C. LA NÉCESSITÉ D'UNE STRATÉGIE INDUSTRIELLE COHÉRENTE ET D'UNE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES PUBLIQUES EXEMPLAIRE
1. La réforme de l'APE : l'Etat actionnaire s'oriente-t-il enfin vers une stratégie industrielle cohérente ?
Les Etats généraux de l'Industrie du 4 mars 2010 ont dessiné de nouvelles ambitions pour la politique de l'Etat actionnaire et ont clairement établi un lien fort entre cette politique et la politique industrielle du pays.
Lors du conseil des ministres du 3 août 2010 a été nommé un commissaire aux participations de l'Etat , dont l'entrée en fonctions s'est faite le 15 septembre 2010. Cette fonction nouvelle présente un certain nombre de particularités, dont le rattachement direct au ministre en charge de l'économie n'est pas des moindres.
Jusqu'à présent en effet, il existait un directeur de l'Agence des participations de l'Etat, qui fonctionnait dans l'orbite du Trésor avec comme objectif principal l'optimisation de la gestion de ses nombreuses participations sur le plan patrimonial.
Cette évolution, indique le rapport de l'APE, « s'inscrit dans une évolution majeure du rôle que doit jouer l'Etat actionnaire et de ses modes d'intervention afin d'améliorer son efficacité et sa pertinence économique et industrielle » .
Le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, Mme Christine Lagarde, a insisté sur « la mission plus large, plus politique » qui sera celle du nouveau commissaire aux participations de l'Etat, soulignant que « quand l'Etat est actionnaire d'entreprises qui emploient plus de 1,5 million de salariés, il doit trouver un équilibre entre la gestion de son portefeuille et d'autres facteurs d'intérêt général. Il doit mieux orienter les stratégies, décider dans un certain nombre de domaines » 18 ( * ) .
C'est donc le statut de l'Agence des participations de l'Etat qui est modifié, ce qui se traduit par deux éléments : une séparation stricte, pour la première fois, entre l'APE et la Direction générale du Trésor, et un changement de profil à la tête de cette agence.
Votre rapporteur pour avis ne peut que se réjouir de cette volonté affichée de mettre au premier plan la vision industrielle du pilotage de ses participations par l'Etat.
Concrètement, ce commissaire devrait être à même d'impulser les décisions et d'avoir la main dans quatre domaines importants :
- l'emploi, tant du point de vue de la gestion des compétences que des ressources humaines ;
- la politique vis-à-vis des sous-traitants ;
- la parité ;
- la prévalence d'une unité de vues en matière industrielle, y compris pour les entreprises dans lesquelles le FSI intervient.
D'après les informations transmises par l'APE, cette nouvelle orientation se traduira par plusieurs éléments significatifs.
1. Tout d'abord, cette nouvelle ambition sera concrétisée par des réunions régulières, dans chaque entreprise où l'Etat est actionnaire, entre le ministre de l'Économie, les autres ministres intéressés (Défense, Transports, Industrie, Energie ou Communication) et les dirigeants de l'entreprise. Mme Christine Lagarde a indiqué que ces réunions se tiendraient, en présence du nouveau commissaire, deux fois par an pour évoquer la stratégie et l'implication des différentes grandes entreprises dans lesquelles l'Etat est actionnaire 19 ( * ) .
Lors de son audition par notre commission 20 ( * ) , M. Jean-Dominique Comolli, commissaire aux participations de l'Etat a indiqué que des contacts réguliers seront également développés entre ces réunions dans la mesure où l'Etat participe aux différents comités de gouvernance de toutes ces entreprises.
2. En deuxième lieu, un administrateur représentant l'Etat et compétent en matière industrielle sera systématiquement nommé à côté de l'administrateur représentant le ministère de l'économie au titre des intérêts patrimoniaux. La coexistence des deux objectifs de valorisation patrimoniale et de développement industriel sera donc physiquement représentée.
3. Les processus de nomination, de renouvellement et de succession des dirigeants seront préparés et anticipés par l'organe compétent du conseil d'administration.
4. La contribution de chaque entreprise au développement industriel de la France sera évaluée par le biais de revues régulières sur la répartition par pays ou grandes zones des investissements de l'emploi, de la valeur ajoutée et des achats / sous-traitances.
5. Toutes les entreprises où l'Etat est actionnaire devront fournir périodiquement un compte-rendu sur la politique de gestion des personnels et sur l'existence d'éventuels dispositifs de détection et de prévention des situations de détresse ou de fragilité.
M. Jean-Dominique Comolli a résumé ce tournant du rôle de l'Etat actionnaire, lors de son audition par notre commission : « il s'agit de passer d'une stratégie purement patrimoniale à une stratégie industrielle à long terme, dans le respect de ses intérêts patrimoniaux et de l'objet social de chacune de ses participations ».
