AUDITION DU MINISTRE DE LA DÉFENSE
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'audition du ministre de la défense et des anciens combattants, M. Gérard Longuet, lors de sa séance du 16 novembre 2011.
M. Jean-Louis Carrère , président - Monsieur le ministre, depuis quelques semaines l'Europe traverse une période agitée. La crise financière sur les dettes souveraines semble remettre en cause l'existence même de l'euro et fait douter du bien fondé de la construction européenne. Mais chaque crise est aussi une opportunité et il faut espérer que l'Union en sortira renforcée.
Dans le court terme cela suppose néanmoins de prendre des mesures immédiates. L'ensemble du budget de l'Etat est mis à contribution. Le budget de la défense ne fait pas exception.
Vous avez déposé un amendement à l'Assemblée nationale de réduction de 167 millions d'euros sur le budget initial de la mission défense, au titre du plan d'économies supplémentaires d'un milliard annoncé le 24 août par le Premier ministre. Ces réductions de crédit portent notamment sur le programme "équipement de forces" pour 88,3 millions d'euros. Mais comme par ailleurs vous avez obtenu un surplus de recettes de la cession des fréquences de 86 millions d'euros, cela devrait au final ne pas impacter le 146 et si je comprends bien - la baisse ne sera pas de 167 millions d'euros, mais (167 moins 86 égale 81 millions d'euros). Est-ce bien cela ?
Nous sommes désireux d'entendre vos explications sur quoi porteront exactement ces réductions de crédit ?
Vous avez évoqué à l'Assemblée nationale, une réduction supplémentaire de 100 millions d'euros. Cette réduction est-elle confirmée et si oui, sur quoi portera-t-elle ?
Par ailleurs, nous avons reçu hier, avec mon collègue Daniel Reiner, des représentants syndicaux du groupe SAFRAN qui ont beaucoup de mal à comprendre quelle est la stratégie industrielle de l'Etat qui veut les marier à tout prix avec THALES. Comme nous avons-nous même beaucoup de mal à comprendre, je souhaite que vous nous expliquiez quelle est la stratégie suivie. Mais mon collègue Daniel Reiner va surement vous questionner plus en détail sur ce point. Je vous cède la parole.
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants , j'étais venu le 11 octobre dernier vous présenter les grands traits du budget de la Défense. Je suis à présent en mesure de vous détailler la manière dont les deux plans d'économies complémentaires décidés - un milliard d'euros annoncés le 25 août puis 500 millions supplémentaires le 7 novembre - vont affecter notre budget.
Un mot tout d'abord sur ces réductions de crédits.
Le premier abattement sur les crédits du PLF 2012 décidé au mois d'août représente 185 millions d'euros en moins pour le ministère de la défense et des anciens combattants.
Le second abattement sur les dépenses de l'Etat de 500 millions d'euros du 7 novembre dernier se décompose en 380 millions d'euros d'économies sectorielles, dont 101 millions d'euros pour le ministère de la Défense, et 120 millions d'euros d'économies transversales.
Dans le cadre de la réduction du train de vie de l'Etat, le cabinet du Premier ministre a décidé la mise en oeuvre de plusieurs « économies transversales », pour un montant total de 120 millions d'euros en 2012.
Ces mesures transversales ont été ventilées par ministère, de manière unilatérale et mathématique par le Premier Ministre. Ces prélèvements viennent juste de nous être connus.
Un jour de carence dans la fonction publique en cas d'arrêt maladie sera instauré. Le gouvernement a souhaité rapprocher les règles d'indemnisation des fonctionnaires en cas de maladie de celles des salariés du privé. Il a décidé d'instaurer une journée de carence sur les primes et le traitement de base pour les fonctionnaires en cas d'arrêt maladie. Pour l'heure, le délai de carence ne s'applique qu'au secteur privé, où il est de trois jours. Le ministère du budget vient de nous communiquer le montant de notre réduction de crédits à ce titre qui sera de 17,6 millions d'euros.
Autre mesure transversale, l'abattement sur les dépenses de communication et de représentation. Là encore, le prélèvement sur la mission défense sera conséquent puisque, sur les 40 millions d'euros économisés par l'Etat sur les dépenses de communication et représentation en 2012, la contribution du ministère de la Défense et des Anciens Combattants est de 7,4 millions d'euros. Cette contribution est élevée car l'assiette retenue par le budget ne concerne pas les seules dépenses de communication du ministère de la défense et des anciens combattants, mais elle intègre les dépenses liées aux campagnes de recrutement pour 14 millions d'euros, qui sont pourtant des dépenses obligatoires dans une armée fondée sur le volontariat, effectuées par les services en charge des ressources humaines de chaque armée, ainsi que des études. Si l'on avait retiré de la base des dépenses de communication stricto sensu le montant des campagnes de recrutement, soit 15 millions d'euros, notre économie aurait été inférieure de 3 millions d'euros.
