EXAMEN DES ARTICLES
TITRE PREMIER
DE LA LIBERTÉ DE COMMUNICATION EN LIGNE
CHAPITRE PREMIER A
LES RÉSEAUX
Article premier A
(art. L. 1511-6 et L. 1425-1 nouveau
du code
général des collectivités
territoriales)
Possibilité pour les collectivités
territoriales et leurs groupements
de devenir opérateurs de
télécommunications
Cet
article, inséré par l'Assemblée nationale en
première lecture sur proposition du Gouvernement, sans que la commission
des Affaires économiques ait pu l'examiner, a pour objet de permettre
aux collectivités territoriales et à leurs groupements de devenir
opérateurs de télécommunications.
Sur le plan formel, il tend à insérer dans le titre II
(« Dispositions propres à certains services publics
locaux ») du livre IV (« Services publics
locaux « ) de la première partie
(« Dispositions générales ») du code
général des collectivités territoriales un
chapitre V
intitulé «
Réseaux et
services locaux de télécommunications
» et
comprenant un article L. 1425-1 (
I
).
En conséquence, l'actuel article L. 1511-6 du code
général des collectivités territoriales, figurant dans le
chapitre unique du titre premier (« Aides aux
entreprises ») du livre V (« Dispositions
économiques ») de la même partie, serait abrogé
(
II
).
Ce choix n'est pas neutre.
Les interventions des collectivités
territoriales ne seraient en effet plus considérées comme des
aides aux entreprises mais comme un véritable service public, sans pour
autant constituer un monopole
.
Dans sa décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982,
le Conseil constitutionnel a d'ailleurs rappelé que le droit
reconnu au législateur de créer des services publics ou d'en
autoriser la création ne saurait se traduire par des
« restrictions arbitraires ou abusives » de la
liberté d'entreprendre.
Les délégations de service public déjà
opérées par certaines collectivités seraient ainsi
assurées d'une base juridique solide
. En effet, en l'absence de
reconnaissance législative, la jurisprudence administrative autorise les
assemblées délibérantes des collectivités
territoriales à créer des services publics propres à
satisfaire, dans la limite de leurs compétences, les besoins de la
population
10(
*
)
à
condition, pour ce qui concerne les activités industrielles et
commerciales, de ne pas porter atteinte à la liberté
d'entreprendre, consacrée depuis la loi d'Allarde des 2 et 17 mars 1791.
Depuis le célèbre arrêt « Chambre syndicale du
commerce en détail de Nevers » du 30 mai 1930, le Conseil
d'Etat considère ainsi que, si un besoin de la population n'est pas ou
n'est pas convenablement satisfait du fait de la carence ou de l'insuffisance
de l'initiative privée, la création d'un service public
destiné à répondre à ce besoin n'est pas
constitutive d'une concurrence illégale au secteur privé.
L'article L. 1425-1 nouveau se composerait de
cinq paragraphes
.
1. Les compétences des collectivités territoriales dans
le domaine des télécommunications
• De nouvelles possibilités d'intervention
Le
premier alinéa du
premier paragraphe
(
I)
du
texte proposé par cet article pour insérer un article L.
1425-1
dans le code général des collectivités
territoriales a pour objet de conférer aux collectivités
territoriales et aux établissements publics de coopération locale
la
faculté d'établir et d'exploiter des réseaux de
télécommunications ouverts aux publics
,
et
d'acquérir des droits d'usage
sur de tels réseaux, sous
plusieurs conditions
:
- avoir bénéficié d'un transfert de
compétences à cet effet ;
- avoir réalisé une consultation publique destinée
à recenser les projets et besoins des opérateurs, des entreprises
et de la population ;
- encourager des investissements économiquement efficaces et
promouvoir l'utilisation partagée des infrastructures.
Le
deuxième alinéa
leur reconnaîtrait, en outre, le
droit de
fournir des services de télécommunications au
public
sous la double condition :
- d'avoir procédé à une consultation ;
- que cette consultation ait révélé une insuffisance
d'initiatives privées propres à satisfaire les besoins des
populations et des entreprises.