Votre rapporteur pour avis, s'il approuve l'orientation nouvelle prise par l'APE en faveur d'une stratégie industrielle plus visible au sein de la politique de l'Etat actionnaire, craint toutefois que ces changements demeurent symboliques, comme le montre la structure du compte pour 2011, et ne permettent pas de mettre fin aux ambiguïtés évoquées plus haut.
2. La gouvernance des entreprises publiques
La notion de « bonne gouvernance » des entreprises relevant du portefeuille de l'Etat fait depuis plusieurs années l'objet d'une attention toute particulière, notamment via la participation des représentants de l'Etat aux organes sociaux des entités de son périmètre.
La réforme de l'APE décrite ci-dessus semble aller dans le sens d'une meilleure prise en compte et surtout d'un meilleur contrôle de l'Etat sur la gouvernance des entreprises publiques, votre rapporteur pour avis sera particulièrement attentif à ces évolutions.
Il avait, dans son rapport de l'année dernière, souhaité attirer l'attention sur la question de la parité hommes-femmes dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises du périmètre de l'APE et « dénoncer la sous représentation manifeste des femmes dans ces structures» 21 ( * ) . Il avait également demandé « que cette question puisse être envisagée dans le cadre d'une mission d'information sénatoriale ».
La persistance de l'insuffisante présence des femmes dans les lieux de pouvoir économique malgré l'existence aujourd'hui d'un très grand « vivier » de femmes compétentes pour accéder à ces lieux au sein des entreprises a donné lieu à deux initiatives parlementaires afin d'y remédier :
- la proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle , à l'initiative de nos collègues députés Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann, adoptée à l'Assemblée nationale en janvier dernier puis au Sénat en première lecture le 27 octobre 2010 ;
- et la proposition de loi déposée au Sénat le 16 février 2010 par notre collègue Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
La proposition de loi de M. Copé et de Mme Zimmermann a été modifiée et a notamment intégré, lors de son passage en commission des lois du Sénat, une partie des dispositions de la proposition de loi de Mme Bricq. Elle prévoit :
- la composition à parité des conseils d'administration pour les entreprises cotées, ainsi que celles disposant d'un conseil de surveillance ;
- un délai pour que les sociétés concernées s'adaptent à ces dispositions, à raison d'une composition égale ou supérieure à 20 % de femmes dans les conseils d'administration, d'ici à 3 ans, et de 40 % au 1 er janvier 2016 ;
- une extension du principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils aux sociétés qui, au cours de trois exercices consécutifs, emploient plus de 500 salariés et présentent un chiffre d'affaires ou un total de bilan supérieur à 50 millions d'euros ;
- des sanctions en cas de non-respect de ces dispositions.
Elle a été adoptée par le Sénat en première lecture le 27 octobre 2010 et a été transmise à l'Assemblée nationale pour un examen de deuxième lecture.
Concernant les entreprises publiques, l'article 4 de cette proposition de loi adapte ces dispositions, en particulier la proportion minimale de 40 % au moins pour les représentants de chaque sexe, la nullité des nominations contraires et la composition paritaire des listes pour les élections des représentants des salariés.
Il introduit donc l'obligation de représentation équilibrée dans la loi du 26 juillet 1983 :
- à l'article 5 pour les établissements publics des entreprises nationales, sociétés nationales, sociétés d'économie mixte et sociétés anonymes dans lesquelles l'Etat détient directement plus de la moitié du capital ;
- à l'article 6 pour les autres sociétés anonymes
La proportion de membres du conseil d'administration ou de surveillance de chaque sexe ne peut être inférieure à 40 % à compter du deuxième renouvellement suivant la publication de cette loi avec une étape à 20 % au premier renouvellement 22 ( * ) .
Votre rapporteur pour avis souligne que les progrès de la parité au sein des entreprises publiques n'ont pas été significatifs en 2010. En effet, au 8 octobre 2010, 87,3% des administrateurs des conseils d'administration ou de surveillance des entreprises du périmètre APE sont des hommes (contre 88,6 % en 2009) 23 ( * ) .
Il sera donc particulièrement attentif au devenir de cette proposition de loi et souhaite que son examen en deuxième lecture ne tarde pas afin de permettre une application rapide de ses dispositions.
* 18 Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, Les Echos, mercredi 4 août 2010 (page 3).
* 19 Les Echos, précit.
* 20 Audition de M. Jean-Dominique Comolli, commissaire aux participations de l'Etat par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat (mercredi 20 octobre 2010) - cf. compte-rendu en annexe du présent rapport.
* 21 Avis n° 105, Tome IX (2009-2010), François Patriat.
* 22 Toute nomination intervenue en violation de ces dispositions est nulle. Cette nullité n'entraîne pas celle des délibérations auxquelles a pris part l'administrateur ou le membre du conseil irrégulièrement nommé.
* 23 Cf. Annexe II du présent rapport.