D. À LONG TERME, « LA FORÊT VA DANS LE MUR » : LES CRÉDITS PROPOSÉS NE PERMETTENT PAS D'INFLÉCHIR SIGNIFICATIVEMENT CETTE TRAJECTOIRE
L' action n° 26 porte sur les crédits consacrés à la forêt. Ils augmentent de 4,5 M€ en AE pour atteindre une enveloppe totale de 247 M€. En CP, le montant des crédits de l'action atteint 255 M€, soit un recul de 15 M€ par rapport à 2018.
1. La filière forêt-bois : un atout insuffisamment exploité
La richesse forestière française est indéniable : avec plus de 17 millions d'hectares, la forêt métropolitaine couvre 31 % du territoire et se situe au quatrième rang de l'Union européenne, après la Suède, la Finlande et l'Espagne. Bien loin des craintes de « déforestation », elle ne cesse de progresser depuis un siècle et a gagné près de 3 millions d'hectares au cours des trente dernières années car les coupes de bois ne représentent que la moitié de la pousse.
La forêt privée représente les trois quarts de la superficie : sa principale faiblesse est son morcellement puisqu'elle détenue par 3,5 millions de propriétaires privés. 2,2 millions de propriétaires possèdent moins d'un hectare de forêt et seulement 11 000 possèdent plus de 100 hectares ne sont que.
Les forêts publiques , qui couvrent 4,3 millions d'hectares, sont réparties entre les forêts domaniales appartenant à l'État, représentant 9 % de la surface de la forêt française, et les forêts des collectivités qui sont deux fois plus vastes. Elles sont gérées par l'Office national des forêts (ONF) dans le cadre du « régime forestier ».
La ressource forestière , avec 2,6 milliards de m 3 de bois est abondante et au deux tiers composée d'essences feuillues (chêne, hêtre, châtaigner...) et d'un tiers de résineux (sapin, épicéa, pin sylvestre et pin maritime...). On constate, par exemple, une proportion inverse en Allemagne qui, avec une forêt 50 % plus petite que la nôtre, où dominent les résineux plus facilement utilisables dans l'industrie, produit deux fois plus de sciages que la France. Il faut ici préciser que les volumes de bois sur pied à l'hectare sont notoirement plus faibles en France.
La récolte de bois commercialisée est estimée à 38,2 millions de mètres cubes en 2017 (+0,6% par rapport à 2016). Elle se compose à 51 % de bois d'oeuvre, à 28 % de bois d'industrie et à 21 % de bois-énergie . La récolte de bois énergie est en augmentation continue depuis 2008 - date à laquelle elle était plus de moitié inférieure à aujourd'hui - mais cette croissance s'est ralentie ces dernières années.
Le taux de prélèvement moyen a stagné pendant plusieurs décennies à environ 50 % de la production biologique nette de la mortalité. Les derniers chiffres disponibles signalent une légère augmentation à 54 % avec des taux :
- de 45% en forêt privée contre 65 % en forêt publique ;
- et de 65 % en résineux, contre 45 % en grands feuillus.
Ce taux est de 66 % dans l'Union européenne . Au cours des auditions, l'affirmation selon laquelle la forêt privée est insuffisamment exploitée a été nuancée : en effet, l'autoconsommation de bois par les propriétaires n'est pas toujours répertoriée tandis que l'ONF comptabilise systématiquement chaque coupe.
Après avoir diminué de 25 % en France depuis quinze ans, parallèlement à la consommation, la production de sciages , a poursuivi sa reprise en 2017, pour la deuxième année consécutive (+3% par rapport à 2016). L es produits de sciages sont en majorité issus de résineux avec 83 % des volumes. Le sapin-épicéa, qui représente 16 % du volume sur pied, constitue 47 % des sciages. Inversement, le châtaigner représente 19 % du volume sur pied mais seulement 0,3 % des sciages.
Les scieries françaises sont de taille plus modeste que leurs concurrentes européennes et manquent de compétitivité, ce qui appelle de lourds investissements. C'est ainsi que le tiers de la demande en sciages pour le bâtiment est aujourd'hui satisfait par des produits d'importation, principalement résineux. Entre 2008 et 2015, le secteur a perdu 13 % de ses entreprises et 17 % de ses effectifs.
