EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Au titre de ses compétences en matière d'organisation juridictionnelle, votre commission des lois s'est saisie pour avis de la proposition de loi n° 542 (2015-2016), adoptée par l'Assemblée nationale, réformant le système de répression des abus de marché, envoyée au fond à la commission des finances, destinée à répondre aux exigences de la décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015.
Dans certaines de ses dispositions, en effet, la présente proposition de loi concerne l'organisation juridictionnelle, à savoir les conditions d'exercice des poursuites des infractions boursières particulières que sont les abus de marché par le ministère public, en l'espèce le procureur de la République financier (PRF), et par une autorité administrative indépendante dotée d'un pouvoir de sanction, en l'espèce l'Autorité des marchés financiers (AMF). La proposition de loi s'attache ainsi à la question du cumul des poursuites et, le cas échéant, à l'articulation des sanctions pénales et des sanctions administratives.
Dans sa décision du 18 mars 2015 précitée, le Conseil constitutionnel a censuré la possibilité de cumul, dans la mesure où les sanctions prononcées par le juge pénal comme par l'AMF relèvent en appel de la compétence de l'ordre judiciaire, méconnaissant ainsi le principe de nécessité des délits et des peines.
Examinée dans des délais brefs - elle a été déposée le 24 mars dernier par nos collègues députés Dominique Baert et Dominique Lefebvre avant d'être adoptée par l'Assemblée nationale le 7 avril, le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée 1 ( * ) -, la présente proposition de loi vise à substituer sans tarder de nouvelles dispositions à celles qui ont été abrogées par le Conseil constitutionnel, avec une date d'effet différée au 1 er septembre 2016.
Aussi la présente proposition de loi instaure-t-elle, parmi les diverses solutions débattues depuis mars 2015 pour supprimer le cumul sans remettre en cause les compétences du juge pénal et de l'AMF, un principe d'exclusivité des poursuites par l'une ou l'autre des deux autorités compétentes, dans le cadre d'un mécanisme procédural de dialogue entre elles sous l'arbitrage du procureur général près la cour d'appel de Paris. Ce texte intéresse ainsi plus largement les conditions d'organisation de la compétence du juge judiciaire. De plus, ce mécanisme pourra servir de modèle pour résoudre, le moment venu, dans d'autres champs que la législation boursière, d'autres difficultés résultant d'un tel cumul, susceptibles de résulter de décisions du Conseil constitutionnel voire de décisions d'une juridiction européenne.
I. LA CONTESTATION DU CUMUL DES SANCTIONS PÉNALES ET ADMINISTRATIVES AU NOM DU PRINCIPE « NON BIS IN IDEM »
Le principe juridictionnel « non bis in idem » veut que l'on ne puisse pas être poursuivi, jugé et puni deux fois pour les mêmes faits 2 ( * ) . Ainsi, l'article 6 du code de procédure pénale prévoit le principe selon lequel « l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par (...) la chose jugée ».
Toutefois, le droit français comporte de nombreux régimes prévoyant, pour la même personne et pour les mêmes faits, le cumul de sanctions pénales et de sanctions administratives 3 ( * ) . En d'autres termes, la même personne peut être poursuivie par la voie pénale et par la voie administrative et se voir infliger cumulativement par le juge pénal et l'administration - le cas échéant agissant sous forme d'une autorité administrative indépendante disposant d'un pouvoir de sanction - une sanction pénale et une sanction administrative. Alors que le recours contre la sanction pénale relève toujours de l'ordre judiciaire, le recours contre la sanction administrative relève en principe, mais pas dans tous les cas, de l'ordre administratif.
Dans le champ économique, il a pu apparaître opportun au législateur, dans un souci de bonne administration de la justice, puisque le juge judiciaire est le juge naturel des relations économiques, de faire relever de ce dernier les recours formés contre des sanctions prononcées par une autorité administrative indépendante agissant comme régulateur économique, par exemple l'Autorité de la concurrence ou l'Autorité des marchés financiers. Pour cette dernière, les sanctions de nature administrative prononcées par sa commission des sanctions en cas d'abus de marché peuvent être cumulées avec des sanctions pénales, prononcées par le tribunal correctionnel de Paris, seul compétent 4 ( * ) , au terme de de poursuites exercées par le procureur de la République financier, également seul compétent, les unes comme les autres étant susceptibles de relever ensuite de la compétence de la cour d'appel de Paris 5 ( * ) .
Pour mémoire, votre rapporteur rappelle qu'il existe trois catégories d'abus de marché 6 ( * ) :
- l'opération d'initié, consistant à utiliser ou à communiquer, en toute connaissance de cause, une information privilégiée pour en retirer un bénéfice, à son profit ou à celui d'un tiers, sur un marché d'instruments financiers ;
- la manipulation de cours d'instrument financier ou la manipulation d'indice, consistant à se comporter sur un marché d'une manière donnant des indications trompeuses de nature à affecter le cours de l'instrument financier ou le calcul de l'indice ;
- la diffusion de fausses nouvelles, consistant à diffuser au marché des informations trompeuses de nature à affecter le cours d'un instrument financier ou le calcul d'un indice.
