II. UNE DISPERSION CROISSANTE DES CREDITS DE L'INDUSTRIE
Les enjeux industriels ne font pas l'objet d'une prise en compte spécifique au sein du budget général. Les crédits à destination des entreprises industrielles ne sont pas rassemblés au sein d'un programme particulier de la mission « Économie », leur identification étant d'ailleurs rendue plus complexe en 2019 du fait d'un changement de structure du programme concerné.
Par ailleurs, les plans d'investissement successifs, par le biais des Programmes d'investissement d'avenir et du Grand plan d'investissement conduisent, sur le fond sinon sur la forme, à une forme de débudgétisation des crédits dédiés à l'industrie .
A. UNE MISSION « ÉCONOMIE » AUX MOYENS LIMITÉS ET À VOCATION GÉNÉRALISTE
Les crédits de la mission Économie témoignent d'une tendance à la baisse du soutien aux entreprises industrielles françaises .
1. Des moyens en baisse
Si les crédits de paiement sont en légère hausse à 1,94 milliard (+ 4 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018), les autorisations d'engagement chutent de 17 % , s'établissant à 1,76 milliards contre 2,12 milliards dans la loi de finances initiales (LFI) pour l'année 2018.
Les dépenses d'intervention de la mission ne représentent que 17 % des autorisations d'engagement et 25 % des crédits de paiement. Si ces dépenses d'intervention sont en hausse de 31 % en crédits de paiement en 2019, les autorisations d'engagement baissent de près de moitié .
À l'inverse, près de la moitié des crédits de la mission sont consacrés à des dépenses de personnel. À l'heure où le Gouvernement défend une rationalisation des effectifs de l'administration et un recentrage des actions, votre rapporteur s'étonne que sept euros sur dix de la mission Économie soient consacrés à des dépenses de personnel et de fonctionnement.
Votre rapporteur craint que ces chiffres ne dénotent d'une réduction de la capacité des administrations et opérateurs à mener des actions de long-terme auprès des entreprises.
Il est vrai que le transfert de certaines compétences de soutien aux entreprises et à l'activité économique aux régions peut expliquer en partie cette tendance à la baisse. Toutefois, il semble nécessaire à votre rapporteur de ne pas précipiter l'extinction des dispositifs nationaux, alors que la mise en place de la stratégie économique des régions est encore en phase de montée en puissance.
Les programmes de la mission « Économie » ont une vocation généraliste , ne visant pas spécifiquement certains secteurs de l'économie. Au titre du budget 2019, les quatre programmes (inchangés depuis 2018) traitent ainsi respectivement du « Développement des entreprises et régulations », du « Plan France Très haut débit », des « Statistiques et études économiques », et de la « Stratégie économique et fiscale ».
Le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » est le principal moyen d'intervention de l'administration auprès des entreprises, représentant plus de la moitié des dépenses totales de la mission « Économie ». Ce programme se caractérise par un taux de transfert aux entreprises très élevé : 84 % des autorisations d'engagement et 85 % des crédits de paiement sont destinés directement aux entreprises, le reste des crédits étant transférés aux collectivités. Cela représente des montants de 233,5 et 246,7 millions d'euros (AE et CP).
Néanmoins, ces aides aux entreprises sont en forte baisse : elles s'établissaient à 293,72 et 299,78 millions en 2018 (AE et CP). Les crédits d'intervention à destination des entreprises ont donc baissé d'environ 20 % en 2019. La rationalisation des aides annoncées par le Gouvernement semble se traduire par une forte réduction des transferts aux entreprises, plutôt que par une réforme ciblée de certains dispositifs.
Le poids des dépenses de personnel s'accroît en revanche , passant de 39 % à 44 % du programme pour les autorisations d'engagement et de 41 à 43 % pour les crédits de paiement. À l'inverse, les crédits d'intervention sont fortement réduits : les autorisations d'engagement passent de 353,11 à 278,75 millions d'euros (-21 %), les crédits de paiement de 352,32 à 289,29 millions d'euros (-18 %).
