III. LA RÉFORME DES RÉGIMES SPÉCIAUX : DES ÉCONOMIES TRÈS INCERTAINES
A. LA FIN D'UN STATU QUO TROP LONGTEMPS PROLONGÉ
Si la volonté de réformer les régimes spéciaux semble s'être imposée en quelques mois durant l'année 2007, force est de rappeler que cette question a nécessité plusieurs années de maturation avant de trouver sa place dans le débat public et d'être inscrite sur l'agenda politique du Gouvernement.
1. Les travaux de réflexion préparatoires à la réforme
Dans son rapport de septembre 2006, le constat dressé par la Cour des comptes est sans appel : « en raison des perspectives démographiques et financières des régimes spéciaux, réformer ces régimes en mettant en oeuvre les principes prévus par la loi de 2003 est devenu nécessaire ».
Ces principes figurent au titre I er (Dispositions générales) de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites :
- la confirmation du choix fait en 1945 en faveur de la répartition (article 1) ;
- la notion de contributivité (article 2) ;
- l'équité entre les assurés sociaux (article 3) ;
- la garantie d'un niveau minimum de pension (article 4) ;
- l'allongement de la durée d'assurance (article 5) ;
- l'extinction de la surcompensation (article 9) ;
- le droit à l'information des assurés sociaux (article 10) ;
- l'accès et le maintien dans l'emploi des salariés âgés (articles 11 à 19).
La réforme des régimes spéciaux a également été préconisée par le conseil d'orientation des retraites (Cor) dans un document examiné en séance plénière le 12 juillet 2006. Considérant que « pour ces régimes, comme pour l'ensemble des autres régimes, soit visé un objectif d'équilibre financier à l'horizon de 2020 et que soient prises en compte les perspectives de long terme », il a proposé trois orientations générales :
« La première orientation est celle de l'allongement des durées d'activité et des durées d'assurance requises dans les régimes pour tenir compte des gains d'espérance de vie qui doit être associée à une politique du travail et de l'emploi faisant de la gestion des âges une priorité. Comme dans les autres secteurs, cette évolution devrait être conduite en prenant en compte les situations de pénibilité (intégrées dans les règles d'un certain nombre de ces régimes) et, le cas échéant, mais de manière nécessairement circonscrite, des difficultés particulières de gestion de l'emploi.
« La deuxième orientation est celle d'une évolution des avantages familiaux et conjugaux, prenant en compte le droit communautaire et allant dans le sens d'une certaine harmonisation et d'une adaptation aux évolutions de la société. Sur ce point, on renverra à la réflexion engagée, par ailleurs, par le Conseil.
« La troisième orientation pourrait être celle d'une certaine harmonisation des logiques d'indexation des pensions permettant de donner à l'ensemble des retraités les mêmes types de garanties en termes d'évolution de leurs revenus à la retraite. »
Ces réflexions ont largement inspiré la réforme entreprise fin 2007.
2. Le cadre général de la réforme proposée par le Gouvernement
Durant la campagne électorale du printemps 2007, le Président de la République a exprimé, à de nombreuses reprises, son intention de mener à bien, une fois élu, une réforme des régimes spéciaux. Dans son discours du 18 septembre 2007, le cadre général de cette réforme a été posé : il s'agit d'harmoniser progressivement les règles des régimes spéciaux avec celles applicables aux pensions des trois fonctions publiques.
A l'issue d'une phase de concertation avec les partenaires sociaux, un débat a été organisé le 2 octobre 2007 au Sénat et le lendemain à l'Assemblée nationale afin de consulter les parlementaires sur la réforme annoncée. Le Gouvernement a remis, le 11 octobre 2007, aux organisations syndicales et aux entreprises publiques concernées un document d'orientation présentant les grands axes retenus par les pouvoirs publics.
Ce texte définit pour l'ensemble de ces régimes un socle de principes communs qui ont vocation à être mis en oeuvre à compter de l'année 2008. Il prévoit également d'organiser, dans chaque branche et dans chaque entreprise intéressée, une seconde phase de négociation entre les directions et les organisations syndicales.
* Les principes communs d'harmonisation
Les pouvoirs publics ont posé au préalable sept principes visant à harmoniser la situation de ces assurés sociaux avec celle des assurés des autres régimes.