Les sanctions encourues en cas d'abus de marché, prononcées par le juge pénal ou par l'Autorité des marchés financiers (AMF), sont rappelées dans l'encadré ci-après.
Les sanctions encourues en cas d'abus de marché En l'état du droit, en application des articles L. 465-1 à L. 465-3 du code monétaire et financier, les abus de marché sont réprimés par le juge pénal avec les sanctions suivantes : - le délit d'initié fait encourir deux ans de prison et 1,5 million d'euros d'amende à son auteur, s'il utilise des informations privilégiées obtenues à l'occasion de ses fonctions pour en retirer un profit personnel ; - le délit d'initié fait encourir un an de prison et 150 000 euros d'amende à son auteur, s'il communique des informations privilégiées obtenues à l'occasion de ses fonctions à un tiers en dehors du cadre normal de ses fonctions ; - le délit d'initié fait encourir un an de prison et 150 000 euros d'amende à son auteur, s'il utilise ou communique des informations privilégiées obtenues en dehors de ses fonctions ; - la manipulation de cours ou d'indice fait encourir deux ans de prison et 1,5 million d'euros d'amende à son auteur ; - la diffusion de fausses nouvelles fait encourir deux ans de prison et 1,5 million d'euros d'amende à son auteur. Dans tous les cas, l'amende peut être portée au décuple du montant du profit réalisé, sans être inférieure à ce même profit. Lorsque ces délits sont commis par une personne morale, les amendes encourues sont portées au quintuple, en application de l'article 131-38 du code pénal, et peuvent aussi être encourues la dissolution, l'interdiction temporaire ou définitive de l'activité professionnelle concernée, le placement sous surveillance judiciaire, l'interdiction temporaire ou définitive de procéder à une offre au public de titres financiers... La présente proposition de loi tend à réformer ces délits, avec des sanctions aggravées, dans le cadre déterminé par la directive 2014/57/UE du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché : cinq ans de prison et 100 millions d'euros d'amende, l'amende pouvant être portée au décuple de l'avantage retiré du délit. En application de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, les abus de marché sont réprimés par l'Autorité des marchés financiers (AMF) avec les sanctions suivantes : - pour les professionnels des marchés financiers, l'opération d'initié, la manipulation de cours et la diffusion de fausse information font encourir à leur auteur une sanction professionnelle (avertissement, blâme, interdiction temporaire ou définitif d'exercice...) ainsi qu'une sanction pécuniaire de 100 millions d'euros ou du décuple du profit réalisé ; - pour les personnes physiques placées sous la responsabilité des professionnels ou agissant pour leur compte, les mêmes infractions font encourir à leur auteur une sanction professionnelle (avertissement, blâme, interdiction temporaire ou définitif d'exercice...) ainsi qu'une sanction pécuniaire, selon le cas, de 15 millions d'euros ou du décuple du profit réalisé ou bien de 300 000 euros ou du quintuple des profits réalisés ; - pour les non-professionnels, les mêmes infractions font encourir à leur auteur une sanction pécuniaire de 100 millions d'euros ou du décuple du profit réalisé. |
À cet égard, outre les appels formés devant la cour d'appel de Paris à l'encontre des condamnations pénales prononcées en la matière par le tribunal correctionnel de Paris, votre rapporteur précise que les recours formés contre les sanctions prononcées par l'AMF en matière d'abus de marché relèvent, selon le cas, du Conseil d'État ou de la cour d'appel de Paris 7 ( * ) .
Ainsi, il existe trois cas de figure en matière d'organisation des voies de recours en matière de répression des abus de marché :
- les sanctions professionnelles et pécuniaires prononcées par l'AMF à l'encontre de professionnels des marchés financiers 8 ( * ) relèvent du Conseil d'État, en premier et dernier ressort, par la voie d'un recours de pleine juridiction ;
- les sanctions pécuniaires prononcées par l'AMF à l'encontre de non-professionnels relèvent de la cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation ;
- les peines d'amende et d'emprisonnement prononcées par le tribunal correctionnel de Paris à l'encontre de professionnels et de non-professionnels relèvent de la cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation.
Un même non-professionnel peut donc être cumulativement condamné à des sanctions de nature pécuniaire par l'AMF et par le juge pénal, relevant toutes en appel de la compétence de la cour d'appel de Paris. C'est le principe d'un tel cumul de sanctions pour les mêmes faits au sein d'un même ordre de juridiction que le Conseil constitutionnel a censuré dans sa décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015.