Le nombre d'emplois dans la filière forêt-bois est estimé à 425 000 par les organisations professionnelles de la filière en comptant les emplois indirects . La majorité des emplois se situent dans la deuxième transformation du bois : construction bois, fabrication de meubles, menuiserie. La sylviculture et l'exploitation forestière emploient un peu plus de 30 000 personnes, le travail du bois, dont les scieries, environ 60 000, et les usines de papier environ 60 000 également.
Les faiblesses de la filière bois se traduisent par un déficit record de 6,3 milliards d'euros en 2017, imputable à une reprise qui engendre plus d'importations que d'exportations. La décomposition sectorielle de ce déficit est la suivante : 4 % pour les bois ronds et sciages ; 55 % pour les industries de transformation du bois comme le meuble et 38 % pour les industries de la pâte à papier et du papier qui sont pourtant dynamiques à l'exportation.
Pour remédier à une telle anomalie, les rapports publiés sur notre filière bois-forêt depuis plusieurs dizaines d'années préconisent invariablement de :
- mobiliser davantage la ressource bois en forêt, essentiellement en forêt privée, où seulement un tiers des surfaces est couvert par un document de gestion durable ;
- et de mieux structurer le tissu industriel en encourageant les investissements dans des outils modernes de sciage.
Aujourd'hui, un accent particulier est mis sur la nécessité de développer le bois construction et le recyclage des produits issus du bois à la fois pour des raisons économiques et pour optimiser le stockage du carbone, dans un contexte de mobilisation axée sur les changements climatiques.
2. Un budget stabilisé au plancher qui finance principalement la gestion des forêts publiques
Il convient tout d'abord de rappeler que la filière forêt-bois bénéficie de différents soutiens publics dont vos rapporteurs soulignent la trop grande dispersion, car la priorité doit être accordée au reboisement . En dehors de l'enveloppe budgétaire « agriculture » et des dépenses fiscales rattachées, qui font l'objet de l'analyse spécifique du présent rapport, on peut citer :
- environ 47 millions d'euros par an, en moyenne, de financements issus du programme d'investissements d'avenir, du fonds de modernisation des scieries et du fonds bois, ces trois dispositifs étant gérés par Bpifrance ;
- les crédits dédiés au Fonds Chaleur, en particulier par le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » du ministère de la Transition écologique et qui sont attribués à des projets visant à soutenir l'utilisation du bois ; la Cour des comptes évalue le total de ces contribution à environ 100 millions d'euros par an ;
- 46,6 millions par an, en moyenne, sur la période 2006-2013 correspondent au soutien à la production d'électricité à partir de bois via des tarifs d'achat d'électricité réglementés ;
- par ailleurs, les conseils régionaux et départementaux ont soutenu le secteur forêt-bois, à hauteur de 38 millions d'euros par an, orientés prioritairement vers l'aval de la filière, l'aide aux scieries et l'investissement forestier ;
- enfin, les fonds européens (FEADER, FEDER et FSE) apportent environ 47 millions d'euros par an, essentiellement concentrés sur le FEADER et le FEDER, en particulier pour renforcer la desserte et le transport des bois.
Les crédits proposés pour la forêt relevant du ministère de l'agriculture sont inscrits à l'action n° 26 du programme n° 149. Après une baisse sensible en 2018 (- 11,2 % en AE et - 3,6 % en CP), le budget pour 2019 n'inverse pas la tendance à la stabilisation à un niveau plancher par rapport aux années 2006-2013, où les crédits de la forêt s'élevaient à 300 millions d'euros par an en moyenne .
Une très légère hausse est proposée en 2019 pour les AE avec 246,8 millions d'euros (+ 1,9 %) tandis que les CP diminuent à 254,7 millions d'euros (- 6,5 %).
La baisse des CP résulte principalement de la fin des aides destinées aux propriétaires forestiers ayant subi la tempête Klaus de 2009 : les CP sont dotés de 10,5 millions d'euros en 2019 contre 25,7 millions d'euros en 2018 tandis que les inscriptions d'AE sur ce dispositif ont cessé l'an dernier.