Rien ne permet de savoir si la collectivité territoriale ou
l'établissement public de coopération locale devrait
procéder à une consultation spécifique pour pouvoir
fournir des services de télécommunications au public ou si la
consultation destinée à recenser les projets et besoins des
opérateurs, des entreprises et de la population suffirait. Rien n'est
indiqué non plus sur les modalités d'organisation de cette
consultation, ni sur la valeur juridique de ses résultats.
Enfin, le
troisième alinéa
imposerait aux
collectivités territoriales et aux établissements publics de
coopération locale de transmettre une description de chacun de leurs
projets et des modalités de leur exécution à
l'
Autorité de régulation des
télécommunications
. Celle-ci aurait la faculté de
donner un
avis public
, dans un délai d'un mois à compter
de la réception du dossier, au regard notamment des conséquences
du projet sur l'exercice d'une concurrence saine et loyale sur le marché
local des télécommunications.
Un avis défavorable de l'Autorité de régulation des
télécommunications pourrait ainsi les dissuader de mettre en
oeuvre leur projet et, à défaut, éclairer le
représentant de l'Etat et le juge administratif dans le cadre du
contrôle de légalité.
• Le droit en vigueur
Rappelons que l'article L. 32 du code des postes et
télécommunications donne d'un
réseau de
télécommunications
la définition suivante :
«
toute installation ou tout ensemble d'installations assurant
soit la transmission, soit la transmission et l'acheminement de signaux de
télécommunications ainsi que l'échange des informations de
commande et de gestion qui y est associé, entre les points de
terminaison de ce réseau
11(
*
)
. »
Il distingue les
réseaux ouverts au public
, définis comme
«
tout réseau de télécommunications
établi ou utilisé pour la fourniture au public de services de
télécommunications
», des
réseaux
indépendants
, qui peuvent être réservés soit
à un
usage privé
- celui de la personne physique ou
morale qui les établit - soit à un
usage
partagé
- celui de plusieurs personnes physiques ou morales
constituées en un ou plusieurs groupes fermés d'utilisateurs
(GFU) en vue d'échanger des communications internes au sein d'un
même groupe. L'Autorité de régulation des
télécommunications définit un groupe fermé
d'utilisateurs comme une «
communauté
d'intérêts préexistante au réseau et stable dans le
temps
».
Enfin, on entend par
opérateur
toute personne physique ou morale
exploitant un réseau de télécommunications ouvert au
public ou fournissant au public un service de télécommunications.
L'Autorité de régulation des télécommunications
distingue cinq niveaux d'activités dans le domaine des
télécommunications :
- l'installation d'équipements passifs ;
- l'installation d'équipements actifs, c'est-à-dire
l'établissement du réseau ;
- l'exploitation technique du réseau ;
- l'exploitation commerciale à destination
d'opérateurs ;
- l'exploitation commerciale à destination d'utilisateurs finals,
c'est-à-dire la fourniture de services au public.
L'article L. 1511-6 du code général des collectivités
territoriales, issu de la loi n° 99-533 du 25 juin 1999
12(
*
)
modifiée par la loi
n° 2001-624 du 17 juillet 2001
13(
*
)
, reconnaît actuellement aux
collectivités locales et aux établissements publics de
coopération locale la
faculté de
créer des
infrastructures destinées à supporter des réseaux de
télécommunications
à condition, d'une part,
d'avoir bénéficié d'un transfert de compétence
à cet effet, d'autre part, d'avoir réalisé une
consultation publique destinée à recenser les besoins des
opérateurs ou utilisateurs. Il leur
interdit
explicitement, en
revanche,
d'exercer les
activités d'opérateur
.
Ces infrastructures peuvent être
mises à disposition
d'opérateurs ou d'utilisateurs par voie conventionnelle
,
«
dans des conditions objectives, transparentes et non
discriminatoires et à des tarifs assurant la couverture des coûts
correspondants, déduction faite des subventions publiques qui, dans
certaines zones géographiques, peuvent être consenties selon des
modalités fixées par décret en Conseil
d'Etat
. » Ce décret n'est toutefois jamais paru.
Il est précisé, d'une part, que la mise à disposition
d'infrastructures par les collectivités ou établissements publics
ne doit pas porter atteinte aux droits de passage dont
bénéficient les opérateurs de
télécommunications autorisés, d'autre part, que les
dépenses et les recettes relatives à la construction, à
l'entretien et à la location de ces infrastructures sont
retracées au sein d'une comptabilité distincte.