Par cette décision, dont les principaux extraits figurent dans l'encadré ci-après, le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence selon laquelle « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction » 9 ( * ) . Il a ensuite constaté que le délit d'initié, dont la répression relève du juge pénal, et le manquement d'initié, dont la sanction appartient à l'AMF, visent en réalité les mêmes faits 10 ( * ) , pour protéger les mêmes intérêts sociaux 11 ( * ) , en les réprimant par des sanctions de même nature, c'est-à-dire d'une sévérité équivalente 12 ( * ) . Il a enfin constaté que la condamnation pour délit d'initié prononcée par le juge pénal et la sanction pour manquement d'initié prononcée par l'AMF à l'encontre d'un non-professionnel « relèvent toutes deux des juridictions de l'ordre judiciaire ».
Le Conseil constitutionnel a ainsi dégagé quatre critères d'appréciation de la conformité du cumul au principe de nécessité des délits et des peines, la réunion de ces quatre critères entraînant une inconstitutionnalité : identité des faits poursuivis, identité des intérêts sociaux protégés par le système répressif existant, même nature des sanctions encourues et compétence du même ordre de juridiction.
Les trois premiers critères étant réunis, le quatrième critère du même ordre de juridiction a conduit le Conseil à censurer les dispositions contestées relatives au délit d'initié et au manquement d'initié, avec toutefois une date d'abrogation différée au 1 er septembre 2016, de façon à ce que le législateur ait la possibilité de remédier à l'inconstitutionnalité constatée sans qu'entre-temps soient empêchées la poursuite et la correcte répression des opérations d'initié.
Extraits de la décision
n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du Conseil constitutionnel
« 19. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition ; que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ; « 20. (...) « 21. (...) « 22. Considérant, d'autre part, en premier lieu , que l'article L. 465-1 du code monétaire et financier définit le délit d'initié comme le fait, pour toute personne, de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement soit indirectement, une ou plusieurs opérations en utilisant des informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier admis sur un marché réglementé, dès lors que cette personne a acquis ces informations à l'occasion de l'exercice de sa profession ou de ses fonctions ou qu'elle avait connaissance de leur caractère privilégié ; que ce même article incrimine également le fait de communiquer à un tiers les informations susmentionnées avant que le public en ait connaissance ; « 23. Considérant que les dispositions contestées de l'article L. 621-15 du même code définissent le manquement d'initié comme le fait, pour toute personne, de se livrer ou de tenter de se livrer à une opération d'initié dès lors que ces actes concernent un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur certains systèmes multilatéraux de négociation ; qu'en vertu de l'article 622-1 du règlement de l'Autorité des marchés financiers susvisé, pris en application de l'article L. 621-6 du code monétaire et financier, toute personne disposant d'une information privilégiée doit s'abstenir d'utiliser celle-ci en acquérant ou en cédant, ou en tentant d'acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ; qu'en vertu de ce même article 622-1, toute personne disposant d'une information privilégiée doit également s'abstenir de communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée et de recommander à une autre personne d'acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d'une information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ; qu'en vertu de l'article 622-2 du même règlement ces obligations d'abstention s'appliquent à toute personne détenant une information privilégiée en raison de certaines fonctions ou qualités ainsi qu'à toute personne détenant une information privilégiée et « qui sait ou qui aurait dû savoir » qu'il s'agit d'une information privilégiée ; « 24. Considérant que les dispositions contestées tendent à réprimer les mêmes faits ; que soit les délits et manquements d'initié ne peuvent être commis qu'à l'occasion de l'exercice de certaines fonctions, soit ils ne peuvent être commis, pour le délit d'initié, que par une personne possédant une information privilégiée « en connaissance de cause » et, pour le manquement d'initié, par une personne « qui sait ou qui aurait dû savoir » que l'information qu'elle détenait constituait une information privilégiée ; qu'il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées définissent et qualifient de la même manière le manquement d'initié et le délit d'initié ; « 25. Considérant, en deuxième lieu , que l'article L. 465-1 du code monétaire et financier relatif à la répression du délit d'initié est inclus dans un chapitre de ce code consacré aux « infractions relatives à la protection des investisseurs » ; qu'aux termes de l'article L. 621-1 du même code, l'Autorité des marchés financiers veille à « la protection de l'épargne investie » dans les instruments financiers, divers actifs et tous les autres placements offerts au public ; qu'ainsi, la répression du manquement d'initié et celle du délit d'initié poursuivent une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et de l'intégrité des marchés financiers ; que ces répressions d'atteintes portées à l'ordre public économique s'exercent dans les deux cas non seulement à l'égard des professionnels, mais également à l'égard de toute personne ayant utilisé illégalement une information privilégiée ; que ces deux répressions protègent en conséquence les mêmes intérêts sociaux ; « 26. Considérant, en troisième lieu , qu'en vertu de l'article L. 465-1, l'auteur d'un délit d'initié peut être puni d'une peine de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 euros qui peut être portée au décuple du montant du profit éventuellement réalisé ; qu'en vertu des articles 131-38 et 131-39 