DEUXIÈME PARTIE : PRESSE
I. L'INDISPENSABLE MODERNISATION DU DISPOSITIF FRANÇAIS D'AIDES PUBLIQUES À LA PRESSE
A. UN SOUTIEN PUBLIC AU DÉVELOPPEMENT DE LA PRESSE EN RÉGRESSION
1. Le Gouvernement met un terme à son plan exceptionnel de soutien à la presse
Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2012 sur le programme 180 « Presse » s'établissent à 390,3 millions d'euros en crédits de paiement. Ils sont complétés, à hauteur de 152,4 millions d'euros, par l'aide au transport postal de la presse dans les zones peu denses au titre du programme 134 « Développement des entreprises et de l'emploi » de la mission « Économie ».
Le total des aides versées directement aux éditeurs et à d'autres organismes ou personnes chargées de la fabrication, de la distribution et de la diffusion de la presse est ainsi porté à 542,7 millions d'euros, soit une diminution de 6,2 % par rapport à leur niveau de 2011. En effet, l'année 2011 a constitué la dernière année de mise en oeuvre du plan exceptionnel de soutien public en faveur de la presse, annoncé par le Président de la République à l'issue des États généraux de la presse écrite, d'un montant de 580 millions d'euros sur trois ans de 2009 à 2011.
Ces aides directes comprennent notamment les abonnements de l'État à l'Agence France-Presse qui s'élèveront, en 2012, à 117,5 millions d'euros, en hausse de 1,8 % par rapport à leur niveau de 2011, conformément à la trajectoire prévue par le contrat d'objectifs et de moyens entre l'État et l'AFP pour la période 2009-2013.
Il convient de rappeler qu'à ces aides directes s'ajoutent des dépenses fiscales, d'un montant total d'environ 405 millions d'euros, résultant de l'application aux publications de presse d'un taux de TVA super réduit de 2,1 %, à hauteur de 195 millions d'euros, et de l'exonération de la contribution économique territoriale dans le secteur de la presse, à hauteur de 210 millions d'euros.
Au total, on peut ainsi évaluer l'effort inscrit au budget général de l'État en faveur de la presse écrite à près de 947,7 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2012.
2. La montée en puissance de l'aide au portage subit un coup d'arrêt préoccupant
Dans le projet de loi de finances pour 2012, l'aide au portage s'établit à 45 millions d'euros, contre 67,9 millions d'euros en 2011, soit une diminution de près de 34 %. Cette aide est complétée par l'exonération de charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et porteurs de presse, d'un montant de 15,5 millions d'euros en 2012, contre 14 millions d'euros en 2011.
Doté de 8 millions d'euros en 2008, le fonds d'aide au portage a été porté à près de 70 millions d'euros sur la période 2009-2011, conformément aux conclusions des États généraux de la presse écrite.
L'aide au portage se caractérise par une distinction entre aide au flux (qui récompense le développement du portage constaté sur les deux années antérieures à l'attribution de l'aide) et aide au stock (qui aide le nombre d'exemplaires portés l'année précédente). L'aide au flux est essentielle afin d'encourager l'augmentation du nombre d'exemplaires portés, et l'aide au stock permet une aide minimale au fonctionnement une fois amorcé le développement du portage.
Le volet « aide directe au numéro porté » au sein du fonds d'aide au portage recule, ainsi, considérablement en 2012 par rapport au niveau de croisière atteint pendant la période 2009-2011. Il est particulièrement regrettable que l'aide au portage constitue, cette année, la principale variable d'ajustement du budget des aides à la presse, en accusant la baisse la plus significative, alors même que cet instrument a enregistré des résultats encourageants au cours des exercices budgétaires précédents.
En effet, le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) souligne qu'avec une progression de 8 % sur la période 2006-2010, le portage a permis à ce jour de stabiliser globalement les abonnements de la presse quotidienne (+ 0,4 %) sur la même période. En outre, il est intéressant de constater que, s'agissant des quotidiens nationaux en particulier, les marges de progression sont importantes : cette famille de presse a enregistré une augmentation de 15 % de ses exemplaires portés entre 2009 et 2010, et de 33 % au cours des cinq dernières années.
Ainsi, avec la diffusion de plus du tiers des abonnements en 2010, le portage s'impose comme l'un des modes de distribution les plus importants pour les quotidiens nationaux, un mode d'accès par ailleurs particulièrement plébiscité par les lecteurs en raison de l'arrivée de leur quotidien avant 7h du matin, au moment du petit-déjeuner. Ces avancées interviennent alors même que Neopress, filiale du groupe La Poste créée en 2007, a procédé à l'arrêt de son activité sur six centres de province au cours de l'été 2010.
