EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 22 novembre 2017, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » du projet de loi de finances pour 2018.
Mme Sophie Primas , présidente . - Notre ordre du jour est particulièrement chargé aujourd'hui et, dans le prolongement de la très longue audition, hier soir, du ministre en charge de l'Agriculture, nous commençons nos travaux par notre avis budgétaire sur la mission « agriculture ».
M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis . - C'est avec une certaine émotion que je vous présente pour la première fois les crédits de l'agriculture. Nous allons, à trois voix, vous livrer notre analyse du budget 2018 prévu pour l'agriculture, et je me félicite du travail en commun que nous avons mené dans une excellente ambiance.
Mon propos tiendra en trois points. Tout d'abord, le contexte pour l'agriculture reste difficile : la mutualité sociale agricole a publié ses derniers chiffres en octobre qui montrent que 30 % des exploitants agricoles avaient gagné l'année dernière moins de 350 euros par mois, et 20 % étaient en déficit. Naturellement, les réalités varient exploitation par exploitation et filière par filière, mais globalement l'année 2016 a été très difficile, en particulier dans le secteur céréalier avec des rendements historiquement faibles. Dans le secteur du lait et en viande bovine, les prix bas ont également pénalisé les éleveurs.
L'année 2017 est marquée par une certaine amélioration avec un retour à des rendements normaux en céréales, une hausse des prix du lait et la bonne tenue des ventes de broutards à l'export. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps : l'agriculture française reste fragile économiquement pour au moins trois raisons.
- La volatilité des prix expose à des retournements violents de situation : on l'a vu dans le lait ces dernières années. Ce phénomène s'aggrave et devient de plus en plus « meurtrier » tandis que la PAC ne joue plus son rôle d'amortisseur de crises.
- La concurrence internationale est de plus en plus forte et l'ouverture des marchés avec les négociations comme le CETA avec le Canada et bientôt avec le Mercosur, oblige notre agriculture à aller vers plus de compétitivité, faute de quoi elle disparaîtra en tant qu'activité économique.
- Dans le rapport de force au sein des filières agricoles et alimentaires, l'agriculteur est toujours le plus faible : 500 000 agriculteurs font face à 3 000 entreprises de transformation et quatre acheteurs de la grande distribution. Ces centrales d'achat font la pluie et le beau temps d'autant que leur nombre est passé de sept à quatre.
Un élément complique encore davantage la situation des agriculteurs : les retards dans les versements des aides de la PAC. Depuis la réforme de 2014, le système ne tourne pas rond. Certes, les avances de trésorerie remboursable (ATR) ont permis de régler jusqu'à 90 % des aides, mais certains dispositifs sont encore en retard, en particulier les aides au bio ou les mesures agroenvironnementales climatiques (MAEC). Dans ce système qui s'apparente un peu à une « usine à gaz », on nous promet un retour à un calendrier normal de versement des aides en 2018, au prix d'un réajustement à la hausse des moyens du ministère et de l'Agence de services et de paiements. On aimerait croire à ce scénario car les trois dernières années ont été difficiles. Les paysans en arrivent à ne plus savoir à l'avance quels seront les montants d'aide qu'ils percevront.
Au-delà des facteurs économiques, il y a une raison plus profonde et plus préoccupante de la fragilisation de notre agriculture et de nos agriculteurs : ceux-ci en ont assez d'être sans cesse au banc des accusés. Le débat sur les pesticides en général et le glyphosate en particulier est emblématique de cette crise de confiance vécue comme une profonde injustice. Notre agriculture produit, en effet, une alimentation de grande qualité. Nous assurons une traçabilité de nos productions qui n'existe quasiment nulle part ailleurs. Nous avons une gestion technique, tant en cultures végétales qu'en élevage, remarquable. Nous faisons aussi d'importants efforts en matière de produits phytopharmaceutiques ou encore de maîtrise des effluents. Nous sommes également très attentifs au bien-être animal en élevage. Malheureusement, ce n'est jamais assez ! Au-delà des arguments économiques, de la dureté du métier, c'est ce sentiment d'être les mal-aimés de la société française qui décourage les vocations.
Il faut avoir à l'esprit ce contexte lorsque l'on examine le budget 2018 et j'en viens maintenant au deuxième point de cet exposé : l'analyse des crédits.
En légère baisse de 3,1 % en autorisations d'engagement et en hausse de 1,3 % en crédits de paiements, les crédits de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » seront assez proches en 2018 de ce qu'ils étaient en 2017. La mission représente ainsi 3,4 milliards d'euros. Je note qu'elle enregistre le retour dans son giron de la pêche maritime, qui relevait jusqu'à l'année dernière du budget de l'écologie. Mais l'enjeu budgétaire est modeste : 45 millions d'euros. Je signale également que ces crédits ne sont pas les seuls gérés par le ministère de l'agriculture, qui a aussi la responsabilité, d'une part, de l'enseignement technique agricole, avec 1,45 milliard d'euros relevant du programme 142, et, d'autre part, de l'enseignement supérieur et la recherche agricole avec 350 millions d'euros relevant du programme 143. Par ailleurs, bien d'autres ressources viennent en appui à la politique agricole, à commencer par la PAC qui apporte chaque année une contribution de l'ordre de 9 milliards d'euros à la France, dont un peu moins de 7,3 milliards d'euros proviennent du 1er pilier et environ 1,7 milliard d'euros du deuxième pilier. En outre, la Commission des finances chiffre à 6,5 milliards d'euros les allègements sociaux et fiscaux dont bénéficie l'agriculture française, ce qui conduit à évaluer les concours publics à l'agriculture à environ 20 milliards d'euros par an. Enfin, je rappelle que le budget du ministère de l'agriculture est essentiellement un budget de fonctionnement avant d'être un budget d'appui aux exploitations agricoles : les dépenses de personnel représentent 890 millions d'euros et les subventions aux établissements publics et autres organismes sous tutelle du ministère de l'agriculture - qui servent essentiellement à payer leurs personnels - représentent presque 550 millions d'euros.
