II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION SUR LES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, 10 des 23 articles du texte adopté par le Sénat ont fait l'objet d'une adoption ou d'une suppression conforme et le projet de loi a été complété par 10 articles nouveaux dont, comme on l'a déjà indiqué, six concernent son application dans les collectivités d'Outre-mer.

Votre rapporteur pour avis analysera successivement les positions prises par l'Assemblée nationale sur les modifications précédemment adoptées par le Sénat et les dispositions nouvelles qu'elle a introduites dans le projet de loi.

1. La position de l'Assemblée nationale sur les modifications apportées par le Sénat

L'Assemblée nationale a retenu, souvent en leur apportant d'utiles compléments, bon nombre des modifications introduites par le Sénat.

Cependant, le rejet des dispositions adoptées par le Sénat pour soumettre à une obligation d'évaluation comportementale les chiens potentiellement dangereux en raison de leur poids et de leur force constitue un point de divergence important et qui, pour votre rapporteur pour avis, remet en cause l'efficacité de la prévention des accidents canins ainsi que l'équilibre entre le volet préventif et le volet répressif du projet de loi.

a) Les principaux points de convergence

En se limitant aux principales dispositions du texte, on relèvera que l'Assemblée nationale a entériné :

* la suppression des dispositions tendant à interdire la détention de chiens de la première catégorie nés après le 7 janvier 2000 ;

* les précisions apportées , à l'initiative de votre commission, à la définition des nouvelles obligations de formation et d'évaluation comportementale de leur animal imposées aux détenteurs de chiens de première et de deuxième catégories, précisions que l'Assemblée nationale a à son tour complétées. On regrettera cependant que cette définition ait finalement été intégrée dans les dispositions relatives au « permis de détention » des chiens « classés », ce qui nuit à sa lisibilité et a en outre conduit à l'amputer de dispositions utiles : votre commission vous proposera donc, en rétablissant l'article 2 du projet de loi, d'inscrire cette définition, comme c'était initialement prévu, dans un article nouveau du code rural ;

* la communication au maire des évaluations comportementales ;

* le lien entre évaluation et obligation de formation ;

* l'obligation de formation des agents de surveillance utilisant des chiens , que l'Assemblée nationale a opportunément choisi d'inscrire dans la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité. Elle a en outre amélioré le texte du Sénat en étendant son application à toutes les activités visées par cette loi, et en prévoyant que la formation imposée aux agents privés de sécurité devrait être une formation spécifique.

Votre commission approuve ces modifications et vous proposera de poursuivre la « mise au point » du dispositif en améliorant son insertion dans la loi du 12 juillet 1983 ; en précisant le libellé et la portée de l'obligation de formation et en l'étendant aux personnels non salariés ; en imposant enfin que soient précisées les conditions de l'utilisation de chiens dans le cadre d'activités de sécurité et que leur utilisation, ainsi que leur détention, respectent les principes posés par les textes relatifs à la protection des animaux.

Enfin, on notera que l'Assemblée nationale n'a pas rétabli l'article 12 du projet de loi relatif aux modalités d'acquisition des médicaments vétérinaires par les dispensaires, aucune nouvelle rédaction n'ayant été proposée pour ce texte.

b) Les points de divergence

* L'Observatoire national du comportement canin

L'Assemblée nationale a supprimé, en invoquant principalement sa nature réglementaire, l'article relatif à la création d'un Observatoire national du comportement canin adopté par le Sénat.

Votre commission admet la portée de cet argument mais rappelle aussi qu'elle avait souligné, lors de la première lecture, les graves lacunes de la collecte et de l'exploitation de données sur les agressions canines, lacunes que ne comblera que partiellement la modernisation en cours du fichier national canin.

Elle souhaite donc qu'usant de sa compétence le pouvoir réglementaire prenne rapidement l'initiative de se doter des instruments nécessaires pour mieux mesurer, analyser et évaluer ces agressions, ce qui favoriserait le suivi de l'application des mesures de prévention prévues par le projet de loi et pourrait aussi faciliter la conception et la mise en oeuvre des actions d'information du public qui devront les compléter.

* La suppression de l'obligation d'évaluation comportementale des « gros chiens »

L'Assemblée nationale a supprimé la disposition adoptée par le Sénat pour imposer l'évaluation des chiens potentiellement dangereux en raison de leur puissance et de leur poids, en invoquant :

- la difficulté de son application, faute d'un nombre suffisant de professionnels qualifiés ;

- les contraintes et les frais qu'elle imposerait aux propriétaires de ces chiens ;

- les dispositions du projet de loi soumettant à évaluation comportementale les chiens mordeurs, qui devraient permettre de prévenir les morsures dangereuses ;

- le fait que des chiens de gabarit très modeste peuvent également être très dangereux ;

- le risque que certains maîtres affament leurs chiens ou les abandonnent afin de se soustraire à cette obligation.