Dans un avis rendu le 5 novembre 2002 à la demande du Gouvernement, le
Conseil d'Etat
a rappelé l'interdiction faite aux
collectivités territoriales d'être opérateurs de
télécommunications et considéré que cette
interdiction s'étendait également à la possibilité
de créer des équipements dits « actifs »,
destinés à la transmission du signal, ou d'utiliser des
infrastructures existantes pour déployer des réseaux.
Ainsi, en matière de télécommunications, les
collectivités territoriales sont susceptibles d'effectuer les
opérations suivantes : la fourniture de droits de passage, la
location d'ouvrages de génie civil ou d'infrastructures (fourreaux,
gaines, pylônes, poteaux...), la location de fibres nues, la fourniture
de longueurs d'ondes, la mise à disposition d'infrastructures par nature
actives (mais non activées car c'est l'activation qui confère la
qualité d'opérateur), l'exploitation d'un réseau
indépendant.
En revanche, elles ne peuvent effectuer les activités d'un
opérateur, qu'il s'agisse des services de liaisons louées, des
services de capacités de transmission, des services
téléphoniques, de transmission de données, d'accès
à Internet ou des services à valeur ajoutée.
Désormais, les collectivités territoriales et leurs groupements
auraient la faculté d'exercer l'ensemble de ces activités.
Trois options étaient possibles
:
-
leur
permettre de construire un réseau et de le livrer
« clé en main » à un ou plusieurs
opérateurs
, l'évolution des technologies rendant en effet
désuète la distinction entre les infrastructures passives et
actives ;
-
les autoriser à devenir « opérateurs
d'opérateurs » ou « opérateurs de
réseaux »
, c'est-à-dire à exploiter un
réseau de télécommunications ouvert au public sans pouvoir
fournir des services de télécommunications aux utilisateurs
finals ;
-
leur permettre, comme le propose le présent article,
d'intervenir totalement sur le marché en fournissant également
des services aux utilisateurs finals
.
Votre commission des Lois constate que ce choix répond à une
forte demande des collectivités territoriales.
• La position de la commission des Lois
Les restrictions juridiques actuelles limitent fortement la capacité des
collectivités territoriales à jouer pleinement leur
rôle
d'aménageurs numériques du territoire
et ne sont pas
compatibles avec la nécessité d'accélérer la
diffusion et la démocratisation de l'accès rapide et permanent
à l'Internet. Il s'avère en effet que les investissements des
seuls opérateurs ne permettront pas d'apporter le haut débit
à une partie importante du territoire.
La première option comporterait plusieurs inconvénients
majeurs
: elle risquerait de provoquer l'attentisme des
opérateurs, ces derniers préférant différer leurs
projets jusqu'à ce que les investissements aient été
effectués par les collectivités territoriales ; les
réseaux construits et financés par ces dernières
pourraient rester inemployés ou sous-employés ; elles se
trouveraient en position de faiblesse à l'égard des
opérateurs, puisqu'elles seraient tenues, en tout état de cause,
de leur confier l'exploitation du réseau ; toute possibilité
de délégation de service public serait exclue, une
collectivité territoriale ne pouvant en effet déléguer une
compétence qui ne lui serait pas reconnue ; enfin, en l'absence de
vision d'ensemble, les besoins des opérateurs pourraient ne pas
être suffisamment pris en compte lors de l'établissement des
réseaux.
Permettre aux collectivités territoriales d'exploiter techniquement
des infrastructures au profit des autres opérateurs, en leur interdisant
de fournir elles-mêmes des services au public n'irait pas non plus sans
difficulté
:
- les collectivités territoriales ne pourraient s'assurer que les
fournisseurs de services répondraient aux conditions posées dans
leurs appels d'offres, le réseau ayant été construit en
vain si elles refusaient toutes les candidatures ;
- la dichotomie entre l'exploitation technique et l'exploitation
commerciale risquerait de conduire aux écueils rencontrés par le
« plan câble » ;
- autoriser les collectivités territoriales à fournir des
services aux utilisateurs finals leur permettrait d'avoir un contrôle sur
les stratégies commerciales des fournisseurs de services utilisant leur
réseau, soit parce qu'elles pourraient les concurrencer, soit parce
qu'elles pourraient leur imposer des conditions, par exemple sur les tarifs de
détail à pratiquer, dans le cadre d'une délégation
de service public.