Le maintien du budget de la mission en 2018 par rapport à 2017 pourrait être considéré comme une bonne nouvelle, surtout qu'en 2017, ce budget était en hausse de 15 % par rapport à 2016. Toutefois, plusieurs raisons amènent à nuancer ce jugement :
- Premièrement, comme en 2016, la dotation 2017 devrait se révéler insuffisante, compte tenu de nombreux aléas budgétaires : crise dans le secteur du foie gras, règlement des refus d'apurement communautaire. En juin dernier, la Cour des comptes avait estimé le dépassement entre 1,5 et 1,7 milliard d'euros. La Commission des finances du Sénat retient un montant plus faible mais encore significatif : 627 millions d'euros. Concrètement, cela signifie que le budget de l'agriculture est structurellement sous doté. Un seul exemple : aucun crédit n'est prévu pour le régime des calamités agricoles. Dans le projet de loi de finances rectificative qui vient d'être déposé, la mission « agriculture » est destinataire d'un peu plus d'un milliard d'euros de crédits supplémentaires.
- Deuxième raison : le maintien des crédits par rapport à 2017 résulte d'un montage très particulier dans le budget 2018. Avec la fin de l'exonération de sept points de l'assurance maladie des exploitants agricoles, la compensation qui était prévue au budget disparaît. Cela aurait dû conduire à baisser le budget de l'agriculture de 438 millions d'euros. Cet écart est rattrapé à cause de deux phénomènes. D'une part à cause d'une inscription de plus de 80 millions d'euros de plus en crédits de paiement sur les mesures agroenvironnementales et l'agriculture biologique, non pas pour permettre de financer davantage de dossiers mais pour rattraper les retards de paiement des exercices antérieurs, et d'autre part ce rattrapage s'explique grâce à l'inscription d'une provision de 300 millions d'euros, destinée à régler des dépenses imprévues.
Une telle mesure pourrait être saluée comme une mesure de prudence bienvenue. Mais on peut craindre qu'elle devienne un solde de tout compte et un argument pour refuser des augmentations de budget durant l'année 2018 en cas de survenance de nouvelles crises. Bref, ce « cadeau » pourrait être empoisonné car insuffisant pour faire face à des difficultés imprévues : nouvelle grippe aviaire, nouveau refus d'apurement communautaire, besoins importants du fonds des calamités agricoles.
Pour terminer mon deuxième point sur les grands équilibres budgétaires, je dirai un mot sur le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » dit CASDAR. Ce sont les agriculteurs qui l'alimentent à travers une taxe spécifique : la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitations. Le CASDAR finance l'innovation en agriculture, notamment les programmes des chambres d'agriculture et ceux des instituts techniques agricoles. Il joue donc un rôle très important. Malheureusement, les mauvais résultats des exploitations amènent à réviser à la baisse cet instrument financier : les 147,5 millions d'euros prévus en 2017 n'ont pas été au rendez-vous. Pour 2018, le budget est donc ramené à 136 millions d'euros.
J'aborde maintenant mon troisième axe : les inquiétudes qui se dégagent à la lecture des choix budgétaires pour l'agriculture :
- La première porte sur la capacité à financer l'ensemble des mesures du deuxième pilier (et notamment la dernière année de versement de l'indemnité compensatoire de handicap naturel en 2020). Elle a en théorie été levée cet été avec le choix du Gouvernement de transférer 4,2 % des moyens du premier pilier de la PAC vers le deuxième pilier pour les années 2018 à 2020. Cette mesure permet de financer l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) à périmètre constant. D'ailleurs, le budget 2018 maintient les 264 millions d'euros de crédits nationaux appelés en cofinancement. Mais on sait que nous devrons revoir la cartographie des zones défavorisées d'ici 2020. Le règlement européen omnibus va nous donner un délai supplémentaire, mais il est clair que tout ajout de territoires bénéficiaires de l'ICHN réduira les aides touchées par les 100 000 agriculteurs qui en sont aujourd'hui bénéficiaires. On peut aussi déplorer que le calibrage trop juste du deuxième pilier de la PAC ait conduit au prélèvement sur le premier pilier qui a une conséquence très concrète : la baisse du montant des aides directes touchées par tous les agriculteurs. En résumé, pour sauver l'ICHN en 2020, on réduit les aides PAC de tous les agriculteurs dès 2018.
- Autre motif d'inquiétude : l'appui à l'investissement des exploitations agricoles ne semble plus être la priorité. Le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) revient à son étiage bas de 56 millions d'euros. La rallonge de 30 millions d'euros n'est pas reconduite. Seuls 15 millions d'euros de crédits sont prévus mais plutôt pour de la mise aux normes sanitaires dans les élevages porcins et de volailles. Le Gouvernement a annoncé un grand plan d'investissement pour l'agriculture et l'agroalimentaire de 5 milliards d'euros. On n'en trouve pas trace dans le budget de l'agriculture en 2018. De même, il n'existe aucune dotation du programme des investissements d'avenir à destination de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Il faut espérer que le grand plan d'investissement ne consistera pas simplement à labelliser des dispositifs déjà existants comme le PCAE.
- Un autre sujet d'inquiétude concerne la compétitivité. En effet, la baisse de 7 points des cotisations d'assurance maladie des exploitants agricoles qui existait en 2016 et 2017 est supprimée par le PLFSS pour 2018. Les agriculteurs bénéficieront à la place d'une cotisation dégressive entre 1,5 % et 6,5 %. Seules les exploitations avec des revenus de moins de 13 500 euros par an seront gagnantes. Au passage, les agriculteurs dans leur ensemble paieront 120 millions d'euros de plus de cotisations maladie par an. La préoccupation d'améliorer la compétitivité de l'agriculture française en prend là aussi un coup et les baisses de cotisations sociales s'inscrivent désormais davantage dans une logique d'accompagnement social que dans une logique de soutien économique.
- Une autre curiosité relève non pas des crédits budgétaires mais du traitement des terres agricoles dans le cadre du remplacement de l'ISF par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les terres détenus par la famille (hors famille très proche) sont traitées comme de l'immobilier et non pas comme un actif économique et ne sont pas exonérées d'IFI. Ce choix traduit une certaine méconnaissance des mécanismes de portage des terres des exploitations dans le milieu agricole et risque de faire fuir les capitaux familiaux des exploitations agricoles.
