C. DES INTERROGATIONS PERSISTANTES SUR L'AVENIR DU DISPOSITIF

1. Un financement annoncé dont les modalités restent à préciser

Ainsi que le rapport de la commission de l'application des lois sur un « triple Play gagnant du très haut débit - qu'a rédigé votre rapporteur pour avis avec notre collègue Yves Rome 11 ( * ) précité le soulignait, la question du financement, qui constitue la « pierre angulaire » du dispositif de déploiement, peine à être complètement clarifiée. Outre qu'il pointait l'absence de consensus quant au coût global du déploiement - allant de 20 à 37 milliards d'euros -, le rapport observait que « le besoin de financement du THD est en partie incertain et, avec lui, la structure de financement ».

Les annonces du Gouvernement, le 28 février dernier, ont en partie précisé les choses, mais en partie seulement. Le coût global du déploiement sur lequel il se base est de 20 milliards d'euros . Les opérateurs privés sont censés investir environ le tiers de cette somme pour déployer leurs réseaux optiques dans plus de 3 400 communes Le second tiers provient de l'État et des collectivités territoriales. Enfin, le dernier tiers serait cofinancé par les opérateurs sous forme de droit d'accès aux infrastructures déployées par les collectivités.

Pour ce qui est de la seule partie publique du financement, la feuille de route fait état d'un budget de 3,3 milliards d'euros de subventions jusqu'en 2022 par l'Etat . Il se compose des 660 millions d'euros non affectés par le FSN, auxquels s'ajoutera la redevance de la location de la bande de fréquence 1800 Mhz, qui sera utilisée pour la 4G par les opérateurs de téléphonie, et doit rapporter 200 millions d'euros par an. Une taxe sur les télécommunications électroniques, qui serait définie lors de la loi de finances 2014, devrait venir compléter le dispositif.

Ce plan gouvernemental de financement soulève diverses interrogations pour votre rapporteur pour avis . D'une part, il table sur un besoin total de financement de 20 milliards d'euros, ce qui constitue la fourchette basse des projections réalisées par les spécialistes. Ensuite, il annonce une taxe sur les communications électroniques qui n'apparaît pas, en tant que telle, dans le projet de loi de finances, alors qu'elle doit représenter la majeure source de financement provenant de l'État. Enfin, il reste elliptique sur les moyens de financement des collectivités , dont 3 milliards d'euros sont attendus ; notamment, il ne clarifie pas la façon dont serait alimenté le Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT), fonds spécialement créé par la « loi Pintat » en vue de soutenir l'intervention des collectivités pour le financement des réseaux numériques à très haut débit.

2. Une intervention des collectivités encore fragile

En matière d'aménagement numérique du territoire, les collectivités territoriales font preuve d'une forte implication depuis plusieurs années. Nombre d'entre elles se sont ainsi lancées dans des projets de RIP. En effet, depuis 2004, la loi les autorise à établir et exploiter des réseaux de communications électroniques : elles peuvent en particulier exercer une activité d'opérateur d'opérateurs 12 ( * ) et, en cas exceptionnel d'insuffisance de l'initiative privée et après démonstration de cette insuffisance, fournir directement des services au client final.

• Une évolution progressive de la nature des RIP

À ce jour, 374 projets de RIP de toutes tailles ont été recensés par les services de l'ARCEP, laquelle est destinataire des projets des collectivités avant leur mise en oeuvre. Après une phase de forte croissance du nombre de nouveaux projets de RIP entre 2005 et 2007, suivi d'une stagnation jusqu'en 2009, il semble que le rythme des nouvelles déclarations de RIP diminue depuis 2010.

Cette tendance traduit tout d'abord une certaine maturité des RIP, qui ont achevé une première phase d'éclosion. Par ailleurs, cette tendance doit être relativisée au regard du type de porteur des projets. Les communes , qu'elles s'engagent seules ou en se regroupant, étaient majoritaires sur l'ensemble des porteurs de projets de 2007 à 2009. À compter de 2010, leur proportion diminue, tout en restant majoritaire ; on constate cependant un certain recul au profit notamment des départements .

Aujourd'hui, l'ARCEP recense 42 projets ayant un volet FttH ciblant plus de 2 millions de prises. Parmi eux, 17 sont d'envergure départementale, 21 intercommunale et 4 communale. Si, sur la période 2000-2010, seuls 5 % des projets s'appuyaient sur le FttH, depuis 2010, plus de 35 % des projets comportent un volet FttH , ce qui en fait la technologie la plus sollicitée dans les projets récents. Les deux autres technologies les plus utilisées sont, pour 28 % des RIP, le déploiement d'un réseau de collecte et, pour 28 % également, le recours à la montée en débit sur la boucle locale en cuivre. La progression de ces trois technologies démontre bien la cohérence de l'évolution des projets RIP vers le très haut débit.