Finalement, ce sont donc 25 millions supplémentaires (17,6 + 7,4) qui seront prélevés sur notre dotation 2012 au titre des mesures transversales et 126 millions d'euros au titre global du « deuxième Rabot ».
Ajoutés aux 185 millions d'euros d'aout, le ministère a donc dû absorber un abattement au projet de loi de finances pour 2012 de 311 millions d'euros, dont 280 millions d'euros sur la mission Défense.
Comment avons-nous réparti ces réductions de crédits ?
Notre objectif a été d'éviter de retarder l'exécution de la loi de programmation. Il s'agit donc de mesures financières constatant des économies ou destinées à être compensées par des autorisations de consommation de reports de crédits ou par des excédents de recettes exceptionnelles.
Le détail de ces réductions de crédits est le suivant :
- 27 millions d'euros ont été imputés à la Mission « Anciens Combattants ». Cet abattement correspond à des marges de manoeuvre résiduelles apparues en fin de gestion 2011 sur le programme 169 (qui doté de 3,070 Md€) et qui seront reportés en 2012.
- 4 millions d'euros seront prélevés sur la « Recherche duale », le programme 191, ce qui touchera le CEA et le CNES.
- la dotation du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » » sera réduite de 10,5 millions d'euros, sur un total de 1,792 milliard d'euros.
A l'issue d'une nouvelle prévision d'exécution pour 2011, il ressort que près de 6,5 millions d'euros de crédits provenant de la subvention Djibouti ne seraient pas utilisés et seraient donc reportés en 2012. Cet écart est lié à l'absence de prise en compte de la rétrocession de la TVA acquittée par les Forces Françaises à Djibouti. Cette baisse du besoin en 2011 ne remet pas en cause le montant total que la France doit verser à Djibouti de 30 millions d'euros chaque année.
Par ailleurs, la dotation aux études opérationnelles et à caractère technico-opérationnelles subira une baisse de 1,5 millions d'euros.
Enfin trois opérateurs, trois écoles, contribueront aux réductions de dépenses, à hauteur de 1,2 million d'euros, par une baisse du fonds de roulement de l'école nationale supérieure des ingénieurs des études et techniques d'armement. Il s'agit de l'ENSTA Bretagne, ex ENSIETA pour 0,3 million d'euros, de l'école nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) pour 0,4 million d'euros et de l'école Polytechnique pour 0,5 million d'euros.
- L'équipement des forces - programme 146 - supporte une baisse de 89,9 millions d'euros, sur un total de 10,712 milliards d'euros. 86 millions d'euros d'abattement seront compensés par le surcroît de recettes exceptionnelles, au-delà de la prévision de la loi de finances 2011, sur le produit de cession des fréquences Rubis. A la suite de l'appel d'offres sur les fréquences Rubis par l'ARCEP, le ministère de la défense et des anciens combattants a obtenu 936 millions d'euros de recettes exceptionnelles contre 850 millions d'euros prévus en loi de finances initiale, soit un excédent de 86 millions d'euros. Ces crédits ne pourront être consommés en 2011 et seront par conséquent reportés sur le CAS Fréquences en 2012. Une annulation des crédits budgétaires en CP à due concurrence du programme 146 est donc envisageable sans remettre en cause la programmation militaire.
Par ailleurs, il est proposé de diminuer les frais généraux du CEA de 2,3 millions d'euros.
- L'emploi des forces - le fonctionnement - c'est-à-dire le Programme 178, pourtant très contraint, connait lui aussi une baisse de 88,1 millions d'euros, sur un total de 21,9 milliards d'euros de dotation initiale.
Les économies concernent le fonctionnement et plus particulièrement la « compensatrice SNCF » du fait des négociations en cours. L'objectif est de parvenir à diminuer la facture dès 2012 de 5 millions d'euros. A champ inchangé des ayants-droit, cette économie nécessite un effort commercial de la SNCF dans les négociations en cours sur le renouvellement de la convention.
Par ailleurs , une économie supplémentaire de 20 millions d'euros peut être mise en oeuvre sur l'entretien programmé du matériel (EPM) compte tenu de la progression importante prévue des ressources de l'EPM au PLF, +7%, et de la perspective d'une nouvelle plus-value sur la cession des fréquences Félin de 800 MHz en 2012 voire de cessions de matériels.