Votre rapporteur pour avis a examiné avec toute l'attention qu'elles méritent ces objections, qui appellent de sa part les observations suivantes :

- les quelque 133.000 2 ( * ) chiens de première et deuxième catégories déclarés, qui seuls feraient l'objet d'évaluations comportementales systématiques, ne représentent que 1,6 % de la population canine (estimée à 8.080.000 animaux).

Il convient donc de se demander si l'on peut mener une politique de prévention efficace en limitant autant le champ des évaluations comportementales systématiques, étant rappelé par ailleurs que 93 % des cas de morsure recensés entre octobre 2006 et octobre 2007 étaient le fait de chiens non classés, que 75 % des accidents mortels déplorés en France depuis une trentaine d'années sont imputables à de « gros chiens » également non classés, et enfin que l'on assiste à un développement inquiétant de la demande se portant sur des chiens de taille importante, au moins aussi dangereux que les chiens définis comme tels mais dont la détention n'est soumise à aucune contrainte ;

- la disposition adoptée par le Sénat augmenterait certainement le nombre des évaluations comportementales, mais le nombre annuel de consultations de praticiens qu'elle nécessiterait serait, même pendant la période transitoire, très inférieur à celui résultant de la mesure, par ailleurs très utile, déjà adoptée dans les mêmes termes par les deux Assemblées et qui prévoit que toutes les cessions de chiens -dont le nombre est de l'ordre d'un million par an- donnent lieu à la délivrance d'un certificat vétérinaire comportant des recommandations sur la garde de l'animal et les règles de sécurité applicables à sa détention. On notera d'ailleurs que cette mesure pourrait faciliter l'application de celle que proposait le Sénat, en permettant de la rappeler aux acquéreurs de chiens qui devraient normalement correspondre, à l'âge adulte, aux critères de poids qui seraient retenus ;

- l'évaluation comportementale obligatoire représenterait certes une contrainte pour les propriétaires des chiens qui y seront soumis, mais qui n'apparaît pas excessive au regard du souci de prévenir 75 % des accidents mortels et de la nécessité de responsabiliser des maîtres souvent inconscients du danger que peut représenter leur animal ;

- il faut certes avoir le souci de ne pas imposer de dépenses excessives aux familles modestes. Cependant, comme votre rapporteur l'a déjà indiqué lors de l'examen du texte en première lecture, l'évaluation imposée pourra dans la quasi-totalité des cas être réalisée dans le cadre d'une simple consultation. En outre, votre commission proposera au Sénat un amendement tendant à l'encadrement de la rémunération des évaluations comportementales imposées par la loi, dont l'adoption contribuerait à répondre à cette préoccupation ;

- les dispositions visant les chiens mordeurs sont très positives, mais elles ne suffiront pas à elles seules à assurer un niveau de prévention suffisant. D'une part, comme le craint à juste titre le rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, un certain nombre de morsures, et d'abord les plus bénignes, risquent de ne pas être déclarées. D'autre part, la première morsure peut être très grave, et une évaluation comportementale systématique pourrait contribuer à éviter bien des drames qualifiés d'« inexplicables » mais qui ne sont quelquefois considérés comme tels que faute d'avoir décelé chez l'animal une pathologie ou des troubles consécutifs à un défaut de socialisation ou d'éducation ;

- il est vrai que tous les chiens, même de petite taille, peuvent être dangereux, mais la seule réponse valable à cette objection, qui paraît quelque peu contradictoire avec les autres, serait de généraliser à tous les chiens l'obligation d'évaluation comportementale ;

- enfin, les comportements humains peuvent certes être imprévisibles, mais il paraît difficile d'imaginer qu'à seule fin de se soustraire à l'obligation de le conduire chez le vétérinaire, le propriétaire d'un chien puisse l'abandonner ou l'affamer -ce qui l'exposerait d'ailleurs à des poursuites pour mauvais traitements.

2. Les nouvelles dispositions introduites par l'Assemblée nationale

Les plus importantes portent sur la « légalisation » du fichier national canin et sur la création du permis de détention des chiens de première et deuxième catégories.

a) L'inscription dans la loi du fichier national canin

L'existence du fichier national canin n'a actuellement qu'un fondement réglementaire (art. D. 212-66 du code rural).

Ce fichier, géré par la Société centrale canine, est en cours de modernisation.

L'Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi un article 3 bis (nouveau) destiné à donner une base légale à son existence.

Votre commission approuve cette démarche. Elle vous proposera cependant de modifier la rédaction de cet article pour définir plus précisément les finalités du fichier, les données qui y seront enregistrées (et qui resteront limitées, pour celles qui concernent les propriétaires des chiens, à leur nom et à leur adresse), ainsi que le contenu du décret en Conseil d'Etat qui sera pris, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), pour en déterminer les modalités d'application.

b) Le permis de détention des chiens de première et deuxième catégories

L'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative de M. Eric Ciotti, un amendement proposant une nouvelle rédaction de l'article L. 211-14 du code rural, relatif à la déclaration à laquelle est subordonnée la détention régulière des chiens de première et deuxième catégories ( article 2 bis A [nouveau] ).