- Enfin, la gestion des risques n'est pas une priorité budgétaire. Même si les crédits FAC et Agridiff sont revus à la hausse, ils restent à un niveau anecdotique : un peu plus de 5 millions d'euros en tout. On peut s'interroger également sur la réelle volonté de développer les assurances multirisques climatiques. L'enveloppe de crédits est depuis deux ans une enveloppe de crédits exclusivement européens. Elle me semble cependant sous-dimensionnée, si bien que l'ajustement se fait sur le taux de subvention. Pourra-t-on garantir une subvention à 65 % cette année ? Rien n'est moins sûr. Enfin, le projet de loi de finances n'affiche aucune ambition d'encouragement de la gestion des risques : rien de nouveau sur la déduction pour aléas (DPA), ni d'ailleurs sur l'ensemble des mesures fiscales à destination de l'agriculture. Le Gouvernement semble remettre tout projet de modification à l'année prochaine.
Je terminerai en évoquant les quelques amendements que nous vous proposerons d'adopter :
- Le premier concerne le maintien du fonds d'accompagnement de la suppression du forfait agricole, remplacé par le micro-bénéfice agricole. Il avait été décidé de prendre en charge pendant cinq ans de manière dégressive le surplus de cotisations sociales dues en application de la réforme pour les quelques agriculteurs qui pourraient être perdants. Les montants en jeu sont faibles : 8 millions d'euros maximum par an, et en pratique à peine 2 millions d'euros réellement mobilisés. Le Gouvernement supprime ce fonds, ce qui est mesquin. Nous proposerons de le rétablir.
- Le deuxième amendement concerne la remontée des centimes forestiers des chambres départementales d'agriculture vers le fonds national de péréquation. Cette mesure a été adoptée par les députés sur proposition du Gouvernement, sans aucun débat et un peu par surprise. Les chambres d'agriculture ne sont pas d'accord avec ce schéma. Nous proposerons donc, pour ne pas trop pénaliser les chambres d'agriculture des départements forestiers, que seule une fraction des centimes forestiers remonte au niveau national.
Pour conclure, et parce que je ne peux avoir qu'une confiance très limitée dans la capacité du budget agricole 2018 à faire face aux lourds enjeux pour nos exploitations, je propose un avis défavorable sur l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
Mme Françoise Férat , rapporteur pour avis.- Il m'appartient à mon tour de vous parler du budget 2018 pour l'agriculture. Je ne dresserai pas à nouveau le panorama de ce budget mais je m'attarderai sur quelques questions essentielles.
La première porte sur la complémentarité entre fonds européens et fonds nationaux. De nombreux dispositifs sont cofinancés par l'État et l'Union européenne à travers le deuxième pilier de la PAC, porté financièrement par le fonds européens agricole pour le développement rural (FEADER). Les dotations budgétaires du programme 149 sont, pour certaines d'entre elles, la contrepartie de crédits européens encore plus importants : c'est vrai sur l'ICHN, mais aussi sur le PCAE, sur l'installation des jeunes agriculteurs, mais aussi sur les mesures agro-environnementales et l'aide à l'agriculture biologique. Les arbitrages rendus cet été ont consisté à prélever sur le premier pilier pour donner davantage de moyens au deuxième pilier, mis trop fortement à contribution.
Une ligne budgétaire est emblématique des tensions budgétaires sur l'enveloppe de crédits européens : celle de l'aide aux mesures agroenvironnementales et à l'agriculture biologique. Pour 2018, les crédits de paiement sont plus que doublés et passent à 157 millions d'euros, afin de régler la part de l'État sur des engagements antérieurs, mais les autorisations d'engagement, c'est à dire les capacités nouvelles à soutenir les mesures agroenvironnementales et le bio, baissent de 85 à 81,4 millions d'euros. L'agriculture biologique connaît en effet un développement rapide, en particulier depuis 2015 : les surfaces ont fortement progressé et représentent désormais presque 6 % de la SAU, soit un peu plus d'1,5 million d'hectares. Compte tenu des conversions bio en cours, on devrait connaître une hausse des productions en agriculture biologique de l'ordre de 20 % par an d'ici 2020. Le bio bénéficie en effet d'un engouement de la part des consommateurs, ce qui pousse les agriculteurs à s'engager dans cette direction, même s'il existe toujours un risque, notamment de perte de rendement. Il ne faudrait pas croire cependant que le bio sera forcément le nouvel eldorado de l'agriculture française :
- D'une part, le bio ne restera un choix intéressant pour les agriculteurs que s'il existe un différentiel de prix substantiel avec les produits issus de l'agriculture conventionnelle, sinon ce sera un jeu de dupes.
- D'autre part, les moyens d'accompagnement du bio doivent suivre son développement. Et c'est là que l'on rencontre certaines difficultés. Ainsi, dans le budget 2018, le fonds avenir bio, destiné à aider à la structuration de la filière, reste doté de seulement 4 millions d'euros comme ces dernières années, alors que le bio a fortement progressé.
Le Gouvernement a dû également se résoudre à annoncer la fin des aides au maintien de l'agriculture biologique, car l'enveloppe est consommée par l'aide à la conversion. Seules les mesures de conversion pourront être soutenues à l'avenir. Le Gouvernement a demandé aux régions et aux agences de l'eau de prendre le relais mais cette éventualité est peu probable, compte tenu des contraintes budgétaires des uns et des autres.
En résumé, le budget en faveur de l'agriculture bio devient victime de son succès et l'enveloppe européenne n'est plus suffisante. Il faudra trouver de nouvelles ressources ou ralentir le développement de l'agriculture biologique.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est tout aussi important, voire plus encore que le premier : la formation des agriculteurs et l'installation des jeunes. C'est une priorité affichée depuis longtemps par le ministère de l'agriculture. L'enseignement agricole en est l'une des pierres angulaires, même si le passage dans l'enseignement agricole dirige vers une large palette de métiers en lien avec la nature et non pas seulement celui d'agriculteur. Le taux d'insertion professionnelle est excellent dans cette branche. Mais ce budget ne relève pas de la mission « agriculture ». Nous ne rentrerons donc pas dans les détails sur ce sujet.
