D. LE VÉRITABLE ENJEU : NE PAS SE LIMITER À CONFORTER L'EXISTANT MAIS FAVORISER L'ÉMERGENCE DE NOUVEAUX ACTEURS ET D'INITIATIVES DIVERSIFIÉES

1. Une priorité : agir sur la fiscalité qui est d'application neutre

L'équation économique de la presse en ligne s'accommode difficilement d'une fiscalité alourdie par rapport à la presse imprimée. Le Gouvernement a lui-même multiplié les annonces et les engagements de principe afin de remédier à cette situation en plaidant pour une modification du droit communautaire :

- le Premier ministre a ainsi demandé, le 11 mai 2006, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie d'entreprendre en liaison avec le ministre de la culture et de la communication les « démarches nécessaires auprès de la Commission européenne » au sujet de « la question du taux de TVA sur la presse en ligne » ;

- la lettre de mission adressée par le Président de la République et le Premier ministre à la ministre de la culture et de la communication, en date du 1 er août 2007, est venue confirmer cette orientation, en élargissant l'extension du taux de TVA réduit à l'ensemble des services culturels ;

- le 23 janvier 2009, à l'occasion de son discours de clôture des États généraux de la presse écrite, le chef de l'État a indiqué que la France poursuivait le travail de conviction engagé auprès de nos partenaires européens afin d'obtenir que les taux réduits de TVA soient étendus à la presse en ligne. Lors de ses voeux à la culture, le 7 janvier 2010, il a invité la Commission européenne à proposer au Conseil de l'Union européenne d'autoriser les États membres à appliquer une TVA réduite sur l'ensemble des produits culturels ;

- par lettre de mission en date du 9 décembre 2010, le Président de la République a demandé à M. Jacques Toubon de mener des concertations au niveau européen sur la fiscalité des biens et services culturels fournis par voie électronique.

Dans la période récente, l'environnement est apparu particulièrement favorable à l'extension du taux de TVA réduit à l'ensemble des biens et services culturels. En effet, le Parlement a voté, dans la loi de finances pour 2011, l'application à compter du 1 er janvier 2012 d'un taux de TVA réduit à 5,5 % au livre numérique, alors même que l'article 98, § 2, de la directive 2006/112/CE exclut explicitement du bénéfice d'un quelconque taux réduit les services fournis par voie électronique et notamment ceux énumérés à l'annexe II de la directive, qui comprennent la fourniture (par voie électronique) « d'images, de textes et d'informations, et mise à disposition de bases de données ».

Dans ces conditions, les députés Michel Françaix et Patrice Martin-Lalande, appartenant respectivement au parti socialiste et à la majorité présidentielle, ont chacun déposé un amendement similaire visant à aligner le taux de TVA applicable à la presse numérique, aujourd'hui de 19,6 %, sur celui de 2,10 % applicable à la presse imprimée , au nom du principe de neutralité technologique. Toutefois, l'Assemblée nationale a repoussé ces amendements en suivant l'avis de la ministre du budget qui a déclaré que la presse en ligne ne pouvait prétendre aux mêmes avantages consentis au livre numérique au motif que « ce n'est pas tout à fait la même chose : avec la presse en ligne, nous ne parlons pas de biens culturels, mais de services ».

Les arguments obscurs avancés par le Gouvernement en séance publique témoignent d'une profonde méconnaissance des enjeux économiques s'attachant au développement de la presse en ligne. Le refus de la ministre du budget s'inscrit en totale incohérence avec la position que son Gouvernement prétend défendre depuis plus de cinq ans auprès des autorités européennes . La presse en ligne constitue clairement le prolongement naturel de la presse imprimée, dans la mesure où les contenus éditoriaux ne changent pas de nature et de qualité en changeant de support dans une logique de neutralité technologique.

Votre rapporteur pour avis rappelle que l'actuel Gouvernement avait plaidé ardemment, dans le cadre de la loi Hadopi I, en faveur de la réutilisation des oeuvres des journalistes sur tous les supports de diffusion (qui impliquait une modulation du paiement des droits d'auteur des journalistes non plus en fonction du support de publication mais du délai dans le cadre duquel intervenait la réutilisation), au nom de la neutralité technologique, en réaffirmant que la version numérique d'un titre constituait le prolongement naturel de sa version imprimée. Il est donc pour le moins incongru que le Gouvernement prétende, aujourd'hui, que la presse imprimée et la presse numérique constituent deux services de nature distincte .

