B. SEPT CHANTIERS PRIORITAIRES POUR LESQUELS L'ÉTAT S'EST ENGAGÉ À HAUTEUR DE 600 MILLIONS D'EUROS SUR TROIS ANS
1. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles
À la suite de la remise du Livre vert des États généraux de la presse écrite en janvier 2009, le chef de l'État a annoncé la mise en oeuvre de trois mesures d'urgence visant à permettre au secteur de la presse de surmonter les difficultés exceptionnelles de la crise économique qui a rythmé les années 2008 et 2009 :
- au regard de l'effondrement du marché publicitaire qui s'est confirmé en 2009, la mise en oeuvre de la hausse des tarifs du transport postal de la presse prévue par les accords État-Presse-La Poste (dits accords « Schwartz ») du 23 juillet 2008 a été reportée d'un an, le manque à gagner pour La Poste, estimé à 28 millions d'euros, étant intégralement compensé par l'État ;
- dès 2009, l'État doublera ses investissements publicitaires dans la presse (de 20 % à 40 %), aussi bien dans la presse quotidienne nationale (PQN) et la presse quotidienne régionale (PQR) que dans la presse numérique ;
- les diffuseurs dont la presse est l'activité principale bénéficieront d'une exonération temporaire de leurs cotisations sociales de 30 %, soit environ 4 000 euros par exploitant chaque année, pour un coût pour l'État de 60 millions d'euros.
Un certain nombre d'aides exceptionnelles en faveur de la presse, d'un montant de 150 millions d'euros, ont ainsi été inscrites dans la loi de finances rectificative pour 2009 , adoptée en avril 2009.
2. Un plan de 600 millions d'euros sur trois ans en échange de réformes structurelles
Le Président de la République a annoncé que l'État s'engagerait dans un plan de soutien exceptionnel à la presse de 600 millions d'euros sur trois ans visant à investir massivement dans la modernisation du secteur, en contrepartie de changements structurels. À cet effet, il a relevé sept chantiers d'intervention prioritaires, identifiés dans le Livre vert des États généraux de la presse écrite. Votre rapporteur s'est livré à un bilan succinct des différentes réformes intervenues à ce jour dans ces sept domaines :
a) L'effectivité du virage d'Internet est subordonnée à l'alignement des régimes fiscaux entre presse papier et presse en ligne
Ceci implique la mise en oeuvre de réformes garantissant l'effectivité du principe de neutralité entre tous les supports de diffusion de la presse (versions imprimée et numérique).
Ce principe de neutralité s'est, pour l'heure, traduit par :
- l'adoption d'un statut d'éditeur de presse en ligne dans le cadre de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet (dite loi « Hadopi I »), qui permet d'appliquer à la presse en ligne un régime de responsabilité qui se veut équilibré, à la fois exigeant et adapté à la réalité. Toutefois, votre rapporteur pour avis estime nécessaire qu'un bilan de l'application de ces dispositions soit transmis au Parlement lors de l'examen du budget pour 2011, afin d'évaluer la qualité du nouveau dispositif, notamment s'agissant de la responsabilité d'un directeur de publication pour les propos exprimés par un lecteur sur la version Internet d'un titre de presse ;
- l' alignement du régime fiscal de la presse numérique sur celui de la presse papier . La loi du 12 juin 2009 précitée a notamment permis d'étendre le bénéfice de l' article 39 bis A du code général des impôts aux investissements en faveur du développement des rédactions Web des titres de presse. Les éditeurs de presse en ligne se sont également vu reconnaître le droit de bénéficier de l' exonération de la taxe professionnelle . Néanmoins, votre rapporteur pour avis considère que le principe de neutralité entre les supports de diffusion ne sera pleinement effectif que lorsque le taux de TVA super-réduit dont bénéficie la presse papier (2,1 %) sera étendu à la presse en ligne . Or, il semble qu'après avoir obtenu la baisse de la TVA dans la restauration, notre pays ne soit désormais plus légitime à réclamer une nouvelle baisse en faveur de la presse en ligne ;
- l' extension du mécénat à la presse en ligne . Depuis la loi de finances initiale pour 2008, le mécénat en faveur des titres de presse prenait la forme, au travers de l'association « Presse et pluralisme », de prises de participation capitalistique minoritaires. Or, les entreprises de presse se montraient réticentes à cette forme de mécénat, les éditeurs souhaitant pouvoir disposer de dons en numéraire et non en capital. Il a donc été envisagé d'ouvrir la possibilité pour « Presse et pluralisme » de souscrire à d'autres actions que des augmentations de capital. En avril 2009, en écho aux conclusions des États généraux de la presse écrite, le rescrit fiscal existant en matière de mécénat a ainsi été adapté par le ministère du budget afin de rendre éligibles au dispositif les dons effectués au profit de l'association et d'octroyer des prêts (dans la limite fixée par la réglementation applicable) ou des subventions aux entreprises de presse. Le mécanisme du mécénat doit, par ailleurs, être étendu prochainement aux entreprises de presse en ligne, la création d'un statut d'éditeur de presse en ligne par l'article 27 de la loi du 12 juin 2009, permettant dorénavant cette extension. Votre rapporteur pour avis souhaite qu'un bilan soit dressé d'ici à deux ans sur l'application de ce dispositif afin de d'évaluer sa capacité aussi bien à remédier à la sous-capitalisation chronique du secteur de la presse qu'à garantir le pluralisme des titres de presse.