Il est évident que les collectivités territoriales n'ont pas
vocation à fournir des services de télécommunications aux
particuliers et aux entreprises. Mais, le fait de disposer de cette
faculté leur permettrait de « faire pression » sur
les opérateurs de télécommunications afin qu'ils
s'impliquent dans les zones rurales. D'aucuns considèrent qu'il leur
suffirait de pouvoir devenir « opérateurs
d'opérateurs »... Il est toutefois à noter, selon une
étude réalisée par la Caisse des dépôts et
consignations, que la plupart des pays européens autorisent les
collectivités territoriales à exercer les activités
d'opérateurs de télécommunications
14(
*
)
.
Si elle souscrit aux objectifs du présent article, votre commission des
Lois juge excessivement lourdes les conditions auxquelles seraient soumises les
interventions des collectivités territoriales en matière de
télécommunications.
En premier lieu, la mention selon laquelle les collectivités
territoriales et les établissements publics de coopération locale
auraient la faculté d'établir et d'exploiter des réseaux
de télécommunications ouverts aux publics, et d'acquérir
des droits d'usage sur de tels réseaux, à condition d'avoir
bénéficié d'un transfert de compétences à
cet effet n'a pas de sens.
Les collectivités territoriales tiennent en effet leurs
compétences de la loi. Le présent article a
précisément pour objet de leur reconnaître des
capacités d'intervention accrues en matière de
télécommunications. Renvoyer à une autre loi le soin de
déterminer les collectivités compétentes ajouterait
à la confusion. De surcroît, le terme de transfert de
compétences paraît impropre dans la mesure où l'Etat
lui-même ne détient aucune compétence en la matière.
Il convient donc de supprimer cette condition, toutes les collectivités
territoriales (communes, départements, régions,
collectivités à statut particulier) étant alors
habilitées à intervenir en matière de
télécommunications.
En deuxième lieu, il semble préférable d'imposer aux
collectivités territoriales désirant établir et exploiter
des réseaux de télécommunications ouverts aux publics,
acquérir des droits d'usage sur de tels réseaux ou fournir des
services de télécommunications au public un simple devoir
d'information préalable plutôt qu'une obligation de consultation.
Comme on l'a vu, rien n'est indiqué sur les modalités de la
consultation ni sur la valeur juridique de ses résultats, alors
même que son organisation constituerait une lourde charge pour les
collectivités territoriales. Faute d'être définie
précisément, cette obligation pourrait susciter d'importants
contentieux. Le recours à la procédure de l'enquête
publique qui, elle, est bien définie, eût constitué une
solution juridiquement acceptable mais une lourde contrainte pour les
collectivités territoriales, alors que la « réduction
de la fracture numérique » constitue un impératif
rappelé par le Président de la République.
La publication du projet de la collectivité territoriale dans un
journal d'annonces légales deux mois au moins avant sa mise en oeuvre
permettrait aux entreprises du secteur privé de réagir et
à la collectivité, au vu de ces réactions, d'amender son
projet ou même de le retirer si des alternatives de qualité
étaient proposées.
S'agissant de la fourniture de services de télécommunications au
public, avec laquelle les collectivités territoriales ne sont
guère familiarisées, il semble préférable de
n'autoriser leur intervention qu'en cas d'insuffisance de l'initiative
privée, cette exigence étant traditionnellement requise par le
juge administratif pour autoriser les collectivités territoriales
à intervenir dans le domaine concurrentiel.
Par ailleurs, permettre à l'Autorité de régulation des
télécommunications d'émettre un avis public sur les
projets des collectivités territoriales soulèverait deux
difficultés dirimantes. En premier lieu, il paraît
extrêmement contestable qu'une autorité administrative
indépendante puisse mettre en cause le bien fondé de
décisions prises par des assemblées élues au suffrage
universel. En second lieu, l'Autorité de régulation des
télécommunications se trouverait placée en position de
juge et partie, en contradiction avec le droit à un procès
équitable reconnu par la convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales : elle serait
appelée à se prononcer, avant la réalisation du projet de
la collectivité territoriale, sur ses conséquences
éventuelles sur la concurrence puis, une fois le réseau
établi et exploité, sur les différends entre un
opérateur de télécommunications et la collectivité.