1 - La progressivité de la réforme : « La réforme sera progressive : quelle que soit la date de leur départ en retraite, les agents se verront appliquer les règles en vigueur l'année où ils étaient susceptibles de liquider leur pension. Concrètement, cela signifie qu'un agent remplissant en 2008 les conditions pour partir en retraite verra sa retraite calculée avec les paramètres de 2008 même s'il part en 2009 ou en 2010. »
2 - La durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein sera progressivement portée de trente-sept ans et demi à quarante ans : « Cette harmonisation sera étalée dans le temps : l'allongement de la durée de cotisation se fera à raison de deux trimestres par an, ce qui permet d'atteindre les quarante ans de cotisation en 2012. La durée de cotisation aura ensuite vocation à évoluer comme dans le régime de la fonction publique. »
3 - L'introduction d'une plus grande liberté de choix en matière d'âge de départ à la retraite : « Pour garantir la liberté de choix des agents sur le moment de leur départ en retraite, les conditions et les âges d'ouverture des droits seront maintenus. En parallèle, pour permettre aux agents qui le souhaitent de travailler plus longtemps, les « clauses couperets » autorisant la mise à la retraite d'office des salariés par leurs employeurs à un âge précoce seront supprimées. »
4 - La prise en compte d'un double mécanisme de surcote et, à partir de 2010, de décote dans le calcul des retraites.
5 - L'indexation des pensions sur les prix.
6 - L'harmonisation du mode de calcul des pensions sur la base du salaire d'activité des six derniers mois d'activité , à l'exception des régimes qui ont d'ores et déjà prévu des périodes de référence plus longues.
7 - La modification des règles de bonification : « Les dispositions en vigueur seront maintenues pour les agents des régimes spéciaux recrutés avant le 31 décembre 2008. Pour les agents recrutés à compter du 1 er janvier 2009, les bonifications telles qu'elles existent aujourd'hui seront modifiées : la spécificité des métiers devra désormais être prise en compte selon d'autres modalités qu'une réduction du nombre d'annuités de cotisations. Ces modalités seront définies dans le cadre de la négociation de branche ou d'entreprise. »
* L'importance accordée au dialogue social
Le document d'orientation du Gouvernement recense également sept sujets de négociation devant être débattus au niveau des branches professionnelles et des entreprises concernées.
1 - La prise en compte de la spécificité des métiers : « L'objectif est de prendre en compte la spécificité de certains métiers à travers, par exemple, l'aménagement des conditions de travail, les éléments de rémunération, la gestion des parcours professionnels et des deuxièmes parties de carrière. »
2 - La promotion de l'emploi des seniors : « Il s'agit d'adapter la gestion des ressources humaines à l'allongement de la vie professionnelle : formation, amélioration des conditions de travail, adaptation des postes, bilans professionnels, aide à l'orientation, évolution de la grille des salaires pour les fins de carrière. »
3 - L'instauration d'un complément de retraite pour les salariés : « Les éléments de rémunération n'entrant pas aujourd'hui dans le calcul de la pension de retraite pourront être pris en compte sur le modèle du régime additionnel de retraite créé dans la fonction publique ou à travers la mise en place d'un dispositif d'épargne retraite de droit commun. »
4 - La réduction de la durée minimale de service pour bénéficier du régime spécial.
5 - L'introduction d'une possibilité de racheter des années d'études supérieures ou des années de cotisations incomplètes.
6 - La remise à plat des avantages familiaux et conjugaux : « L'objectif est de respecter le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, conformément au droit communautaire, et d'harmoniser les avantages familiaux et conjugaux avec les règles de la fonction publique (bonifications pour enfants, liquidation précoce de la retraite, pension de réversion en cas de décès du conjoint). »
7 - La prise en compte du handicap et de l'invalidité : « Les dispositions de la loi du 11 février 2005 permettant d'abaisser l'âge d'ouverture des droits à retraite pour les personnes handicapées ayant exercé une activité professionnelle seront étendues aux régimes spéciaux. De la même manière, le régime des pensions d'invalidité pourra être rénové. »
3. Les attentes de votre commission sur la réforme des régimes spéciaux en partie satisfaites
A l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, votre commission avait fait valoir ses réflexions sur les propositions gouvernementales. Elle avait alors souligné que le but de cette réforme consistait non seulement à mettre un terme au statu quo actuel, perçu comme inacceptable par un nombre croissant de citoyens, mais surtout à enrayer la progr ession des dépenses de pension.
* Enrayer la dynamique d'accroissement des dépenses de pension
Estimant que le principal objectif consiste à limiter à moyen et long terme le coût des régimes spéciaux sur les finances publiques et de privilégier les mesures d'économies, votre commission avait formulé les préconisations suivantes :
- arrimer solidement les grands régimes spéciaux à celui de la fonction publique ;
- ne pas exclure les régimes spéciaux du champ d'application du « rendez-vous 2008 » sur les retraites ;
- introduire, à partir de l'année 2008, une obligation de provisionnement pour les prestations vieillesse constituées dans le cadre des « chapeaux » des régimes spéciaux ;
- appliquer aux futurs entrants de nouvelles règles en matière de niveau de prestations et d'âge de cessation d'activité. Moduler les efforts demandés aux personnes actuellement en activité en fonction de leur âge à la date de la réforme, de façon à limiter les ajustements applicables à ceux en fin de carrière. Garantir les droits des retraités ;
- compléter l'augmentation prévue jusqu'à quarante ans de la durée de service nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein par l'entrée en vigueur aussi rapide que possible d'un système de décote efficace. Synchroniser les calendriers de mise en oeuvre de la décote et de la surcote ;
- donner la possibilité à ceux qui le souhaitent de travailler jusqu'à soixante-cinq ans. Placer en extinction immédiate les dispositifs de préretraite.