b) Le consensus sur la réforme du droit d'auteur des journalistes a volé en éclat
Les États généraux de la presse écrite étaient parvenus à s'accorder sur la nécessité de réformer le régime des droits d'auteur des journalistes, dans le prolongement du principe de neutralité entre les différents supports de diffusion des titres de presse. Dès lors, le Gouvernement avait assuré l'Assemblée nationale que le dispositif qu'il proposait d'introduire dans la loi « Hadopi I », par voie d'amendement, s'inscrivait, dans sa rédaction initiale, dans le droit fil des préconisations formulées par les États généraux de la presse écrite et de celles du « Blanc », document de compromis sur les droits d'auteur des journalistes élaboré par un groupe de travail informel réunissant l'ensemble des parties concernées.
L'équilibre consistait, en effet, à concilier la sécurité juridique de l'éditeur à travers la reconnaissance d'une cession automatique de droits exclusifs d'exploitation des articles et, corrélativement, la garantie des droits de propriété intellectuelle attachés aux oeuvres des journalistes moyennant une rémunération complémentaire au titre des ré-exploitations au-delà d'une période de référence déterminée par accord collectif.
À l'occasion de son examen en séance publique, l'amendement du Gouvernement était en passe d'emporter l'approbation unanime de tous les groupes politiques avant qu'il ne soit modifié par l'adoption d'un sous-amendement, déposé par M. Christian Kert, député, qui revenait à remettre en cause l'équilibre du texte en introduisant une disposition favorable aux éditeurs qui n'avait pas fait l'objet d'une concertation préalable.
Ce sous-amendement visait, en effet, à introduire un nouvel article dans le code du travail rendant automatique le principe d'une collaboration entre une entreprise de presse et un journaliste sur l'ensemble des supports du titre de presse, disposition remettant en cause l'article 8 de la convention collective nationale de travail des journalistes.
Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis estime que la réforme du droit d'auteur des journalistes s'est trouvée compromise, en faisant peu de cas des revendications légitimes des journalistes de voir leur droit au respect de la propriété intellectuelle garanti.
Dès lors, il souhaite qu'un bilan soit transmis au Parlement non seulement sur la conclusion des accords collectifs prévus par le nouveau régime mais aussi sur les effets induits par l'automaticité de la collaboration multi-supports désormais inscrite dans le code du travail, notamment s'agissant du respect par les employeurs de leurs obligations en matière de formation des journalistes.
c) Quel bilan pour la réforme du système de distribution ?
Les mesures annoncées par le chef de l'État en matière de distribution étaient principalement de deux ordres :
- la revalorisation du métier de diffuseur de presse , en le replaçant au centre du circuit de distribution, afin d'en faire « un métier de vendeur », et non plus de « manutentionnaire des invendus ». À cet effet, les diffuseurs de presse bénéficieront, à titre temporaire, de mesures d'exonérations de charges sociales patronales, votées dans le cadre du collectif budgétaire pour 2009, et d'un versement unique et forfaitaire de 4 000 euros par diffuseur par voie réglementaire ;
- une réflexion conduite par la mission confiée à M. Arnaud de Puyfontaine sur les expérimentations en matière de modernisation de la chaîne de distribution : augmentation des points de vente, revalorisation et modernisation du métier de diffuseur, redistribution des coûts de la chaîne logistique en faveur de la vente. En outre, une mission d'expertise et d'évaluation des blocages administratifs et réglementaires à la création de nouveaux points de vente a été conduite par M. Michel Balluteau. Enfin, le rapport de M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, sur la réforme du Conseil supérieur des messageries de presse préconise la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante afin de réguler le marché de la distribution de la presse, caractérisé par le poids monopolistique des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP).
