CHAPITRE IV - LES CRÉDITS CONSACRÉS À LA POSTE ET AUX COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

Ce chapitre, qui analyse le volet « Poste et communications électroniques » de la mission « Économie », est présenté par M. Philippe Leroy, rapporteur pour avis. Après avoir retracé l'évolution budgétaire des crédits correspondants pour 2016, il analyse l'état de déploiement du réseau très haut débit dans le cadre du plan France très haut débit présenté par le Gouvernement en 2013.

I. LES ÉVOLUTIONS BUDGÉTAIRES

Les crédits d'État relatifs au secteur des communications électroniques et à l'économie numérique proviennent essentiellement de deux sources :

- le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme », à travers les financements alloués à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), à l'Agence nationale des fréquences (ANFR) et à certaines associations ;

- le programme 343 « Plan France très haut débit », dédié au financement du très haut débit et créé par la loi de finances de l'an passé.

A. LE PROGRAMME 134 « DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES ET DU TOURISME »

Deux actions sur les douze que compte le programme 134 « Développement des entreprises et de l'emploi » ont trait au secteur des communications électroniques. Il s'agit de l'action 04 « Développement des télécommunications, des postes et de la société d'information », qui concentre la grande majorité des crédits, et de l'action 13 « Régulation des communications électroniques et des postes ».

1. L'action 4 « Développement des communications, des postes et de la société de l'information »

Mise en oeuvre par la direction générale des entreprises (DGE) et ses services déconcentrés (DIRECCTE), cette action a pour objet d'une part de favoriser le développement des services de communications électroniques par une politique d'ouverture à la concurrence et à l'innovation, ainsi que par le maintien d'un service public de qualité, et d'autre part, de permettre l'essor des technologies de l'information qui sont au coeur de la croissance et de la compétitivité.

Ses crédits s'élèvent pour 2016 à 162,14 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP), contre 173,08 millions d'euros en 2015, soit une baisse de 6,32% , après une baisse de 11,04 % l'année passée. Ils se partagent entre 32,09 millions d'euros de dépenses de fonctionnement et 130,05 millions d'euros de dépenses d'intervention.

• Un budget de l'ANFR maintenu sous tension

La principale dépense de fonctionnement correspond à la dotation allouée à l'Agence nationale des fréquences (ANFR), qui gère le spectre hertzien.

D'un montant de 31,8 millions d'euros , en AE comme en CP (contre 33,49 millions d'euros en 2014), la subvention pour charges de service public versée à l'ANFR est à nouveau en recul, de 5,05 % . Cette dotation avait déjà diminué de 0,8 % l'an passé, et respectivement 2,8 % et 3 % les deux années précédentes.

La subvention pour charges de service public reste la ressource principale de l'Agence. Elle couvre près de 90 % de ses dépenses prévisionnelles. À côté de cette subvention, l'Agence se finance sur ses ressources propres 12 ( * ) .

La baisse continue de cette subvention depuis ces dernières années interroge sur les capacités futures de cette agence à mener des tâches d'une importance croissante , ainsi que cela avait déjà été souligné dans les précédents rapports pour avis.

Un nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) pour les années 2015 à 2017 est actuellement en cours d'élaboration. Fixant les orientations stratégiques de l'agence sur la durée du contrat, il ne s'accompagne toutefois pas d'engagements financiers de l'État.

Selon les documents budgétaires, la mise en oeuvre des trois grands objectifs fixés dans le COP sera poursuivie en 2016 : définition d'une stratégie prospective de la gestion du spectre, optimisation de la conduite des missions coeur de métier de l'agence (planification, gestion et contrôle du spectre en particulier) et modernisation du fonctionnement de l'établissement.

La trajectoire décroissante du soutien public à l'ANFR sera compensée, toujours selon les mêmes documents, par la poursuite de la rationalisation des fonctions support de l'agence. Votre rapporteur pour avis s'étonne à nouveau de ce retrait progressif de l'État alors que l'opérateur aura à gérer de nouvelles missions .