Inversement, la hausse des AE concerne le fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB) , qui voit sa dotation augmenter de 5,3 millions d'euros dans le cadre du Grand plan d'investissement, pour atteindre 20,50 millions d'euros en CP : il s'agit d'améliorer la desserte forestière et de favoriser l'aval forestier avec des prêts proposés aux scieries et entreprises de travaux forestiers par BPI France.
Crédits (en millions d'euros) |
PLF 2017 |
PLF 2018 |
PLF 2018 |
Variation 2018/2017 |
AE |
273,4 |
242,9 |
246,8 |
+ 4 millions d'euros |
CP |
281,5 |
271,4 |
254,7 |
- 16,7 millions d'euros |
C'est la stabilité qui est proposée en 2019 pour les autres crédits par rapport à 2018. Il en va ainsi pour la dotation aux organismes, aux études, à l'institut technologique FCBA (7,06 millions d'euros) et les 15 millions d'euros alloués au Centre national de la propriété forestière (CNPF) qui joue un rôle fondamental pour aider les propriétaires privés à gérer leur forêt.
Plus de 70 % de l'enveloppe destinée à la forêt et au bois dans le budget 2019 reste, comme les années précédentes, consacrée à la dotation de l'Office national des forêts (ONF) à travers le versement compensateur de 140,7 millions d'euros destiné à financer le régime forestier 33 ( * ) , une subvention exceptionnelle d'équilibre de 12,5 millions d'euros et la rémunération de missions d'intérêt général (MIG) comme l'entretien des dunes domaniales, la restauration des terrains de montagne ou la défense contre les incendies en forêt domaniale, pour 26 millions d'euros. Ces dotations respectent le contrat d'objectifs et de performance passé entre l'ONF, l'État et les communes forestières pour la période 2016-2020.
Au cours de son audition, le directeur général de l'Office national des forêts a rappelé deux faits incontestables. D'une part, la forêt publique avec 25% de la superficie totale assure 40 % de la mise sur le marché du bois d'oeuvre en France . D'autre part, à la différence de ses voisins, la France n'a pas connu de grave incendie de forêt ces dernières années, ce qui témoigne de l'utilisation efficace des crédits consacrés aux services d'intérêt général . Il a précisé que la subvention pour charge de service public a été gelée en 2016 et 2017, ce qui oblige l'Office à autofinancer cette somme.
L'essentiel réside dans la persistance des difficultés structurelles de l'ONF qui se lisent dans ses comptes. La masse salariale de cet établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) représente 473 millions d'euros soit 56 % du total de son compte de résultat prévisionnel pour 2018. Du côté des recettes, les ventes de bois s'établissent à 288 millions d'euros, grâce au maintien des cours du bois, au développement du bois façonné et à la progression des volumes mobilisés. Le volume global de bois mis en vente en 2017 par l'ONF a été de 6,28 millions de m en forêt domaniale, proche des 6,35 Mm prévu au COP et de 8,70 Mm en forêts des collectivités, au-delà de l'objectif fixé. Le taux de bois façonné commercialisé en forêt domaniale - qui permet d'optimiser les recettes par rapport aux ventes « sur pied » - a été de 46,5 % au lieu de 44 % prévu par le COP en 2017 et de 31,5 % en forêt des collectivités au-delà de l'objectif de 27 %. Le chiffre d'affaires des travaux et services est en progression à 163,8 millions d'euros, ce qui témoigne d'une dynamique des activités concurrentielles.
L'ONF a connu une baisse continue de ses effectifs : - 22 % entre 2002 et 2015. De plus, le COP 2016-2020, a prévu une stabilisation de la masse salariale, grâce à une moindre proportion de recrutements de personnels d'encadrement et à un recours accru à des salariés de droit privé, ce qui est, en principe, la règle pour un EPIC. En 2018, l'Office rassemble un effectif de 8762 personnes dont 42 % de salariés et 58 % de fonctionnaires. Des évolutions technologiques comme le recours au satellite et aux drones facilitent le relevé des données tandis que le dépassement de l'objectif de masse salariale pour l'exercice 2017 a conduit l'établissement, pour maîtriser ses dépenses, à ne pas saturer son plafond d'emploi.
Le principal signal de fragilité de l'Office est son endettement croissant, dont l'aggravation s'explique en partie, depuis 2008, par la diminution des recettes corrélées à la baisse de la construction.