du code pénal et L. 465-3 du code monétaire et financier, s'il s'agit d'une personne morale, le taux maximum de l'amende est égal au quintuple de celui prévu par l'article L. 465-1 et le juge pénal peut, sous certaines conditions, prononcer la dissolution de celle-ci ; qu'en vertu du paragraphe III de l'article L. 621-15 dans sa version contestée, l'auteur d'un manquement d'initié, qu'il soit ou non soumis à certaines obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers, encourt une sanction pécuniaire de 10 millions d'euros, qui peut être portée au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; que, si seul le juge pénal peut condamner l'auteur d'un délit d'initié à une peine d'emprisonnement lorsqu'il s'agit d'une personne physique et prononcer sa dissolution lorsqu'il s'agit d'une personne morale, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers peuvent être d'une très grande sévérité et atteindre, selon les dispositions contestées de l'article L. 621-15, jusqu'à plus de six fois celles encourues devant la juridiction pénale en cas de délit d'initié ; qu'en outre, en vertu du paragraphe III de l'article L. 621-15, le montant de la sanction du manquement d'initié doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements et, en vertu de l'article 132-24 du code pénal, la peine prononcée en cas de condamnation pour délit d'initié doit être prononcée en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ; qu'il résulte de ce qui précède que les faits prévus par les articles précités doivent être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions qui ne sont pas de nature différente ; « 27. Considérant, en quatrième lieu , qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier : « L'examen des recours formés contre les décisions individuelles de l'Autorité des marchés financiers autres que celles, y compris les sanctions prononcées à leur encontre, relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 est de la compétence du juge judiciaire » ; qu'aux termes de l'article 705-1 du code de procédure pénale : « Le procureur de la République financier et les juridictions d'instruction et de jugement de Paris ont seuls compétence pour la poursuite, l'instruction et le jugement des délits prévus aux articles L. 465-1, L. 465-2 et L. 465-2-1 du code monétaire et financier. » ; que la sanction encourue par l'auteur d'un manquement d'initié autre qu'une personne ou entité mentionnée au paragraphe II de l'article L. 621-9 et la sanction encourue par l'auteur d'un délit d'initié relèvent toutes deux des juridictions de l'ordre judiciaire ; « 28. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sanctions du délit d'initié et du manquement d'initié ne peuvent, pour les personnes autres que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier, être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, ni les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier, ni aucune autre disposition législative, n'excluent qu'une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 puisse faire l'objet, pour les mêmes faits, de poursuites devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers sur le fondement de l'article L. 621-15 et devant l'autorité judiciaire sur le fondement de l'article L. 465-1 ; que, par suite, les articles L. 465-1 et L. 621-15 méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, l'article L. 465-1 du code monétaire et financier et les dispositions contestées de l'article L. 621-15 du même code doivent être déclarés contraires à la Constitution ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, des dispositions contestées des articles L. 466-1, L. 621-15-1, L. 621-16 et L. 621-16-1 du même code, qui en sont inséparables ; » |
La lecture de la décision montre que c'est bien ce quatrième critère qui a conduit le Conseil constitutionnel à prononcer l'inconstitutionnalité au titre du principe « non bis in idem » tel qu'il l'a interprété. A contrario , le cumul pour les mêmes faits d'une sanction pénale et d'une sanction administrative d'une nature comparable, en vue de protéger les mêmes intérêts sociaux, mais qui relèveraient pour la première du juge judiciaire et pour la seconde du juge administratif, ne soulèverait aucun problème de constitutionnalité, sous réserve du plafonnement des sanctions cumulées au montant de la sanction encourue la plus élevée conformément au principe de proportionnalité.
Votre rapporteur constate que ce critère du même ordre de juridiction fait l'objet de critiques pour son manque de pertinence au regard du principe « non bis in idem », y compris lors de ses auditions, de même que le critère de la même nature des sanctions, lequel laisse supposer qu'une lourde amende serait équivalente à une peine d'emprisonnement pour une personne physique.
Si la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 précitée exige une intervention rapide du législateur pour continuer à assurer une répression efficace des abus de marché, la contestation du cumul des sanctions pénales et administratives pour les mêmes faits au sein d'un même ordre de juridiction n'est pas apparue à l'occasion de cette décision.
Ainsi, le rapport du groupe de travail sur la dépénalisation de la vie des affaires, présidé par M. Jean-Marie Coulon, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris, dit « rapport Coulon » 13 ( * ) , remontant à janvier 2008, soulignait déjà le risque juridique résultant d'un tel cumul et préconisait de « limiter le cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives » et même de le supprimer pour les infractions en matière de droit boursier et de droit de la concurrence. Les principales conclusions de ce rapport concernant le principe « non bis in idem » dans le domaine des infractions boursières sont présentées dans l'encadré ci-après. Les recommandations formulées pour mieux articuler les poursuites pénales et les poursuites de l'AMF en matière d'abus de marché ne sont pas très éloignées du mécanisme envisagé par la présente proposition de loi.