Je détaillerai un peu plus mon propos sur les soutiens à l'installation des jeunes agriculteurs. Il y a là un enjeu majeur pour permettre le renouvellement des générations d'exploitants agricoles et pour assurer la préservation d'un modèle agricole qui est celui de l'exploitation familiale, à taille humaine, où l'agriculteur est celui qui travaille effectivement sa terre et s'occupe personnellement de ses bêtes. La politique de l'installation a connu l'année dernière une nouvelle réforme avec la fin des prêts bonifiés, remplacés par une majoration de la dotation jeune agriculteur (DJA), variable selon les régions. Les jeunes agriculteurs bénéficient aussi d'allègements de cotisations sociales les cinq premières années de leur activité et d'une majoration des droits à paiement dans le cadre de la PAC. Il y avait eu un regain des installations en 2015, avec plus de 15 000 nouveaux agriculteurs selon la mutualité sociale agricole (MSA). Mais une large part de ces installations se fait hors du parcours d'installation aidée ;
Pour 2018, le Gouvernement maintient un objectif de 6 000 installations aidées mais plusieurs éléments conduisent à s'inquiéter :
- D'abord, on a été loin des 6 000 installations aidées ces dernières années. Pour 2016, dernière année connue, seuls 4 130 nouveaux dossiers de DJA ont été financés. La tendance semble cependant être à l'accélération des dossiers de DJA en 2017 : le dispositif est devenu plus intéressant en injectant les fonds précédemment consacrés aux prêts bonifiés.
- Autre inquiétude : l'accompagnement à l'installation, pourtant indispensable, n'a cessé d'être réduit ces dernières années. Le dispositif d'accompagnement ne repose plus que sur les stages à l'installation, pour lesquels une enveloppe de 2 millions d'euros est maintenue en 2018 et le programme pour l'accompagnement à l'installation-transmission (AITA), qui n'est plus abondé que par la taxe sur les terrains rendus constructibles, pour un maximum de 12 millions d'euros par an, alors que cette taxe rapporte bien plus (18 millions en 2016 et déjà 15 millions d'euros à la mi-2017). L'installation dépend donc largement d'une taxe fiscale affectée.
- Enfin, la ligne pour la DJA est un peu rabotée cette année, passant de 40 à 38,4 millions d'euros. En tenant compte du cofinancement européen de 80 % sur cette mesure, c'est en réalité 6,4 millions d'euros en moins sur l'installation.
J'appelle à ne pas baisser la garde sur le soutien à l'installation : il ne faudrait pas qu'une reprise des installations soit freinée par des enveloppes budgétaires calculées de manière trop restrictive.
La troisième question sur laquelle je souhaite que l'on s'attarde concerne la sécurité sanitaire, qui constitue un enjeu tant sanitaire qu'économique. Le programme 206 porte les crédits de la sécurité sanitaire, qui augmentent de près de 10 % cette année et s'élèvent à un peu plus de 550 millions d'euros, après la hausse de 4,5 % déjà enregistrée l'année dernière. Ce renforcement est une nécessité, face aux menaces sur le secteur végétal comme la bactérie xylella fastidiosa, comme dans le secteur animal avec l'influenza aviaire qui a touché les élevages de canards ou encore avec la tuberculose bovine.
Je souligne que la surveillance sanitaire s'inscrit dans un cadre qui n'est pas seulement national. En effet, les États membres de l'Union européenne doivent mettre en place des plans de surveillance et des plans de contrôle destinés à s'assurer du haut niveau de sécurité sanitaire des aliments. De plus, les alertes doivent aussi être partagées au niveau européen au sein du Système d'Alerte Rapide pour les Denrées Alimentaires et les Aliments pour Animaux (RASFF) afin de protéger le consommateur. C'est ce qui a été fait mais avec retard dans l'affaire du Fipronil sur les oeufs cet été. Disposer d'un haut niveau de sécurité sanitaire du champ à l'assiette est une condition pour garantir la protection de la santé publique des consommateurs. Mais c'est aussi une condition de la réussite économique de l'agriculture et de l'agro-alimentaire. En cas de problème, les consommateurs se détournent rapidement des produits soupçonnés. Les marchés extérieurs se ferment aussi dès qu'une maladie animale se propage, comme la fièvre catarrhale ovine. La perte du statut d'indemne a pour conséquence directe la fermeture des frontières et la fin des échanges commerciaux.
L'indemnisation des crises sanitaires constitue également un enjeu économique fort pour les agriculteurs. La crise de l'influenza aviaire a nécessité la mobilisation de 120 millions d'euros pour le premier épisode 2015-2016 et 140 millions d'euros pour le deuxième épisode 2016-2017. Le programme 206 n'est pas calibré pour faire face à des crises de grande ampleur : en tout état de cause, la survenue d'un nouvel événement de ce type en 2018 ne pourrait être gérée qu'à travers des nouvelles ouvertures de crédits.
Le programme 206 porte aussi les crédits de plans destinés à mieux maîtriser l'utilisation de produits et substances : Ecoantibio pour les médicaments vétérinaires et Ecophyto pour les produits phytopharmaceutiques, même si le financement État est tout à fait marginal sur ce second programme. Enfin, le programme 206 finance l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES). On peut se réjouir que la dotation de l'ANSES revienne en 2018 à son niveau de 2016, après la baisse enregistrée l'année dernière. L'ANSES est un organisme de référence, pas seulement à travers son activité d'avis scientifique, mais aussi parce que l'Agence gère 11 laboratoires qui constituent une force de frappe irremplaçable pour de l'expertise rapide en cas de crise. Il faut aussi souligner que l'ANSES aura beaucoup de travail supplémentaire en matière de médicament vétérinaire avec le Brexit et avec le nouveau cycle d'approbation de produits phytopharmaceutiques et de produits biocides. Les redevances qu'elle perçoit doivent permettre de faire face, sans crédits budgétaires supplémentaires, à condition que les règles budgétaires soient adaptées pour permettre le recrutement temporaire de personnels additionnels. Le budget 2018 donne quelques souplesses sur ce point et il faudrait que celles-ci soient pérennisées, à l'heure où l'ANSES va se lancer dans un nouveau contrat d'objectifs et de moyens avec l'État.
D'une manière générale, sur la sécurité sanitaire, j'appelle l'État à ne pas baisser la garde, car il en va de la confiance dans notre alimentation et notre agriculture, tant à l'intérieur que vis-à-vis des marchés extérieurs. Force est de constater que si le programme 206 a été re-basé, il ne l'est qu' a minima , sans réserve pour faire face à d'éventuelles crises nouvelles.