Votre rapporteur pour avis estime, dès lors, indispensable que le Gouvernement informe le Parlement des suites qu'il entend réserver à la mise en oeuvre des recommandations des différentes missions susmentionnées, en précisant notamment s'il compte modifier la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, dite loi « Bichet », qui consacre le principe d'égalité de traitement entre tous les titres de presse.
d) Qu'en est-il du « nouveau contrat social » dans les imprimeries de presse ?
Un autre chantier majeur souhaité par les États généraux de la presse écrite est celui de la réforme, prioritaire, des imprimeries de presse quotidienne. M. Francis Morel, président du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), conduit ainsi la négociation d'un « nouveau contrat social » au sein des imprimeries de presse au nom des quotidiens nationaux.
Votre rapporteur pour avis considère que le Parlement doit se montrer particulièrement attentif au déroulement et aux résultats de ces négociations, marquées dans la période récente par plusieurs mouvements de grève empêchant la parution de plusieurs titres de presse.
Lors de son audition par votre commission, le ministre de la culture et de la communication a rappelé que l'élaboration d'un nouveau contrat social dans les secteurs de la fabrication et de l'impression de la presse, censé conduire, selon les voeux formulés par les éditeurs, à une réduction de 40 % des coûts de production de la presse , relevait de la négociation entre les partenaires sociaux. Toutefois, l'État entend y demeurer attentif et jouer pleinement son rôle d'accompagnateur du plan de modernisation sociale de la presse, étant entendu que la deuxième étape du processus, concernant la presse quotidienne régionale, s'annonce particulièrement délicate et coûteuse, puisqu'il s'agira de passer de la gestion de 350 départs à plus d'un millier de reclassements.
e) L'avenir du métier de journaliste
Un accord de développement de l'emploi et des compétences a été conclu en juin 2009 entre la commission paritaire nationale pour l'emploi de la presse, Médiafor (organisme paritaire collecteur agréé de la presse) et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. L'accord pourrait concerner 6 000 salariés, pour un montant de 18,5 millions d'euros sur trois ans. Il vise à adapter l'ensemble des métiers qui concourent à la production de l'information aux mutations technologiques du secteur des médias.
En outre, afin de garantir la crédibilité de l'information et de renforcer la confiance entre la presse et ses lecteurs, un comité de sages réunissant une dizaine de personnalités représentant les journalistes et les éditeurs de presse et piloté par M. Bruno Frappat, a présenté, le 27 octobre 2009, un projet de code de déontologie des journalistes destiné à être annexé à la convention collective après accord des partenaires sociaux. En effet, plusieurs textes comportent déjà un certain nombre d'exigences déontologiques applicables à l'ensemble de la profession, tels que les chartes d'origine syndicale françaises de 1918 et 1938 et le texte de Munich de 1971. Mais il leur a, en général, été reproché d'être dépourvus jusqu'ici de toute valeur juridique contraignante.
Par ailleurs, il importe de généraliser le droit d'accès des citoyens, et donc des journalistes, à la « mémoire publique » , mouvement indispensable qui impliquera l'abrogation des dispositions de la dernière loi de programmation militaire accroissant de manière illégitime le champ du secret-défense, qui est déjà étendu. Il conviendra aussi de garantir réellement le secret des sources, exigence qui, selon votre rapporteur, va à l'encontre du projet de loi, en cours d'examen au Parlement, relatif à la protection du secret des sources des journalistes.
Votre rapporteur pour avis tient, en effet, à rappeler que, si la protection de la confidentialité des sources est au coeur des obligations éthiques du métier de journaliste, sa garantie est également une condition nécessaire de la liberté de la presse. L'assurance pour une source que son identité ne sera pas divulguée est l'indispensable corollaire de la mission d'information des journalistes, c'est-à-dire de leur devoir de rendre publics des éléments auxquels le citoyen n'a pas, seul, les moyens d'avoir accès. Cette confidentialité est donc une exigence capitale dans leur mission d'investigation et dans leur recherche constante de la vérité.
