III. LE SECTEUR AÉRONAUTIQUE : UNE FILIÈRE INTÉGRÉE, CONFRONTÉE À DES ENJEUX MAJEURS
A. TROIS DÉFIS POUR NOTRE INDUSTRIE AERONAUTIQUE
Le secteur aéronautique, où la France est dans le peloton de tête à l'échelle mondiale, se trouve face à trois défis pour les années à venir :
- Répondre à l'expansion de la demande : l'aéronautique va continuer de croître dans les prochaines décennies, Airbus va devoir faire monter les cadences, jusqu'à 500 ou 600 avions produits par an. Notre industrie doit avoir les moyens d'investir dans l'outil de production et dans les ressources humaines pour accompagner la croissance de la demande, ce qui suppose un accès aux financements et tout spécialement pour les PME et les ETI afin qu'elles puissent participer à la croissance de la production.
- Se préparer à une concurrence internationale croissante : de nouveaux compétiteurs sont apparus récemment et montent en puissance face à la domination du duopole Boeing - Airbus , qui a caractérisé le marché depuis les années 1980. Des constructeurs chinois, russes, mais aussi brésiliens ou canadiens proposent sur le marché des gammes de plus en plus complètes ou cherchent à monter en gamme avec des projets de monocouloirs. Pour maintenir sa compétitivité, l'industrie française doit faire preuve de créativité, ce qui suppose un fort niveau de recherche et développement.
- Enfin, renouveler l'offre technologiquement et commercialement : la France doit préparer dès aujourd'hui les futures générations de moyens de transport aérien pour 2025 et au-delà. Pour Airbus, il s'agit notamment du remplacement de la famille des moyen courriers A320, qui a constitué le fleuron de l'industrie aéronautique française et européenne des années 1980 à 2000. Mais le cas du remplaçant de l'A320, pour important qu'il soit, n'est pas unique. D'autres appareils emblématiques de l'industrie aéronautique française sont aussi amenés à être renouvelés, comme par exemple la gamme d'hélicoptères Dauphin. Eurocopter, leader mondial sur ce marché, s'est ainsi engagé sur cette voie avec les programmes X4, X6, X3 et X9.
Ces trois défis majeurs supposent une continuité dans le soutien de l'État aux programmes aéronautiques français. Le volume nécessaire aux investissements dans l'aéronautique, la durée du cycle de vie des avions et celui du retour sur investissement - 20 à 25 ans -, rendent très difficile, voire impossible, de financer la recherche aéronautique par la marge sur les ventes de matériel et les banques sont elles aussi peu réactives aux demandes des industriels, étant donné l'incertitude et la durée importante des retours éventuels. Cependant, face à ces défis, la bonne intégration de la filière sera un atout précieux.
B. UNE FILIERE INTEGRÉE FACE A L'HYPOTHÈQUE DE LA FIN DU PROGRAMME D'INVESTISSEMENTS D'AVENIR (PIA)
Les professionnels se sont regroupés dès 1908 dans une organisation professionnelle devenue unique, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). L'action de l'État, en particulier lors des grands programmes qui ont ponctué l'histoire de l'aéronautique française, a conforté l'organisation intégrée de la filière. Recherche et industrie y sont historiquement remarquablement associées.
Pour parfaire cette bonne intégration, à la suite du Grenelle de l'environnement, un Conseil pour la recherche aéronautique civile française (CORAC) a été installé à l'été 2008, pour renforcer la recherche collaborative dans le secteur, au service notamment d'objectifs environnementaux ambitieux.