Je terminerai mon propos en évoquant la viticulture. Les vendanges 2017 ont été historiquement faibles : la production française devrait être de 36,8 millions d'hectolitres soit 18 % en dessous de la moyenne des cinq dernières années. Le secteur viticole est pourtant essentiel à notre agriculture : 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires à l'export. La viticulture française ne demande pas spécialement d'aides : il n'existe pas de droits à paiement à la surface mais un programme opérationnel sectoriel qui permet de financer des investissements et des mesures visant à améliorer la commercialisation du vin. Je rappelle ici la nécessité de rester attentif à la préservation de la filière viticole. Malheureusement, le nouveau dispositif d'exonération de charges retenu par le PLFSS risque d'être moins favorable au secteur viticole que les dispositifs qui existent aujourd'hui comme le TODE. Ce n'est pas parce que la viticulture semble bien se porter qu'il faut oublier un contexte de forte concurrence internationale. C'est pourquoi des efforts doivent continuer dans le domaine de la promotion, autour des opérateurs UbiFrance et Sopexa qui sont soutenus par le budget du ministère de l'agriculture. C'est pourquoi il ne faut pas non plus hésiter à aller vers davantage de simplification des démarches administratives. Le secteur du vin a d'ailleurs donné l'exemple avec le contrat vendanges, sur lequel quelques améliorations sont encore à prévoir.
Pour conclure, j'émets également en ma qualité de rapporteur, un avis défavorable concernant l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
M. Henri Cabanel , rapporteur pour avis.- Je remercie tout d'abord mes deux collègues co-rapporteurs avec lesquels nous avons travaillé pendant plusieurs semaines. L'exercice d'analyse budgétaire à trois voix n'est pas un exercice facile pour le troisième orateur, mais nous essayons de le mener en multipliant les angles de vision et grâce à une quinzaine d'auditions réalisées depuis la fin octobre.
Tout d'abord, constatons que le budget de l'agriculture se maintient à peu près pour 2018, après avoir fortement augmenté en 2017 de l'ordre de 20 %. Mais 2018 devrait être un point haut, puisque la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022 prévoit une légère décrue des crédits de paiement de l'ordre de 200 millions d'euros sur la mission d'ici à 2020. La valeur d'un budget ne se mesure cependant pas de manière mécanique au montant des crédits prévus. Entrons un peu dans le détail pour examiner comment sont utilisées ces ressources et j'en tire plusieurs remarques.
En premier lieu, le budget de l'agriculture pour 2018 réintègre en son sein ceux de la pêche et de l'aquaculture : 45 millions d'euros, soit à peu près ce qui était inscrit au budget de la mission écologie l'année dernière. La pêche revient dans le budget de l'agriculture, comme c'était le cas avant 2012. C'est le seul changement notable dans ce domaine, dans la mesure où toutes les lignes sont reconduites quasiment à l'identique : beaucoup d'entre elles sont la contrepartie de crédits du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
Le secteur de la pêche connaît une réelle embellie depuis trois ou quatre ans. Les prix de vente des poissons sont bien orientés, le prix du carburant reste bas, ce qui est essentiel à l'équilibre économique des armateurs car il faut en moyenne plus de 600 litres de carburant pour pêcher une tonne de poisson. Signe de l'optimisme des pêcheurs, on construit davantage de navires : 52 en 2014, 65 en 2016. Mais cette embellie ne doit pas cacher de réelles préoccupations. Tout d'abord, le Brexit fait peser une lourde menace sur la pêche en mer du Nord et Atlantique Nord-Est : les ports de Boulogne-sur-Mer à Lorient pourraient être durement impactés. À Cherbourg, les deux tiers du poisson débarqué viennent des eaux britanniques. Ensuite le FEAMP a tardé à démarrer, alors que la France dispose d'une enveloppe de 588 millions d'euros. Il convient désormais d'accélérer les engagements de crédits sur les projets concernant la pêche, faute de quoi ces soutiens vont retourner au budget européen et n'auront pas pu être utilisés par la France. Enfin, il conviendrait de mettre un coup d'accélérateur à aquaculture, qui constitue une alternative à la pêche. Le Conseil économique social et environnemental vient de rappeler l'intérêt de l'aquaculture dans un rapport récent, tout en déplorant qu'aucune ferme marine n'ait vu le jour depuis 20 ans.
Ma deuxième remarque porte sur les crédits consacrés à la forêt, qui baissent de 11 % dans le budget 2018 et passent à 243 millions d'euros en autorisations d'engagement. Cette situation s'explique en partie par la fin du plan qui avait été mis en place après la tempête Klaus de 2009. Au final, la reconstitution de 200 000 hectares de forêts touchées dans le Sud-Ouest a coûté 490 millions d'euros. Sur les 243 millions d'euros consacrés à la forêt, 175 millions sont destinés à l'Office national des forêts, dont 22 au titre des missions d'intérêt général. Le budget 2018 se caractérise par une grande stabilité par rapport à celui de 2017 concernant les dotations de l'ONF mais aussi du Centre national de la propriété forestière. Pour l'ONF, l'État suit donc une ligne de stabilité, exécutant les engagements du contrat d'objectifs et de performance 2016-2020. La mobilisation du bois en forêt publique par l'ONF semble progresser légèrement : l'Office a vendu l'année dernière pour 15,2 millions de mètres cubes de bois pour un chiffre d'affaires de plus de 500 millions d'euros. Il assure 40 % de la mise sur le marché du bois d'oeuvre en France. Les indicateurs économiques sont plutôt bien orientés, mais il convient de rester vigilant sur le climat social, toujours délicat, même si désormais l'ONF n'a plus l'obligation de réduire drastiquement ses effectifs, comme cela a été le cas entre 2002 et 2015. Concernant les crédits consacrés à la forêt, un point est particulièrement préoccupant : au-delà de la fin du plan Klaus, la baisse des crédits s'explique aussi en 2018 par une réduction de la dotation attribuée au fonds stratégique forêt bois (FSFB), qui passe de plus de 25 à moins de 18 millions d'euros. Même si ce fonds est alimenté par d'autres ressources, notamment le prélèvement sur les centimes forestiers de 3,7 millions d'euros et l'affectation de la taxe de défrichement, plafonnée à 2 millions d'euros, cette baisse est un très mauvais signal au secteur forestier. Rappelons qu'il y a un consensus pour dire qu'il faut investir 150 millions d'euros par an en forêt pour améliorer significativement son exploitation. On en sera donc loin avec le FSFB en 2018. Le doublement du fonds chaleur décidé en 2015 avait donné un coup de fouet à la filière bois-énergie, en finançant des chaufferies à biomasse. On peut souhaiter que la dynamique se poursuive pour la filière bois. Celle-ci ne se porte aujourd'hui pas trop mal, avec des prix qui se redressent et des investissements qui ont été réalisés dans la transformation : 300 millions d'euros grâce au suramortissement Sapin-Macron d'après la fédération nationale du bois. Mais il faudrait accélérer la mobilisation du bois, notamment en forêt privée qui est sous-exploitée, pour aller vers une meilleure valorisation et réduire notre colossal déficit commercial qui s'élève à près de 6 milliards d'euros. J'appelle donc à ne pas relâcher l'effort en matière de modernisation de la filière forestière qui doit être un atout pour notre pays.