Extraits du rapport du groupe de travail sur la
dépénalisation de la vie des affaires,
« Limiter le cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives « Le cumul des sanctions pénales et administratives, qui existe notamment s'agissant des sanctions prononcées par l'Autorité des marchés financiers (AMF) et le Conseil de la concurrence, fait l'objet de vives critiques, même si cette situation a été juridiquement validée par le Conseil constitutionnel (...). « La position de la France apparaît également fragile au regard de nos engagements internationaux, notamment de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont le protocole n° 7 demande aux États parties de se conformer à l'adage non bis in idem . (...) « Cette situation est peu satisfaisante et entraîne un accroissement des frais engagés par l'État pour réguler ces secteurs. Les autorités administratives indépendantes concernées, et notamment l'AMF, sont accusées d'avoir un rôle quasi-pénal sans disposer des garanties attachées à la procédure pénale, et il est reproché au juge pénal la méconnaissance de ces matières techniques, la faiblesse des sanctions prononcées ainsi que la lenteur de ses procédures. « La suppression de ce cumul de sanctions s'impose donc, mais se pose en des termes différents pour le Conseil de la concurrence et pour l'Autorité des marchés financiers. (...) « Cumul de sanctions et Conseil de la concurrence « La réforme de l'article 121-2 du Code pénal a généralisé la responsabilité des personnes morales à l'ensemble des infractions, dont l'article L. 420-6 du Code de commerce. « La suppression de la sanction administrative pour mettre fin à la double sanction doit être écartée, car notre système de régulation de la concurrence, qui repose principalement, comme presque partout ailleurs en Europe, sur des sanctions administratives applicables aux personnes morales, a été retenu en 1986 car il présentait l'avantage, par rapport à un système principalement judiciaire (civil et/ou pénal) de concentrer les moyens et l'expertise nécessaires dans le domaine juridiquement et économiquement complexe du droit de la concurrence, pour réunir les preuves et apprécier les faits. (...) « Aussi serait-t-il plus cohérent de prévoir une exception à la généralisation de la responsabilité des personnes morales, en prévoyant que l'article L. 420-6 ne leur est pas applicable, du fait de l'existence d'une procédure de sanction administrative confiée au Conseil de la concurrence. (...) « Cumul de sanctions et AMF « (...) Le droit boursier est donc probablement le principal domaine concerné par le cumul, les infractions boursières constituant à la fois des violations de la réglementation de l'AMF et des violations de la loi pénale. « Par ailleurs, les critiques formulées à l'encontre de la commission des sanctions sont nombreuses (...). « Nombre d'intervenants se sont prononcés en faveur d'une architecture confiant au seul juge pénal les cas d'abus de marché les plus graves, la commission des sanctions restant compétente pour la répression de tous les manquements à son règlement général. (...) « En outre, lorsque la voie pénale est privilégiée, il apparaît nécessaire de garantir que la réponse apportée le sera rapidement et efficacement. (...) « Les propositions qui suivent visent à répondre à ces objectifs : « 1. Maintien du rôle de l'AMF et de ses procédures en l'état, pour tous les manquements ne faisant pas l'objet d'un cumul avec le droit pénal. (...) « 2. S'agissant des faits susceptibles de recevoir à la fois la qualification de manquement au règlement de l'AMF et d'infraction pénale, la procédure suivante devrait être adoptée afin de mettre fin au système actuel de la double sanction : « - obligation pour l'AMF de dénoncer au plus vite au parquet les faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, sans attendre la notification de griefs ; « - conduite parallèle de l'enquête AMF et de l'enquête judiciaire, avec des échanges d'informations, de pièces et de demandes d'avis tels qu'ils sont d'ores et déjà pratiqués ; « - dans l'attente de la décision finale du parquet quant à la suite judiciaire ou administrative, l'AMF serait tenue de surseoir à l'engagement de sanctions ; « - à l'issue de l'enquête pénale et après avis de l'AMF, le parquet aurait la possibilité de renvoyer la procédure à l'AMF pour une sanction administrative ; « - au cas où celle-ci ne serait finalement pas prononcée, il serait toujours possible pour le parquet de poursuivre. « Par ailleurs, il est apparu au groupe de travail que la création d'équipes communes d'enquête, sous l'autorité du procureur de la République, pourrait être encouragée à l'avenir dans un cadre juridique restant à définir, afin de répondre aux critiques formulées à l'égard de l'existence d'une double enquête par deux services distincts, qui procèdent cependant aux mêmes actes et auditions. (...) « Il aurait pu être envisagé, plus simplement, de supprimer les manquements susceptibles d'entrer en cumul avec des délits, mais cette hypothèse a été écartée afin d'éviter les failles dans la répression de certains manquements administratifs, tels que la diffusion de fausse information par simple erreur. (...) » |
Plus largement, au-delà de la réponse urgente à apporter à la décision du 18 mars 2015 précitée, votre rapporteur estime que le risque constitutionnel existe aussi dans d'autres domaines connaissant un cumul de sanctions pénales et administratives relevant du même ordre de juridiction.