La répartition par famille de presse des crédits du fonds d'aide au portage en 2011 plaide clairement pour une accentuation de l'effort en faveur du portage des quotidiens nationaux, dès lors que l'aide continue d'être accaparée par les quotidiens régionaux :
Type de presse |
Montant total de l'aide |
Pourcentage par rapport à la dotation du fonds |
Presse quotidienne nationale (PQN |
17 127 261 € |
25,36 % |
Presse quotidienne régionale (PQR) |
41 347 378 € |
61,23 % |
Presse quotidienne départementale (PQD) |
6 748 527 € |
9,99 % |
Presse hebdomadaire régionale (PHR) |
1 341 817 € |
1,98 % |
Hebdomadaire nationaux (France et étranger) |
711 612 € |
1,05 % |
Presse quotidienne d'outre-mer (PQOM) |
243 773 € |
0,36 % |
Hebdomadaires régionaux |
184 € |
0,00027 % |
Montant total de l'aide |
67 520 552 € |
100,00 % |
Source : Direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture et de la communication.
Votre rapporteur pour avis souligne que la presse quotidienne nationale constitue le segment de presse le plus dynamique en matière de portage, en affichant une progression de plus de 33 % sur les cinq dernières années. Une réorientation de notre fonds d'aide au portage en faveur de la PQN doit donc faire l'objet d'une réflexion approfondie. En outre, les éditeurs ont conduit des efforts significatifs dans le sens d'une régularisation du statut des porteurs et vendeurs-colporteurs, via la conclusion de nouvelles conventions collectives.
La modernisation structurelle de nos dispositifs d'aide à la presse aurait dû conduire les pouvoirs publics à privilégier le soutien au portage, qui pâtit, en France, d'une faiblesse structurelle, plutôt que de continuer à favoriser le transport postal qui semble ne plus être une forme de diffusion d'avenir .
Votre rapporteur pour avis considère que les efforts doivent également porter sur le renforcement du portage multi-titres, désormais rendu possible par le décret du 13 mai 2009 modifiant l'aide au portage. En effet, le dispositif d'aide au portage a ainsi été étendu à tous les journaux d'information politique et générale, c'est-à-dire « ciblés » par la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), ainsi qu'aux journaux sportifs généralistes. Le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) rappelle ainsi que les réseaux de portage multi-titres se mettent progressivement en place, avec en particulier l'ouverture du réseau de la presse quotidienne régionale à la presse quotidienne nationale. Ces démarches nécessitent, néanmoins, un temps d'étude et de négociation incompressible (étude de faisabilité, choix des zones, organisation logistique, développement des systèmes d'information, etc.).
L'enjeu à moyen terme est dès lors de soutenir l'émergence de ces nouveaux réseaux multi-titres afin d'assurer un développement pérenne du portage. Il est donc particulièrement préoccupant que la montée en puissance du dispositif d'aide au portage soit interrompue alors que les éditeurs de presse réclament un accompagnement renforcé afin de développer un mode de distribution qui garantit la fidélisation de leur clientèle.
3. Les aides à la modernisation connaissent une réduction drastique
D'un montant de 94,3 millions d'euros en 2011 en crédits de paiement, les aides à la modernisation de la presse s'établissent, en 2012, à 87,6 millions d'euros, soit une diminution de près de 8 %. Cette diminution des ressources consenties à l'accompagnement des entreprises de presse dans la modernisation de l'ensemble de leur chaîne de fabrication et de distribution contraste avec la volonté affichée par le Gouvernement de favoriser l'adaptation des titres aux mutations technologiques, aux changements de comportements des lecteurs et à l'évolution de leurs attentes.
La mise en place d'un fonds stratégique pour le développement de la presse, résultant de la fusion d'un certain nombre de dispositifs préexistants afin de les rendre plus opérationnels et performants, pâtit donc, dès l'origine, d'un manque de financement préoccupant alors même que les négociations entre les différentes parties prenantes avaient considérablement progressé.
Ainsi, l'aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale avait déjà diminué de 25 millions d'euros en 2010 à 20 millions d'euros en 2011. Il est, en outre, utile de souligner que, depuis 2009, 5 millions d'euros étaient préemptés sur ce fonds afin de financer l'opération « Mon journal offert », qui consiste à proposer un abonnement gratuit, un jour par semaine pendant un an, à tout jeune âgé de 18 à 24 ans à l'un des quotidiens de son choix.