Ma troisième observation concerne la gestion des risques en agriculture. Il y a consensus pour dire que c'est un point stratégique pour les exploitations. Or, la gestion des risques est un peu le parent pauvre du budget 2018. Tout d'abord, il n'y a pas de crédits pour le fonds des calamités agricoles, comme chaque année. Ensuite, le financement des aides à l'assurance multirisque climatique relève exclusivement depuis 2016 de crédits européens. Une enveloppe de 100 millions d'euros est prévue pour subventionner la souscription d'assurances par les agriculteurs mais les chambres d'agriculture estiment que le besoin pourrait être entre 114 et 139 millions d'euros, ce besoin augmentant dès lors que la diffusion de l'assurance multirisque climatique progresse. Dans ces conditions, la crainte est que le taux de subvention soit ajusté bien en dessous de 65 %, pour rentrer dans l'enveloppe. Enfin, la déduction pour aléas (DPA) reste insuffisamment utilisée. Elle a été simplifiée ces dernières années pour inciter les agriculteurs à se constituer ainsi une épargne de précaution défiscalisée et pleinement mobilisable en cas de crise. Elle se révèle insuffisamment attractive. Il convient donc de l'assouplir encore, voire d'envisager un dispositif d'épargne de précaution défiscalisée plus avantageuse encore, pour faire réellement de l'agriculteur le premier étage de la gestion des risques, avant les étages suivants que constituent les assurances et enfin, la solidarité nationale à travers le fonds des calamités. La gestion des risques passe aussi par l'ajustement permanent des charges à la situation économique réelle des agriculteurs. Or, sur ce point, notre système de prélèvement fiscal et social reste archaïque car il se fonde sur les revenus d'années précédentes, qui peuvent avoir un profil très différent de celle au cours de laquelle il faut régler ces prélèvements, compte tenu d'aléas conjoncturels puissants. Il me semble qu'un des chantiers de la gestion des risques économiques passe aussi par une remise à plat des assiettes de prélèvements, afin qu'elles correspondent à ce qu'est vraiment le salaire de l'exploitant agricole.
M. Martial Bourquin . - Très bonne remarque.
M. Henri Cabanel , rapporteur pour avis . - Ma quatrième remarque concerne le foncier agricole : sa préservation est primordiale et on peut se réjouir que le rythme de consommation des terres agricoles par l'urbanisation se soit réduit. Mais toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne : dans les espaces urbains en forte croissance démographique, la pression reste élevée.
Un autre problème réside dans le maintien de la maîtrise du foncier par les agriculteurs. En loi Sapin II puis par une proposition de loi discutée début 2017, on avait tenté de mettre en place des freins à la spéculation sur les terres agricoles portée par des investisseurs extérieurs au monde agricole. Mais le Conseil constitutionnel a vidé le dispositif que nous avions voté de sa substance. En vérité, nous sommes un peu démunis face aux montages de plus en plus complexes, qui visent à contourner les prérogatives des SAFER.
Je me réjouis que le budget 2018 dote de nouveau les SAFER d'une enveloppe de 3,75 millions d'euros. Mais les SAFER devraient pouvoir se financer par des ressources propres et ne pas dépendre des crédits budgétaires de l'État. J'espère que nous pourrons aller plus loin en attribuant aux SAFER une fraction de la taxe d'équipement qui bénéficie aujourd'hui aux établissements publics fonciers.
Je terminerai mon propos pour lancer un coup de projecteur sur la question des grands prédateurs et en particulier du loup. Le nombre des attaques de loup a progressé encore l'année dernière et nous atteignons les 10 000 victimes par an. La population de loups est estimée entre 320 et 400. Le loup coûte de plus en plus cher aux finances publiques : 1,6 million d'euros en 2013 pour les indemnisations, payées sur le budget de l'écologie, et 3,6 millions d'euros prévus en 2018.
Le budget de l'agriculture supporte, pour sa part, les mesures de protection -clôtures mobiles, chiens de protection, formation des bergers - et il explose, lui aussi, en passant de 6,5 millions d'euros en 2013 à 12,6 millions d'euros pour 2018. Cette politique coûte cher, et elle n'est pas très efficace, puisque les attaques ne cessent d'augmenter et que les éleveurs des zones touchées, de plus en plus étendues, finissent par se décourager. C'est dans ce contexte qu'est élaboré le prochain plan national loup 2018-2022. Si le statut d'espèce protégée par la convention de Berne exige des mesures de protection pour les loups, la cohabitation se révèle plus que difficile. Et aucune convention ne protège l'éleveur en zone de montagne. La solution n'est certainement pas dans le budget 2018, mais elle passe par un renforcement des mesures que peuvent prendre les éleveurs pour se défendre.
Pour conclure, je préconise l'abstention sur l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
Mme Sophie Primas , présidente. - Merci à nos trois rapporteurs pour avis et je passe la parole aux nombreux intervenants sur ce sujet agricole.
M. Joël Labbé . - D'emblée, je vous précise que je m'abstiendrai sur ces crédits pour certaines des raisons exprimées par Henri Cabanel. J'ajoute quelques remarques : tout d'abord, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES) manque de moyens humains, en particulier pour faciliter la mise sur le marché de produits alternatifs. Les procédures d'autorisation sont extrêmement complexes et les services sont surchargés de demandes. En ce qui concerne les exportations de viande, je constate des anomalies : 45 % de la volaille que nous consommons est importée alors que nous sommes exportateurs nets. Nous vendons à l'étranger des quantités croissantes de viande de broutard, dont on connait les qualités, tandis que 80 % de la viande bovine servie dans la restauration collective est importée. Ma dernière observation porte sur le ré-ancrage territorial de l'alimentation : elle est fondamentale tant pour les agriculteurs que les consommateurs. Le Président de la République a annoncé 50 % de local ou de Bio à l'horizon 2022 : je souhaite vivement qu'on y arrive mais encore faut-il enclencher le mouvement.
