II. DES PERSPECTIVES BUDGETAIRES ET ECONOMIQUES CONDITIONNEES À L'EVOLUTION DU TRAFIC : 2013, ANNEE CRITIQUE POUR L'ENSEMBLE DES OPERATEURS

A. L'ÉVOLUTION DU TRAFIC

Le trafic a repris en 2011 et au premier semestre 2012, tiré par la croissance mondiale ; cependant, le rythme est moins soutenu qu'avant 2008 et, surtout, l'évolution des trafics aériens est contrastée entre grandes zones géographiques et entre vols internationaux et vols domestiques.

Globalement, selon l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), le nombre de voyageurs a progressé de 5,6 % en 2011, pour s'établir à 2,7 milliards de passagers ; le volume d'activité des services réguliers (internationaux et intérieurs) s'est accru de 6,5 % en moyenne (de 7,1 % pour les vols internationaux et de 5,4 % pour les vols intérieurs). A noter, cependant, que le ciel aérien européen a été fermé pendant une semaine en avril 2010, suite à l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll : les progrès enregistrés en 2011 doivent être ainsi pondérés fortement par le rattrapage sur des chiffres moins bons en 2010.

Le trafic de fret aérien, lui, n'a augmenté que de 1,4 % en volume, pour s'établir à 51,4 millions de tonnes . La morosité du climat économique en Europe, s'ajoutant au ralentissement des exportations chinoises en raison notamment de la baisse de la demande européenne et à la forte concurrence du transport maritime, a pesé négativement sur le transport de fret.

En France, le trafic total de passagers est de 133,2 millions de passagers en 2011 (+ 6,7 %), dont 128,8 millions pour la métropole (+ 6,9 %), ce qui rattrape le niveau de 2008, mais pas celui de 2007. Encore ces chiffres sont-ils dus pour une large part à la correction de « l'effet volcan ». La croissance du trafic intérieur à la métropole tient en particulier aux vols à bas coûts, mais aussi à une certaine reprise des lignes radiales avec l'ouverture de services nouveaux (Brest, Biarritz ou la Corse). La croissance est plus forte encore pour les liaisons avec l'Union européenne (+ 11,2 %), en particulier depuis les aéroports de province (+ 15,1 %, contre + 8,3 % depuis Paris), ce qui est à mettre à l'actif des compagnies low cost.

Ces chiffres encourageants, cependant, doivent être nuancés dans la dernière période, en particulier pour les vols domestiques.

Les éléments communiqués à votre rapporteur par Aéroports de Paris aussi bien que par Air France KLM, montrent que si les vols long courrier se portent bien, quoique moins bien qu'avant la crise de 2008, les vols domestiques marquent le pas, ce qui a des incidences pour Air France KLM, très présente sur les vols intérieurs, mais aussi pour les plateformes aéroportuaires françaises.

Pour le premier semestre 2012, le nombre de passagers progresse de 4 % pour le trafic international mais seulement de 1,4 % pour le trafic intérieur. Si le trafic international s'accroît fortement avec le Moyen Orient (+ 9,6 %), l'Asie (+ 6,3 %), l'Amérique du Sud (+ 6 %) et l'Afrique du Nord (+ 5,4 %), la hausse est nettement plus faible avec l'Union européenne (+ 3,3 %) et avec l'Amérique du Nord (+ 1 %). Le trafic intérieur français est marqué au premier semestre 2012 par une hausse de 10,6 % des lignes transversales due à l'action des compagnies à bas coûts et des bases Air France à Nice, Marseille et Toulouse. Le trafic des lignes radiales recule quant à lui de 2,1 %.

A partir du troisième trimestre 2012, les vols intérieurs d'Air France connaîtraient une nouvelle chute, selon les éléments communiqués à votre rapporteur. Les compagnies low cost résisteraient mieux, mais la tendance serait bien à l'atonie du marché intérieur.