De plus, les prévisions de fonds de concours et d'attributions de produits pour 2012 liées à des cessions de matériels pourraient être revues à la hausse si la vente du TCD Foudre au Chili se concrétisait pour 40 millions d'euros. Ce sont, la moitié soit, 20 millions d'euros, de recettes nouvelles que nous prélevons pour gager des économies.
Enfin, des ressources supplémentaires non programmées en 2011 vont nous aider à réaliser encore 23 millions d'euros d'économies. Il s'agit notamment des attributions de produit issues du rattachement de ventes de biens mobiliers au Domaine (mobilier de bureau, véhicules, fournitures ...) qui étaient depuis 2010 sur un compte d'attente. Ces ressources supplémentaires perçues en 2011 seront reportées, permettant ainsi une économie à due concurrence en 2012.
- Le soutien de la politique de défense, qui est la politique immobilière, les restructurations, c'est-à-dire le programme 212, enregistre lui aussi une contraction de 91,4 millions d'euros en crédits de paiement, sur 3,1 milliards d'euros de dotation initiale.
Au regard du rythme de paiements sur les opérations d'infrastructures en 2011, il apparaît que les crédits non consommés pourraient atteindre cette année au moins 76 millions d'euros et être reportés de 2011 sur 2012 sur le programme 212. Un abattement équivalent pourrait dès lors être mis en oeuvre au PLF 2012, compensé par la consommation des reports en gestion 2012.
Par ailleurs, malgré les économies déjà prises en compte au titre du FRED en 2011 et 2012, tous les crédits ne devraient pas être consommés en 2012 compte tenu du décalage important entre la signature des CRSD et des PLR et les décaissements. Une économie de 10 millions d'euros, pourrait être prise en compte. Cette économie ne remet pas en cause le plan de financement économique des restructurations dont 213 millions d'euros sont financés par le FRED.
Par ailleurs, la prise en compte de recettes de cessions de biens mobilier permet de réduire les dotations budgétaires de 3 millions d'euros.
Enfin, une économie de 0,5 million d'euros est réalisée sur trois opérateurs :
- une économie de 0,2 million d'euros concerne l'établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD).
- Une économie de 0,2 million d'euros est réalisée sur l'établissement public administratif du service hydrographique et océanique de la marine (SHOM).
- Enfin, une économie de 0,1 million d'euros est réalisée sur le Musée de l'Armée.
En définitive, le ministère supporte 311 millions d'euros d'abattements au PLF 2012 dont 280 millions d'euros sur la mission Défense.
Il convient toutefois de souligner que ces économies, largement financées par les reports de crédits et les surcroîts de recettes exceptionnelles, ne remettent pas en cause l'exécution de la loi de programmation.
M. Daniel Reiner - je vous remercie Monsieur le ministre pour toutes ces explications. Je comprends que le meilleur prix obtenu pour la cession des fréquences permettra de limiter les réductions budgétaires à 181 millions d'euros. Mais au total, si on prend en compte l'inflation, nous aurons en 2012 des crédits d'un montant identique à ceux que nous avions en 2011.
Ma première question a trait aux rectifications de frontières entre, d'une part, Thalès et, d'autre part, Sagem-Safran sur les filières « optronique » et « centrales inertielles ». Nous savons qu'il y a eu un protocole d'accord entre l'Etat et Thalès lorsque Dassault est entré au capital de cette entreprise. Ce n'est pas absurde en soi et il est parfois utile de remettre les choses en ordre. Diverses propositions de Joint Venture et de rapprochement ont été faites. Toutefois, au bout d'un an et demi, il ne se passe rien et le PDG de Safran vient d'annuler la tenue du conseil d'administration qui devait se prononcer sur les dernières propositions. Nous avons bien compris qu'il y avait trois volets dans ce projet : un volet financier, un volet industriel et un social. A ce stade, tout le monde - les salariés, les syndicats, les partenaires industriels et en tout premier lieu les parlementaires - voudrait comprendre quelle est aujourd'hui la stratégie de l'Etat-actionnaire ?
