B. UN DISPOSITIF TROP RIGIDE QUI NE PERMET PAS DE PRENDRE PLEINEMENT EN COMPTE LA VOLONTÉ DU PATIENT
1. Le danger de faire des directives anticipées la preuve irréfragable de l'expression de la volonté du malade
L'article 8, dans sa rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales, dispose que les directives anticipées s'imposent au médecin sauf dans deux hypothèses :
- si les circonstances visées par ces directives ne correspondent pas à la situation médicale du patient ;
- en cas d'urgence vitale. Leur application est alors suspendue pendant le temps nécessaire à l'évaluation complète de la situation médicale du patient.
Or, le médecin pourrait tout à fait se trouver en présence de directives anticipées dont l'application ne pose aucune difficulté sur le plan médical mais qui ne seraient plus valides, c'est-à-dire qui ne reflèteraient plus la volonté du patient. Il ne pourrait pas, dans ce cas, les écarter.
Bien que la proposition de loi prévoit, pour limiter ce risque, que les directives anticipées seront révocables à tout moment 14 ( * ) , en raison de la suppression de leur limite de validité 15 ( * ) , le médecin pourrait se trouver en présence de directives très anciennes, dont le patient pourrait avoir oublié jusqu'à l'existence.
Si ces directives se révèlent conformes à la situation médicale du patient, quand bien même celui-ci aurait depuis exprimé d'autres souhaits, recueillis par la personne de confiance, ou par tout autre moyen, elles devraient être appliquées, en raison de la valeur supérieure que leur donne le texte 16 ( * ) .
Pour éviter ce type de situations, dans sa rédaction initiale, non modifiée sur ce point par l'Assemblée nationale, la proposition de loi permettait d'écarter les directives qui apparaitraient « manifestement inappropriées » au médecin. Ainsi, comme le soulignait M. Jean Leonetti, coauteur et corapporteur du texte, lors de l'examen du texte en commission des affaires sociales de l'Assemblée, « si quelqu'un rédige ses directives à l'adolescence et tombe malade à quatre-vingts ans, on pourra évidemment faire valoir leur caractère inapproprié » 17 ( * ) .
La rédaction retenue par la commission des affaires sociales du Sénat ne permet pas une telle souplesse. La possibilité d'appliquer les directives anticipées ne serait appréciée qu'au regard de la situation médicale du patient.
Dès lors, bien que les directives anticipées constituent l'élément le plus fiable pour déterminer la volonté d'un patient en état d'inconscience, votre commission n'a pas jugé opportun de les sanctuariser comme la preuve absolue de la volonté du patient, et de figer cette volonté à un moment précis, sans pouvoir prendre en compte ses évolutions ultérieures éventuelles.
Comme l'a souligné M. Jean-Marc Sauvé, lors de son intervention au colloque organisé par le Sénat sur la fin de vie en janvier dernier, « lorsque le patient est dans un état d'inconscience, ses directives anticipées expriment une présomption de volonté ; elles sont une approximation, certes très forte, de ce qu'aurait été sa volonté consciente. Mais cette présomption ne saurait être irréfragable : elle doit pouvoir être écartée, lorsqu'un faisceau d'indices probants et circonstanciés démontre qu'elles ne correspondent plus à la volonté du patient ».
Afin d'éviter que la force contraignante des directives anticipées se retourne parfois contre leur auteur, votre commission des lois a adopté un premier amendement prévoyant que les directives anticipées pourraient être révoquées « par tout moyen » (oralement, par écrit, par enregistrement audiovisuel...).
Elle a ensuite adopté un second amendement précisant expressément que le médecin ne serait pas tenu de se conformer aux directives anticipées dont la validité fait l'objet d'une contestation sérieuse . Ainsi les directives qui ne correspondraient pas au dernier état de la volonté du patient inconscient, apprécié à la lumière d'éléments plus récents, comme le témoignage de la personne de confiance par exemple, ne s'imposeraient pas au médecin.
Enfin, pour améliorer, autant que faire se peut, la mise à jour des directives anticipées, votre commission a également adopté un troisième amendement précisant que le décret en Conseil d'État, qui fixe notamment les conditions de conservation des directives anticipées, devrait également prévoir un rappel régulier , à la personne qui a enregistré ses directives anticipées dans le registre national, de l'existence de celles-ci .
