace ; à cet égard, la mise en oeuvre des programmes de 2015 peine à se faire sentir, faute d'une formation continue suffisante des enseignants ;
- si les enseignants français ont le degré de formation le plus élevé, la formation des professeurs des écoles prend peu en compte les spécificités de l'exercice en maternelle et est même, de l'aveu général, très insuffisante à cet égard ; sans remettre en cause l'unicité du corps des professeurs des écoles, votre rapporteur pour avis partage le constat dressé par Agnès Florin, pour qui « tant que l'on n'aura pas distingué dans la formation des enseignants du premier degré un tronc commun et un enseignement modulaire orienté vers la maternelle d'une part, pour ceux qui s'y destinent, ou vers l'élémentaire pour les autres, il n'y a guère à attendre pour une amélioration de la qualité de cette formation » 67 ( * ) ;
- les ATSEM jouent un moindre rôle éducatif que leurs homologues étrangers et leur niveau de qualification est moindre (cf. supra ) ;
- enfin, du fait de l'organisation administrative particulière de l'école primaire, les écoles françaises bénéficient d'une autonomie et d'une capacité d'innovation sensiblement plus faibles .
ð Recommandation n° 6 : Au sein de la future architecture de la formation initiale des professeurs des écoles, instaurer un module dédié à la maternelle. |
Votre rapporteur pour avis se félicite de l'inscription, dans le projet de loi de finances pour 2019, d'une dotation de 22 millions d'euros visant à aider les communes comportant un QPV à créer des postes d'ATSEM, en vue de pouvoir garantir les services d'un ATSEM par classe. Il conviendrait d'étudier l'extension de ce dispositif aux communes rurales bénéficiant de la dotation de solidarité rurale (DSR), qui, pour certaines, rencontrent de grandes difficultés à mettre à disposition un nombre suffisant d'ATSEM.
ð Recommandation n° 7 : Aider les communes éligibles à la DSR à recruter des ATSEM, en vue de garantir les services d'un ATSEM par classe en maternelle. |
c) Une gouvernance éclatée
À la différence de plus de la moitié de pays de l'OCDE, où la gouvernance de l'accueil de la petite enfance, soit du début de la garde d'un enfant à ses six ans, est dite « intégrée » car relevant d'un seul ministère, la France se caractérise par un système « dual », où l'accueil de ces enfants relève d'institutions différentes.
Les établissements d'accueil collectif non scolaires et les assistantes maternelles relèvent du ministère chargé de la famille, quand l'accueil à l'école maternelle relève de celui de l'éducation nationale. Si l'âge de trois ans agit comme une césure, celle-ci est toute relative comme en témoigne la scolarisation dès deux ans ou l'accueil en jardin d'enfants, possible jusqu'à six ans.
Se fondant sur les résultats de l'enquête « Petite enfance, grands défis » de l'OCDE, Éric Charbonnier pointait que les systèmes intégrés se caractérisaient généralement par de meilleures performances, tant en matière d'accès, de qualité de l'accueil et de prise en charge que de transitions entre les structures 68 ( * ) .
Une note d'analyse de France Stratégie parue en mars 2018 prône une intégration progressive de la gouvernance de l'accueil et de l'éducation du jeune enfant, qui se traduirait par la création progressive de « structures communes accueillant l'ensemble des enfants de 1 à 5 ans, encadrés par des enseignants et autres professionnels de la petite enfance (éducateurs de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, Atsem, etc.) » 69 ( * ) .
En conclusion, votre rapporteur pour avis considère que l'extension prévue aux enfants âgés de trois à six ans de l'obligation d'instruction doit être l'occasion d'une réflexion sur la qualité de l'enseignement dispensé à l'école maternelle. À défaut, cette disposition, conçue une mesure de justice sociale, se contentera d'être une mesure d'affichage, sans conséquence sur les résultats des élèves.
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Sous réserve de l'adoption de son amendement, votre rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes relevant de l'éducation nationale au sein de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2019.
* 56 OCDE, Petite enfance, grands défis 2017 , op. cit.
* 57 Sur les 149 000 places en établissement d'accueil du jeune enfant prévues d'être créées de 2005 à 2017, seules 81 000 l'ont effectivement été. Source : Gautier Maigne, Catherine Collombet et Bruno Palier, Places en crèche : pourquoi l'Allemagne fait-elle mieux que la France depuis dix ans ? , note d'analyse de France Stratégie, n° 56, mai 2017.
* 58 CNAF, Résultats du rapport 2017 de l'Observatoire national de la petite enfance , dossier de presse, janvier 2018.
* 59 Gautier Maigne, Catherine Collombet et Bruno Palier, Places en crèche : pourquoi l'Allemagne fait-elle mieux que la France depuis dix ans ? , op. cit.
* 60 CNAF, ibid.
* 61 DREES, Modes de garde et d'accueil des jeunes enfants en 2013 , Études et résultats n° 896, octobre 2014.
* 62 Audition du 18 octobre 2018.
* 63 La lutte contre les inégalités commence dans les crèches , rapport du groupe de travail de Terra Nova présidé par Olivier Noblecourt, janvier 2014.
* 64 Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie et Suède.
* 65 Chiffres OCDE 2017, tirés de Daniel Agacinksi et Catherine Collombet, Un nouvel âge pour l'école maternelle , note d'analyse de France Stratégie, n° 66, mars 2018.
* 66 Daniel Agacinksi et Catherine Collombet, Un nouvel âge pour l'école maternelle , précité.
* 67 Réponse au questionnaire écrit.
* 68 Audition du 18 octobre 2018.
* 69 Daniel Agacinksi et Catherine Collombet, op. cit.