En fait, selon une corrélation pragmatique bien connue des prévisionnistes en matière d'activité aérienne, le trafic aérien est si lié à la croissance économique, qu'il serait « mécaniquement » du double de la croissance du PIB. Et c'est bien parce que les perspectives de croissance économique sont partout revues à la baisse, que celles du trafic aérien sont moroses. A cela s'ajoute, pour le fret, l'effet d'une surcapacité générale, qui provoque une pression à la baisse des prix. Votre rapporteur pour avis ne décrit pas un scenario noir du trafic aérien en 2013, mais suggère une hypothèse défavorable sur la base d'indices négatifs, dans le contexte d'une croissance mondiale ralentie.

Ces perspectives peu réjouissantes se dessinent alors que la DGAC, les compagnies aussi bien que les plateformes aéroportuaires investissent fortement pour tenir dans la compétition internationale, et que les ressources publiques se font de plus en plus rares pour soutenir la filière. C'est dire combien, dans ces conditions, l'année 2013 sera critique pour le trafic aérien : la reprise du trafic conditionne en effet la réussite des plans de redressement de la DGAC et des compagnies européennes. Si l'atonie se prolonge, la compétition sera de plus en plus difficile avec les compagnies proche et extrême-orientales, qui disposent de réserves financières très importantes et bénéficient souvent de plateformes aéroportuaires quasiment gratuites, car prises en charge par la collectivité publique.

B. DES COMPAGNIES EUROPÉENNES FRAGILISÉES À L'ÉCHELLE MONDIALE

La crise économique a frappé les compagnies aériennes européennes bien plus que les autres, au point de creuser l'écart avec les compagnies américaines, et plus encore asiatiques ou moyen-orientales. Les compagnies européennes enregistrent une bonne reprise en 2011, après les baisses de trafic de 2009 et de 2010. Cependant, elles parviennent difficilement à compenser la hausse des coûts d'exploitation, notamment celle du carburant. En effet, le prix moyen du kérosène s'est établi à 127 dollars le baril en 2011, soit une hausse de 40 % par rapport à 2010. L'expérience de 2008 a permis aux compagnies de pratiquer des politiques de couverture plus avisées.

Et face à la concurrence de plus en plus forte des transporteurs à bas coûts sur le réseau moyen-courrier, elles ne peuvent pas pratiquer des tarifs adaptés à leurs charges.

Les compagnies aériennes ont réalisé, pour le transport international régulier, un bénéfice de 10,2 milliards de dollars , en augmentation de 3,4 % par rapport à 2010 6 ( * ) . Après charges d'intérêts, le résultat net n'est cependant que de 4,3 milliards de dollars, en hausse de 1,4 %. Et sur l'ensemble de ces bénéfices, 62 % sont allés aux compagnies asiatiques, 16 % aux compagnies américaines et seulement 6 % aux compagnies européennes . Les compagnies européennes dégagent une marge nette de 0,9 % seulement, bien moindre que celles de leurs concurrentes asiatiques et américaines.

Après le rattrapage de 2011, l'année 2012 apparaît bien plus atone pour les compagnies européennes, et particulièrement difficile pour Air France-KLM :

- le groupe IAG, né de la fusion en 2010 de British Airways et d'Iberia, subit une perte de 245 millions d'euros au 1 er semestre 2012, après un résultat positif de 69 millions en 2011, ceci malgré une progression de 13 % de son chiffre d'affaires, à 8,5 milliards d'euros ;

- Lufthansa perd également 20 millions d'euros au 1 er semestre 2012, après un résultat positif de 114 millions en 2011 et pour un chiffre d'affaires lui aussi en hausse (+ 6 %), à 14,5 milliards d'euros ;

- Air France KLM enregistre un résultat d'exploitation négatif de 663 millions d'euros au 1 er semestre 2012, après un résultat négatif de 353 millions en 2011, alors que le chiffre d'affaires progresse de 5 %, pour s'établir à 12,14 milliards d'euros.

Dans le même temps, les compagnies américaines, dont la croissance du chiffre d'affaire est plus faible, continuent d'enregistrer des résultats positifs : 516 millions de dollars pour Delta Airlines, 481 millions pour Southwest Airlines, 304 millions pour United Continental, 53 millions pour American Airlines.

