B. DES FESTIVALS DANS LA TOURMENTE, QU'IL FAUT CONTINUER À SOUTENIR

1. Saison 2014-2015 : un diagnostic qui nuance les alarmes de la « Cartocrise »

Votre rapporteur pour avis a souhaité faire le point sur la situation des festivals, au terme d'une année où les annonces d'annulations de rencontres ont été particulièrement médiatisées suite à la publication d'une carte interactive sur Internet.

Ouverte début 2015 à l'initiative d'une médiatrice culturelle qui constatait un nombre important d'annulations d'événements depuis les élections municipales de mars 2014, cette « Cartocrise - Culture française tu te meurs » 3 ( * ) a recensé, entre janvier et juin 2015, quelque deux cents « structures fermées ou festivals annulés », tous médias confondus .

Cette initiative a eu le grand mérite d'alerter l'opinion et de faire prendre conscience de la fragilité des festivals. Cependant, les éléments réunis par votre rapporteur pour avis nuancent l'idée d'une « année noire » ou encore d'un mouvement ininterrompu de fermetures :

- le chiffre de « 200 fermetures ou annulations », d'abord, doit être rapporté aux quelque 3 000 festivals que compte notre pays chaque année (Guide des Festivals), et même au-delà puisque la « Cartocrise » comptabilise les « événements » bien au-delà des festivals, par exemple la fermeture d'une résidence d'artiste. Dans cet échantillon large, le renouvellement habituel représenterait au moins une cinquantaine « d'événements », voire une centaine, au dire des personnes auditionnées par votre rapporteur ; selon les chiffres publiés par l'Irma, le CNV et la Sacem, 51 festivals de musique actuelle ont disparu en 2014, mais 44 se sont créés la même année : s'il est difficile d'extrapoler à partir des seules musiques actuelles, ce flux constant entre disparitions et créations, existe bien dans les autres champs artistiques ;

- les élections municipales, ensuite, sont un facteur évident de renouvellement dans les choix de soutien, ce qui est dans l'ordre de la démocratie - et la « Cartocrise », ici, devrait comptabiliser aussi les « ouvertures », pour en rendre compte ;

- les enquêtes récentes conduites dans le secteur de la musique constatent que les budgets des festivals ont augmenté ces dernières années plutôt que diminué . Ainsi l'association France Festivals estime, qu' un tiers des festivals qu'elle fédère ont vu leur budget augmenter et que les subventions ont même augmenté pour 20 % d'entre eux ; l'association estime cependant que les subventions des 36 festivals qu'elle fédère ont reculé de 6,5 % (10,84 millions d'euros en 2015, contre 11,6 millions en 2014). Dans une étude publiée en 2013, Emmanuel Négrier observe également une augmentation moyenne du budget des festivals entre 2008 et 2012 4 ( * ) .

D'une manière plus générale, il est certain que les festivals sont tous fragiles et que, comme l'a dit un responsable de festival à votre rapporteur, « il faut faire le plein de public pour être à l'équilibre ». Dans ces conditions, les festivals ont tendance à « faire le gros dos » en attendant des jours meilleurs. Selon l'étude de France Festivals auprès de ses adhérents, les équipes réduiraient toutes leurs charges, au premier chef les dépenses de communication. Plus inquiétantes à court terme, la réduction des dépenses artistiques, celle des commandes aux artistes et du nombre de jours de programmation.

D'après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, le public festivalier a été plus nombreux cette année que l'an passé : comme dans d'autres périodes de crise, les événements « live » sont demandés et c'est le signe le plus encourageant ; d'après France Festivals, la fréquentation payante aurait augmenté de 16 % entre l'été 2014 et l'été 2015.

Le soutien de l'État aux festivals

L'État apporte son soutien à près de 160 festivals au sens large, avec un financement dépassant 18,5 millions d'euros, dont environ 10 millions d'euros pour une dizaine de manifestations subventionnées par l'administration centrale (Avignon, Aix-en Provence, Festival d'Automne, etc.).

Depuis la directive nationale d'orientation de 2003, l'État a « recentré » son intervention sur les festivals à dimension nationale et internationale et sur ceux qui développent une politique d'éducation artistique et culturelle à long terme. En dix ans, le nombre de festivals aidés a diminué de moitié , tandis que la subvention moyenne à chacun d'eux a quasiment doublé, passant d'environ 56 000 à 107 000 euros.