À cet égard, il observe que le Conseil constitutionnel a été saisi très récemment de deux questions prioritaires de constitutionnalité 14 ( * ) comparables à celles ayant donné lieu à sa décision du 18 mars 2015 précitée. Ces deux affaires concernent le cumul de sanctions pénales et fiscales en matière respectivement de droits d'enregistrement, en particulier les droits de succession, et d'impôt sur la fortune, les recours formés à l'encontre des pénalités infligées par l'administration fiscale relevant de l'ordre judiciaire 15 ( * ) .
La question peut aussi se poser pour le cumul de sanctions pénales et de sanctions administratives prononcées par l'Autorité de la concurrence, en cas de sanctions pécuniaires, à l'encontre des personnes morales responsables de pratiques anticoncurrentielles 16 ( * ) : dans les deux cas, ces sanctions relèvent de l'ordre judiciaire.
À cet égard, votre rapporteur rappelle le constat critique formulé par notre collègue Jacques Mézard, dans son rapport fait au nom de la commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes 17 ( * ) , selon lequel, « jugé plus efficace et rapide que la répression pénale devant l'autorité judiciaire, le recours aux sanctions administratives confiées à des autorités indépendantes du Gouvernement a prospéré », conduisant aux difficultés juridiques actuelles.
En outre, au-delà même de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le droit français prévoyant le cumul de sanctions pénales et administratives présente une fragilité au regard du droit de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, dans une moindre mesure, au regard du droit de l'Union européenne. Le commentaire autorisé publié par le Conseil constitutionnel sur sa décision du 18 mars 2015 précitée fait d'ailleurs état de la façon dont la Cour européenne des droits de l'homme appréhende cette question 18 ( * ) .
Ainsi, le protocole n° 7 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifié par la France 19 ( * ) , stipule dans son article 4, rappelé dans l'encadré ci-après, le « droit à ne pas être jugé ou puni deux fois », c'est-à-dire le principe « non bis in idem » 20 ( * ) .
Article 4 du protocole n° 7
Article 4 - Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. Les dispositions du paragraphe précédent n'empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l'État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu. Aucune dérogation n'est autorisée au présent article au titre de l'article 15 de la Convention. |
Ainsi interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, un tel principe fait peser, selon votre rapporteur, une sérieuse menace sur le droit français du cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives, quand bien même d'ailleurs elles ne relèveraient pas du même ordre de juridiction, un tel critère ne semblant pas être pris en considération par la Cour dès lors qu'elle est en présence de décisions présentant le caractère matériel d'une punition et une certaine gravité 21 ( * ) . L'encadré ci-après donne un aperçu de la jurisprudence rigoureuse de la Cour sur l'application du principe « non bis in idem ».
La décision principale en la matière est l'arrêt rendu le 4 mars 2014 par la Cour dans l'affaire Grande Stevens , concernant les sanctions prononcées par l'équivalent italien de l'AMF et très semblable à l'affaire ayant donné lieu à la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 précitée. La Cour a jugé que des poursuites pénales ne pouvaient pas être engagées pour des faits ayant déjà donné lieu à des sanctions administratives définitives par l'autorité de régulation des marchés financiers. Des décisions ultérieures sont intervenues condamnant le cumul de sanctions pénales avec des sanctions fiscales ou encore douanières.
La France a certes formulé une réserve à l'occasion de la ratification de ce protocole, précisant que seules les infractions relevant de la compétence du juge pénal sont concernées par son article 4, de façon à préserver le système français de cumul de sanctions pénales et administratives 22 ( * ) . Toutefois, dans son arrêt du 4 mars 2014 précité, la Cour a écarté une réserve similaire de l'Italie, ne s'estimant pas liée par les qualifications nationales.
Votre rapporteur s'interroge donc sérieusement sur le risque pour la France d'être condamnée par la Cour, à terme, à devoir remettre en question son régime de cumul de sanctions administratives et pénales. Cette perspective doit être prise en compte, comme de nombreux commentateurs y invitent le législateur français.