C. AIR FRANCE SUR LA VOIE DU REDRESSEMENT

Après avoir enregistré une perte de 353 millions d'euros en 2011 (et un gain de 28 millions d'euros pour l'année 2010), Air France-KLM a vu sa situation se dégrader très rapidement au premier semestre 2012, avec un solde d'exploitation négatif de 663 millions d'euros au milieu de l'année . Ceci, alors que la compagnie bénéficie de la hausse du trafic, avec une augmentation de son chiffre d'affaires : le chiffre d'affaires consolidé augmente de 5,2 % par rapport au premier semestre 2011, l'augmentation est de 7,7 % pour l'activité passagers alors que l'activité cargo recule de 3,8 %.

Les charges expliquent le déficit : elles augmentent de 6,6%, à 8,02 milliards d'euros, pour le premier semestre 2012. Les dépenses de carburant croissent de 15,1 % (+ 469 millions d'euros), les charges de personnel de 3,9 %, pour s'établir à 3,88 milliards d'euros.

En millions d'euros

2010

2011

Variation

Chiffre d'affaires

23 310

24 363

+4,5 %

Charges externes

- 14 306

- 15 517

+8,5 %

Frais de personnel

- 7 385

- 7 460

+1,0 %

Impôts et taxes

-175

-191

+9,1 %

Amortissements, dépréciations et provisions

- 1 667

- 1 697

+1,8 %

Autres produits et charges

251

149

- 40,6 %

Résultat d'exploitation

28

-353

- 381

Source : Air France

Dans ces conditions, Air France KLM doit puiser dans ses ressources. Fin 2011, les capitaux propres diminuent de 1,213 milliard d'euros (- 19,9 %) pour s'établir à 4,88 milliards d'euros. Dans le même temps, le groupe s'endette davantage : fin 2011, la dette s'élève à 6,52 milliards d'euros, en hausse de 7,4 % par rapport à fin 2010. En quatre ans, la dette a triplé, alors même que le groupe a des positions solides, au premier rang mondial du trafic international, au deuxième rang mondial de la maintenance des moteurs et des équipements, et que le secteur est en développement à l'échelle mondiale.

Face à cette situation, la nouvelle direction d'Air France a lancé un vaste plan de redressement dénommé « Transform 2015 » : il vise à rétablir des marges bénéficiaires en trois ans, en prenant des mesures immédiates sur les dépenses - diminution des investissements, gel des salaires -, en restructurant l'offre industrielle - en particulier des court et moyen courriers, qui sont devenus des gouffres financiers - et en renégociant les accords sociaux de l'entreprise, qui apparaissent décalés avec ceux des concurrents européens.

Le plan stratégique de l'entreprise entend conserver le caractère généraliste d'Air France, opérant sur long, moyen et court courriers à partir de son hub de Roissy , ce qui offre un avantage décisif pour drainer la clientèle vers ou depuis les dessertes régionales. Mais ce plan prévoit aussi de doter la compagnie des mêmes atouts que ses concurrents directs : une offre à bas coût , prise en charge par la filiale Transavia , et un élargissement de l'offre long courrier au haut de gamme, où les compagnies asiatiques et du Golfe persique proposent, aujourd'hui, de meilleures prestations.

Le plan Transform 2015 prévoit ainsi la formation de trois pôles : l'international, articulé par le hub de Roissy ; le régional, avec des lignes intérieures et européennes ; le low cost, autour de la compagnie Transavia, dont la flotte devrait atteindre à terme 22 appareils.

Des investissements importants de modernisation et d'amélioration du service sont prévus pour les lignes long courrier : Air France consacrera 550 millions d'euros supplémentaires à l'accueil au sol, à la rénovation des cabines et au service qui y est délivré, pour atteindre un niveau de service comparable à celui des compagnies asiatiques, en particulier pour la clientèle de la classe affaires et de la première classe.

Le plan prévoit également de renforcer l'activité de maintenance des moteurs et des équipements, qui emploie déjà 15 000 salariés, pour que la compagnie conserve sa place de leader. En revanche, l'activité aujourd'hui déficitaire de la maintenance des avions devrait être restructurée en particulier au Maroc, en coopération avec Royal Air Maroc.

