H. LE MÉCANISME D'INDEMNISATION DES VICTIMES DES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS EN ATTENTE D'UNE NOUVELLE IMPULSION
Entre 1960 et 1996, la France a procédé à 210 essais nucléaires , d'abord dans le Sahara algérien jusqu'en 1966 puis en Polynésie française. Durant cette période, 150 000 personnes furent présentes sur les sites d'expérimentation. Par la loi du 5 janvier 2010 30 ( * ) , l'Etat a reconnu sa responsabilité pour les maladies radio-induites résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus à ces essais et a mis en place une procédure permettant aux victimes ou à leurs ayants droit d' obtenir la réparation intégrale de leur préjudice .
Le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) a pour mission de traiter les demandes individuelles d'indemnisation et de présenter au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu'il convient de lui donner. Il est présidé par un magistrat, membre du Conseil d'Etat ou de la Cour de Cassation, et compte huit membres dont au moins quatre médecins.
Si les périodes de séjour en Algérie ou en Polynésie prises en compte sont fixées par l'article 2 de la loi, les zones géographiques mentionnées à ce même article ont été précisées par le décret du 11 juin 2010 31 ( * ) , tout comme les maladies pouvant ouvrir droit à indemnisation. Ce même décret définit la composition du Civen, la procédure de dépôt et d'examen des dossiers ainsi que les modalités d'application de la présomption de causalité reconnue à l'article 4 de la loi entre l'exposition et la maladie, lorsque les conditions de l'indemnisation sont réunies.
Cette dernière ne peut être écartée que si « le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants » 32 ( * ) . Le Civen la reconnaît dès lors que la probabilité de causalité est supérieure ou égale à 1 % .
Malgré ces dispositions, seulement deux indemnisations avaient été accordées au 29 juillet 2011, et sept au 6 septembre 2012 . Devant ces chiffres très faibles, un décret du 30 avril 2012 33 ( * ) a étendu le périmètre géographique des zones de Polynésie prises en considération à l'ensemble de l'atoll de Hao et de l'île de Tahiti et a élargi la liste des maladies retenues au cancer du sein chez l'homme, aux myélodysplasies, aux lymphomes non hodgkiniens et aux myélomes. Un nouvel examen des dossiers précédemment rejetés a été ordonné.
Au 16 septembre 2013, alors que le Civen a tenu 38 réunions depuis sa création, il a examiné 734 dossiers mais seulement 12 d'entre eux ont donné lieu à une indemnisation, trois supplémentaires étant en cours d'expertise. Un contentieux important s'est développé : plus de 230 recours ont été déposés devant les tribunaux administratifs contre des décisions de rejet et, sur la trentaine de jugement rendus, 12 ont conclu à l'annulation de celles-ci. Il existe donc un risque juridique important, et ce d'autant plus qu'en l'absence de décision du Conseil d'Etat, il n'existe pour l'heure pas de jurisprudence homogène.
Pour la troisième année consécutive, 10 millions d'euros sont inscrits dans le budget pour 2014 au titre de l'indemnisation des victimes et du financement des expertises. Or, entre 2010 et 2013, les 12 indemnisations accordées ont représenté un montant total de 522 500 euros .
Comme l'an dernier, il est très peu vraisemblable que cette enveloppe soit intégralement consommée . Ainsi, votre rapporteure ne peut que rejoindre le constat fait par la Cour des comptes, dans son analyse de l'exécution du budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » pour 2012, selon lequel le niveau des crédits affectés à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français n'est pas en cohérence avec le niveau des dépenses constatées.
Tableau n° 7 : Statistiques d'activité du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français au 5 août 2013
Nombres de dossiers reçus |
846 |
|
Selon l'origine de la victime |
Militaire |
690 |
Civil |
72 |
|
Population locale |
82 |
|
Non renseigné |
2 |
|
Selon le statut du demandeur |
Victime |
517 |
Ayant droit |
329 |
Dossiers en cours d'instruction |
161 |
Dossiers complets |
685 |
dont recevables |
469 |
dont irrecevables |
216 |
Dossiers examinés au CIVEN |
734 |
Dossiers n'entrant pas dans le champ du dispositif |
222 |
Présomption de causalité inférieure à 1 % |
487 |
Expertises |
14 |
Propositions favorables |
12 |
Dossiers ayant fait l'objet d'une décision du ministre |
580 |
dont rejets |
568 |
dont accords |
12 |
Réexamen des dossiers rejetés (décret du 30 avril 2012) |
54 |
Dossiers revus en CIVEN |
21 |
Source : Ministère délégué chargé des anciens combattants
Comme votre rapporteure en avait émis le souhait l'an dernier, une nouvelle impulsion est nécessaire afin que « l'avancée symbolique qu'a représentée la loi de 2010 ne soit pas un trompe-l'oeil ». Plusieurs travaux préparatoires ont été réalisés cette année. En application de l'article 100 de la loi de finances pour 2013 34 ( * ) , le Gouvernement a remis le 10 octobre 2013 au Parlement un rapport, issu d'une mission conjointe CGA-Igas, sur l'opportunité de modifier le décret du 11 juin 2010. Dans le même temps, nos collègues Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir ont évalué, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, la mise en oeuvre de la loi de 2010 35 ( * ) .
Le rapport gouvernemental arrive à la conclusion que la modification de la loi et de ses dispositions d'application, en particulier l'instauration d'une automaticité de l'indemnisation, n'apparaît pas justifiée. Il constate également une forte diminution du nombre de dossiers déposés , passé en moyenne de cinquante par mois en 2011 à une dizaine aujourd'hui. Le rapport sénatorial appelle quant à lui à rétablir la confiance dans le dispositif et à revoir l'organisation du Civen.
Le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, dont l'examen est en cours d'achèvement au Parlement, constitue le vecteur d'une rénovation du mécanisme d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français sur la base des recommandations du Sénat .
Par un amendement proposé par notre collègue Corinne Bouchoux, un article 33 bis qui réforme le Civen a été inséré dans le texte. Ce dernier va devenir une autorité administrative indépendante (AAI), quittant ainsi la tutelle du ministère de la défense. Il sera désormais composé de neuf membres et, reconnaissance du fait que sa mission relève avant tout de la santé publique, les médecins, au nombre minimal de cinq, y seront majoritaires . Il devra publier un rapport annuel d'activité. Enfin, le champ d'application de la loi est étendu à l'intégralité du territoire de la Polynésie française . Toutes les demandes d'indemnisation rejetées jusqu'à présent sur la base des anciens critères géographiques feront l'objet d'un nouvel examen .
Votre rapporteure se félicite que le Gouvernement se soit rallié à cette initiative sénatoriale. Il reste maintenant à espérer qu'un nombre plus important de dossiers sera déposé et que ces mesures contribueront à faciliter les indemnisations.
* 30 Loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
* 31 Décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
* 32 Article 7 du décret du 11 juin 2010.
* 33 Décret n° 2012-604 du 30 avril 2012 modifiant le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
* 34 Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.
* 35 Corinne Bouchoux, Jean-Claude Lenoir, L'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : une loi qui n'a pas encore atteint ses objectifs ; Commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, n° 856 (2012-2013), 18 septembre 2013.