II. UN NOUVEAU SOUFFLE POUR LA POLITIQUE DU HANDICAP
Les crédits en faveur des personnes handicapées, regroupés au sein de l' action « handicap et dépendance » de la mission « Solidarité et intégration » s'élèvent 7,8 milliards d'euros . Ces crédits ne représentent toutefois pas l'intégralité de l'effort de l'Etat dans ce domaine : si l'on ajoute les crédits relevant de la mission « Travail et emploi » au titre des entreprises adaptées, ceux de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » concernant les pensions militaires d'invalidité et ceux de la mission « Enseignement scolaire » relatifs à la scolarisation des élèves handicapés, l'ensemble des dépenses de l'Etat en faveur des personnes handicapées s'élève à 9,3 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2006 .
De plus, dans le domaine du handicap plus que dans tout autre, il convient de rappeler que l'Etat est loin d'être le seul financeur. La dépense publique en faveur des personnes handicapées s'élève en effet à 36,3 milliards d'euros, l'Etat n'assurant que 22 % de cette dépense.
Source : Projet de loi de finances pour 2006, Annexe « Solidarité et intégration »
C'est la raison pour laquelle le présent avis ne se limite pas à apprécier l'effort de l'Etat. Votre commission estime en effet qu'une telle approche serait trop partielle pour rendre compte de la politique en faveur des personnes handicapées : chaque fois que possible, l'analyse portera sur l'ensemble de la dépense publique. La nouvelle présentation budgétaire issue de la LOLF l'y invite d'ailleurs, puisqu'elle retrace, dans son annexe consacrée au programme « Handicap et dépendance », l'intégralité de cet effort public.
A. DONNER DES MOYENS D'EXISTENCE DÉCENTS AUX PERSONNES HANDICAPÉES : UN RÔLE FONDAMENTAL DE L'ETAT
1. L'incertitude sur l'évolution des dépenses d'allocation aux adultes handicapés en 2006
a) Le rattrapage des insuffisances de la dotation pour 2005
Les crédits consacrés à l'allocation aux adultes handicapés (AAH) s'élèvent à 5,2 milliards d'euros dans le projet de budget pour 2006, ce qui représente une augmentation de 7 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2005. Cette année encore, votre commission tient à rappeler qu'une telle progression ne doit pas être, en soi, un motif de satisfaction, dans la mesure où elle signifie qu'un nombre toujours plus important de personnes handicapées ne peut pas vivre de ses revenus d'activité ou reste sans emploi.
Cette hausse importante des crédits ouverts par rapport à 2005 ne signifie toutefois pas qu'une progression à due concurrence des bénéficiaires est attendue pour l'année 2006. En réalité, cette progression est d'abord causée par un nécessaire rebasage de la dotation faisant suite à la sous-estimation des dépenses en 2005 : alors que la loi de finances initiale pour 2005 avait prévu une dotation de 4,8 milliards d'euros, les dépenses réelles se sont montées à 5 milliards d'euros, cette sous-estimation expliquant à elle seule la moitié de la progression des crédits en 2006. La progression réellement imputable à l'année 2006 s'élève en fait à 3,7 %. Hors mesure nouvelle, la croissance spontanée des dépenses tombe même à 1,8 %.
Plusieurs facteurs expliquent ce dérapage par rapport aux prévisions établies lors de l'élaboration du budget :
- le nombre de bénéficiaires a crû de façon plus rapide que prévue : alors que l'hypothèse sur laquelle était fondée la dotation pour 2005 était de + 2,2 % pour le régime général et de - 5 % pour le régime exploitants agricoles, la croissance globale a été de 2,3 %. Cette situation s'explique par la morosité persistante du marché de l'emploi, qui pénalise plus encore que les autres les demandeurs d'emploi handicapés ;
- le coût moyen de l'allocation versée a progressé de 4,8 % au lieu des 1,5 % initialement budgétés : la revalorisation de l'allocation a d'abord été grevée par une inflation plus importante que prévue (2,16 % au lieu de 1,5 %). Par ailleurs, la structure des allocations versées évolue au profit d'un plus grand nombre d'allocations à taux plein (+ 14,2 % depuis 2003), ce qui s'explique une fois encore par le chômage important de la population handicapée et la proportion toujours croissante de personnes sans aucun revenu d'activité. Dans le même temps, le montant moyen des AAH à taux partiel a eu tendance à augmenter, attestant de l'importance du phénomène de travail à temps très partiel chez les personnes handicapées.
Dans ces conditions, votre commission reconnaît l'intérêt de l'indicateur prévu par le projet de loi de finances qui consiste à suivre la proportion d'allocataires de l'AAH percevant un revenu d'activité. Comme les autres minima sociaux, l'AAH ne doit pas enfermer ses bénéficiaires dans l'inactivité et il est nécessaire, tant pour la dignité des personnes concernées que pour la santé de nos finances publiques, de promouvoir l'accès ou le retour à l'emploi des allocataires de l'AAH.