Au vu d'une telle évolution, votre rapporteur met en doute la capacité du Gouvernement à pouvoir s'engager sur des politiques publiques de long-terme en faveur des entreprises. Moins d'un euro sur trois du programme 143 est ainsi consacré à des dépenses d'interventions.
2. Un changement de structure qui nuit à l'identification des crédits dédiés spécifiquement aux entreprises industrielles
Au titre de la loi de finances initiale pour 2018, le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » comprenait 13 actions, dont une action 3 « Actions en faveur des entreprises industrielles ».
Un changement de périmètre, dont le bien-fondé n'a pas été justifié, a éteint 7 actions du programme 134 , au bénéfice de la création de deux nouvelles actions au périmètre beaucoup plus large : l'action 23 « Industrie et services » et l'action 24 « Régulation concurrentielle des marchés, protection économique et sécurité du consommateur ».
Cette nouvelle nomenclature, si elle distingue un volet soutien aux acteurs économique et un volet régulation, complique grandement la lisibilité des actions du programme, ainsi que toute comparaison de l'évolution de leurs crédits.
Parmi les quatre actions éteintes qu'il semble pertinent de rattacher au volet soutien aux acteurs économiques (les actions 2, 3, 20 et 21 « Commerce, artisanat et services », « Actions en faveur des entreprises industrielles », « Financement des entreprises », et dans une moindre mesure « Développement du tourisme »), deux actions ont vu leurs dotations budgétaires supprimées (« Financement des entreprises » et le « Développement du tourisme » 17 ( * ) ). Les deux actions principales, « Commerce, artisanat et services » et « Actions en faveur des entreprises industrielles », ont été fusionnées au sein de la nouvelle action 23.
La somme des crédits dédiés à ces 4 actions en LFI 2018 est largement inférieure à celle des crédits versés à la nouvelle action 23 « Industrie et services » du projet de loi de finances 2019 :
• Les crédits de paiement prévus pour l'année 2019 à l'action 23 sont de 17 % inférieurs à la somme des crédits de paiements ouverts en LFI 2018 pour les quatre actions éteintes précitée (279,5 millions contre 346,8 millions) ;
• Les autorisations d'engagement sont inférieures de 19 % (287,2 millions contre 347,3 millions).
À défaut de mise à disposition par le Gouvernement d'une comparaison à périmètre constant, une étude comparée de la répartition par titres des autorisations d'engagement de la nouvelle action 23 avec celle de la somme des actions éteintes précitées permet de dégager la tendance suivante :
• Les dépenses d'intervention seraient en forte baisse de -31 % (142,5 millions contre 205,2 millions) ;
• Les dépenses de fonctionnement seraient en hausse nette à +23 % (15,0 millions contre 12,2 millions), restant toutefois relativement stable en proportion ;
• Les dépenses de personnels seraient en faible baisse de -6 % (122,0 millions contre 129,5 millions), passant toutefois de 37 % à 44 % des montants totaux.
Votre rapporteur s'inquiète fortement de ce constat : quelle est la pertinence d'un changement de structure, si celui-ci conduit à une hausse en proportion des dépenses de fonctionnement et de personnel, mais à une forte baisse du budget d'intervention, c'est-à-dire des dépenses bénéficiant réellement aux entreprises et aux collectivités ? Il craint que la modification de la nomenclature des actions du programme 134 ne prépare une baisse à court et long-terme des budgets dédiés aux entreprises.
Contrairement à ce qu'indique le Gouvernement dans le projet annuel de performance pour 2019, cette nomenclature réduit la visibilité des crédits réellement dédiés à l'industrie et rend plus difficile l'exercice par le Parlement de sa mission de contrôle budgétaire.
3. Une baisse des dépenses d'interventions centrée sur les crédits dédiés aux PME, les actions collectives pilotées en centrale, et l'extinction des dotations à l'Agence France Entrepreneur et à BPI France
Une comparaison des sous-actions des actions éteintes « Commerce, artisanat et services » et « Actions en faveur des entreprises industrielles » avec celles listées pour la nouvelle action 23 permet de relever une nette baisse des dépenses d'intervention (-31 % en autorisations d'engagement, - 25 % en crédits de paiement, c'est-à-dire une baisse de 62,7 et 51,5 millions respectivement). 18 ( * ) Toutes les dépenses d'intervention de cette nouvelle action semblent accuser une baisse à périmètre constant, à l'exclusion de la compensation carbone des sites électro-intensifs, en raison de la revalorisation du coût carbone.