Ma deuxième question a trait aux drones. Je vous remercie d'avoir répondu à mon courrier vous demandant, au nom de mes collègues rapporteurs, de nous fournir « l'étude minutieuse » de la DGA sur laquelle vous vous êtes fondé pour prendre votre décision d'entrer en négociations exclusives avec Dassault pour importer un drone MALE israélien. Le moins que l'on puisse dire est que cette étude, un simple powerpoint de présentation de quinze pages, ainsi que la lettre qui l'accompagne, ne nous ont pas convaincu. Vous admettez en effet que ce drone, fruit de la « collaboration » entre Dassault et IAI, sera 30 % plus cher et 20 % moins performant que le drone américain, ce qui est encore loin du compte selon nos propres estimations. De surcroît, vous n'avez pas parlé des délais, car le drone israélien arrivera plus tard, ni des besoins opérationnels que ce drone ne satisfait pas car il n'a pas été conçu pour être armé. Au fond, le seul argument justifiant ce choix serait de nature industrielle. Or, de ce point de vue, plus on regarde ce dossier et moins on comprend ce que vous avez voulu faire. La participation de Dassault selon nos informations est minime et n'ajoute rien à ses compétences dans la perspective du futur drone franco-britannique. Donc nous renouvelons notre question : pourquoi avez-vous fait ce choix qui ne nous paraît pas de nature à poser les bases d'une filière industrielle française de drones ? Vous avez une explication politique à fournir à la représentation nationale, car c'est vous qui avez pris la décision en tant que ministre. C'est votre choix et c'est vous qui en porterez la responsabilité.
M. Gilbert Roger - ma question est simple. Nous étions censés acheter cinq Rafale par an, nous en achetons onze. Cette « Rafalisation » accélérée conduit à écarter toute une série d'opérations de modernisation indispensable - je pense à la rénovation des Mirage 2000 D. Or si on ne fait pas cette rénovation, on va le payer cher dans le futur.
M. Didier Boulaud - pouvez vous confirmer les informations dont la presse fait état sur le Rafale - Abou Dhabi - l'Eurofighter.
M. Jean-Pierre Chevènement - les dernières prévisions budgétaires à l'horizon 2016 font état d'un déficit budgétaire à 0 %. Comment allons-nous y arriver ? Pouvez-vous nous donner quelque éclairage ?
M. Gérard Longuet - il est impossible de poursuivre indéfiniment sur la voie des déficits budgétaires. Est-ce que la défense sera une variable d'ajustement ? La réponse est clairement non. Sera-t-elle solidaire de la politique nationale ? La réponse est oui. Pour l'instant nous sommes dans l'épure de la loi de programmation militaire, elle-même issue de la réflexion sur le format des armées effectuée dans le cadre du Livre blanc. Une révision du Livre blanc sera bientôt effectuée. Il faut dire que nous avons bénéficié de cessions d'actifs qui nous ont permis de respecter cette programmation. Or ces cessions ne sont pas renouvelables.
Les trois autres questions convergent autour du thème de la politique industrielle. Vous savez comme moi que l'Etat propriétaire a des points de vue différents. Vu de Bercy, de l'Agence pour les participations de l'Etat, l'objectif est d'optimiser la valeur patrimoniale de nos participations. Le meilleur moyen pour ce faire est que les entreprises dans lesquelles l'Etat investit dégagent des bénéfices...
Du point de vue de l'Etat stratège, du ministère de la défense, c'est différent. L'Etat est certes actionnaire de Thales, d'EADS, de Safran, de DCNS, de Nexter, et indirectement de Dassault Aviation, mais il en est aussi le client, Aucune exportation des produits de ces entreprises ne pourrait se faire sans que l'Etat donne son accord. Du reste le ministère de la défense n'a pas qu'un seul point de vue. En tant que ministre de la défense j'ai un bras opérationnel avec le Chef d'état-major qui demande le meilleur matériel, le plus rapidement possible et qui peut succomber à la tentation de l'achat sur étagère et j'ai un bras industriel, avec le Délégué Général pour l'Armement, qui prend en compte les intérêts industriels à long terme. Nous avons quand même en France une longue tradition d'ingénieurs, de physiciens nucléaires, qui ont su construire la force de dissuasion. Notre pays assure 6 % des exports mondiaux d'armement, contre 54 % pour les Etats-Unis, 12.5 % pour le Royaume-Uni, 8 % pour la Russie, 5 % pour Israël. C'est une performance remarquable quand on sait que nous ne pesons que 1 % de la population mondiale et 4,5 % de l'économie mondiale. Cela veut dire que le volontarisme industriel de l'Etat a du sens.