La loi n° 2015-136 du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l'information et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques a tout d'abord confié à l'Agence de nouvelles missions 13 ( * ) afin de concilier l'information du public et le déploiement rapide des réseaux numériques. Ces tâches supplémentaires sont à réaliser dès cette année pour certaines, et dès la parution des décrets en cours de finalisation par la DGE du ministère en charge de l'économie pour les autres.

En outre et surtout, l'Agence aura, en 2016, un rôle central dans la protection de la réception télévisuelle à travers la gestion du plan d'accompagnement des téléspectateurs, relatif au changement de norme de réception de la télévision, prévu dans le cadre de la libération de la bande 700 MHz, ou « deuxième dividende numérique ». Ce plan comporte un volet « communication nationale » auprès du grand public et un volet « aides aux téléspectateurs et aux utilisateurs d'équipements sans fil fonctionnant dans la bande 700 MHz ». Il bénéficie il est vrai d'un financement spécifique.

Les dépenses d'intervention se divisent quant à elles entre les dépenses de transferts aux entreprises, qui correspondent à la compensation par l'État des surcoûts de la mission de service public de transport postal de la Poste, et les actions en faveur du numérique et des télécommunications.

• La problématique du soutien public au transport de la presse

Au titre de la première, 119 millions d'euros sont mobilisés, soit une baisse d'environ 11 millions d'euros par rapport au précédent exercice. Ceci en application du protocole d'accord État-Presse-La Poste de 2008, dit « accord Schwartz », portant sur les tarifs postaux de la presse .

Cet accord arrive à échéance le 31 décembre 2015. Des hausses de tarifs de transport très importantes ont été réalisées durant son exécution, entre 2008 et 2015 : + 47 %, inflation comprise ! Sachant que 92 % de la diffusion de cette presse est acheminée par voie postale, les 500 entreprises du secteur, représentant 1 200 titres de presse, attendent donc impatiemment la fixation des nouveaux tarifs. Ce d'autant plus que leur diffusion et leur chiffre d'affaires sont en baisse. Le niveau de ces tarifs sera donc déterminant pour leur équilibre économique.

• La mise en place de l'Agence nationale du numérique

Quant aux dépenses en faveur du numérique et des télécommunications, s'élevant à 9,56 millions d'euros, elles recouvrent quasi exclusivement les dotations versées aux organismes internationaux (9,4 millions d'euros). Le solde (200 000 euros) correspond pour l'essentiel aux dépenses d'intervention de l' Agence nationale du numérique , mise en place cette année afin d'accompagner et de renforcer le développement du secteur.

L'AGENCE NATIONALE DU NUMÉRIQUE

Annoncée par Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et Axelle Lemaire, secrétaire d'État au numérique, et présidée par M. Antoine Darodes, elle a été instituée par le décret n° 2015-113 du 3 février 2015. Son instauration traduit la volonté du Gouvernement de mutualiser et de renforcer trois missions jusqu'ici distinctes :

- la mission « très haut débit », consacrée au déploiement du très haut débit sur l'ensemble du territoire ;

- la mission « French tech », dédiée au développement des écosystèmes de start-up et d'innovation ;

- la délégation aux usages de l'internet (DUI), chargée de favoriser l'accompagnement de la population aux services et usages numériques, et de diffuser la connaissance et la maîtrise de ces nouveaux outils.

La création de cette agence traduit la nécessité d'une approche globale du numérique dans les territoires : le déploiement d'un socle d'infrastructures, le développement de services individuels et collectifs innovants recourant à ces réseaux, et la création d'activités nouvelles et d'emplois locaux tirant partie du numérique.

L'appui aux collectivités territoriales, et la co-construction de projets locaux, doivent être au coeur de son action. Ces dernières, comme l'ensemble des acteurs, entreprises, associations et administrations concernées, seront d'ailleurs associées à sa gouvernance.

2. L'action 13 « Régulation des communications électroniques et des postes »

L'action 13 est entièrement destinée au financement de l'ARCEP. À 21,55 millions d'euros , en AE comme en CP, contre 22,7 millions d'euros l'an passé, sa dotation de fonctionnement est en recul de 5,07 % cette année, après une réduction marginale l'an passé.