* Mettre fin aux dérives des systèmes de compensation démographique
Depuis la fin des années 1990, votre commission a critiqué à maintes reprises les mécanismes de transferts financiers entre les régimes de retraite et prôné un aggiornamento dans ce domaine.
Elle s'est ainsi prononcée pour l'extinction totale de la « surcompensation » d'ici à 2012 et pour l'introduction d'un véritable moratoire sur le mode de fonctionnement actuel des mécanismes de la compensation démographique. Ce qui supposerait :
- d'introduire l'obligation d'une information préalable des commissions parlementaires compétentes avant tout changement de règle ;
- de prévoir qu'une modification des règles de la compensation démographique ne puisse intervenir qu'en loi de financement de la sécurité sociale.
* Conjurer le risque d'une réforme vidée de son contenu par les négociations dans les entreprises nationales
Consciente de la nécessité d'un dialogue social approfondi, votre commission a néanmoins averti des risques que pourraient présenter les négociations dans les entreprises sur le contenu de la réforme, et notamment :
- la création de nouveaux avantages ayant pour objet de compenser strictement ceux qui ont été supprimés, par exemple sous la forme d'une intégration au traitement de base des spécificités du « chapeau » du régime ;
- la compensation de hausses de cotisations salariales par des augmentations de salaire équivalentes ;
- l'extension aux hommes, sans les avoir modifiés au préalable, des avantages familiaux jusqu'ici réservés aux femmes ;
- la création de dispositifs de cessation progressive d'activité coûteux pour la collectivité et excessivement avantageux pour les ressortissants des régimes spéciaux ;
- la compensation de l'augmentation de la durée nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein par une conception extensive de la « catégorie active » autorisant des départs précoces ;
- la perspective d'un relèvement rapide et donc coûteux des niveaux de pension minimum garanti des régimes spéciaux.
La réforme engagée par le Gouvernement reprend pour partie les recommandations de votre commission , en particulier l'arrimage des régimes spéciaux à ceux de la fonction publique. Cependant, certaines de ses attentes demeurent insatisfaites , notamment celles relatives à l'enrayement des dépenses de pension et à l'augmentation du coût des régimes spéciaux pour les finances publiques.
4. Les principes de la réforme des régimes spéciaux appliqués à la SNCF et à la RATP
Après négociations au sein des entreprises, ont été adoptés les décrets n° 2008-47 pour la SNCF et n° 2008-48 pour la RATP du 15 janvier 2008 , qui opèrent un rapprochement partiel des droits à pension des retraités de la SNCF et de la RATP avec le régime de la fonction publique de l'Etat. La réforme des régimes spéciaux est entrée en vigueur le 1 er juillet 2008 .
Conformément au document d'orientation du Gouvernement d'octobre 2007, ces décrets prévoient que :
- la durée de cotisation pour une retraite à taux plein passera de trente-sept annuités et demie à quarante annuités d'ici à 2012, puis devrait évoluer comme dans la fonction publique (passage ensuite à quarante et une annuités) ;
- une décote s'appliquera à compter de 2010 pour les assurés qui n'augmenteront pas leur durée d'activité proportionnellement à l'augmentation de la durée de cotisation ; une surcote s'appliquera pour les trimestres accomplis au-delà de cette durée et au-delà de soixante ans ;
- les pensions seront indexées sur les prix à compter de 2009 et non plus sur les salaires des actifs ;
- les bonifications en vigueur s'appliqueront uniquement aux agents recrutés avant le 1 er janvier 2009 (à la RATP, cet avantage concerne près de 80 % des salariés ; à la SNCF, 15 %).
- les agents pourront librement choisir le moment de leur départ à la retraite puisque les « clauses couperets », qui permettaient aux employeurs de mettre à la retraite les agents dès cinquante ou cinquante-cinq ans, sont supprimées.
L'objectif de la réforme consiste donc à mettre tous les Français sur un pied d'égalité en matière de retraite et d'assurer la viabilité financière des régimes spéciaux. Force est toutefois de constater que ce rapprochement n'est que partiel et que le principe d'une spécificité des droits a été maintenu ; crainte que votre commission avait déjà exprimée l'an passé.