III. LA DÉONTOLOGIE JOURNALISTIQUE ET L'INDÉPENDANCE DES RÉDACTIONS : DES ENJEUX FONDAMENTAUX POUR LA CRÉDIBILITÉ ET LA SANTÉ DE LA PRESSE EN FRANCE

A. LA DIFFICILE FORMALISATION DE RÈGLES DÉONTOLOGIQUES COMMUNES AU SECTEUR

L'élaboration d'un code de déontologie, prévue par le livre vert des États généraux de la presse écrite, a été confiée à un comité de « sages » présidé par M. Bruno Frappat, ancien président du directoire du groupe Bayard, qui était chargé, au sein des États généraux, du pôle de réflexion consacré au métier de journaliste. Ce groupe de travail comportait à la fois des éditeurs, des journalistes de la presse écrite et des médias audiovisuels et des personnalités qualifiées ayant une excellente connaissance du secteur de la presse.

Le texte issu de leurs réflexions, publié en octobre 2009, devait être soumis à la signature des partenaires sociaux afin d'envisager son annexion à la convention collective nationale des journalistes. Les rédacteurs de ce texte entendaient répondre à une attente forte de déontologie chez les journalistes de la part aussi bien de la société, des lecteurs, des auditeurs, des téléspectateurs que des internautes, dans un contexte de révolution numérique et de profusion de l'information. En fonction des situations, ce code pouvait être complété par les chartes déontologiques propres à chaque entreprise éditrice de média.

Ce code s'articule autour de quatre thèmes :

- le métier de journaliste (sa fonction, son positionnement au sein de la rédaction et de l'entreprise en général, la qualité de l'information qu'il s'engage à délivrer, son indépendance) ;

- le recueil et le traitement de l'information (l'exactitude des faits, actes, propos relatés, leur vérification, leur traçabilité, le refus du plagiat, la correction des erreurs et l'écoute des critiques et suggestions du public, le refus du recours à des moyens déloyaux pour obtenir une information, l'absence de complaisance dans la représentation de la violence et dans l'exploitation des émotions) ;

- la protection du droit des personnes (le respect de la dignité, de la réputation, de la vie privée des personnes et de la présomption d'innocence, le refus de nourrir la haine, les discriminations ou les préjugés) ;

- l'indépendance du journaliste (recul et distance par rapport aux sources d'information, le refus de faire le travail des policiers, ne pas confondre articles d'information et publicité rédactionnelle, refus de toute activité lucrative à côté de son métier si elle est susceptible de porter atteinte à sa crédibilité de journaliste).

Ce texte entendait faire la synthèse entre, d'une part, les préoccupations des journalistes, des éditeurs mais aussi du public, et d'autre part, les différents textes existant en matière d'éthique des journalistes. Il reprend un grand nombre d'éléments de la charte de 1918 revue en 1938, mais également de la charte de Munich de 1971 et de chartes de journalistes étrangères.

Afin de donner une vraie force juridique à ce texte, plusieurs solutions ont été envisagées :

- l'annexer à la convention collective nationale des journalistes ainsi que cela fut proposé lors des états généraux de la presse. Cela suppose que cette annexe fasse l'objet d'un arrêté d'extension par le ministre chargé du travail pour acquérir une valeur juridique réelle ;

- faire signer ce code aux journalistes lors de la délivrance de leur carte professionnelle de presse. Il s'agirait d'un acte unilatéral, à renouveler ou non périodiquement, qui n'engagerait que les journalistes à l'exclusion de leurs employeurs ;

- la signature officielle de ce code ou d'un code amendé après négociation entre les partenaires sociaux des différents médias d'information qui vaudrait reconnaissance et accord sur son contenu, à défaut d'une portée juridique réelle.

Toutefois, ce texte n'a pas réussi à fédérer autour de lui l'ensemble de la profession. Dans la période qui a suivi la présentation du projet de « code de déontologie », les différentes organisations professionnelles ont réaffirmé leur position sans marquer la volonté de se rapprocher d'une position commune :

- les représentants des éditeurs de la presse quotidienne régionale (PQR) et de la presse quotidienne départementale (PQD) ont par exemple fait valider par leurs titres en avril 2011 une version modernisée des « règles et usages » en vigueur au sein des rédactions qui dataient de 1991. Le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL) a pour sa part opté pour la « Charte de Munich » des syndicats européens de journalistes (1971) ;

- de son côté, le Syndicat national des journalistes (SNJ) a publié en mars 2011 une nouvelle version de la Charte d'éthique professionnelle des journalistes inspirée des chartes de 1918, 1938 et de Munich de 1971.

DERNIÈRE VERSION DE LA CHARTE D'ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE DES JOURNALISTES (SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES, 1918/38/2011)

Le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, rappelé dans la Déclaration des droits de l'homme et la Constitution française, guide le journaliste dans l'exercice de sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre.

Ces principes et les règles éthiques ci-après engagent chaque journaliste, quelles que soient sa fonction, sa responsabilité au sein de la chaîne éditoriale et la forme de presse dans laquelle il exerce.

Cependant, la responsabilité du journaliste ne peut être confondue avec celle de l'éditeur, ni dispenser ce dernier de ses propres obligations.

Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la communication. Son exercice demande du temps et des moyens, quel que soit le support. Il ne peut y avoir de respect des règles déontologiques sans mise en oeuvre des conditions d'exercice qu'elles nécessitent.

La notion d'urgence dans la diffusion d'une information ou d'exclusivité ne doit pas l'emporter sur le sérieux de l'enquête et la vérification des sources.

La sécurité matérielle et morale est la base de l'indépendance du journaliste. Elle doit être assurée, quel que soit le contrat de travail qui le lie à l'entreprise.

L'exercice du métier à la pige bénéficie des mêmes garanties que celles dont disposent les journalistes mensualisés.

Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte ou exprimer une opinion contraire à sa conviction ou sa conscience professionnelle, ni aux principes et règles de cette charte.

Le journaliste accomplit tous les actes de sa profession (enquête, investigations, prise d'images et de sons, etc.) librement, a accès à toutes les sources d'information concernant les faits qui conditionnent la vie publique et voit la protection du secret de ses sources garantie.

C'est dans ces conditions qu'un journaliste digne de ce nom :


• Prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, mêmes anonymes ;


• Respecte la dignité des personnes et la présomption d'innocence ;


• Tient l'esprit critique, la véracité, l'exactitude, l'intégrité, l'équité, l'impartialité, pour les piliers de l'action journalistique ; tient l'accusation sans preuve, l'intention de nuire, l'altération des documents, la déformation des faits, le détournement d'images, le mensonge, la manipulation, la censure et l'autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles ;


• Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d'où qu'elles viennent ;


• Dispose d'un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les informations qu'il diffuse et fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte ;


• N'accepte en matière de déontologie et d'honneur professionnel que la juridiction de ses pairs ; répond devant la justice des délits prévus par la loi ;


• Défend la liberté d'expression, d'opinion, de l'information, du commentaire et de la critique ;


• Proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information. Dans le cas où sa sécurité, celle de ses sources ou la gravité des faits l'obligent à taire sa qualité de journaliste, il prévient sa hiérarchie et en donne dès que possible explication au public ;


• Ne touche pas d'argent dans un service public, une institution ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d'être exploitées ;


• N'use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;


• Refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication ;


• Cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat ;


• Ne sollicite pas la place d'un confrère en offrant de travailler à des conditions inférieures ;


• Garde le secret professionnel et protège les sources de ses informations ;


• Ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge.

Source : Syndicat national des journalistes.

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