Deux de ces réductions touchent les actions en faveur du commerce et de l'artisanat (l'extinction progressive du FISAC, qui ne bénéficie d'aucune autorisation d'engagement et dont les crédits de paiement sont divisés par deux en 2019 ; et la baisse de 2 millions environ des AE et CP dédiées au développement des PME ). Votre rapporteur déplore toutefois que nombre de ces réductions de crédits touchent directement le secteur industriel :
• Une réduction d'un quart de la dotation à l'Association française de normalisation (AFNOR), celle-ci passant à 7,65 millions en 2019 ;
L'AFNOR est une association qui réunit plus de 1900 adhérents, dédiée au pilotage du système français de normalisation. Au vu du rôle crucial que celle-ci joue dans les organisations européennes et internationales de normalisation, il semble à votre rapporteur nécessaire de maintenir son niveau de moyens. Les industriels français sont conscients de l'importance des normes comme levier de compétitivité et comme outil d'influence.
• L'extinction des actions collectives pilotées en centrale ;
En 2018, les crédits de paiement dédiés aux actions collectives pilotées en centrale s'élevaient à 4,98 millions d'euros (3,2 millions en AE). Ces actions visent à soutenir, notamment dans le cadre d'appels à projets, des initiatives prises par les filières au bénéfice de la compétitivité hors prix des entreprises de leur secteur. Celles-ci visent particulièrement les PME. Pilotées en centrale, mais cofinancées par l'État et les porteurs de projets, elles soutenaient notamment la fabrication française et la structuration des filières , sur des périodes pouvant aller jusqu'à 3 ans. |
Au titre du PLF pour 2019, les crédits de paiement sont réduits de 10 % (c'est-à-dire une perte de 0,5 million d'euros), afin d'accompagner la fin des actions engagées et de couvrir les restes à payer, tandis que les autorisations d'engagement sont nulles. Les actions collectives en faveur de la compétitivité sont donc mises en gestion extinctive.
Si votre rapporteur convient que les actions pilotées en centrale ne sont pas forcément la meilleure modalité de soutien aux projets, la perte de ces subventions, surtout dans le contexte d'un affaiblissement des effectifs régionaux de l'administration, ne doit pas conduire à une moindre efficacité ou d'un accompagnement affaibli des entreprises et des filières.
Votre rapporteur note que le budget dédié au soutien aux pôles de compétitivité est en hausse cette année, les crédits de paiement augmentant de 28 % pour s'établir à 18,5 millions. Cette augmentation de 4,10 milliards est bienvenue, toutefois, l'extinction des autorisations d'engagement des actions pilotées en centrale n'est pas compensée par une hausse à due concurrence des autorisations d'engagement des actions de soutien aux pôles de compétitivité.
Sur proposition de son rapporteur, la commission a donc adopté un amendement visant à maintenir l'enveloppe globale de dotation budgétaire dédiée aux actions collectives. Il propose d'abonder le montant de la dotation dédiée aux actions déconcentrées du montant des autorisations d'engagement prévues en 2018 pour la conduite des actions pilotées en centrale.
Votre rapporteur s'inquiète des perspectives d'évolution à moyen-terme du financement des projets des pôles de compétitivité. Les conditions de sélection pour l'appel à projets de la phase IV sont sensiblement durcies et le Gouvernement a annoncé une modification d'ici 2020 des modalités de financement des pôles de compétitivité. 19 ( * )
Alors que ceux-ci bénéficient actuellement d'une dotation budgétaire (18 millions d'euros au titre de l'année 2018) de l'État, celle-ci sera décomposée en une dotation socle dégressive qui passera de 6 millions en 2020 à 0 millions en 2022, et en une enveloppe « liée aux résultats », pour un montant de 9 millions pour chaque année de la période 2020-2022.