Comment pourrait-elle examiner en toute impartialité un tel
différend alors même qu'elle aurait quelques mois auparavant
validé, même implicitement, le projet de la collectivité
territoriale ?
En dernier lieu, s'agissant d'une faculté laissée aux
collectivités territoriales et non de l'extension d'une
compétence devant obligatoirement être exercée,
contrairement à la décentralisation du revenu minimum
d'insertion, il paraît justifié de ne pas prévoir une
compensation par l'Etat des charges nouvelles qu'elles pourraient supporter.
Dans le cadre d'un
amendement de récriture
du texte
proposé pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales, votre commission
des Lois vous propose, au premier paragraphe :
- de substituer le terme de groupement, employé dans la
Constitution, à celui d'établissement public de
coopération locale ;
- de permettre aux collectivités territoriales et à leurs
groupements non seulement d'acquérir des droits d'usage sur les
réseaux existants mais également d'acheter de tels
réseaux ;
- par coordination avec la position retenue par la commission des Affaires
économiques, saisie au fond du présent projet de loi, de
n'autoriser les collectivités territoriales à exercer une
activité d'opérateur de télécommunications,
c'est-à-dire exploiter un réseau de
télécommunications ouvert au public ou fournir des services de
télécommunications au public, qu'après avoir
constaté une insuffisance d'initiatives privées propres à
satisfaire les besoins des utilisateurs et en avoir informé
l'Autorité de régulation des
télécommunications ;
- de substituer une obligation d'information dans un journal d'annonces
légales à celle d'une consultation publique aux contours
incertains, le projet ne pouvant être mis en oeuvre qu'au terme d'un
délai de deux mois à compter de cette publication ;
- de maintenir une obligation de transmission des projets des
collectivités territoriales et de leurs groupements à
l'Autorité de régulation des télécommunications
mais de supprimer toute possibilité d'avis public, afin d'éviter
que l'autorité ne se prononce sur le bien fondé de
décisions prises par des assemblées élues au suffrage
universel et ne devienne juge et partie.
2. Les modalités d'intervention des collectivités
territoriales en tant qu'opérateurs de
télécommunications
Le
deuxième paragraphe
(
II
) du texte proposé par
cet article pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales a pour objet
d'encadrer les modalités d'intervention des collectivités
territoriales et de leurs groupements en tant qu'opérateurs,
c'est-à-dire pour l'exploitation d'un réseau de
télécommunications ouvert au public ou pour la fourniture au
public d'un service de télécommunications.
Aux termes du
premier alinéa
, ils seraient soumis aux mêmes
droits et obligations, déterminés par le code des postes et
télécommunications, que tout autre opérateur.
Dans l'attente de la transposition de la directive 2002/20/CE du 7 mars
2002, dite directive « autorisation », qui prévoit
un régime général d'autorisations portant sur l'ensemble
des réseaux et services ouverts au public ainsi que sur les
réseaux indépendants, il leur faudrait donc obtenir une licence,
individuelle et incessible. Les collectivités territoriales et leurs
groupements devraient également acquitter des taxes et des redevances,
et contribuer au Fonds de financement du service universel. Ils seraient soumis
au contrôle de l'Autorité de régulation des
télécommunications. Si ces contraintes sont rigoureuses, il
semble difficile d'en exonérer les collectivités territoriales,
sous peine de fausser le jeu de la concurrence.
Conformément aux exigences de la directive 2002/21/CE du
7 mars 2002, dite directive « cadre », le
deuxième alinéa
dispose que l'établissement et
l'exploitation des réseaux de télécommunications devraient
faire l'objet d'une
comptabilité distincte
retraçant les
dépenses et les recettes afférentes à ces activités.
Il ajoute qu'une
séparation juridique
effective entre ces
activités et «
la fonction responsable de l'octroi des
droits de passage destinés à permettre l'établissement de
réseaux ouverts au public
» devrait être garantie.
