B. FAIRE PROGRESSER L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE
1. Mieux protéger les collaborateurs libéraux
L' article 4 du projet de loi vise à améliorer la protection des collaborateurs libéraux contre la rupture de leur contrat de collaboration en cas de maternité ou de paternité et, de manière plus générale, contre les discriminations.
Modalité d'exercice des professions à statut réglementé, la collaboration libérale permet à un professionnel de travailler en toute indépendance auprès d'un autre professionnel sans lien de subordination, dans une relation qui n'est pas celle du salariat. Elle permet de découvrir la gestion d'un cabinet et d'acquérir une clientèle personnelle sans avoir à réaliser les investissements lourds qui accompagnent la création d'une telle structure. Particulièrement utilisé chez les avocats, le contrat de collaboration libérale n'est pas un contrat de travail : les dispositions protectrices du code du travail en matière de congé maternité et de congé de paternité et d'accueil de l'enfant, en particulier la protection contre le licenciement, ne sont pas applicables à son titulaire.
Alors que la jurisprudence a établi que la rupture d'un contrat de collaboration libérale n'est pas un licenciement et n'a pas à être motivée, cet article instaure, au retour d'une suspension temporaire de la collaboration en raison de la grossesse de la collaboratrice ou du souhait du collaborateur de cesser le travail à l'occasion de la naissance d'un enfant, une période de huit semaines durant laquelle le contrat de collaboration ne pourra être rompu . Seul un manquement grave aux règles déontologiques de la profession, sans lien avec la situation personnelle de l'intéressé, pourra justifier une rupture sans l'accord mutuel des parties.
Cet article renforce également le formalisme du contrat de collaboration libérale, qui devra désormais prévoir explicitement les modalités de sa suspension en cas de grossesse ou de paternité. Il étend également aux collaborateurs libéraux le bénéfice du régime de droit commun en matière de lutte contre les discriminations tel qu'il est défini par la loi du 27 mai 2008 18 ( * ) .
2. Faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie privée grâce au compte épargne-temps
L'inégale répartition au sein du couple des tâches domestiques et familiales est l'une des principales causes des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. L' article 5 du projet de loi adopte une approche originale pour répondre à ce constat et permettre principalement aux femmes, sans bien évidemment en exclure les hommes, de mobiliser toutes les ressources à leur disposition pour poursuivre leur carrière professionnelle sans négliger leurs obligations familiales.
A ce titre, l'article crée une expérimentation d'une durée de deux ans afin de permettre aux salariés de transformer les droits accumulés sur leur compte épargne-temps (CET) en chèques emploi-service universels (Cesu) afin de financer des prestations de service à la personne .
Le CET est un dispositif alimenté par le salarié et, éventuellement, par l'employeur, qui lui permet, en échange de congés non pris ou d'un abondement monétaire, de bénéficier de congés dans le futur ou d'une rémunération différée. Il pourrait donc être utilisé, avec l'accord de l'employeur, pour rémunérer un(e) assistant(e) maternel(le) agréé(e) ou acquitter les prestations de service fournies par les crèches, garderies et autres structures de garde d'enfants, ainsi que celles réalisées en dehors du temps scolaire pour l'accueil des enfants scolarisés.
Les modalités de mise en oeuvre de cette expérimentation seront précisées par un décret. Elle débutera à compter de sa publication ou, à défaut, au plus tard à compter du 1 er juillet 2014.
3. Franchir une étape supplémentaire grâce aux partenaires sociaux
Les partenaires sociaux ont achevé le 19 juin dernier une négociation nationale interprofessionnelle sur la qualité de vie au travail entamée à l'automne 2012. Signé par le Medef, l'UPA, la CGPME et, parmi les cinq organisations syndicales représentatives, par la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC, l'accord national interprofessionnel (Ani) intitulé « Vers une politique d'amélioration de la qualité de vie au travail et de l'égalité professionnelle » s'inscrit dans la lignée de l'Ani du 1 er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et cherche à relancer, dans les entreprises et les branches, une dynamique de régression des inégalités professionnelles.
L'Ani propose de rendre plus simple et plus efficace la négociation annuelle portant sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'entreprise en mettant en place une meilleure articulation entre les obligations de négociation actuelles sur l'égalité professionnelle et sur l'égalité salariale (article 4 de l'accord).
Les partenaires sociaux sont également convenus de mettre en place un groupe de travail national paritaire afin de développer l'usage et d'enrichir le contenu du rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise. En application de l'article L. 2323-57 du code du travail, il doit être établi chaque année dans les entreprises d'au moins trois cents salariés et sert actuellement de base aux négociations relatives à l'égalité professionnelle (article 5).
