B. UN SCÉNARIO SOUMIS À DES ALÉAS
1. Sur le montant et les échéances des économies attendues
L'ensemble des interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur ont souligné le caractère ambitieux de la trajectoire financière retenue. Votre rapporteur n'a pas obtenu de décompte précis sur les gains de productivité et de mutualisation attendus de la réforme. En particulier, les éléments détaillés présentés par notre collègue député Olivier Faure, rapporteur pour avis de la commission des finances, ne lui ont pas été confirmés 34 ( * ) .
Interrogé par votre rapporteur lors de son audition devant la commission du développement durable, Jacques Rapoport, président de RFF, a cependant affirmé qu'à la « lumière de mon expérience, à la RATP ou à La Poste, je sais que nous avons les 500 millions d'euros de productivité, qui représentent moins de 10 % de notre chiffre d'affaires , grâce à une organisation normale que nous n'avons pas aujourd'hui . [...]
« Le système actuel exclut le développement de l'innovation technologique. Est-ce l'affaire de RFF ou de la SNCF de réaliser la surveillance embarquée des voies ? Dans les trains, les contrôleurs sont équipés informatiquement ; sur les voies, les mainteneurs ont un carnet à souche ! Des papiers se perdent en chemin ! On vit au Moyen Âge ! Pourquoi ? Ce n'est pas de la mauvaise volonté !
« L'innovation, qui est un gisement considérable dans toutes les entreprises, est massivement sous-exploitée par la séparation. Je réfute donc tout scepticisme ! » 35 ( * ) .
Dans le cadre de la préparation de la réforme et de la construction de la trajectoire financière, le Gouvernement a fait appel à un cabinet de consultants afin de réaliser des contre-expertises sur les gains de productivité potentiels mis en avant tant par la SNCF que par RFF.
Pourtant, en réponse au questionnaire de votre rapporteur, le ministère des finances et des comptes publics indique : « bien que l'État ait participé aux travaux sur la trajectoire financière des futures entités et connaisse les hypothèses du scénario, les données permettant d'alimenter les modèles financiers sont sous l'entière responsabilité des établissements ».
Le ministère des transports souligne, quant à lui, que « le travail se poursuit avec le futur groupe public sur les moyens de stabiliser la dette du futur gestionnaire d'infrastructure unifié , tout en faisant un effort sans précédent de rénovation du réseau l'objectif prioritaire. Les travaux préparatoires à la conclusion des contrats [entre l'État et SNCF Mobilités et SNCF Réseau] , permettront d'aboutir à l'identification des leviers permettant de stabiliser la dette du système ferroviaire ».
La réalité des économies réalisées conditionne la trajectoire financière suivie par le groupe ferroviaire. Par exemple, si SNCF Mobilités ne parvient pas à atteindre les objectifs du plan « Excellence 2020 », alors le montant des dividendes pouvant être remontés à l'EPIC de tête puis reversés à SNCF Réseau sera inférieur au 300 millions d'euros attendus. Or ce montant apparaît déjà très élevé au regard des dividendes précédemment versés par SNCF Groupe à l'État.
Montant du dividende versé par SNCF Groupe à l'État
(en millions d'euros)
Année |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
183 |
0 |
69 |
199 |
209 |
Source : ministère des finances et des comptes publics
Enfin, la Cour des comptes souligne un enjeu important auquel sera confronté SNCF Réseau : « s'il est acquis que le prochain gestionnaire d'infrastructure unifié aura la pleine dimension de ses responsabilités avec la réunification de la circulation et de la maintenance, l'un de ses défis sera de porter remède aux inconvénients nés de l'actuel schéma institutionnel, sans faire disparaître l'émulation économique et méthodologique que la création de RFF a néanmoins apportée au système, son action ayant de fait constitué un aiguillon vis-à-vis de l'opérateur historique » 36 ( * ) .
2. Sur l'environnement économique
La trajectoire financière retenue sera également sensible à l'évolution de la conjoncture économique . Sur les cinq dernières années, tant RFF et SNCF ont souffert de la dégradation de l'activité économique.
Ainsi, conformément à son contrat de performances, RFF a augmenté ses péages. Mais la chute du trafic a minoré l'effet attendu sur ses comptes.
Pour SNCF, cette hausse des péages a contribué, parmi d'autres facteurs, à réduire la rentabilité de l'activité TGV, ce qui l'a conduit à déprécier les actifs TGV à hauteur de 1,4 milliard d'euros dans les comptes pour 2013. Le ministère des finances et des comptes publics explique que « les marges de l'activité TGV se sont dégradées, sous l'effet de la stagnation du trafic et du développement des offres low-cost , mais aussi de l'évolution des péages, qui ont fortement augmenté de 2008 à 2013. [...]
« Dans les années à venir, les perspectives économiques de SNCF Mobilités seront en partie conditionnées par l'atteinte des objectifs du plan stratégique ?Excellence 2020?, dans un contexte économique qui reste incertain ».
L'autre point d'attention conjoncturel concerne les taux d'intérêt . Comme l'ensemble des émetteurs de la sphère publique française, RFF bénéficie de conditions d'emprunt particulièrement favorables. Néanmoins, en 2013, les charges financières ont représenté 1,3 milliard d'euros pour RFF, montant qui ne peut que s'accroître dans le futur sous l'effet de l'augmentation du volume d'endettement au moins jusqu'à sa stabilisation d'ici dix ans.
Or, comme le rappelait Guillaume Pépy, président de SNCF, devant la commission du développement durable, « sur la question de la dette, je pense qu'il faut d'abord bien distinguer le surendettement de l'endettement. Nous sommes aujourd'hui surendettés, cela signifie que nous risquons de devoir réemprunter pour assumer la charge de notre dette. Les taux d'intérêt sont très bas, s'ils remontent nous serons en situation de surendettement . C'est pourquoi l'objectif de stabilisation de la dette est vital » 37 ( * ) .
* 34 Avis n° 1965 présenté au nom de la commission des finances, sur le projet de loi portant réforme ferroviaire (n° 1468), par M. Olivier Faure, 21 mai 2014, pp. 24-25.
* 35 Audition du 11 juin 2014.
* 36 Cour des comptes, Réseau ferré de France, exercices 2008-2012 , rapport particulier, octobre 2013.
* 37 Audition du 4 juin 2014.