C. QUEL ACCÈS AUX SOINS POUR LES PLUS DÉFAVORISÉS ?
1. Des inégalités persistantes
Malgré la poursuite des efforts de l'Etat et de l'assurance maladie en faveur de l'accès de tous aux soins, sans discrimination géographique ou sociale, les inégalités en la matière persistent.
C'est ce que montre une récente étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur l'état de santé en France en 2003 2 ( * ) , qui s'appuie sur les résultats de l'enquête décennale « santé » de l'Insee réalisée la même année et selon laquelle plus bas sont les niveaux d'éducation et de revenu, plus forts sont les risques que les personnes interrogées indiquent avoir une perception négative de leur santé. Les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) déclarent, par exemple, 20 % d'affections de plus que le reste de la population.
En outre, les dernières données disponibles 3 ( * ) font état d'un écart persistant (six ans et demi pour les hommes et trois ans et demi pour les femmes) en termes d'espérance de vie entre les cadres et professions libérales et les ouvriers. De fait, les progrès médicaux, sanitaires et sociaux ont profité à l'ensemble de la population, mais ils n'ont pas permis aux moins favorisés de rattraper leur retard en matière de santé. Ce qui est vrai pour la mortalité l'est également pour la morbidité : les plus défavorisés sont plus touchés par les naissances prématurées, l'obésité de l'enfant et de l'adulte, les infections bucco-dentaires, les maladies psychiatriques, le diabète, les maladies respiratoires et certains cancers.
Les caractéristiques socio-économiques influent également significativement sur la fréquence des recours aux soins , notamment à la médecine spécialisée : plus le revenu du ménage est faible et moins le niveau d'éducation des personnes qui le composent est élevé, plus la probabilité qu'elles n'aient pas vu de spécialiste dans les douze mois précédant l'enquête s'accroît. Ceci est particulièrement vrai pour les soins dentaires et optiques, très mal dépistés et pris en charge chez les populations les plus précaires. Ce constat, bien que sensiblement moins marqué, est également perceptible concernant le recours au généraliste sur la même période. Il peut être étendu sur ces deux points aux personnes au chômage. On ne se soigne donc pas de la même façon selon son revenu ou son éducation, à la fois pour ce qui est du recours aux soins que du type de soins consommés.
L'association Médecins du monde a confirmé ce constat sur la base de son expérience de terrain, notamment pour les mineurs, les étrangers et les personnes sans domicile.
La France connaît donc une situation paradoxale de l'offre de soins : les plus défavorisés sont dans un état sanitaire moins favorable que la moyenne de la population et ils n'accèdent pas aux soins dans des conditions satisfaisantes au regard de leurs pathologies.
2. Les risques de la réforme de l'AME et de la CMU-C
Face à ce constat, votre commission s'inquiète de deux réformes en cours concernant les dispositifs d'accès aux soins des plus défavorisés : l'aide médicale de l'Etat (AME) pour les étrangers en situation irrégulière et la CMU complémentaire (CMU-C) pour les personnes disposant d'un faible revenu.
L'AME est dotée de 233,5 millions d'euros en 2006 par la mission Solidarité et Intégration, soit un montant stable, alors que les lois rectificatives ont, depuis 2003, complété ces crédits pour les adapter aux besoins réels.
En outre, le décret n° 2005-859 relatif à l'AME et le décret n° 2005-860 relatif aux modalités d'admission des demandeurs d'asile du 28 juillet 2005 risquent d'en restreindre l'accès . La loi de finances rectificative pour 2003 avait déjà conditionné le bénéfice de l'aide à une condition de séjour sur le territoire français de trois mois minimum. Désormais, le demandeur devra s'acquitter de formalités supplémentaires pour prouver son identité et sa résidence, par exemple en faisant traduire des documents étrangers. Par ailleurs, les avantages en nature, en particulier le logement à titre gratuit, seront comptabilisés dans ses ressources. Enfin, les personnes tenues à l'obligation alimentaire à l'égard du demandeur devront prendre en charge certaines prestations relevant jusqu'alors du ressort de l'AME.
Ces mesures font craindre aux associations qui oeuvrent auprès des populations étrangères en grande précarité un recul des droits, notamment parce que le risque est grand de voir ces personnes renoncer à l'aide en raison de la complexité des formalités à accomplir.
Votre commission souhaite donc qu'un bilan soit dressé au terme d'une année d'application de ces décrets, afin qu'ils soient réajustés rapidement si un moindre accès aux soins de ces populations était alors constaté.
Elle s'inquiète également du désengagement de l'Etat dans le financement de la CMU-C . En effet, l'article 89 du projet de loi de finances pour 2006 prévoit une mesure de 21 millions d'euros d'économie sur ce poste grâce à l'alignement du forfait logement pris en compte sur celui du RMI. De fait, 60.000 personnes devraient être exclues du dispositif. On rappellera, par ailleurs, que l'article 36 du projet de loi de financement de la sécurité sociale fait porter l'essentiel du financement de la CMU-C sur les organismes complémentaires.
Si votre commission partage le souci d'économie du Gouvernement en matière de dépenses de santé, elle souhaite que les populations défavorisées n'en soient pas les premières victimes.
* 2 DREES. Etudes et résultats n° 436, octobre 2005.
* 3 DREES. Données sur la situation sanitaire et sociale en France en 2004, novembre 2004.