Sur le plan social, l'objectif affiché par la direction - et accepté par une majorité de syndicats dans la négociation sociale - est un gain de productivité de 20 % pour les trois catégories de personnels du groupe : au sol, navigants commerciaux et navigants. Le plan Transform 2015 prévoit des départs volontaires pour 5 122 postes. Les négociations ont été lancées après que la direction a dénoncé les conventions collectives en vigueur ; l'accord a été obtenu avec les pilotes et avec les personnels au sol ; pour les navigants commerciaux, la négociation se poursuit, avec la possibilité d'une signature au printemps 2013, date à laquelle la convention arrive à échéance.

Votre rapporteur pour avis salue le plan ambitieux ainsi mis en place, avec un succès certain au démarrage, en formant le voeu que l'accord social sera obtenu dans les meilleurs délais, pour mettre l'entreprise dans le meilleur ordre de marche possible. La concurrence au prix, par les compagnies low cost et à la qualité de service, par les compagnies asiatiques et du Proche-Orient, est particulièrement rude pour les compagnies européennes, qui ont des charges plus élevées. Au-delà, le bénéfice de règles fiscales et sociales différentes pour les compagnies low cost et les compagnies asiatiques et du Golfe pénalise nos compagnies.

D. LE DÉVELOPPEMENT D'AÉROPORTS DE PARIS

Aéroports de Paris a bien changé en quelques années, étant passé du statut d'EPIC à celui de société anonyme, puis de société cotée en bourse. La plateforme de Roissy-CDG et plus récemment celle d'Orly font de gros efforts de compétitivité, avec un programme d'investissement très conséquent. ADP a développé ses activités commerciales et immobilières, parvenant à trouver des revenus qui ne sont pas directement liés au trafic.

Votre rapporteur pour avis se félicite de cette « révolution tranquille » d'ADP : elle était attendue et elle a pour premier résultat, visible dans les enquêtes de satisfaction qui placent certaines aérogares en toute première position, une nette amélioration des services de la plateforme de Roissy-CDG. Les travaux réalisés à Orly devraient permettre une pareille évolution qualitative.

Dans ces conditions, il faut veiller, notamment à travers le contrat de régulation, à garder l'équilibre entre les intérêts des différents acteurs : Air France, principal contributeur d'ADP, ne saurait voir les taxes et redevances aéroportuaires augmenter sans être fragilisée davantage, ce qui n'est évidemment pas souhaitable en cette période si sensible pour la compagnie ; d'un autre côté, on ne saurait alléger ces taxes et redevances sans affaiblir ADP, engagé dans un fort investissement pour améliorer le service. Qui plus est, toute réduction de ces taxes et redevances, en s'appliquant à l'ensemble des compagnies aériennes, affaiblirait davantage ADP qu'elle ne renforcerait Air France.

Votre rapporteur pour avis estime qu'il est devenu crucial d' améliorer la liaison de l'aéroport de Paris Roissy Charles de Gaulle avec la capitale . Le projet dit du CDG Express vise à créer une liaison directe, sans arrêt intermédiaire. Étudié depuis une décennie, le dossier vient de faire l'objet d'un rapport remis au ministre des transports. En l'absence d'une diffusion de ce rapport, votre rapporteur, sur la base d'informations qui lui ont été transmises lors de ses auditions, prend acte de l'hypothèse d'un tour de table financier entre les quatre opérateurs majeurs que sont la SNCF, RFF, la RATP et ADP. Cette hypothèse devra être confirmée et confrontée à une évaluation réaliste des coûts, divers scénarios étant évoqués. Faute d'éléments substantiels et fiables, votre rapporteur souhaite que le « rapport Gourgeon » soit communiqué à votre commission. En l'état, il s'en tient à une position de principe : une liaison directe Paris-Aéroport Charles de Gaulle est utile à la compétitivité de la plateforme et du pays. Cette liaison directe, pour être acceptable pour les territoires qu'elle traverse, implique une amélioration forte du RER B et que les engagements relatifs au réseau du Grand Paris Express soient tenus. En outre, sur ce dernier point, votre rapporteur rappelle que la desserte de l'Aéroport du Bourget par le Grand Paris Express est essentielle pour la compétitivité de la filière aéronautique (desserte du Salon International de l'Aéronautique et de l'Espace, premier au monde et vitrine du savoir-faire français, et desserte du premier aéroport d'affaires d'Europe).


* 6 Source : IATA et OACI.

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