Or pour avoir les meilleurs prix il faut accepter la concurrence, y compris la concurrence franco-française. Si nous sommes obligés de recourir à des fournisseurs étrangers, nous sommes soumis à leurs conditions de prix et à leurs conditions d'usage. L'Etat doit-il accepter le monopole ? Non, sinon il aura face à lui des vendeurs désinvoltes. Il vaut mieux des industriels duaux tels qu'EADS, SAFRAN, THALES, DASSAULT, qui n'encourront pas la disparition et pourront toujours vendre leur production civile si l'Etat ne leur commande pas autant qu'ils le souhaitent en équipements militaires.
L'affaire des drones est emblématique. Il faut la regarder non pas du point de vue de l'EMA, mais du point de vue de la DGA. Le drone c'est d'abord un problème de chaîne mission. L'avion est secondaire.
Dans l'affaire SAGEM-SAFRAN, l'Etat est actionnaire de SAFRAN. Il est également actionnaire de THALES. On a envisagé des rectifications de frontières, dont je dois dire qu'au départ, elles n'étaient pas très équilibrées. SAFRAN aurait perdu des activités profitables en échange d'argent dont il n'avait pas besoin. SAGEM est une très belle affaire. Elle a des pôles de compétence qui font l'honneur de ses salariés. Du reste l'entreprise a une particularité : l'importance de l'actionnariat salarié. Club SAGEM est le deuxième actionnaire derrière l'Etat.
Or dans toutes les décisions concernant THALES et SAFRAN, les représentants de l'Etat au conseil d'administration de ces sociétés ne peuvent pas voter car ils seraient en conflit d'intérêt. Nous sommes donc le premier client, le premier actionnaire et nous n'avons pas notre mot à dire. Tout accord qui ne serait pas accepté par les actionnaires majoritaires en dehors de l'Etat, les salariés actionnaires dans un cas, Dassault dans l'autre, ne serait pas voté.
Il y avait donc une proposition de rectification de frontière : toute l'optronique chez THALES et tout l'inertiel chez SAFRAN. Cet échange était déséquilibré car si l'optronique de SAFRAN représente un gros volume d'activité, ce n'est pas le cas de l'inertiel de THALES.
La deuxième possibilité était d'envisager une mise en commun de l'ensemble des activités concernées au sein de sociétés communes. Mais cette piste n'a pas abouti.
Enfin, il y a une troisième voie : faire en sorte que les meilleures équipes des deux entreprises s'entendent et que l'on fasse une société commune d'ampleur plus limitée, mais qui évite à l'Etat de dupliquer les crédits de recherche. C'est dans cette voie que nous nous sommes engagés. Mais cela prend du temps.
S'agissant des drones, vous avez l'explication de mon choix. Nous avons, pour des raisons que je ne m'explique pas, raté la première marche des drones MALE. Pour la deuxième, nous avions le choix entre trois solutions : le Harfang de nouvelle génération, le Reaper américain et le Héron TP de Dassault. Le Harfang, c'était exclu. Du reste sa mise au point a été longue et chère et nous ne voulons plus de ça. Dassault est un industriel fiable qui respecte les calendriers et la qualité. Mais c'est plus cher. Effectivement le drone Héron TP sera 30 % plus cher et environ 20 % moins performant que le drone américain Reaper. Mais il permettra de construire le socle industriel de la filière drone en France. Dans le cas du Reaper nous n'aurions eu aucun transfert de technologie. Nous achèterons le drone Héron TP pour les mêmes raisons que l'Inde pourrait nous acheter le Rafale : il est plus cher que les avions américains, mais il autorise des transferts de technologie.
S'agissant du Rafale, la décision est en cours en Inde. En Suisse, ils sont également en phase de décision. Il n'y a pas de problème d'argent ni de problème de reprises d'avions anciens et ils ont l'habitude de travailler avec les techniciens français. A Abou Dhabi les négociations sont très difficiles. Les Emiratis voudraient qu'on leur reprenne leurs Mirage 2000-9. La démonstration du Rafale au Dubaï Air Show a été éblouissante. Cet avion a un prix. Il remplacera trois avions, puisqu'il est capable de faire de la reconnaissance, de l'attaque au sol et de la défense aérienne. Cela génère des économies d'équipement et des économies d'équipage.
Sur le fait que nous ayons décidé d'en acquérir onze à défaut de six, cela est normal, puisque nous l'avions intégré dans la construction du programme.
M. Jean-Louis Carrère, président - cela fait de l'Etat la variable d'ajustement de Dassault.
M. Gérard Longuet - non - la variable d'ajustement des exportations.
M. Christian Poncelet - est-on condamné à ce que l'Etat joue le rôle de variable d'ajustement ?
M. Gérard Longuet - oui parce que sinon l'industriel monte les prix.