En outre, l'extension du taux de TVA réduit à la presse numérique de devrait pas entraîner de manque à gagner fiscal dans la mesure où il s'agit d'un marché naissant. Au contraire, comme le souligne la très grande majorité des représentants du secteur de la presse, en favorisant l'essor d'un modèle économique pérenne payant, elle permet d'asseoir les bases de recettes fiscales à l'avenir. Parallèlement, les recettes fiscales tirées de la presse papier sont en déclin irréversible, compte tenu de la baisse structurelle de ses ventes.

Par conséquent, votre commission a adopté , sur proposition de votre rapporteur pour avis, un amendement visant à faire bénéficier la presse numérique du taux de TVA réduit de 2,10 % applicable à la presse imprimée .

MEDIAPART : UNE EXPERIENCE DE MODÈLE ÉCONOMIQUE POUR LA PRESSE EN LIGNE INDÉPENDANTE

Créé le 16 mars 2008, Mediapart entend faire émerger une nouvelle forme de presse de référence d'information politique et générale, assise sur la complémentarité des versions imprimée et numérique, en réponse au bouleversement du modèle classique de la presse quotidienne imprimée hérité de M. Émile de Girardin dans la première moitié du XIX e siècle.

Face à la destruction de valeur à laquelle est sujette la presse classique, Mediapart décline son objectif de création de valeur selon trois objectifs :

- garantir l'indépendance de l'information ;

- garantir la qualité de l'information, en s'appuyant en particulier sur les fonctionnalités offertes par Internet en matière d'enrichissement de l'information et sur une application plus méticuleuse du contradictoire ;

- revaloriser les contributions d'un public identifié et non plus anonyme, en renforçant par là-même sa fidélité.

Mediapart semble avoir gagné son pari dès lors que l'entreprise de presse se trouve désormais à l'équilibre en 2011. La construction du journal s'est étalée sur deux ans et aura coûté près de cinq millions d'euros. Le chiffre d'affaires de Mediapart s'élève aujourd'hui à cinq millions d'euros et affiche un résultat net de 500 000 euros, le journal n'ayant contracté aucun emprunt.

Les recettes proviennent de la vente des contenus aux particuliers (abonnements), à hauteur de 95 %, et de la vente de contenus aux collectivités sous forme de licence (une opération auprès des rectorats devant permettre l'accès libre pédagogique des élèves aux contenus pendant l'élection présidentielle devrait être lancée), à hauteur de 5 %.

Mediapart compte aujourd'hui 56 500 abonnés. Ce chiffre aurait pu atteindre 70 000 en l'absence d'incidents de paiement causés notamment par l'interruption du paiement en ligne décidée par les banques (parfois en raison de l'expiration de la carte bancaire) et bien souvent dans des conditions opaques gérées par le groupement d'intérêt économique Cartes bancaires CB. Le site de Mediapart enregistre 1,3 million de visiteurs uniques par jour, soit plus que le nombre d'acheteurs en kiosque des numéros de Libération .

Le journal dispose, depuis février 2010, d'une société des journalistes. En outre, l'indépendance rédactionnelle du titre est assurée par les équilibres au sein de l'actionnariat et du conseil d'administration de l'entreprise de presse, et notamment par la Société des amis et des investisseurs amis de Mediapart dont les membres, au nombre de 88, détiennent chacun une part du capital. Les statuts de l'entreprise établissent la totale indépendance du directeur éditorial de la publication.

Mediapart a présenté, en 2009 et 2010, deux demandes d'aides auprès du fonds de développement des services de presse en ligne (SPEL) :

- l'une relative à des dépenses d'investissement et de développement technique pour des montants éligibles chacun de 300 000 euros environ permettant de bénéficier d'une subvention de 60 %. À ce jour, aucune subvention n'a encore été perçue par Mediapart ;

- l'autre relative à des dépenses de marketing pour des montants éligibles respectifs de 177 600 euros et 114 720 euros permettant de bénéficier d'une avance remboursable en trois ans de 70 %. Mediapart a perçu en novembre 2010 la première de cette avance, soit 124 320 euros, que l'entreprise devra rembourser en 2013.

Depuis que l'entreprise est parvenue à l'équilibre en 2011, elle ne sollicite plus d'aides directes de la part des pouvoirs publics. Conformément aux engagements du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne, le titre s'astreint à la plus grande transparence en publiant l'ensemble des aides qui lui sont accordées.

Mediapart estime que toute entreprise de presse, une fois l'équilibre économique atteint, ne devrait plus solliciter d'aides publiques directes. Le journal juge que seules les aides indirectes constituent une levier efficace d'accompagnement au développement des entreprises de presse. C'est pourquoi Mediapart s'est imposé en pointe des débats sur la création d'un statut des éditeurs de services de presse en ligne et sur l'extension à la presse en ligne du taux de TVA réduit de 2,1 % applicable à la presse imprimée.