• Une contrainte budgétaire qui ne se desserre pas

Le projet annuel de performances (PAP) décrivant le budget de l'ARCEP « annonce la couleur » en la matière : « la dotation de fonctionnement de l'ARCEP pour 2016 s'inscrit dans la poursuite des efforts de gestion rigoureux, systématiques et soutenus, engagés depuis plusieurs années ».

Les deux précédents exercices budgétaires - votre rapporteur pour avis avait insisté sur ce point - avaient en effet été extrêmement tendus pour l'agence. Ainsi que le souligne la réponse au questionnaire budgétaire transmis au Gouvernement, « la situation actuelle fait suite à une période d'efforts méthodiques de réduction des coûts de fonctionnement menée depuis 2009, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, qui s'est traduite par une baisse de 25 % au global et jusqu'à -40 % hors loyer ».

2014 a marqué un « point bas » historique pour l'autorité, en termes de moyens de fonctionnement. Du fait d'annulations de crédits en cours de gestion récurrentes depuis 2011, qui pour la première fois l'an passé n'ont pas pu être absorbées par des gains de productivité internes, l'ARCEP avait été contrainte de réduire ou refuser certaines prestations, différer certains investissements et faire appel à des capacités de financement du programme 134 pour boucler sa gestion.

Or, l' évolution du budget de l'ARCEP pour 2016 ne laisse pas d'inquiéter . Pour ce qui est de l'emploi, tout d'abord : avec 171 équivalents temps plein (ETP), l'ARCEP ne fait que renouer avec ses effectifs de 2014. Et ceci au prix d'un redéploiement interne de 20 % de ses employés en deux ans, des fonctions support vers celles de régulation, via des gains de productivité dans les processus et le non replacement des quelques agents partant à la retraite sur le triennal notamment. De ce fait, souligne le document fourni par le ministère, « l'Autorité ne pourra pas continuer à assumer de nouvelles missions à moyens constants ».

En matière de dépenses de fonctionnement, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une reconduction du montant prévu pour 2015, soit 6,2 millions d'euros, une fois décomptées les régulations budgétaires et la réserve de précaution de 8 %. Selon le document ministériel, cela ne garantit pas à l'autorité « le seuil critique de moyens financiers en gestion » et laisse l'autorité « fragilisée ».

Le volet « fonctionnement » du budget a en effet baissé de 45 % depuis cinq ans. Les responsables de l'ARCEP auditionnés par votre rapporteur pour avis ont indiqué qu'il manquerait 500 000 euros en exécution d'ici la fin de l'année . Anticipant qu'une solution serait trouvée par le Gouvernement pour « boucler » le budget 2015, ils ont souligné les craintes qu'une telle situation, déjà connue dans le passé, suscite pour l'avenir. Qu'adviendrait-il en effet si l'Exécutif ne se montrait pas aussi arrangeant dans le futur ? La possibilité pour l'Autorité de mener à bien toutes ses missions s'en trouverait remise en cause, tout comme son indépendance.

• Des activités sans cesse plus nombreuses

En 2015, l'ARCEP s'est vue confier de nouvelles missions.

S'agissant du très haut débit fixe, doit s'opérer la transition de la régulation d'un seul opérateur (Orange) sur le réseau en cuivre vers la régulation de 50 à 100 opérateurs en raison du déploiement de la fibre optique par les collectivités territoriales.

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (dite « loi Macron ») comporte plusieurs dispositions qui confient de nouvelles compétences à l'ARCEP :

- rédaction par l'autorité d'un rapport annuel sur les investissements des opérateurs mobiles ;

- régulation du partage de réseaux mobiles ;

- adoption de lignes directrices sur la tarification des réseaux d'initiative publique (RIP) en fibre jusqu'au foyer (FttH) ;

- contrôle des dispositions du nouveau programme de couverture des zones blanches 2G et 3G et des obligations des opérateurs dans ce cadre ;

- déclaration d'office des opérateurs qui s'y soustraient ;

- possibilité pour le président de l'ARCEP de produire des observations devant la Cour de cassation ;

- possibilité pour les ministres chargés des communications électroniques et des postes de saisir l'autorité pour avis sur toute question relevant de sa compétence.

