C. STRUCTURER LA FILIÈRE DES ARTS PLASTIQUES : UNE RÉFORME TRÈS ATTENDUE
1. Des engagements anciens et très attendus
Alors que les arts plastiques se sont professionnalisés ces dernières décennies, avec l'intervention de nouveaux métiers liés à la production et à la diffusion, à la médiation et à l'enseignement, le secteur n'est pas constitué en branche professionnelle et ne dispose pas d'outils de négociation collective : ni conseil national où discuter entre professionnels, ni, pour les salariés, convention collective applicable au secteur.
Comme votre rapporteur pour avis l'avait déjà souligné l'an passé, ce manque d'organisation collective a des conséquences directes sur la vie de milliers d'artistes que les pouvoirs publics entendent soutenir. Faute d'instances représentatives, les plasticiens - ou artistes dits visuels - se présentent dispersés , quand ils ne manquent pas purement et simplement les négociations qui les concernent au premier chef - par exemple pour la reconnaissance des métiers ou la négociation de la formation professionnelle. Le risque est évident, dans ces conditions, que les organisations professionnelles insuffisamment associées et les artistes en général ne se reconnaissent pas dans les règles définies pour leurs métiers.
Pour les artistes-auteurs, il est devenu urgent de mettre sur pied un conseil national esquissé de longue date - et annoncé l'été dernier par la ministre de la culture, pour la seule photographie (voir plus bas).
Pour les salariés, l'idée d'une convention collective pour le secteur des arts plastiques émerge à la fin des années 1990, elle est débattue par les professionnels dans les années 2000. Fin 2011, le ministère installe un groupe de travail ad hoc, des réunions ont lieu avec la direction générale à la création artistique, une commission paritaire est envisagée en 2013, puis, comme il a été dit à votre rapporteur pour avis, le dossier est resté en l'état, faute d'un dialogue suffisant avec le ministère du travail.
Votre rapporteur pour avis déplore que le ministère du travail, depuis deux ans, ne donne pas suite aux demandes que lui adresse le ministère de la culture et de la communication : l'élaboration d'une convention collective est envisageable dans un délai raisonnable ; elle ne concernerait certes pas tous les plasticiens puisqu'elle viserait les situations de salariat, mais elle donnerait un signe politique que les artistes attendent d'un Gouvernement qui leur affirme son soutien.
S'y ajoute le projet d'unification du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs, sur lequel votre rapporteur pour avis avait questionné le ministère l'an passé.
Ce projet est « consolidé » depuis deux ans et des rapprochements techniques, notamment informatiques, ont lieu depuis cinq ans : tout était prêt pour que l'année 2015 voit une étape décisive être franchie pour la fusion entre les deux régimes aujourd'hui gérés par l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) et la Maison des Artistes (MdA).
Les inspections générales des affaires sociales et de la culture, depuis dix ans, recommandent la fusion des deux organismes : du rapport Raymond-Kancel, en 2004, au rapport Raymond-Lauret, en 2013, le constat est inchangé, soulignant en particulier le caractère fragmentaire de la couverture (pas de couverture du risque maladie professionnelle/accident du travail, faible appel de cotisation vieillesse à l'Agessa), la fragilité de son équilibre financier (pour le moment dû à une pyramide des âges très favorable), et la distinction anachronique entre « affiliés » et « assujettis ».
En fait, la fusion de l'Agessa et de la MdA est recommandée depuis une dizaine d'années, au nom de la simplification mais aussi de l'extension des droits des bénéficiaires. Et si le ministère de la culture répond qu'une concertation est en cours depuis deux ans, les détours qu'elle emprunte font douter de la volonté de réforme.