HISTORIQUE ET MISSIONS DU CORAC Début 2008, dans le cadre du Grenelle de l'environnement, les acteurs français du secteur aérien 7 ( * ) ont signé avec l'État une Convention d'engagements volontaires autour des grands objectifs environnementaux suivants : - réduire les émissions des nouveaux avions et poursuivre la modernisation des flottes ; - créer un conseil pour la recherche aéronautique civile française (CORAC) ; - améliorer la performance environnementale des entreprises de l'aviation marchande ; - informer le passager sur l'impact environnemental du transport aérien ; - améliorer la performance environnementale de la navigation aérienne et des aéroports ; - améliorer l'insonorisation des logements des riverains des aéroports. Mis en place à l'été 2008, le CORAC encourage une recherche collaborative entre les acteurs de la filière, pour renforcer la compétitivité du secteur et la performance environnementale du transport aérien 8 ( * ) . Le CORAC rassemble tous les acteurs publics et privés du transport aérien : l'État, les industries, les aéroports, les compagnies aériennes et les laboratoires. Ces acteurs travaillent en amont avec la communauté scientifique sur les sujets intéressant l'aéronautique. Depuis bientôt cinq ans, le CORAC a trouvé toute son utilité : - vision partagée par les grands acteurs industriels et étatiques ; - effet de levier sur les financements industriels des activités de recherche, avec une forte croissance de l'autofinancement (+ 30% en trois ans ) ; - mise en place, grâce au programme d'investissement d'avenir (PIA), d'un ambitieux programme de démonstration technologique associant l'ensemble de la filière industrielle pour préparer les futures générations d'aéronefs (2015-2025) ; - mise en réseau de l'industrie aéronautique et du monde académique sur le thème de la quantification des impacts du transport aérien ; - réflexion croisée sur le futur du transport aérien dans toutes ses dimensions, incluant la gestion du trafic aérien, le développement de filières de biocarburants aéronautiques, etc ; - coopérations sur des programmes et articulation de la recherche avec des programmes européens. |
Votre rapporteur pour avis estime que cette démarche est exemplaire pour bien d'autres filières industrielles.
Il s'inquiète, cependant, de la faible visibilité sur la suite du programme d'investissement d'avenir (PIA), lancé en 2010 grâce aux 35 milliards du grand emprunt. Notre pays consacre moins de moyens à la recherche aéronautique que l'Allemagne mais il l'a souvent compensé par de grands programmes. Le PIA a joué cette fonction, débloquant en particulier 400 millions d'euros pour des plateformes de démonstration technologiques proposées par le CORAC. Les crédits du PIA touchant à leur fin l'an prochain, quelle suite sera donnée à ce programme ambitieux ? D'après les responsables du GIFAS, que votre rapporteur a auditionnés, le besoin de financement voisinerait les 120 millions d'euros annuels.
C. EADS ET L'ENJEU EUROPEEN : UNE OCCASION MANQUÉE ?
A l'issue d'un suspense dont la vie des affaires a le secret, l'échec de la fusion d'EADS et du britannique BAE Systems appelle plusieurs observations de la part de votre rapporteur pour avis.
Cette opération visait à créer en Europe, le leader mondial de l'aéronautique, de l'espace et de la défense. Elle ambitionnait de renforcer la capacité de l'industrie aéronautique européenne à faire face aux défis technologiques majeurs tels que ceux liés à l'environnement et à la gestion de l'énergie, en particulier en facilitant le financement des développements de grande ampleur qu'ils requièrent. Enfin, ce rapprochement aurait permis une avancée considérable dans la consolidation de la base industrielle et technologique européenne, en arrimant l'essentiel de l'industrie britannique à l'Europe.
À ces différents titres, votre rapporteur pour avis regrette que ce projet ambitieux n'ait pu être mené à bien. Malgré la difficulté technique de sa réalisation et le constat d'échec du moment, il appelle à un soutien politique plus enthousiaste pour la consolidation de l'industrie aéronautique de défense européenne, largement inachevée, qui demeure une nécessité absolue et peut et doit être relancée.
D. DES DÉFIS ENVIRONNEMENTAUX
1. Le développement d'une filière nationale de biocarburants aéronautiques
Le transport aérien contribue pour moins de 3% aux émissions de CO 2 .
Les avions utilisent des sources d'énergies de forte densité, c'est-à-dire à forte puissance pour une faible masse du système propulsif et du carburant. Dans l'état actuel des technologies, il paraît peu probable que des alternatives crédibles aux hydrocarbures liquides soient disponibles avant 2050. Cependant, cette perspective encore éloignée n'interdit pas la recherche, bien au contraire : le remplacement progressif des carburants fossiles par des carburants renouvelables et durables, à faible empreinte carbone, est devenu une priorité pour l'aviation.
