EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Votre commission des lois s'est une nouvelle fois saisie pour avis de la proposition de loi n° 12 (2015-2016) créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
La situation est particulière, puisqu'en première lecture le Sénat n'est pas parvenu, sur ce sujet difficile, à une rédaction qui puisse recueillir l'assentiment majoritaire de ses membres. Notre assemblée a donc rejeté le texte qui résultait de ses travaux.
La rédaction de la proposition de loi renvoyée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale fut donc celle qu'elle nous avait elle-même transmise en première lecture. À l'invitation de leurs rapporteurs, MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, nos collègues députés n'ont pas souhaité modifier les principaux articles du texte.
Par conséquent, sous réserve de quelques amendements de portée limitée, nous nous trouvons aujourd'hui confrontés au même texte qu'en première lecture.
Devant une question bioéthique aussi majeure que celle de la fin de vie, il revient au législateur de rechercher une solution équilibrée et raisonnable qui reçoive l'assentiment le plus large possible.
En première lecture, l'analyse de vos commissions au fond et pour avis avait convergé, puisque votre commission des lois avait soutenu les modifications apportées par la commission des affaires sociales et que cette dernière avait elle-même donné un avis favorable à la plupart des amendements de la première.
Si les inquiétudes exprimées lors de la première lecture au Sénat doivent être entendues, votre rapporteur considère toutefois que les principes alors retenus par vos commissions 1 ( * ) peuvent constituer le socle de l'accord qu'il convient de forger sur ce texte.
C'est pourquoi, après avoir constaté que les rapporteurs de la commission des affaires sociales s'engageaient à reprendre l'ensemble des amendements de la commission des lois adoptés en séance publique, en les intégrant aux modifications que leur commission avait adoptées en première lecture , votre rapporteur a proposé à votre commission des lois de marquer son accord avec ces amendements, ce qu'elle a décidé.
Elle a ainsi rappelé son attachement à ce que les automatismes décisionnels soient supprimés : ceux-ci sont en effet contraires au principe selon lequel il convient de préserver la liberté d'appréciation du médecin et, surtout, la volonté du malade. Votre commission des lois a ainsi réaffirmé son opposition, d'une part, à l'obligation faite au médecin, à l'article 2, d'arrêter les traitements de maintien en vie lorsqu'il constate une situation d'obstination thérapeutique déraisonnable et, d'autre part, à celle, à l'article 3, d'arrêter tous les traitements de maintien en vie lorsqu'une sédation profonde et continue jusqu'au décès est mise en oeuvre.
Dans ce même esprit, elle a adopté un amendement de son rapporteur ( LOIS.1 ) transformant en une faculté l'obligation de recourir à une sédation profonde et continue lorsqu'une décision d'arrêt de traitement de maintien en vie est prise pour un patient hors d'état d'exprimer sa volonté. Une telle pratique peut être justifiée par le souci d'éviter au patient la souffrance que l'arrêt du traitement pourrait lui causer. Elle rend compte de l'incertitude médicale sur le fait qu'un patient dans un coma profond puisse ou non éprouver une telle douleur. Votre commission a toutefois estimé préférable, en la matière, de s'en remettre à l'appréciation du médecin.
Votre commission des lois a par ailleurs confirmé son accord avec la restriction des cas de recours à la sédation profonde et continue proposée par la commission des affaires sociales en première lecture : en dehors de la situation précitée du patient hors d'état d'exprimer sa volonté pour lequel une décision d'arrêt des traitements de maintien en vie a été rendue au titre du refus d'une obstination thérapeutique déraisonnable, seule la situation d'un patient en fin de vie, présentant une souffrance réfractaire à tout autre traitement pourrait justifier le recours à une telle sédation.
Ceci exclurait notamment qu'il y soit procédé pour un malade en fin de vie dont la souffrance pourrait être apaisée par d'autres traitements de soins palliatifs. De la même manière, un malade atteint d'une affection grave et incurable, dont le pronostic vital serait engagé à court terme parce qu'il aurait décidé d'arrêter un traitement, ne pourrait exiger une telle sédation si sa souffrance peut être soulagée par d'autres moyens : la sédation profonde et continue ne peut constituer que l'ultime recours dans la gamme des soins palliatifs.
Votre commission a également rappelé son attachement, à l'article 8 relatif aux directives anticipées, à permettre la prise en compte du dernier état de l'expression de la volonté du patient, considérant par exemple que des directives anticipées rédigées de nombreuses années avant la situation de fin de vie pouvaient être contredites par des témoignages plus récents de la volonté du patient et devaient pouvoir être écartées.
Or, si le texte adopté à l'Assemblée nationale en première et en deuxième lectures répond à ces préoccupations, en permettant au médecin d'écarter des directives anticipées « manifestement inappropriées », la version issue des travaux de la commission des affaires sociales du Sénat en première lecture était bien plus restrictive et ne prévoyait d'écarter que les directives ne correspondant pas à la situation médicale du patient.
Si, en deuxième lecture, la commission des affaires sociales rétablissait son texte sans le modifier sur ce point, votre commission déposerait, comme en première lecture, en vue de la séance publique, plusieurs amendements visant à permettre d'écarter des directives anticipées qui ne correspondraient plus au dernier état de la volonté exprimée par le patient.
Enfin, votre commission s'est montrée défavorable à trois des modifications introduites en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
À l'article 8, l'Assemblée nationale, suivant dans l'esprit la position du Sénat, a entendu revenir sur l'obligation d'utiliser un modèle formalisé de directives anticipées, pour permettre leur rédaction libre, en remplaçant l'expression « sont rédigées selon un modèle unique » par l'expression « sont rédigées conformément à un modèle ». Votre commission n'a pas fait la même interprétation de cette modification et a estimé qu'elle ne permettait pas d'atteindre l'objectif poursuivi. Elle a donc estimé nécessaire de rendre explicitement facultatif le recours au modèle formalisé de directives.
À l'article 9 concernant la désignation par le patient d'une personne de confiance, outre deux modifications reprenant des apports du Sénat 2 ( * ) , l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, a supprimé la précision selon laquelle la personne de confiance témoignait de la volonté du patient.
Or, cette précision est apparue nécessaire à votre commission dans la mesure où, en présence de décisions concernant la fin de vie d'une personne inconsciente, et notamment celle d'arrêter ses traitements, il pourrait arriver que la personne de confiance, si elle est l'un des proches du malade, soit tentée de se prononcer selon ses convictions personnelles.
L'Assemblée nationale a également prévu la désignation d'une personne de confiance « suppléante », qui interviendrait dans le cas où la personne de confiance « titulaire » se trouverait dans l'impossibilité de se manifester.
Votre commission a estimé que cette disposition introduisait une lourdeur inutile dans le dispositif puisque, si la personne de confiance n'a pas été désignée, ou si celle-ci est dans l'incapacité de s'exprimer, les proches du patient seraient alors appelés à intervenir.
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Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de son amendement, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles de la proposition de loi dont elle s'est saisie.
* 1 Avis n° 506 (2014-2015) de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a14-506/a14-5061.pdf .
* 2 La signature de sa désignation par la personne de confiance elle-même ainsi que la suppression de l'accès de cette personne au dossier médical du patient « pour vérifier » que sa situation médicale correspond bien aux conditions exprimées dans les directives anticipées.