M. Daniel Gremillet . - Trois points : en premier lieu, le plus mauvais signal concerne le foncier agricole et forestier qu'il faudrait sortir de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ensuite, je déplore, dans ce budget, la rupture avec le principe du « un pour un » dans le domaine des calamités agricoles : je rappelle que l'État apportait autant que les agriculteurs en cas de sinistre ; puis on a mis un système assurantiel qui rencontre aujourd'hui ses limites mais on ne voit rien dans ce budget pour couvrir les risques auxquels sont confrontés nos agriculteurs. S'agissant de l'amendement du rapporteur sur les « centimes forestiers » - que je soutiendrai même si on pourrait aller encore plus loin - je suis très surpris que l'on fasse remonter cette contribution au niveau national et qu'on prive le niveau départemental de cette ressource. Enfin le ralentissement des aides à l'investissement est très inquiétant puisqu'au même moment on affirme que les systèmes agricoles doivent profondément évoluer.
M. Pierre Louault . - Mon premier point concerne la réduction des crédits de personnels. Je rappelle le scandale de la gestion des fonds européens qui a fait perdre trois milliards d'euros à la France et qui ont été payés par les agriculteurs. Pourtant, l'agriculture française est suradministrée avec un fonctionnaire pour 30 agriculteurs. La moitié des effectifs travaillent en administration centrale et on les augmente encore tandis que les vrais besoins se situent dans les directions départementales. On n'a pas suffisamment sanctionné, à Paris, l'incompétence pour mobiliser les fonds européens et il faudrait influencer la politique actuelle d'une part, pour garnir les effectifs sur le terrain et, d'autre part, pour faire progresser les crédits de modernisation qui sont soutenus par l'Europe. Un mot enfin : notre agriculture n'est plus assez compétitive parce qu' « on a accroché trop de gamelles » aux agriculteurs. C'est la raison pour laquelle on ne consomme plus assez de viande française : elle est de haute qualité mais trop chère.
Mme Catherine Procaccia . - Henri Cabanel a signalé qu'aucune ferme aquacole n'a été créée depuis trente ans et je m'interroge sur les raisons financières ou environnementales de cette situation. J'apporte également mon soutien total à l'intervention précédente sur la nécessité de rééquilibrer les effectifs de fonctionnaires pour regarnir le niveau déconcentré départemental ou régional.
Mme Anne-Catherine Loisier . - S'agissant du secteur forestier, « on va dans le mur en klaxonnant ». Chacun connaît la situation financière dramatique de l'Office national des forêts avec, comme variable d'ajustement les contributions demandées aux communes. Pour dynamiser la forêt on a, par ailleurs, créé le fonds stratégique mais celui-ci n'est pas suffisamment alimenté si bien qu'on ne reboise pas, ce qui revient à « couper le blé en herbe ». Certes, les chiffres témoignent d'une mobilisation plus forte du bois mais cela nous amène tout droit à des pénuries - tel est d'ores et déjà le cas pour le chêne. Je souhaite qu'on incite davantage les scieurs et les producteurs à renouveler les essences de nos peuplements, avec en particulier des hêtres en très grand nombre qu'il faudrait mobiliser. S'agissant de la taxe sur les défrichements, nous avons été sollicités à juste titre car, même si cela représente des sommes limitées, « il faut réinvestir l'argent de la forêt dans la forêt ».
M. Franck Montaugé . - L'audition du ministre de l'Agriculture hier soir nous a laissé sur notre faim. S'agissant des enjeux de compétitivité ou d'organisation performante de nos filières, le Gouvernement ne dessine pas de perspective claire. Il en va de même pour les revenus des producteurs, la gestion des risques et la polyculture -élevage.
S'agissant de la PAC, l'exécutif pourrait utilement s'appuyer sur le rapport de notre groupe de travail auquel est associé une résolution européenne. Le Gouvernement devrait s'en inspirer et j'aurai souhaité qu'elle puisse faire l'objet d'un débat en séance publique.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je vais alerter le gouvernement à ce sujet.
M. Franck Menonville . - Tout d'abord, note positive : dans le contexte de rigueur budgétaire les crédits de l'agriculture sont sauvegardés. Ensuite, il faudra que le Parlement corrige un certain nombre de dispositifs. Je reviens sur la réforme de l'IFI : j'y suis très favorable mais elle comporte une faille dans le domaine foncier : tout particulièrement afin de faciliter les installations de jeunes agriculteurs, il faut que le foncier qui leur est loué par les propriétaires bailleurs puisse être traité comme un bien professionnel.
S'agissant des crédits alloués aux SAFER, je fais observer que son augmentation résulte principalement du fléchage de la politique foncière en Guyane : pour l'hexagone, aucun moyen supplémentaire n'est prévu.
M. Alain Duran . - En ce qui concerne les prédateurs, je voudrais qu'on mette en balance des exigences contradictoires. La directive habitat vante la biodiversité à la fois végétale et animale mais je me demande, par exemple dans les Pyrénées, si les effets de la réintroduction de l'ours compensent suffisamment la perte environnementale liée à la limitation du pastoralisme, seul capable de maintenir ouverts des espaces situés entre 1800 et 2000 mètres d'altitude. Du point de vue de nos agriculteurs qui élèvent des animaux de qualité, il est inacceptable d'alimenter à hauteur de millions d'euros le budget consacré aux prédateurs : la colère monte dans nos campagnes et le Gouvernement doit en prendre la mesure avant qu'il ne soit trop tard.
M. Roland Courteau . - Le secteur viticole pèse à l'exportation huit milliards d'euros, soit l'équivalent de dizaines d'Airbus, de centaines de TGV, avec des milliers d'emplois à la clef et une contribution au rayonnement de la France. Pourtant la récente campagne de prévention de l'alcoolisme, parfaitement légitime dans son principe, cible uniquement le vin et pas les alcools durs. On ne peut pas à la fois promouvoir les vins français à l'étranger et les dénigrer en France. Je demande donc le respect du code de la santé qui interdit les discriminations entre les boissons dans ces actions de prévention. Je rappelle que la consommation de vin a baissé de 60 % au cours des dernières décennies.