La Commission européenne a fixé pour objectif la production de 2 millions de tonnes de biocarburant aéronautique à l'horizon 2020. Cela représenterait 3 % à 4 % de la consommation européenne de carburant aéronautique. Transposé à la France, cet objectif reviendrait à produire environ 200 000 tonnes de biocarburant aéronautique soit moins de 10 % de la production de biocarburants destinés aux transports terrestres.
A l'heure où les initiatives se multiplient en Europe 9 ( * ) et dans le monde (États-Unis et Brésil notamment), la France, avec ses ressources agricoles et ses positions de premier plan dans le secteur de l'énergie, a les capacités de proposer des biocarburants aéronautiques. Le déploiement d'une telle filière constituera pour les territoires une opportunité de valoriser les ressources renouvelables et les savoir faire.
Les besoins du transport aérien constituent ainsi une véritable opportunité pour la création d'une filière complète de production de biocarburants aéronautiques en France.
2. L'enjeu des ETS
Entrée en vigueur le 1 er janvier 2012 et transposée en droit français dès 2010, la directive européenne 2008/101/CE applique aux activités aériennes le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (ETS, emission tracking scheme ). L'idée initiale, largement promue par la France, était de traiter à égalité toutes les compagnies aériennes mondiales, pour que toutes adoptent le comportement le plus responsable en matière de pollution atmosphérique, en commençant par le territoire européen. A cette fin, la directive impose l'achat ou l'échange de quotas d'émission à tout avion qui décolle ou qui atterrit sur le territoire européen.
Cependant, plusieurs pays ont d'emblée contesté ce principe, au premier rang desquels la Chine, les États-Unis et la Russie. Ces États font remarquer que leurs avions à destination ou en provenance de l'Europe, ne survolent le territoire européen que pour une partie de leur vol et qu'il n'est pas légitime de les faire payer en Europe pour une pollution rejetée sur d'autres continents ou au-dessus de la haute mer. Plusieurs pays ont menacé l'Europe de représailles commerciales, et d'abord sur l'achat d'Airbus. Le 31 juillet dernier, le Sénat américain a adopté une proposition de loi interdisant aux compagnies aériennes américaines de se conformer à la législation européenne. De son côté, la Chine a interdit à ses compagnies de communiquer les chiffres de leurs émissions de carbone, communication indispensable à l'établissement des ETS.
L'Union européenne ne paraît pas avoir véritablement les moyens d'imposer un tel système d'échange de quotas à des pays tiers qui n'en voudraient pas - et encore moins de leur forcer la main dans le contexte géostratégique que nous connaissons.
C'est pourquoi la Commission européenne a annoncé, le 12 novembre 2012, le « gel » de la taxe carbone sur les compagnies aériennes, au moins jusqu'à la prochaine réunion de l'Organisation de l'aviation civile, dans un an. La taxe est en vigueur depuis cette année et le restera pour les vols intra-européens. Pour les vols intercontinentaux, l'Organisation de l'aviation civile est compétente et c'est de son côté qu'il faudra désormais se tourner pour définir une norme internationale dans le sens de sobriété environnementale souhaité par les Européens. On le voit, cette question constitue un enjeu stratégique pour l'ensemble de la filière aéronautique européenne.
* 7 Les acteurs du secteur aérien : Aéroports de Paris (ADP), Air France, l'Union des aéroports français (UAF), la Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM), le Syndicat des Compagnies Aériennes Autonomes (SCARA), le Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS) et la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC).
* 8 Le Conseil consultatif pour la recherche aéronautique en Europe (ACARE) fixe les objectifs quantitatifs suivants d'ici 2020 : réduction de 50% des émissions de CO2, réduction de 80 % des émissions de NOx (oxydes d'azote), réduction de 50% du bruit perçu.
* 9 L'initiative « Biofuel Flight Path » de la CE vise à la production de 2 millions de tonnes de bio-kérosène en Europe d'ici 2020