Éléments de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme
Dans l'arrêt du 10 février 2009 Zolotoukhine c. Russie , la Cour a jugé qu'une procédure qualifiée d'administrative en droit interne devait s'analyser comme une procédure pénale en raison de la nature de l'infraction et de la gravité de la sanction et que le principe « non bis in idem » devait être compris comme interdisant de poursuivre ou juger une personne ayant déjà été poursuivie et jugée pour les mêmes faits ou des faits qui sont « en substance » les mêmes. En s'appuyant sur une approche extensive de la notion de procédure pénale incluant des sanctions de nature administrative d'une certaine gravité, la Cour a ainsi donné au principe « non bis in idem » une acception particulièrement large. Dans l'arrêt du 4 mars 2014 Grande Stevens et autres c. Italie , la Cour a jugé que les poursuites pénales engagées dans une affaire de manipulation de marché devaient être clôturées car les mêmes faits avaient déjà donné lieu à une sanction administrative par la Commission nationale des sociétés et de la bourse. La Cour a rejeté l'argumentation soulevée par l'Italie du fait de la réserve qu'elle avait formulée, en vertu de laquelle cette sanction ne constituerait pas une condamnation pénale : elle a estimé qu'une telle sanction, bien que qualifiée d'administrative, présentait un caractère pénal en raison de sa sévérité. Selon la loi italienne, les sanctions administratives et pénales relevaient toutes les deux du même ordre de juridiction. Dans l'arrêt du 27 novembre 2014 Lucky Dev c. Suède , la Cour a jugé que des pénalités fiscales, bien que constituant des sanctions administratives, devaient être considérées comme relevant de la matière pénale et ne pouvaient pas être maintenues alors que les mêmes faits avaient donné lieu ultérieurement à un acquittement au terme de poursuites pénales pour infraction fiscale. Elle a estimé que le principe « non bis in idem » ne vise pas seulement le cas de double condamnation pour une même infraction, mais également le cas de double poursuite dès lors qu'une décision définitive a déjà été rendue au titre de l'une des procédures, de sorte que la procédure fiscale ne pouvait pas être poursuivie alors que la procédure pénale était arrivée à son terme. Enfin, dans l'arrêt du 30 avril 2015 Kapetanios et autres c. Grèce , la Cour a jugé que des amendes douanières, bien que constituant des sanctions administratives, présentaient un caractère pénal en raison de leur gravité et ne pouvaient pas être prononcées car les mêmes faits avaient déjà donné lieu à des poursuites pénales, qui s'étaient conclues par une absence de condamnation. Dans le système juridictionnel grec, les sanctions administratives et pénales relèvent de deux ordres différents de juridiction. À titre de comparaison, dans l'arrêt Hans Akerberg Fransson du 26 février 2013, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a considéré que, si les États membres peuvent combiner dans le domaine fiscal des sanctions administratives et pénales, une sanction administrative fiscale peut revêtir un caractère pénal et s'opposer, si elle est définitive, à ce que des poursuites pénales puissent être engagées pour les mêmes faits. La CJUE retient la même jurisprudence que la Cour européenne des droits de l'homme pour apprécier le caractère pénal d'une sanction. |
Ainsi, dans la perspective de l'examen de la présente proposition de loi en séance publique, votre rapporteur entend examiner les autres cas de cumul problématique de sanctions pénales et administratives au sein d'un même ordre de juridiction, en particulier ceux évoqués supra .
Votre rapporteur entend également étudier la question de l'unification du traitement juridictionnel des recours formés contre des sanctions prononcées par l'AMF à l'encontre des professionnels et des non-professionnels, relevant pour les premiers du Conseil d'État 23 ( * ) et pour les seconds de la cour d'appel de Paris. En effet, une telle disparité est une source potentielle de discordances jurisprudentielles, a fortiori dans l'hypothèse, certes rare, où une même affaire concerne un professionnel et un non-professionnel, également condamnés. En l'absence même de divergence d'appréciation, il n'est pas satisfaisant que deux juridictions aient à se prononcer de façon concurrente sur une même affaire, selon une chronologie différente : la juridiction qui se prononce la première sur les faits limite de facto la latitude de la seconde 24 ( * ) .
* 1 Cette question devait initialement être résolue dans le cadre du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, déposé à l'Assemblée nationale le 30 mars 2016. Les délais d'examen envisagés pour ce projet de loi ont été jugés incompatibles avec la nécessité de résoudre la question rapidement.
* 2 Dans sa décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982, le Conseil constitutionnel a considéré que « la règle du non-cumul des peines en matière de crimes et délits », c'est-à-dire le principe « non bis in idem », « n'a que valeur législative et qu'il peut donc toujours y être dérogé par une loi ».
* 3 Par exemple en matière fiscale ou douanière, en matière d'infractions au droit de la consommation ou en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement.
* 4 Selon l'article 705-1 du code de procédure pénale, le procureur de la République financier et les juridictions d'instruction et de jugement de Paris ont seuls compétence pour connaître des délits d'abus de marché sur l'ensemble du territoire national.
* 5 Les sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence en cas de pratiques anticoncurrentielles relèvent également de la compétence de la cour d'appel de Paris.
* 6 Les délits d'abus de marché, relevant du juge pénal et susceptibles d'être commis par des personnes physiques ou des personnes morales, sont actuellement définis aux articles L. 465-1 à L. 465-3 du code monétaire et financier, tandis que les manquements correspondants susceptibles d'être sanctionnés par l'Autorité des marchés financiers sont définis à l'article L. 621-15 du même code.
* 7 Articles L. 621-30 et R. 621-45 du code monétaire et financier.