Votre rapporteur fait donc le constat d'une baisse du soutien financier de l'État aux pôles de compétitivité, qui sera divisé par trois entre 2019 et 2022. Cela paraît peu propice au développement d'une ambition européenne.
• L'extinction des dotations budgétaires à l'Agence France Entrepreneur et à BPI France
Créée en 2016, l'Agence France Entrepreneur était subventionnée à hauteur de 4,12 millions d'euros au titre du PLF 2018 (AE et CP). Elle est chargée de diffuser l'information aux entrepreneurs, d'articuler les actions nationales et locales, de coordonner le financement des réseaux d'accompagnement et de soutenir les initiatives en la matière. Selon le Gouvernement, elle joue notamment un rôle important dans la lutte contre les inégalités territoriales en matière de développement économique. BPI France, constituée en 2013 de la fusion d'Oséo, FSI et CDC Entreprises, est une société anonyme de financement et de développement des entreprises. Son capital est détenu à parts égales par l'État et la Caisse de dépôts. Elle possède diverses filiales, dont BPI France Financement et BPI France assurance export, qui reflètent la diversité de ses activités : crédits bancaires, subventions, garantie de prêts bancaires et à l'export, cofinancement, investissement en fonds propres, soutien financier à l'export par exemple. Son activité de garantie, menée par BPI France Financement est le principal poste financé par le budget général de l'État. |
Au titre du PLF 2018, l'action 20 « Financement des entreprises » prévoyait une dotation à BPI France à hauteur de 48 millions d'euros en AE et CP. Les prévisions d'exécution de l'année 2018 font état de 39,7 millions d'euros effectivement décaissés. Ces crédits étaient dédiés à des actions de garantie et de cofinancement au bénéfice des entreprises. Cette dotation est supprimée au titre du PLF 2019. Le Gouvernement explique que l'EPIC BPI France disposerait de ressources propres suffisant à assurer cette activité. Votre rapporteur en doute, cette solution ne prenant pas en compte les incertitudes de moyen-terme sur les dividendes de l'établissement, l'augmentation du risque et donc des commissions qui risquent d'être demandées aux entreprises pour accéder à la garantie. Il note son inquiétude sur cette tendance à la débudgétisation du financement de BPI France.
L'Assemblée nationale a certes adopté un amendement visant à conserver la ligne de dotation budgétaire dédiée à Bpifrance, mais cette mesure est purement cosmétique. Elle transfère le montant dérisoire de 10 000 euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement du programme « Stratégie économique et fiscale » vers le programme 134.
Votre rapporteur note par ailleurs que la dotation de BPI France Financement au titre des interventions, prévues au programme 192 de la missions « Recherche et enseignement supérieur » sont également en baisse, à 115,9 millions contre 138,9 millions d'euros en LFI 2018. Enfin, le budget dédié à la rémunération des prestations de BPI France est également en baisse, sous l'impact selon le Gouvernement d'une exonération de TVA confirmée par rescrit.
L'Agence France Entrepreneur recevait au titre de l'action 3 « Actions en faveur des entreprises industrielles » du PLF 2018 une dotation de 4,12 millions d'euros en AE et CP. Cette dotation est également supprimée , l'Agence étant reprise en main par BPI France, qui en assumera les missions. L'AFE souffrait d'une instabilité budgétaire due, en partie aux fluctuations du financement par les chambres de commerce et d'industrie, elles-mêmes soumises à de fortes pressions budgétaires.
Votre rapporteur insiste sur le maintien des moyens nécessaires à l'action de BPI France, dans un contexte d'affaiblissement du maillage territorial des CCI et de l'extension de ses missions consécutivement à l'absorption de l'AFE.
* 17 Des amendements adoptés à l'Assemblée nationale ont rétabli des montants symboliques pour ces deux lignes.
* 18 Tous les chiffres de la présente section sont tirés des PAP 2018 et 2019 de la mission « Économie ».
* 19 Cahier des charges de l'appel à projets de la phase IV des pôles de compétitivité (2018).