Selon une étude quantitative réalisée en 2010 pour le ministère de la culture et de la communication à l'occasion de l'opération « Mon journal offert », une grande majorité des jeunes interrogés (93 %) se dit intéressée par l'actualité, et 7 sur 10 s'informent sur l'actualité de façon régulière (au moins 3 à 5 fois par semaine). Il a ainsi été constaté que des opérations comme « Mon journal offert » augmentent sensiblement l'intérêt des jeunes pour la presse : l'abonnement à « Mon journal offert » a permis une évolution positive de l'image de la presse, en particulier auprès de ceux qui en étaient les plus distants (les non lecteurs et les moins diplômés), et 44 % des jeunes adoptent une nouvelle démarche, celle d'acheter plusieurs fois par semaine le journal auquel ils sont abonnés.
L'opération a créé, en effet, une dynamique favorable à l'achat des éditions papier : 44 % des abonnés déclarent acheter d'autres numéros du quotidien (auquel ils se sont abonnés) au cours de la semaine (parmi ceux-ci, 57 % ne le faisaient pas du tout ou pas aussi souvent avant l'opération) et 53 % des abonnés déclarent acheter d'autres quotidiens (parmi ceux-ci, 49 % ne le faisaient pas du tout ou pas aussi souvent avant l'opération).
Les fonds effectivement disponibles pour le financement des projets de modernisation individuels des éditeurs ne s'établissaient déjà qu'à 15 millions d'euros en 2011. Or, la mise en place du fonds stratégique pour le développement de la presse, d'un montant total de 38,3 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2012, semble précisément masquer la poursuite de la diminution des moyens en faveur des actions de modernisation de la presse d'information politique et générale. Le SPQN souligne, en effet, que, dans le cadre du fonds stratégique, la contrainte sera encore plus forte en 2012 en raison de l'élargissement des titres éligibles à l'aide à la modernisation.
Votre rapporteur pour avis souhaite attirer la vigilance des pouvoirs publics face à deux événements récents intervenus dans le secteur de la presse qui posent la question du rôle de l'État face à des patrons de presse et des opérations de restructuration irresponsables en termes de gestion des ressources humaines :
- la direction de France Soir a annoncé, à la fin du mois d'octobre, que le titre, après avoir déjà fait l'objet de plusieurs opérations de rachat et de plans de restructuration, s'engageait dans une migration vers le tout numérique, avec à terme la disparition définitive de sa version imprimée. Cette stratégie a été vigoureusement critiquée par les personnels, déclenchant un mouvement social sans précédent dans l'histoire du journal. Ce projet de relance est perçu par la majorité des journalistes concernés comme un pas supplémentaire vers la transformation d'un titre historique, issu de la Résistance, en un journal « d'information brute », signe pour eux de déperdition de la valeur ajoutée de leur travail. Le fossé devient grandissant entre les actionnaires et les journalistes, ces derniers s'interrogeant sur l'opportunité financière et le caractère viable du modèle économique sur lequel repose la stratégie de relance exposée par les premiers, qui suppose la mise en oeuvre d'un plan social concernant près de 180 salariés ;
- la Comareg, éditeur de Paru Vendu , empire de la presse gratuite détenu par le groupe Hersant s'appuyant sur 1 800 salariés, était sur le point, à la fin du mois d'octobre 2011, d'entrer en phase de dépôt de bilan puis de liquidation judiciaire. L'entreprise ne semble pas, en effet, avoir su trouver les moyens de faire face à la révolution imposée par Internet. Les offres de repreneurs ont jusqu'ici échoué, le groupe Hersant ayant lui-même abandonné toute tentative de sauvetage de sa filiale en sollicitant l'appui de la Caisse des dépôts et des consignations. Il reviendra à l'État de prendre en charge le paiement des indemnités des salariés victimes de la liquidation de cette entreprise.
4. Le pluralisme de la presse appelle un renforcement de l'aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires
Le fonds d'aide aux quotidiens nationaux d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires constitue un mécanisme essentiel de soutien au pluralisme de la presse en France. Les équilibres financiers des journaux concernés reposent en partie sur la continuité et la prévisibilité de l'allocation qu'ils perçoivent au titre de cette aide.
Or, il a pu être observé que le montant dont bénéficient les journaux éligibles varie considérablement d'une année sur l'autre. Alors que la dotation budgétaire de ce fonds s'établissait à 13,1 millions d'euros en 2010, elle a été réduite à 9 millions d'euros en 2011 pour le même nombre de bénéficiaires (huit journaux). Trois journaux au moins percevront, ainsi, chacun une subvention diminuée d'un million d'euros en 2011, soit une réduction de 30 % en seulement un an.
Le SPQN souligne que ces variations ne peuvent pas être anticipées par les journaux. Leur ampleur même est telle qu'elle peut remettre en cause la viabilité économique des journaux. Les variations annuelles favorisent des situations de quasi-faillite, alors même que l'objet du fonds est précisément de les éviter.
Il est donc particulièrement préoccupant que la dotation du fonds n'ait pas été pérennisée à hauteur de 13 millions d'euros par an.