* 8 La liste des professionnels est limitativement définie au II de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier (prestataires de services d'investissement, entreprises de marché, chambres de compensation, conseillers en investissement...).
* 9 Voir par exemple la décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, précisée seulement, s'agissant de la question de l'ordre de juridiction, par la récente décision n° 2012-289 QPC du 17 janvier 2013.
* 10 À cet égard, le commentaire publié par le Conseil constitutionnel indique, s'agissant du délit d'initié et du manquement d'initié, qu'« à l'origine, la différence entre ces deux incriminations était importante (...). Mais, ces deux répressions n'ont eu de cesse de se rapprocher (...) et le législateur a rapproché le champ d'application des deux régimes. Il en est résulté un effacement de la différence initiale entre un dispositif pénal d'objet général et un dispositif administratif visant principalement à faire sanctionner les opérations échappant au dispositif pénal. »
* 11 Toute personne commettant l'infraction encourt ces sanctions et pas uniquement les professionnels.
* 12 Le commentaire publié par le Conseil constitutionnel précise que sont de même nature des « sanctions qui, quoique différentes, peuvent être regardées comme d'une sévérité équivalente ». Il ajoute que, « si le juge pénal n'avait pas disposé de la peine d'emprisonnement ou s'il n'avait pas existé la même disproportion entre les sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par l'AMF et par le juge pénal, les sanctions auraient été jugées comme de nature différente ». Dans sa décision n° 2015-513/514/526 QPC du 14 janvier 2016, portant sur les mêmes dispositions réprimant les opérations d'initié, mais dans une rédaction différente, le Conseil constitutionnel a ainsi précisé le critère de la même nature de sanctions (considérant 12). En effet, dans sa décision du 18 mars 2015, il considère de même nature, d'une part, une sanction pénale de 1,5 million d'euros d'amende ainsi que de deux ans d'emprisonnement pour une personne physique et de dissolution pour une personne morale et, d'autre part, une sanction administrative de 10 millions d'euros, tandis que, dans sa décision du 14 janvier 2016, il considère de nature différente, d'une part, la même sanction pénale et, d'autre part, une sanction administrative de 1,5 million d'euros d'amende. Nécessitant une appréciation au cas par cas, le critère de la même nature de sanctions demeure difficile à appréhender.
* 13 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/084000090.pdf
* 14 Arrêts n° 1736 et 2117 du 30 mars 2016 de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
* 15 Toutefois, même si elle a décidé de transmettre au Conseil constitutionnel les deux questions prioritaires de constitutionnalité, la chambre criminelle a certes relevé que la sanction pénale encourue par l'auteur d'une fraude fiscale au titre de ces impositions et la pénalité fiscale encourue par ce même auteur relèvent toutes les deux des juridictions de l'ordre judiciaire, mais que, « bien qu'appartenant au même ordre de juridiction, le juge judiciaire de l'impôt et le juge pénal sont deux juridictions de nature différente, à l'office distinct ».
* 16 Combinaison des articles L. 420-6 du code de commerce et 121-2 du code pénal s'agissant, d'une part, de la compétence du juge pénal, et article L. 464-2 du code de commerce s'agissant, d'autre part, de la compétence de l'Autorité de la concurrence.
* 17 Ce rapport n° 126 (2015-2016) est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/rap/r15-126-1/r15-126-1.html
* 18 Pages 7 à 10 du commentaire.
* 19 Ouvert à la signature en 1984, ce protocole a été ratifié par sept États, dont la France en 1986, avec une entrée en vigueur en 1988.
* 20 De même valeur que les traités, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne établit, dans son article 50, un « droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction », selon lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ».
* 21 Depuis longtemps, la Cour ne se considère pas limitée par les qualifications nationales pour apprécier ce qui relève de la matière pénale. Voir par exemple son arrêt Özturk c. RFA du 21 février 1984. Elle estime qu'une infraction est par nature pénale si elle expose son auteur à une sanction qui relève de la matière pénale, en raison notamment de sa gravité. Voir son arrêt Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976.
* 22 Contenue dans l'instrument de ratification déposé en février 1986, la réserve française indique :
« Le Gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole. »
* 23 Les sanctions de nature professionnelle, relevant du Conseil d'État, s'apparentent davantage à des décisions administratives classiques relatives à la régulation d'un secteur et au contrôle administratif de l'activité de ses acteurs que les sanctions pécuniaires.
* 24 Voir récemment l'opération d'initié concernant l'offre publique d'acquisition de la SNCF pour Geodis. La décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 18 octobre 2013 à l'égard de MM. Joseph Raad et Charles Rosier a fait l'objet d'un recours, par le premier sanctionné, devant la cour d'appel de Paris, dans la mesure où il agissait comme non-professionnel à l'égard de l'information privilégiée, et, par le second, devant le Conseil d'État, en tant que professionnel : le Conseil d'État s'est prononcé le 6 avril 2016, la cour d'appel de Paris ne s'étant pas prononcée à ce jour.