En outre, l'ARCEP est en passe d'attribuer aux opérateurs candidats les fréquences de la bande « 700 MHz », issues du « deuxième dividende numérique », enjeu stratégique en termes de déploiement du très haut débit mobile, mais également de ressources financières pour le budget de l'État.

Par ailleurs, le 24 juin 2015, à l'occasion de la publication du rapport d'activité 2014, l'ARCEP a donné le coup d'envoi de sa revue stratégique . Les nouvelles priorités s'articuleront autour de trois axes : la compétitivité des réseaux numériques, en donnant la priorité à l'investissement, privé et public ; les défis du numérique de demain ; et un régulateur indépendant qui travaille de manière fluide et partagée avec l'écosystème de la régulation.

Cette démarche s'étalera sur le second semestre 2015. Elle aboutira à une feuille de route stratégique, qui sera mise en consultation publique fin 2015, en vue d'une adoption au début de l'année 2016.

Enfin, le champ des compétences du régulateur pourrait être amené à évoluer au niveau européen. La Commission européenne a en effet présenté, en septembre 2013, un projet de règlement relatif au marché unique des télécommunications (également appelé « continent connecté »), dont la dernière version a pour objet de préciser le cadre juridique applicable en matière de neutralité de l'internet et la suppression, d'ici à 2017, des sur-tarifications liées à l'itinérance mobile européenne sur le marché de détail (ou roaming ).

Ce texte a fait l'objet d'un accord politique entre le Parlement européen et le Conseil le 30 juin 2015 et devrait être adopté avant la fin de l'année 2015. Il confie aux régulateurs nationaux comme l'ARCEP des compétences nouvelles, tant sur la neutralité de l'Internet que sur la régulation du roaming .

De façon plus institutionnelle, l'ARCEP pourrait accroître son implication dans les travaux communautaires et internationaux. Dans ce cadre, le président de l'ARCEP pourrait être élu président de l' Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) en 2017, ce qui suppose un engagement sur trois ans l'année précédente, l'année de présidence et l'année suivante 14 ( * ) . Cette fonction lourde, qui suppose de disposer d'un budget et d'une équipe dédiée, demande de nombreux déplacements, un budget pour organiser la réunion plénière de l'ORECE et une expertise spécifique pendant trois ans.


• Un débat ouvert sur la place d'une autorité administrative indépendante dans la politique numérique

Cette inadéquation entre des financements en baisse tendancielle et une hausse des missions confiées à l'ARCEP pose en réalité une question de fond, déjà évoquée par votre rapporteur pour avis lors du précédent exercice budgétaire : y a-t-il lieu de déléguer à une autorité administrative indépendante un nombre croissant de tâches dont l'État devrait demeurer seul garant ? L'action de l'Autorité excède en effet largement aujourd'hui le champ de la régulation, sans qu'elle n'en ait les moyens financiers.

Votre rapporteur pour avis a pris part à la mission d'information sénatoriale qui a récemment publié un rapport intitulé « Un État dans l'État : canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler ». Il y est évoqué, s'agissant du secteur de l'ARCEP, un « délitement de l'État » et la « perte de l'expertise des administrations centrales, faute de personnels qualifiés en nombre ». Il y a là un sujet d'une grande importance dans le pilotage des politiques numériques, sur lequel il serait opportun d'avoir un véritable débat de fond.


* 12 Elles sont issues de prestations de contrôle des fréquences avec des tiers que l'Agence a développées, notamment pour des événements sportifs et de refacturation aux éditeurs numériques et aux opérateurs mobiles 4G pour l'utilisation du centre d'appels (5,6%), par le prélèvement sur le fonds Mesures pour couvrir les frais de gestion du dispositif de surveillance et de mesure des ondes électromagnétiques (0,7%).

* 13 Définition, vérification et recensement des points atypiques (pour l'exposition du public aux ondes) ; pilotage d'un comité national de dialogue composé de toutes les parties (État, opérateurs, élus, associations...) pour la diffusion d'informations ; élaboration de lignes directrices nationales pour la présentation des résultats de simulation de l'exposition ; et mise à disposition de tous les maires d'une carte présentant les antennes installées sur le territoire de leur commune.

* 14 En effet, l'ORECE est dirigé par un triumvirat composé du président et de deux vice-présidents.

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