Au plan social, la trajectoire imposée par le COP, qui se résume à mobiliser plus de bois sans augmenter les effectifs, alimente nécessairement des tensions.
3. Un impératif : alimenter le fonds stratégique bois avec des ressources stables d'au moins 150 millions d'euros par an
Prévu en 2014 par la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (LAAF) et mis en place en 2015, le fonds stratégique forêt bois (FSFB) vise à financer les projets d'investissements conformes à la stratégie définie par le programme national de la forêt et du bois ainsi que ses déclinaisons régionales.
Certes, il est abondé par des crédits budgétaires en hausse de 5,3 millions d'euros mais qui se limitent au total à 25,5 millions d'euros en AE et 20,5 millions en CP. Par ailleurs il est financé, à hauteur de quelques millions d'euros, par les compensations financières réglées par les bénéficiaires d'autorisations de défrichement ainsi que par une fraction de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti perçue sur les bois et forêts. Cependant, la dispersion des financements alloués à la forêt reste excessif et peu lisible. Ainsi, les ressources du fonds chaleur, géré par l'ADEME - d'ailleurs avec un certain succès qui témoigne de la mobilisation des acteurs de la forêt - ont représenté en 2015 et 2016, 55 millions d'euros.
Vos rapporteurs soulignent la nécessité de respecter la vocation de ce fonds qui est de regrouper les ressources financières consacrées à la filière forêt-bois pour plus de visibilité et de cohérence . À long terme, notre forêt « va dans le mur » car elle est en train d'épuiser les générations d'arbres plantés dans les années 1960 grâce aux ressources stables du Fonds Forestier National. Pour maintenir une forêt économiquement rentable et écologiquement efficace, l'Allemagne finance aujourd'hui 300 millions de plants par an, la Pologne un milliard et la France seulement 70 millions - soit le cinquième du renouvellement nécessaire.
Pour que la forêt française crée des emplois, de la richesse et joue son rôle de stockage du dioxyde de carbone, vos rapporteurs soulignent, une fois de plus, la nécessité de dégager 150 millions d'euros par an pour renouveler nos espaces forestiers. C'est pourquoi, ils soutiennent les initiatives tendant à affecter une fraction de « taxe carbone » à l'investissement forestier , sachant qu'un euro prélevé sur le produit de la composante carbone intégrée aux tarifs de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) dégagerait environ 180 millions d'euros.
Si le Gouvernement persiste à trouver une telle solution « inopportune » dans ses modalités, vos rapporteurs appellent à utiliser le canal budgétaire classique, bien au-delà de la mesure nationale d'aide à l'amélioration des peuplements forestiers, dotée de 3,7 millions d'euros, annoncée par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, dans le cadre du Grand Plan d'Investissement (GPI) 2018-2022.
La difficulté à trouver 150 millions d'euros par an pour gérer le tiers de notre territoire est une véritable absurdité. L'effet mutliplicateur d'un euro investi en forêt est considérable puisque celle-ci capte 20 à 25 % des émissions nationales de CO2 et qu'un programme raisonné de plantations créerait immédiatement 20 000 emplois dans un filière forêt-bois qui en représente environ 450 000 contre trois fois plus chez nos voisins allemands qui tirent de leur forêt un chiffre d'affaire triple du nôtre.
Parallèlement, les propriétaires forestiers doivent également mieux gérer leurs parcelles en se regroupant. Les auditions ont permis de rappeler que sentimentalement et fiscalement, certains préfèrent transmettre à leurs enfants des bois sur pied plutôt que les fonds correspondant à la coupe de bois. Vos rapporteurs suggèrent aux banques de mettre en oeuvre les dispositifs existants qui permettent de ne pas fiscaliser ces sommes, à condition que « l'argent de la forêt retourne à la forêt ».
* 33 Les collectivités territoriales sont mises pour leur part à contribution pour financer le régime forestier à hauteur de 30 millions d'euros à travers les frais de garderie perçus par l'ONF au moment de la vente du bois prélevé sur les forêts des collectivités et une contribution de 2 euros par hectare géré. La crainte légitime des communes forestières porte sur une augmentation de cette contribution dans le cadre du renouvellement du contrat d'objectif.