L'article 14 sexies du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 Introduit par amendement du Gouvernement, l'article 14 sexies du PLFSS 2016 dispose que les cotisations d'assurance vieillesse des auteurs de l'AGESSA, seront, au plus tard à compter du 1 er janvier 2019, recouvrées par précompte « à la source », effectué par les diffuseurs des oeuvres pour les auteurs déclarant en traitements et salaires. Pour les auteurs déclarant leurs revenus en bénéfices non commerciaux, le Gouvernement indique que le système actuel de l'appel de cotisation vieillesse sera complété d'un plafonnement. Votre rapporteur salue l'intention d'améliorer la protection sociale des auteurs, pour un meilleur respect des droits sociaux. La consolidation et la modernisation du régime des artistes-auteurs sont nécessaires, les rapports des inspections générales des affaires sociales et des affaires culturelles le démontrent depuis de nombreuses années. Depuis de nombreuses années, l'appel à cotisation n'est pas fait : actuellement, quelque 190 000 assujettis de l'Agessa ne cotiseraient pas pour leur retraite, contre 15 000 cotisants à l'Agessa et 50 000 à la Maison des artistes. Cependant, l'article 14 sexies comporte lui-même un danger, celui d'inclure indûment les artistes auteurs déclarants en BNC, et de ne pas rembourser les trop-perçus dès lors que l'Agessa serait dans l'incapacité matérielle d'identifier, faute d'un outillage informatique suffisant. Dans ces conditions, votre rapporteur sera particulièrement vigilant à ce que les précomptes et appels de cotisation respectent le droit commun, en particulier pour que les déclarants en BNC ne soient pas précomptés. Ce sujet technique, du reste, devrait être concerté avec les organisations de professionnels, comme c'est l'usage dans la plupart des secteurs professionnels. |
2. Des améliorations accessibles rapidement et utiles socialement
Au-delà de la convention collective, votre rapporteur pour avis estime qu'il est grand temps d' organiser de manière plus volontariste le secteur des arts visuels , en instituant des instances de travail représentatives de l'ensemble de la filière des arts visuels , pour structurer la filière des arts plastiques et visuels. Ces instances serviront utilement à mettre en place les politiques de formation à destination des artistes, ainsi qu'à mieux faire prendre en compte les outils des politiques culturelles dans les politiques territoriales.
En région Pays de la Loire, un « Pôle arts visuels », associatif, a été ainsi mis en place pour regrouper, en qualité de membre de droit et aux côtés de la région et de l'État, « les artistes et collectifs d'artistes, les critiques d'art, les commissaires d'exposition, les conférenciers, les historiens de l'art, les chercheurs, les développeurs d'artistes, les régisseurs, les assistants d'artistes, les agents de production, les enseignants, professeurs, intervenants en arts plastiques, les galeries associatives, les galeries d'art privées, les commissaires-priseurs, les collectionneurs, les mécènes, les fondations, les centres d'art contemporain, les associations d'art contemporain, les manifestations, les artothèques, les musées, les fonds municipaux, les médiateurs, les éducateurs artistique, les éditeurs d'art, les formateurs ou tout autre professionnel oeuvrant dans le champ des arts visuels ». Cette longue liste, extraite des statuts de ce « Pôle arts visuels », donne la mesure des personnes directement impliquées dans les arts plastiques et dont l'avis est pris en compte, à l'échelon régional, par la Conférence régionale consultative culture, instance régionale comprenant élus et professionnels et ayant pour but de préparer les travaux de la CTAP.
En d'autres termes, les sujets ne manquent pas pour structurer la filière des arts plastiques et faire accéder les plasticiens à la définition des règles sociales qui les concernent collectivement : élaboration de contrats-type, respect du droit d'auteur et notamment du droit de présentation publique, amélioration des modes de rémunération, réforme de la formation professionnelle continue, sont autant de sujets à travailler avec les organisations professionnelles du secteur dans un Conseil national.
Reste, cependant, à identifier clairement les organisations professionnelles du secteur, à partir du « paysage » actuel, qui est tout à fait lisible, avec deux organisations représentant les diffuseurs - le CIPAC et la FRAAP - ainsi que huit organisations professionnelles d'auteurs d'arts visuels et une fédération, l'Union des syndicats et organisations professionnelles des arts visuels.