Or, à titre personnel, votre rapporteur pour avis considère que le dispositif proposé par le projet de loi en cours de discussion au Parlement n'offre pas les garanties suffisantes pour protéger pleinement la confidentialité des sources, et tend à nourrir un soupçon systématique insupportable à l'égard des journalistes .
Votre commission a régulièrement pris soin de souligner le lien entre la protection des sources journalistiques et la crédibilité de l'information, ce lien étant d'une importance capitale pour la confiance que le lecteur accorde à la presse écrite. De la multiplicité des sources des journalistes, premier critère d'une information plurielle et indépendante, dépend la confiance que le citoyen place dans la qualité de l'information. Cette confiance est une garantie de la fidélité du lecteur à son quotidien, qui conditionne, en dernier ressort, la bonne santé du secteur de la presse écrite.
Enfin, la conférence nationale sur les métiers du journalisme dont l'organisation a été confiée à MM. Denis Jeambar et René Silvestre est prévue pour la fin de l'année.
f) Comment remédier à la sous-capitalisation des entreprises de presse sans mettre en péril le pluralisme de la presse ?
Le problème de la sous-capitalisation chronique des entreprises de presse ne saurait justifier la poursuite d'un mouvement de concentration qui menace déjà de façon préoccupante le pluralisme de la presse quotidienne régionale.
En outre, les liens entre le pouvoir exécutif et les acteurs privés dépendant de la commande publique et détenant un titre de presse ou un service de radio ou de télévision font peser de lourds soupçons sur le degré réel d'indépendance de nos médias d'information. Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis rappelle que deux textes devraient permettre de réintroduire dans le débat public la question de l'indépendance de nos médias vis-à-vis des pouvoirs publics :
- les membres du groupe socialiste du Sénat ont déposé une proposition de résolution n° 446 (2007-2008) tendant à la création d'une commission d'enquête sur les liens existant entre le pouvoir exécutif et les organismes de presse et de la communication audiovisuelle, et leurs conséquences pour l'indépendance et le pluralisme de la presse et des médias ;
- ils ont également déposé une proposition de loi n° 590 rectifié (2008-2009) visant à réguler la concentration dans le secteur des médias.
Le mécénat a vocation à accompagner la recapitalisation des entreprises de presse, à renforcer les liens entre les lecteurs et leurs titres de presse et à garantir le pluralisme de la presse.
À ce titre, votre rapporteur pour avis se réjouit que la défiscalisation des dons à la presse ait permis à L'Humanité de récolter quelque 460 000 euros. Le président de l'association « Presse et pluralisme », M. François d'Orcival, a estimé qu'à la suite de l'adoption des différentes mesures d'incitation fiscales en faveur du mécénat, émerge un nouveau modèle économique, en particulier des titres de presse d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires, qui s'appuie sur l'apparition, aux côtés du traditionnel lecteur client fidèle à son quotidien, d'un lecteur nouveau : le lecteur partenaire . L'Humanité , qui associe de plus en plus étroitement à son financement ses lecteurs, a été rejoint dans ce sens par d'autres titres tels que Le Monde diplomatique ou encore Témoignage chrétien .
g) L'adaptation de l'offre éditoriale aux codes de lecture modernes
Dans ce domaine, la mesure emblématique reste l'opération « Mon journal offert » destinée à encourager la lecture de la presse d'information par les jeunes, en permettant à tout jeune de 18 ans de bénéficier, l'année de sa citoyenneté, d'un abonnement gratuit à un quotidien de son choix, le journal étant payé par l'éditeur et le transport par l'État. L'objectif est d'atteindre 200 000 abonnements volontaires.
L'État s'est engagé à soutenir cette opération pendant trois ans, à hauteur de 15 millions d'euros, en abondant l'enveloppe « jeunesse » du fonds d'aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale.
S'il semble que cette opération connaisse un début particulièrement prometteur, puisque 150 000 demandes ont été enregistrées depuis le lancement de l'opération le 27 octobre 2009, votre rapporteur pour avis estime que l'efficacité de ce dispositif devra être évaluée à la lumière des efforts conduits par les éditeurs pour adapter leurs contenus aux attentes de leurs nouveaux publics et pour multiplier les passerelles entre les versions imprimée et numérique .