Les collectivités territoriales seraient en effet à la fois
utilisateurs de services de télécommunications, gestionnaires du
domaine public et opérateurs de télécommunications. Il
convient donc d'éviter qu'une collectivité, lorsqu'elle
délivre des permissions de voirie, ne soit tentée
d'empêcher un opérateur de concurrencer ses activités de
fourniture de services de télécommunications.
L'article 11 de la directive 2002/21/CE du 7 mars 2002 relative à un
cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de
télécommunications électroniques prévoit que
«
les Etats membres veillent à ce que, lorsque des
autorités locales conservent la propriété ou le
contrôle d'entreprises exploitant des réseaux et/ou des services
de communication électroniques, il y ait une séparation
structurelle effective entre la fonction de responsable de l'octroi des droits
visés au paragraphe 1
[des droits de passage]
et les
activités associées à la propriété et au
contrôle
. »
Dans un avis rendu le 1
er
décembre 1998 sur un projet de
circulaire relative aux interventions des collectivités territoriales
dans le secteur des télécommunications, le Conseil de la
concurrence avait indiqué que
«
les collectivités territoriales ne sauraient en
outre désigner un gestionnaire d'infrastructure qui soit lui même
un opérateur de réseau ouvert au public, ou ayant des
intérêts directs ou indirects dans un opérateur de
réseau ouvert au public. [...] A cet égard, une séparation
physique des moyens d'exploitation pour cette nouvelle activité
permettrait d'éliminer d'éventuelles distorsions de concurrence
et clarifierait l'appréciation des coûts d'exploitation
15(
*
)
. »
Dans le cadre de l'
amendement de réécriture
du texte
proposé pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales, votre commission
des Lois vous propose, au deuxième paragraphe, outre des modifications
rédactionnelles, de préciser que les activités
d'opérateur de télécommunications seraient exercées
par une personne morale distincte de celle chargée de l'octroi des
droits de passage destinés à permettre l'établissement de
réseaux de télécommunications ouverts au public,
conformément à l'obligation d'une séparation structurelle
posée par le droit communautaire. Concrètement cela signifie
qu'une collectivité territoriale devrait créer une régie
dotée de la personnalité morale et non une régie
dotée simplement de l'autonomie financière.
3. Le règlement des différends
Le
troisième paragraphe (III)
du texte proposé par cet
article pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales a pour objet
de confier à l'
Autorité de régulation des
télécommunications
le
règlement des
différends relatifs aux conditions techniques et tarifaires
d'établissement, de mise à disposition et de partage des
réseaux de télécommunications
établis par les
collectivités territoriales ou leurs groupements.
Le
premier alinéa
ouvre à ces derniers, ainsi qu'aux
exploitants des réseaux qu'ils auraient établis ou acquis un
droit de saisine de l'Autorité dans les conditions prévues
à l'article L. 36-8 du code des postes et
télécommunications.
Cet article confie à l'Autorité de régulation des
télécommunications le soin de régler les différends
portant sur :
- un refus d'interconnexion, l'échec de négociations
commerciales ou la conclusion ou l'exécution d'une convention
d'interconnexion ou d'accès à un réseau de
télécommunications ;
- les conditions de la mise en conformité des conventions
comportant des clauses excluant ou restreignant la fourniture de services de
télécommunications ;
- les possibilités et les conditions d'une utilisation
partagée entre opérateurs d'installations existantes
situées sur le domaine public et d'installations existantes
situées sur une propriété privée ;
- les conditions techniques et financières de la fourniture des
listes d'abonné.
L'autorité se prononce, par une décision motivée,
après avoir mis les parties à même de présenter
leurs observations. En cas d'atteinte grave et immédiate aux
règles régissant le secteur des télécommunications,
elle peut, après avoir entendu les parties en cause, ordonner des
mesures conservatoires en vue notamment d'assurer la continuité du
fonctionnement des réseaux. L'autorité rend publiques ses
décisions, sous réserve des secrets protégés par la
loi. Elle les notifie aux parties.
Les décisions prises par l'Autorité de régulation des
télécommunications peuvent faire l'objet d'un recours en
annulation ou en réformation dans le délai d'un mois à
compter de leur notification. Le recours n'est pas suspensif. Toutefois, le
sursis à exécution de la décision peut être
ordonné, si celle-ci est susceptible d'entraîner des
conséquences manifestement excessives ou s'il est survenu,
postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une
exceptionnelle gravité. Les mesures conservatoires prises par
l'Autorité de régulation des télécommunications
peuvent, au maximum dix jours après leur notification, faire l'objet
d'un recours en annulation ou en réformation. Ce recours est jugé
dans le délai d'un mois.