Les résidences d'artiste, un dispositif à définir avec les créateurs La notion de résidence recouvre des réalités bien différentes et pas toujours adaptées à ce qu'en attendent les artistes : au lieu d'un temps de de recherche ou de création, assorti de moyens adéquats (rémunération, espace de travail, hébergement, accompagnement), des résidences sont parfois considérées d'abord comme un temps d'actions culturelles assurées par un artiste au service d'un territoire. Ce décalage entre les missions premières d'une résidence et des dérives dans son utilisation a conduit le ministère de la culture à préparer une circulaire sur les résidences dans le spectacle vivant et les arts plastiques. De façon comparable à ce qui s'est produit avec les stages en entreprises (et dans les administrations), une régulation est nécessaire, pour « border » l'usage des résidences et donner une idée des bonnes pratiques, ce que les acteurs locaux recherchent également. Les organisations professionnelles ont également, de leur côté, entrepris de travailler à l'élaboration d'un contrat-type pour l'activité de résidence, un document qui a démontré son utilité dans tous les secteurs professionnels. Or, d'après les informations fournies à votre rapporteur pour avis, le ministère n'aurait pas consulté les organisations professionnelles pour établir sa circulaire : un tel défaut de concertation est surprenant sur un tel sujet social - on n'imagine guère, par comparaison, que les syndicats de salariés et le patronat n'aient pas été consultés sur la réglementation des stages. |
Votre rapporteur pour avis constate que les professionnels demandent la création d'un conseil national des professions artistiques , sur l'exemple du Conseil national des professions du spectacle (CNPS) institué par le décret du 25 avril 2013.
Le 6 juillet 2015, lors de l'inauguration des Rencontres d'Arles, Fleur Pellerin a annoncé la création, « avant fin 2015 », d' un conseil national de la photographie pour examiner l'ensemble des questions relative à la protection sociale et de la propriété intellectuelle des photographes.
Cette déclaration confirme que l'institution d'un conseil national est bien sur l'agenda politique. Cependant, la création d'un conseil « photographie » ne répond pas à l'enjeu, qui concerne bien l'ensemble des arts plastiques, dont la photographie n'est qu'un des médias - et cette focalisation étroite risque bien de manquer la cible , tout en accréditant l'idée d'un ministère jouant les professionnels les uns contre les autres et « n'accordant » la reconnaissance de droits qu'avec parcimonie.
Quoiqu'il en soit, votre rapporteur pour avis s'inquiète qu'au 15 novembre 2015, aucune concertation ne paraisse avoir donné de suite à l'annonce ministérielle de l'été.
S'agissant du projet de régime social unique pour les artistes auteurs, le ministère a confirmé à votre rapporteur pour avis que la concertation s'était poursuivie et avait abordé, concrètement, les points suivants :
- la modification des conditions d'affiliation au régime (suppression de la distinction actuelle entre artistes auteurs affiliés et assujettis, et de la possibilité, pour ceux n'ayant pas les revenus suffisants, de « surcotiser » afin de valider quatre trimestres de retraite) ;
- la mise en place, sur l'année civile suivant la perception des revenus, d'un recouvrement des cotisations appelées ;
- la sécurisation du champ du régime au regard notamment des rémunérations relevant du salariat ;
- la mise en oeuvre de l'obligation de cotiser pour la retraite et de l'acquisition des droits afférents pour les auteurs de l'AGESSA actuellement assujettis à un prélèvement de cotisations à la source (précompte).
La poursuite de la concertation est positive, mais votre rapporteur pour avis ne peut manquer de souligner que les décisions tardent trop à venir, alors que les items de négociations ont été choisis dans le rapport des inspecteurs généraux. Et les personnes auditionnées n'ont pas manqué de souligner la très grande prudence du ministère de la culture, la trop faible implication du ministère du travail ainsi que l'importance des enjeux matériels, en particulier informatiques.