2. La mise en oeuvre de la procédure collégiale en cas de contestation sérieuse portant sur la validité des directives
Alors que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale limitait le recours au processus collégial de décision 18 ( * ) aux situations dans lesquelles les directives anticipées apparaissaient « manifestement inappropriées » au médecin, la commission des affaires sociales a systématisé la mise en oeuvre de cette procédure. L'application de toutes directives anticipées devrait désormais faire l'objet d'une telle procédure 19 ( * ) .
Estimant que le recours à cette collégialité est une garantie supplémentaire apportée au patient et permettrait de ne pas laisser le médecin seul face à la décision lourde de conséquences d'appliquer ou non des directives anticipées, votre commission a adopté un amendement précisant que, face à un doute sérieux émis sur la validité de ces directives, le médecin trancherait la question dans le cadre de la procédure collégiale .
3. La nécessité de favoriser par tout moyen l'émergence de la volonté du malade inconscient
Enfin, concernant la personne de confiance, votre commission des lois s'est inquiétée de la rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales, concernant la valeur du témoignage de la personne de confiance.
Celle-ci précise que la parole de la personne de confiance prévaudrait « sur tout autre élément permettant d'établir la volonté du patient à l'exclusion des directives anticipées », alors que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ne la faisait prévaloir que sur les autres témoignages (de la famille et des proches le plus souvent).
Or, s'il existe des éléments permettant d'établir la volonté du patient (comme un enregistrement vidéo, une lettre, un message téléphonique vocal ou écrit), il peut sembler contestable de les écarter par principe. À l'initiative de son rapporteur, votre commission des lois a donc adopté un amendement à l'article 9 permettant de revenir à une valeur plus limitée du témoignage de la personne de confiance . Celui-ci ne prévaudrait que sur d'autres témoignages et non pas sur tout élément.
4. Permettre aux personnes sous tutelle d'exprimer leur volonté
Le dernier alinéa de l'article 8 de la proposition de loi, qui n'a pas été modifié par la commission des affaires sociales, permet aux personnes qui font l'objet d'une mesure de protection juridique, quelle qu'elle soit (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, mandat de protection future), de rédiger des directives anticipées sur autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué.
Votre commission des lois a adopté un amendement limitant l'application de ce dispositif aux seules personnes placées sous tutelle . En effet, s'agissant des autres mesures, les personnes peuvent d'ores et déjà rédiger librement des directives anticipées. Il n'est donc pas apparu opportun de les soumettre à un régime d'autorisation plus contraignant.
Par parallélisme, elle a également adopté un amendement à l'article 9, précisant que les personnes sous tutelle pourraient , dans les mêmes conditions, c'est-à-dire avec une autorisation du juge ou du conseil de famille, désigner une personne de confiance .
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Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de ses amendements, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles de la proposition de loi dont elle s'est saisie.
* 14 Comme le prévoit également l'article L. 1111-11 du code de la santé publique en vigueur.
* 15 Actuellement, l'article L. 1111-11 du code de la santé publique dispose que les directives doivent avoir été établies moins de trois ans avant l'état d'inconscience de la personne pour être prises en compte par le médecin.
* 16 L'alinéa 5 de l'article 9, dans sa rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales, prévoit que l'expression de la volonté du patient par la personne de confiance « prévaut sur tout autre élément permettant d'établir la volonté du patient à l'exclusion des directives anticipées ». Quant à l'article 10, il précise que ce n'est qu'en l'absence de directives anticipées que la personne de confiance rendra compte de la volonté du patient et qu'à défaut de personne de confiance, le médecin pourra recueillir tout élément permettant d'établir la volonté du patient auprès de la famille ou des proches.
* 17 Rapport de MM. Alain Claeys et Jean Leonetti fait au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, n° 2585, p. 102.
* 18 La définition de cette procédure collégiale était renvoyée au code de déontologie médicale.
* 19 À l'article 2 du présent texte, la commission des affaires sociales a également précisé la composition du collège compétent. Il réunirait l'ensemble de l'équipe soignante et associerait la personne de confiance ou, à défaut, la famille ou les proches qui le souhaitent.