• Une intervention des collectivités confortée financièrement par la « feuille de route »

La « feuille de route » du Gouvernement devrait conforter l'intervention des collectivités en matière de très haut débit. Grâce au nouveau barème d'aides du FSN, tous les RIP se déclarent prêts à déployer plus de prises FttH et plus vite, selon l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca). Les taux de subventions à la prise ont en effet été relevés entre 20 à 25 % pour l'ensemble des projets. Les départements les plus ruraux pourront ainsi recevoir jusqu'à 62 % du coût d'une prise en subvention, alors que le barème précédent était plafonné à 40 %.

Par ailleurs, le financement de la boucle locale en fibre optique est dissocié , ce qui devrait aider les départements qui n'avaient pas encore engagé ces investissements à réaliser une montée en débit en attendant le déploiement du FttH. Ainsi les 11 projets qui avaient déjà reçu l'accord du FSN pour un montant de 260 millions d'euros pourront demander un nouveau calcul à condition de ne pas être en situation d'irréversibilité. Les 16 autres projets en cours d'instruction devraient recevoir rapidement le chiffrage attendu. Un tiers des départements devraient pouvoir lancer leurs déploiements d'ici la fin 2013.

Mais l'avancée la plus importante est sans doute l'annonce des conditions d'accès aux prêts de l'épargne conventionné , et surtout le différé de remboursement , fixé à 8 ans. Cela permettra aux syndicats mixtes, qui mènent les projets dans la plupart des départements d'attendre, la commercialisation du réseau avant de commencer à rembourser.

• Une sécurisation du modèle juridique des RIP restant à finaliser

Le rapport de la commission de l'application des lois précité insistait sur le fait que « des mesures de protection devraient intervenir afin d'assainir les conditions de partenariat entre les collectivités concédantes et les (grands) opérateurs et, plus globalement, le jeu de la concurrence ».

Les collectivités, contrairement aux opérateurs nationaux, ne disposent pas de levier concurrentiel sur le marché de détail pour commercialiser leurs réseaux . Le risque - au moins en théorie - demeure donc qu'un RIP ne trouve pas d'opérateur, et ne soit donc pas in fine utilisé. Cette situation apparaîtrait en cas de duplication des réseaux publics et privés, sur un même territoire.

Le rapport faisait ainsi état de l'hypothèse du « maintien par les opérateurs de leurs objectifs de défense de leurs parts de marché », du moins sur les segments les plus rentables des boucles locales. Plutôt que d'exploiter un RIP, ils pourraient être tentés d'opérer directement sur leur propre réseau, sans que les collectivités ne puissent s'en garantir.

Aussi la mission très haut débit devait-elle préparer une convention nationale-type tripartite clarifiant les engagements des opérateurs privés dans les zones très denses et les zones AMII (appel à manifestation d'intérêt d'investissement). Les conventions de ce type, signées par le département du Val d'Oise, le Grand Lyon et l'agglomération de Strasbourg, devaient servir de modèle. Elle serait signée avec les départements qui auraient voté leur SDANT. Si les opérateurs n'investissaient pas sur ces zones, l'Etat contribuerait financièrement.

3. L'horizon d'un basculement généralisé devant être défini

Le basculement de l'ancien réseau (cuivre) vers le nouveau (fibre) est l'une des conditions de l'équilibre du modèle du très haut débit. Celui-ci ne pourrait en effet supporter, à moyen et long terme, le maintien d'un réseau déjà existant, dont l'opérateur historique, qui l'a en majeure partie construit, continue d'ailleurs de tirer profit.

Il est donc indispensable que la transition entre les deux technologies soit décidée, organisée et sécurisée . L'opérateur historique - qui est aussi le premier intéressé - et le Gouvernement ont lancé une expérimentation d'un tel basculement sur un territoire délimité, à Palaiseau , en région parisienne. Cette ville sera ainsi entièrement fibrée en 2014, et le réseau ADSL sera définitivement coupé à ce moment.

Par ailleurs, une mission d'étude a été confiée à l'ancien président de l'ARCEP, M. Paul Champsaur , qui doit remettre son rapport au plus tard avant la fin 2014. L'objectif est d'étudier les impacts juridiques, économiques et sociaux du basculement, notamment pour France Télécom-Orange, et de redéfinir le service universel du téléphone fixe.


* 11 Etat, opérateurs, collectivités territoriales : le « triple play gagnant du très haut débit », rapport n° 364 (2012-2013) fait par MM. Yves Rome et Pierre Hérisson au nom de la commission d'application des lois.

* 12 C'est-à-dire proposer des offres de gros qu'utilisent les opérateurs de détail (fournisseurs d'accès à internet) afin de desservir les clients finaux.

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