En s'appuyant sur le décret relatif aux offres composites des journaux combinant versions imprimée et numérique, Mediapart a appliqué jusqu'ici à ses ventes une TVA de 2,1 %, en provisionnant le différentiel de TVA sur les trois premières années à hauteur de 700 000 euros.

Une avancée partielle a été réalisée dans le sens d'un traitement fiscal plus équilibré entre presse papier et presse numérique depuis l'adoption d'une disposition, dans la loi de finances rectificative pour 2009 du 30 décembre 2009, modifiant l'article 298 septies du code général des impôts et prévoyant de forfaitiser la ventilation entre le taux réduit de TVA (à raison de la publication de presse papier) et le taux normal (à raison du service fourni par voie électronique) qui doit être appliquée par les éditeurs qui proposent une offre mixte de diffusion de leurs contenus éditoriaux.

Une offre composite ou couplée fait l'objet d'une facturation globale et forfaitaire pour des produits et/ou prestations soumis à des taux de TVA distincts. La règle en la matière veut que le professionnel procède à une ventilation de ses recettes et applique à chacune d'elles le taux de TVA adéquat (article 268 bis du code général des impôts). À défaut d'une telle ventilation, les recettes sont soumises dans leur totalité au taux normal de TVA. La ventilation proposée (90 %/10 %) envisagée par les services fiscaux correspond à la réalité moyenne actuelle des situations des différents éditeurs de presse.

Toutefois, le recours aux offres composites devient de moins en moins adapté pour des publications dont les recettes reposent très majoritairement sur la vente de contenus en ligne. Il n'est plus aujourd'hui possible de faire l'économie d'un alignement des taux de TVA applicables à la presse numérique et à la presse imprimée.

Enfin, votre rapporteur pour avis rappelle que les abonnements à des titres de presse en ligne, par exemple consultables sur tablettes digitales, vendus à des consommateurs situés sur le territoire français ne font l'objet d'aucun prélèvement de TVA, lorsque les fournisseurs desdits abonnements sont basés hors de France. C'est notamment le cas des abonnements contractés via iTunes, dont le siège social se situe en Irlande, ou encore Amazon, basé au Luxembourg.

Aux termes d'une directive communautaire sur la TVA, ce n'est qu'à partir de 2015 que la TVA sera facturée dans le pays du consommateur et non plus dans le pays où est installé le siège social du prestataire du service de commerce électronique.

2. Les aides à la presse doivent encourager la production de valeur ajoutée

Votre rapporteur pour avis regrette une diminution aussi brutale du volume d'aides en faveur de la presse dans le projet de loi de finances pour 2012, car il met potentiellement en péril les projets de modernisation , encore balbutiants, d'un certain nombre de titres de presse, faute d'anticipation. C'est pourquoi votre rapporteur pour avis réclame la mise au point , en concertation avec l'ensemble des parties prenantes du secteur, d'une stratégie cohérente et pluriannuelle qui permette au secteur de la presse de se projeter dans une durée raisonnable.

Lorsqu'elles ne font pas l'objet d'un saupoudrage qui les rend inopérantes, les aides directes sont distribuées de façon plus ou moins automatique aux mêmes titres (dont certains peuvent être bénéficiaires) et dans des conditions obscures et parfois sans réelle analyse prospective préalable. Un certain nombre d'observateurs s'inquiètent de voir les aides financer indirectement le salaire des journalistes de quelques titres.

C'est pourquoi votre rapporteur pour avis estime nécessaire de compléter notre système d'aides directes , dont le niveau élevé doit être préservé, mais dont les critères d'attribution doivent être réévalués, par des instruments fiscaux, d'application plus neutre, permettant de favoriser l'émergence d'acteurs nouveaux sur le marché de la presse.

En outre, il estime nécessaire de conduire une réflexion approfondie sur l'opportunité et la faisabilité d'une mesure proposée par le Syndicat de la presse quotidienne nationale en vue de mieux valoriser la production de valeur ajoutée en matière de presse. Dans cette logique, les éditeurs proposent d'instaurer un prélèvement (1 %) sur l'abonnement à Internet pour financer la création des contenus presse sur le web . Un tel dispositif, au niveau français, doit préfigurer de l'instauration d'un dispositif fiscal au niveau européen, en vue de redistribuer, au profit des producteurs de contenus, la valeur captée sur le web par les intermédiaires de la technologie (Google, Apple, Facebook, etc.).

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