L'Ani prévoit également la mise en place d'un indicateur de promotion sexué pour assurer un meilleur suivi de l'amélioration de l'égalité professionnelle dans l'entreprise (article 6).
L'article 7 de l'accord traduit l'engagement des partenaires sociaux à renforcer, dans les entreprises et dans les branches, la lutte contre les stéréotypes sexués. L'objectif affiché est « d'éviter la stigmatisation des femmes, en particulier au moment d'un départ ou d'un retour de congé maternité, et d'une façon plus générale dans le déroulement de la carrière professionnelle », tout en soulignant que la direction de l'entreprise doit être porteuse de ces initiatives.
L'article 8 concerne le déroulement de carrière des salariés bénéficiant d'un congé parental d'éducation . En application de l'article L. 1225-47 du code du travail, pendant la période qui suit l'expiration du congé de maternité ou d'adoption, tout salarié justifiant d'une ancienneté minimale d'une année à la date de naissance de son enfant a le droit au bénéfice d'un congé parental d'éducation d'une durée initiale d'un an, prolongeable deux fois, durant lequel son contrat de travail est suspendu. Les partenaires sociaux souhaitent notamment faire bénéficier les salariés en congé parental d'éducation d'un entretien avec leur employeur avant le terme du congé afin d'anticiper leur reprise d'emploi et leurs éventuels besoins de formation.
Enfin, l'article 9 de l'accord a pour objet de contribuer à l'égalité professionnelle en favorisant l'exercice de la parentalité par les hommes. Les partenaires sociaux réaffirment leur attachement à une totale égalité d'accès aux droits à congés liés à la parentalité et s'engagent à assurer la même égalité pour les dispositifs facilitant l'articulation des temps professionnels et familiaux dans le but de favoriser l'exercice de la parentalité.
Par ailleurs, l'accord invite les branches, avec l'appui d'un groupe de travail paritaire, à accroître leurs efforts pour parvenir, lors du réexamen quinquennal des classifications imposé par l'article L. 2241-7 du code du travail, à définir leurs postes de travail sur la base de critères n'induisant pas de discriminations entre les femmes et les hommes. Il s'agit là d'un point essentiel, dont l'importance ne saurait être minorée car ces classifications régissent ensuite les conditions d'activité et les rémunérations minimales dans toutes les entreprises de la branche.
Cet accord est conclu pour une durée de trois ans. Toutes ses stipulations n'ont pas vocation à être traduites dans la loi. La plupart concernent plutôt la conduite du dialogue social dans l'entreprise ou la branche. Néanmoins, ses articles 4 et 8 pourraient faire l'objet, de la part du Gouvernement, d'amendements au projet de loi visant à en assurer la transposition législative .
4. Les amendements adoptés par votre commission
A l'initiative de votre rapporteure, votre commission a adopté un amendement procédant à la réécriture de l'article 4 afin d'améliorer son intelligibilité, d'assurer la transposition exacte, en faveur des collaborateurs libéraux, des mécanismes existants à l'heure actuelle dans le code du travail en matière de congé de maternité, de paternité et d'adoption et de corriger des erreurs rédactionnelles.
Elle a modifié l'expérimentation prévue à l'article 5 . Seule une partie des droits accumulés sur le compte épargne-temps pourront être convertis en chèques emploi-service universels. Il est apparu à votre commission que cette mesure ne devait pas avoir pour conséquence de détourner le compte épargne-temps de son objet initial, c'est-à-dire la prise de congés par le salarié ou l'obtention d'une rémunération complémentaire. De plus, plutôt que de soumettre ce dispositif à l'accord de l'employeur, qui n'a pas à intervenir dans l'utilisation par un salarié de ses droits, c'est l'accord collectif instituant le compte épargne-temps qui prévoira la possibilité d'avoir recours au chèque emploi-service universel .
Trois articles additionnels proposés par votre rapporteure ont également été adoptés afin de renforcer le volet égalité professionnelle du projet de loi. Le premier fait des inégalités de traitement dans l'entreprise liées à l'utilisation des droits en matière de parentalité, en particulier les congés, un motif de discrimination explicitement reconnu et sanctionné par le code du travail. Le second élargit le champ du rapport de situation comparée à la sécurité et à la santé au travail. Enfin, le troisième impose une pénalité financière de 1 % de la masse salariale aux entreprises n'ayant pas transmis leur rapport de situation comparée à l'inspecteur du travail, reprenant une disposition adoptée par le Sénat en février 2012 dans la proposition de loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes de notre collègue Claire-Lise Campion.
* 18 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.