Elle regrette toutefois que la construction de cet indicateur, qui figurait déjà à l'état d'ébauche dans l'avant-projet de projet annuel de performance de l'an passé, n'ait pas été achevée cette année, d'autant plus que les données nécessaires existent dans les fichiers de la Cnaf mais ne sont simplement pas exploitées à ce jour. Votre commission estime également qu'il serait utile, dans un deuxième temps, d'affiner cet indicateur par niveau de revenu d'activité, ainsi qu'en fonction de la durée de présence du bénéficiaire dans le dispositif d'intéressement.
S'agissant du rebasage de la dotation à la suite du dérapage des dépenses en 2005, votre commission ne peut qu'approuver l'effort de clarification budgétaire du Gouvernement. Elle regrette toutefois que cet effort ne soit entièrement abouti, puisqu'il laisse subsister une dette importante de l'Etat à l'égard de la Cnaf : fin 2005, si aucun apurement n'est prévu en loi de finances rectificative, cette dette s'élèvera en effet à 426 millions d'euros.
Dette de l'État à l'égard de la Cnaf au titre de l'AAH
(en millions d'euros)
2002 |
2003 |
2004 |
2005* |
|
Dépenses constatées |
4.430 |
4.577 |
4.812 |
5.068 |
Dotations budgétaires |
4.277 |
4.526 |
4.661 |
4.847 |
Solde annuel |
- 153 |
- 51 |
- 151 |
- 221 |
Ouvertures LFS |
150 |
0 |
101 |
n.c. |
Dette Cnaf cumulée |
- 3 |
- 54 |
- 205 |
n.c. |
* Prévisions
b) La fragilité des hypothèses pour 2006
En ce qui concerne l'évolution des dépenses imputables à la seule année 2006, votre commission ne peut qu'être circonspecte, tant les hypothèses retenues pour la fixation de la dotation lui paraissent fragiles.
Le projet de loi de finances table d'abord sur une progression du niveau des prix de l'ordre de 1,8 % pour déterminer la revalorisation de l'allocation au 1 er janvier prochain. Or, un dérapage est à craindre si l'on tient compte des risques inflationnistes liés à la hausse des prix du carburant.
La structure des allocations servant de base aux prévisions budgétaires paraît, elle aussi, sujette à caution. Le Gouvernement estime en effet que 70 % des AAH versées le sont au titre de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire à des personnes dont le taux d'invalidité est supérieur à 80 %, et 30 % seulement au titre de l'article L. 821-2 qui concerne les personnes dont le taux d'invalidité est compris entre 50 et 80 % mais qui sont dans l'impossibilité de se procurer un emploi du fait de leur handicap. Ces prévisions apparaissent contradictoires avec le fait que, depuis plusieurs années, la proportion des accords d'AAH au titre de l'article L. 821-2 s'élève plutôt à 40 %. Or, les allocations versées sur la base de cet article sont forcément des allocations de montant élevé, puisque qu'elles sont par définition versées à des personnes sans emploi.
Enfin, votre commission reste sceptique quant à la progression attendue du nombre de bénéficiaires de l'AAH : l'hypothèse de quasi-stabilité (+ 0,16 %) retenue par le Gouvernement lui semble particulièrement optimiste dans la mesure où la croissance moyenne annuelle des allocataires s'établit à 2,8 % entre 1996 et 2005.
Le Gouvernement explique cette hypothèse très basse par l'impact attendu des mesures prises en faveur de l'emploi des personnes handicapées dans le cadre de la loi « Handicap », en particulier de l'amélioration du cumul autorisé entre AAH et revenu d'activité, de l'alourdissement des sanctions contre les entreprises qui ne respectent pas l'obligation d'emploi et de la création du fonds d'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.
Il mise également sur une harmonisation des pratiques d'attribution de l'AAH : une mission a ainsi été chargée d'analyser les écarts en termes de taux d'accord d'AAH entre départements et de faire des propositions pour unifier les critères d'attribution de l'allocation. Un premier élément d'harmonisation a vu le jour au dernier trimestre 2005, avec la parution d'un « barème emploi » destiné à encadrer l'évaluation de la condition d'incapacité à se procurer un emploi du fait du handicap, ouvrant droit au bénéfice de l'AAH dans le cadre de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale.
Sur le fond, votre commission approuve naturellement ces mesures, puisqu'elle a contribué à les élaborer au cours de débats sur la loi du 11 février 2005. Mais elle doute qu'elles pourront avoir un impact aussi important dès 2006, compte tenu des inévitables délais de parution des décrets d'application et de montée en charge des nouveaux dispositifs sur le terrain. Elle estime donc qu'un nouveau dérapage des dépenses d'AAH en 2006 est à craindre.