Cette nouvelle rédaction tend à remplacer, sans en modifier la nature, ni la composition du dossier que doit produire le demandeur, la procédure de dépôt de déclaration et de la délivrance au déclarant d'un récépissé attestant de ce dépôt par une procédure de délivrance d'un « permis de détention » du chien.

Mais elle a aussi pour objet d'imposer l'obtention de ce permis à toute personne à qui le chien pourrait être confié et cette exigence, dont toutes les conséquences ne semblent pas avoir été bien mesurées, ne paraît pas raisonnable.

Votre commission porte donc une appréciation partagée sur le dispositif adopté par l'Assemblée nationale.

* Le remplacement du récépissé de déclaration par un « permis de détention » doit sans aucun doute être approuvé :

- il est cohérent avec la nouvelle obligation de formation et d'obtention d'une attestation d'aptitude imposée aux détenteurs de chiens de première et deuxième catégories ;

- il va également dans le sens de la responsabilisation des détenteurs de chiens ;

- il ne remet pas en cause l'intérêt -qui s'est malheureusement révélé très relatif- de la déclaration en matière de recensement des chiens de première et deuxième catégories car, comme le récépissé de déclaration, le permis de détention devra être délivré pour chaque chien détenu. Il conviendra d'ailleurs que les titulaires de ce nouveau document en soient bien informés.

Le changement de terminologie proposé ne présenterait donc que des avantages, à condition qu'il ne s'accompagne pas d'un alourdissement inutile des procédures. A cet égard, les dispositions du texte qui pourraient être interprétées comme imposant, pour que le permis demeure « valide », une nouvelle démarche en mairie à chaque rappel de la vaccination antirabique du chien ou après chaque règlement de la prime d'assurance ne sont pas nécessaires pour contrôler le respect d'obligations déjà prévues par le texte en vigueur, et votre commission vous proposera donc de ne pas modifier sur ce point l'article L. 211-14 du code rural.

* En revanche, l'interdiction de confier un chien de première ou deuxième catégorie à une personne non titulaire d'un permis de détention soulève de sérieuses interrogations.

Cette disposition, complétée par la précision que « plusieurs permis de détention peuvent être délivrés pour un seul chien », interdirait en effet à toute personne d'assurer la garde d'un chien, même pendant quelques heures ou quelques jours, ou simplement pour le promener, sans avoir au préalable obtenu un permis.

On mesure les contraintes qui pourraient en résulter :

- en l'absence de précision contraire dans le texte proposé, la délivrance de chaque permis concernant un même chien exigerait le dépôt d'un dossier complet à la mairie de résidence de chaque demandeur ;

- tout membre majeur d'une famille possédant un chien de première ou deuxième catégorie serait en fait obligé d'avoir un permis, et pour cela d'avoir préalablement obtenu une attestation d'aptitude et souscrit une assurance, sauf à ne pouvoir le promener ni en assurer seul la garde quelques heures ou quelques jours sans être en état d'infraction ;

- une personne seule ou vivant avec des enfants mineurs ne pourrait pas, même en cas d'urgence, confier son chien à un parent, un voisin ou un ami s'il n'avait pas de permis de détention.

De telles exigences seraient manifestement inapplicables et leur respect impossible à contrôler.

On doit ajouter que le texte proposé pose aussi le problème de la finalité et du champ d'application de l'obligation de formation.

Cette nouvelle obligation a pour objet de garantir que les maîtres de chiens potentiellement dangereux seront en mesure de les éduquer pour en faire des animaux équilibrés et de prendre les précautions nécessaires pour éviter les accidents et les situations « à risque ». A ce titre, ils devraient notamment savoir qu'ils ne peuvent confier leur chien à une personne qui ne serait pas capable d'en assurer la garde et ils devront d'ailleurs, dans le cas contraire, assumer la responsabilité de leur inconscience.

Par ailleurs, si tout « détenteur occasionnel » d'un chien de première ou deuxième catégories était tenu de suivre une formation et d'obtenir une attestation d'aptitude, la question des capacités d'accueil des structures de formation qui seront nécessaires à l'application de la loi et des délais de leur mise en place se poserait avec une acuité nouvelle.

Enfin, on doit surtout craindre que des dispositions aussi contraignantes aggravent encore les effets pervers de la « catégorisation » :

- en incitant les propriétaires « déclarés » de chiens classés à les abandonner -et les autres à demeurer dans l'illégalité ;

- en encourageant encore le développement déjà inquiétant de la demande qui se porte sur des chiens potentiellement très dangereux, mais dont la détention n'est subordonnée au respect d'aucune obligation.

Pour prévenir ces effets pervers, pour limiter les ambiguïtés de la notion de « détenteur » et pour clarifier la responsabilité des maîtres de chiens dangereux, votre commission vous proposera donc de préciser que les personnes assurant la garde d'un chien de manière temporaire et à la demande de son maître ne seront pas tenues d'être titulaires d'un permis de détention ni d'une attestation d'aptitude.

* 2 Au 1 er octobre 2006.

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