M. Daniel Dubois . - Deux courtes observations : tout d'abord, à propos du mal être des agriculteurs évoqué par Laurent Duplomb, je signale la publication d'une étude américaine très sérieuse selon laquelle le Glyphosate ne serait pas cancérigène, ce qui viendrait conforter les indications récentes de l'ANSES. Je voudrais que, si cette étude est indiscutable, nous puissions être porteurs de messages de raison. En second lieu, même si, conjoncturellement, la situation s'améliore sur certains points, il faut continuer à combattre la prolifération des normes qui pèse lourdement et structurellement sur le moral de nos agriculteurs et l'efficacité de leur activité.
Mme Anne-Marie Bertrand . - Un mot pour rappeler qu'il ne faut pas oublier les arboriculteurs et le maraîchage qui utilisent des technologies de pointe mais sont les oubliés de ce budget.
M. Marc Daunis . - Je m'associe aux propos de notre collègue Alain Duran sur les prédateurs et la biodiversité. La problématique est assez similaire dans les Pyrénées et les Alpes maritimes avec l'ours dans le premier cas et le loup dans le second. L'agro-pastoralisme, tel qu'il se pratique dans les Alpes maritimes, ne permet pas de se protéger contre le loup puisque les troupeaux sont laissés en liberté. L'acceptation du loup contraint à abandonner le pastoralisme ce qui entraine à la fois des drames humains et une perte de diversité biologique. Il faut sortir du dogmatisme et cartographier de façon réaliste les endroits compatibles avec la présence du loup.
Mme Sophie Primas , présidente . - Je passe la parole à nos rapporteurs pour avis pour qu'ils puissent répondre aux interventions.
M. Henri Cabanel , rapporteur pour avis . - S'agissant de la raréfaction des installations de fermes marines depuis une vingtaine d'années, je précise qu'elles sont soumises aux règles des Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) : la complexité administrative est telle que beaucoup se découragent. Le phénomène n'est donc pas lié à l'insuffisance de financement - 30 millions d'euros de crédits ont été consommés sur 588 millions - mais aux difficultés de montage des dossiers. S'y ajoutent, dans le choix des sites, les conflits d'usage avec la pêche et le tourisme.
Par ailleurs, il faut permettre aux Safer de s'autofinancer : chacun sait qu'elles ont « déstocké » en raison de difficultés budgétaires.
Sur le Glyphosate, je rappelle que le Parlement européen a formulé une proposition équilibrée prévoyant une reconduction pendant cinq ans, suivie d'une interdiction. Outre-Atlantique, une autorisation supplémentaire de dix ans a été accordée et cela doit nous conduire à une très grande vigilance et à mettre en place un système de traçabilité permettant, par exemple, d'identifier lorsque l'on achète du pain, la provenance du blé et de la farine qui le compose.
Mme Sophie Primas , présidente . - Les travaux de la mission commune d'information sur les pesticides qui avait rendu son rapport (n° 42, 2012-2013) il y a six ans montrait que des produits non autorisés parviennent à franchir les frontières : le sujet est donc pertinent.
Mme Françoise Férat , rapporteur pour avis . - Je partage l'inquiétude exprimée sur les moyens de l'ANSES : le ministre semble se satisfaire qu'on retrouve le niveau budgétaire de 2016 mais il faudrait aller plus loin et tenir compte de la multiplication des crises sanitaires.
M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis . - Pour prolonger les propos de mon collègue Henri Cabanel, je citerai l'étude sur la lentille verte qui est produite dans mon département : elles sont produites sur la base de 0,1 milligramme par kg de Glyphosate, ce qui correspond à la norme française. D'autres pays exportateurs ont souhaité que la règle soit assouplie au niveau européen : je rappelle que la lentille canadienne est à 4 milligrammes et 5 pour les États-Unis. La norme européenne a été portée à 10 milligrammes par kg et je suis donc surpris de constater que c'est en France, là où les normes sont les plus restrictives, que le débat sur l'interdiction du Glyphosate est le plus vivace.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous en venons à l'examen des amendements au projet de loi de finances annoncés par nos trois rapporteurs pour avis.
M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis . - Le premier vise à maintenir jusqu'à son terme, c'est-à-dire 2021, le fonds d'accompagnement créé pour prendre en charge les hausses de cotisations sociales dues par les exploitants pénalisés par le passage du régime du forfait au micro-bénéfice agricole. Je rappelle que ce fonds a rendu la réforme plus acceptable et a fait l'objet d'un accord entre l'État et les organisations professionnelles agricoles. Financièrement, la fin du forfait a engendré des économies de fonctionnement pour les services fiscaux, ce qui facilite l'alimentation de ce fonds par l'État prévue à hauteur de 8 millions d'euros de 2017 à 2019, 6 millions d'euros en 2020 et 3 millions d'euros en 2021.
L'article 49 vise à supprimer ce fonds à compter de 2018, estimant que les mesures du PLFSS 2018 devraient davantage alléger les cotisations sociales des agriculteurs. Or, même si le fonds n'est pas utilisé en totalité, il conserve une utilité et l'État doit respecter l'engagement pris en 2015 d'accompagner jusqu'au bout la réforme du forfait agricole.
La commission approuve l'amendement COM-1 de suppression de l'article 49.
M. Laurent Duplomb , rapporteur pour avis . - Le second amendement qui vous est soumis porte sur l'article 49 bis. Introduit par les députés à l'initiative du Gouvernement, cet article vise à faire remonter l'intégralité des « centimes forestiers » perçus par les chambres départementales d'agriculture, jusqu'à présent fléchés vers l'action forestière et le fonctionnement des chambres départementales, à un fonds national piloté par l'assemblée permanente des chambres d'agriculture. Concrètement, les chambres départementales n'auront plus aucun moyen issu de la ressource forestière. Cette réforme conduirait à priver une trentaine de chambres de ressources importantes et de mettre en danger financièrement une dizaine d'entre elles. L'amendement propose donc de ne faire remonter au niveau national qu'une fraction des centimes forestiers, pour ne pas pénaliser les chambres départementales des départements forestiers et leur laisser la maîtrise d'une part de leurs ressources.
La commission approuve l'amendement COM-1 modifiant l'article 49 bis.
Puis la commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».