Évolution du soutien des festivals par le ministère de la culture sur 10 ans

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Nombre de festivals subventionnés

342

319

317

303

240

235

201

202

175

148

144

Total des subventions de l'État (en K€)

19 047

20 131

20 591

19 684

18 939

18 533

17 782

17 950

17 571

16 516

16 733

Source : MCC/DGCA/SDAFIG/BO-BAT

Au-delà de ces crédits dédiés, une part non négligeable du soutien aux festivals est assurée par le financement des labels et réseaux du spectacle vivant. En effet, de nombreuses structures soutenues à ce titre (centres dramatiques, scènes nationales, etc.) sont elles-mêmes organisatrices de festivals souvent reconnus, dont le financement est intégré à leur subvention globale.

2. Le besoin d'une politique publique plus explicite et mieux organisée du soutien aux festivals

Lors des auditions, les responsables de festivals ont souligné qu'au-delà des difficultés de restrictions budgétaires, un danger plus grave pesait sur une certaine conception du festival, où l'événement est à la fois une plateforme d'activité artistique, un tremplin pour des artistes émergents, et un événement collectif convivial qui peut devenir une « locomotive » pour un territoire. En fait, ce modèle de « service public », soutenu par la puissance publique - au premier chef les collectivités territoriales - est d'abord mis à mal par la marchandisation culturelle , qui voit des festivals à fort budget tirer les cachets artistiques vers le haut et drainer un public en grand nombre, laissant hors course les « petits » festivals aux tarifs bien plus abordables mais qui peuvent moins qu'avant faire venir des têtes d'affiche.

Dans ce contexte, certains aléas que les organisateurs connaissent de longue date, deviennent plus contraignants, en particulier l'évolution des normes , qui alourdit les charges, et les changements dans la gouvernance des territoires , qui rendent les perspectives trop souvent incertaines d'une année à l'autre, obligeant les équipes à « jongler » avec les contraintes et à toujours se tenir « sur le fil ».

Dès lors, l'État devrait préciser les modalités de son soutien, passer d'une logique d'opportunité , où les aides sont en fait accordées au gré des liens qui se sont tissés entre des élus, des techniciens de la culture et des équipes « porteurs de projets », à une logique plus objective , davantage ancrée à la politique publique visant le soutien à la création, la démocratisation culturelle et le développement des territoires.

Votre rapporteur pour avis se félicite que le Gouvernement en prenne le chemin, avec la mission que la ministre a confiée en juin 2015 à Pierre Cohen et avec un projet d'une circulaire consacrée aux festivals . Il est urgent, effectivement, d'expliciter les critères d'intervention du ministère de la culture, pour que le soutien de l'État aille bien aux manifestations qui servent d'abord la création et la démocratisation culturelle.

Les festivals sont des tremplins pour les créateurs, pour la diffusion, pour la promotion de l'actuel : cet axe lié à la création identifie des critères importants pour le soutien - et donc la reconnaissance - par le ministère de la culture et de la communication. Les festivals sont devenus de véritables plateformes d'activité culturelle sur le territoire, ils représentent la majeure partie de la billetterie annuelle dans des départements, le lieu culturel le plus fréquenté dans l'année : cette dimension économique et sociale dépasse le seul champ culturel, les festivals sont des outils du développement territorial, avec des retombées tout au long de l'année - bien des exemples le démontrent. Dès lors, il y a bien une dimension globale, interministérielle, qui dépasse les seules compétences du ministère de la culture.

Faut-il aller jusqu'à la définition d'un « label » par le ministère de la culture ? Ce procédé a ses avantages mais aussi ses risques. Votre rapporteur pour avis espère que la mission confiée à Pierre Cohen amorcera une concertation avec les professionnels.


* 3 http://umap.openstreetmap.fr/fr/map/cartocrise-culture-francaise-tu-te-meurs_26647#6/51.000/2.000

* 4 Festivals de musique(s). Un monde en mutation. E. Négrier, M. Guérin, L. Bonet, Editions Michel de Maule, novembre 2013.

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