C. L'ÉPINEUSE QUESTION DE L'ADOSSEMENT DES RÉGIMES SPÉCIAUX
L'adossement des régimes spéciaux sur les régimes de droit commun (régime général et régimes complémentaires) poursuit un objectif : améliorer leur assise financière grâce à la mutualisation des engagements de retraite avec des régimes à base démographique plus large .
Le régime de retraite des industries électriques et gazières (IEG) est le premier régime spécial à avoir fait l'objet d'une opération d'adossement en 2005.
1. Les modalités techniques de l'adossement
Les normes comptables internationales (norme IAS 19 en particulier) imposent depuis 2005 (pour les entreprises cotées) ou 2007 (pour les autres) à une entreprise disposant de son propre régime de retraite d'inscrire ses engagements dans ses états financiers. Quand cette entreprise n'est pas en état de les provisionner, il devient alors nécessaire de les externaliser.
Pour externaliser les engagements de retraite, la première étape consiste à créer une caisse de sécurité sociale autonome de l'entreprise concernée, qui portera l'ensemble des engagements de retraite.
La seconde étape est l'adossement en tant que tel . Cette opération repose sur deux principes :
- le régime spécial continue à exister, cantonné dans une caisse de sécurité sociale extérieure à l'entreprise. C'est elle qui gère l'ensemble des flux (cotisations de droit commun, recettes permettant de financer les droits spécifiques, pensions de droit commun et pensions correspondant à des droits spécifiques, etc.) ;
- la distinction entre les droits de base accordés par les régimes d'accueil (régime général et régimes complémentaires) est établie. Une soulte vient éventuellement compenser les déséquilibres démographiques et financiers causés aux régimes de droit commun par l'accueil du groupe adossé.
2. L'adossement de la caisse autonome de retraite de la RATP : une opération retardée
Pourtant prévu par les décrets du 26 novembre 2005 relatifs à la réforme du financement du régime spécial de retraite de la RATP, l'adossement de sa caisse autonome au régime général et aux régimes complémentaires Agirc et Arrco n'a toujours pas été réalisé à ce jour .
Deux raisons expliquent ce retard particulièrement regrettable.
La première est liée aux exigences communautaires en matière de droit de la concurrence. Le dossier de l'adossement nécessite un effet un accord de la Commission européenne qui doit se prononcer sur la qualification éventuelle de la soulte en aide d'Etat. En déchargeant la RATP de tout ou partie des engagements de retraite qui lui incombent, l'opération d'adossement pourrait contrevenir à l'article 87 du Traité de Rome relatif aux aides d'Etat.
Dans sa décision notifiée aux autorités françaises le 13 juillet 2009 , la Commission estime que la création de la caisse autonome de retraite de la RATP est constitutive d' une aide d'Etat compatible avec le traité CE dans la mesure où :
- elle favorise l'obtention de conditions concurrentielles équivalentes entre la RATP et ses concurrents ;
- elle est strictement proportionnée à cet objectif.
Cette appréciation est toutefois subordonnée à la réserve que « la réforme des retraites du régime spécial de la RATP, destinée à harmoniser celui-ci sur les règles de droit commun des régimes de base des salariés du secteur privé et des fonctionnaires, soit entièrement mise en oeuvre » .
De ce fait, le projet de loi de finances pour 2010 n'a pas été construit sur l'hypothèse de l'adossement.
La seconde raison est relative aux modalités financières de l'opération d'adossement .
Compte tenu des différences de situation, notamment démographiques, entre le régime spécial de la RATP et le régime général, la neutralité financière de l'adossement pour ce dernier serait assurée par le versement à la Cnav d'une soulte financée par l'Etat dont le montant pourrait être compris entre 500 et 700 millions d'euros. La totalité des droits spécifiques passés - non repris par les régimes de droit commun -, validés au 31 décembre 2005, serait financée par le budget de l'Etat. Les droits spécifiques futurs, acquis à partir du 1 er janvier 2006, seraient financés par le budget de l'Etat dans la limite d'un volume d'emplois statutaires de la RATP de 45 000. Au-delà de cette limite, ils seraient à la charge de la RATP.
Faute de consensus entre les différentes parties prenantes sur le montant de la soulte, le dossier est dans l'impasse.
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Votre rapporteur rappelle que la réalisation de l'adossement de la caisse de retraite de la RATP permettrait de réduire l'effort de l'Etat dans le financement du régime, compte tenu des versements des régimes de droit commun qui en découleraient .
3. L'indispensable neutralité financière des opérations d'adossement
L'article 79 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 a consacré le principe de neutralité financière des opérations d'adossement . Celui-ci est désormais codifié à l'article L. 222-7 du code de la sécurité sociale qui dispose que :
« L'adossement d'un régime de retraite spécial ou de tout autre régime de retraite sur la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés est réalisé conformément aux dispositions de l'article L. 222-6 et respecte le principe de stricte neutralité financière de l'opération pour les assurés sociaux du régime général. »
Ce principe n'est toutefois défini qu'en termes relatifs, puisque la loi se limite à indiquer que l'adossement ne doit pas dégrader la situation des assurés des régimes d'accueil. Il n'est pas non plus précisé de quelle manière il convient d'apprécier ce principe.
Aussi votre rapporteur est-il convaincu de la nécessité de renforcer les garanties de neutralité des opérations d'adossement . Deux mesures permettraient de « sécuriser » davantage la procédure :
- rendre obligatoire la consultation du conseil d'administration de la Cnav pour évaluer les modalités d'une opération d'adossement au regard du principe de neutralité financière pour les assurés sociaux du régime général ;
- donner la possibilité au régime général , à l'instar de ce qu'ont déjà fait les régimes complémentaires Agirc et Arrco, de demander l'introduction d'une clause de révision ultérieure , plafonnée, destinée à réévaluer, en tant que de besoin, le montant de la soulte acquitté par un régime spécial.
Dans son rapport de septembre 2008 sur la sécurité sociale, la Cour des comptes demande également une clarification des conditions d'adossement. Elle estime que l'effectivité du principe de neutralité financière passe par :
- une clause de révision encadrée au profit du régime général lors des prochains adossements ;
- un meilleur calibrage des futurs adossements en partant d'hypothèses de projection de recettes identiques pour le régime général et les régimes complémentaires ;
- une refonte du taux d'actualisation utilisé pour le calcul de la soulte ;
- une analyse du partage des risques entre les partenaires de l'opération ;
- la mise en regard systématique des prévisions et des réalisations dans les rapports annuels prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.
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Réunie le jeudi 26 novembre 2009, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » pour 2010.