Les
recours
contre les décisions et mesures conservatoires prises
par l'Autorité de régulation des télécommunications
sont de la compétence de la
cour d'appel de Paris
.
Le
deuxième alinéa
dispose que les collectivités
territoriales, leurs groupements ou les exploitants des réseaux qu'ils
auraient établis ou acquis seraient tenus de
transmettre à
l'Autorité de régulation des
télécommunications
, sur sa
demande
:
- les
conditions techniques et tarifaires
faisant l'objet du
différend ;
- la
comptabilité
retraçant les dépenses et
recettes afférentes aux activités exercées.
Dans le cadre de l'
amendement de réécriture
du texte
proposé pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales, votre commission
des Lois vous demande, au troisième paragraphe :
- de substituer le terme de « groupements » à
celui d'« établissements publics de coopération
locale » ;
- d'ouvrir le
droit de saisine de l'Autorité de
régulation des télécommunications
non seulement aux
collectivités territoriales, à leurs groupements et aux
exploitants de leurs réseaux mais également
à tout
opérateur
ayant un différend avec eux - il serait en
effet anormal qu'en cas de différend opposant une collectivité
territoriale à un opérateur privé, seule la
première puisse saisir l'autorité ;
- de préciser que l'Autorité de régulation des
communications serait saisie des différends relatifs aux conditions
techniques et tarifaires d'exercice d'une activité d'opérateur de
télécommunications ou d'établissement, de mise à
disposition ou de partage des réseaux et infrastructures de
télécommunications visés au I.
4. Couverture en téléphonie mobile des « zones
blanches » - Aides des collectivités territoriales aux
opérateurs de télécommunications
Le
quatrième paragraphe (IV)
du texte proposé par cet
article pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales a pour objet de
prévoir la mise à disposition des opérateurs titulaires
d'une autorisation d'exploitation, selon les conditions techniques et
tarifaires fixées par décret en Conseil d'Etat, des
infrastructures de réseau destinées, dans les zones qui ne sont
desservies par aucun opérateur de téléphonie mobile,
à assurer une couverture conforme à un plan géographique
approuvé par l'Autorité de régulation des
télécommunications.
Cette disposition trouverait davantage sa place à l'article premier B du
présent projet de loi relatif à la couverture en
téléphonie mobile des zones blanches et reprenant les
dispositions de la proposition de loi adoptée par le Sénat
le 24 octobre 2002 à l'initiative de notre collègue Bruno
Sido.
Dans le cadre de l'
amendement de réécriture
du texte
proposé pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales, votre commission
des Lois vous demande :
- de disjoindre les dispositions du quatrième paragraphe ;
- de les remplacer par un
dispositif autorisant les
collectivités territoriales à apporter une aide directe ou
indirecte aux opérateurs de télécommunications
, afin
qu'ils interviennent sur leur territoire.
En effet, contrairement à l'actuel article L. 1511-6 du code
général des collectivités territoriales, le texte
proposé pour y insérer un article L. 1425-1 autorise les
collectivités locales et leurs groupements à se substituer
à une initiative privée défaillante mais non à
subventionner des opérateurs afin qu'ils réalisent des
opérations jugées non rentables.
Plutôt que de concurrencer les entreprises privées, au risque de
déstabiliser un secteur fragilisé, les collectivités
territoriales doivent avoir la possibilité de les aider à
investir.
Le dispositif proposé par votre commission des Lois consiste donc
à permettre aux collectivités territoriales et à leurs
groupements, quand les conditions économiques ne permettent pas la
rentabilité de l'établissement de réseaux de
télécommunications ouverts au public ou d'une activité
d'opérateur de télécommunications :
- de mettre leurs réseaux de télécommunications
à disposition des opérateurs à un prix inférieur au
coût de revient selon des modalités transparentes et non
discriminatoires ;
- ou de compenser des obligations de service public par des subventions
accordées dans le cadre d'une délégation de service public
ou d'un marché public.
Bien entendu, ces aides directes et indirectes devraient respecter les
règles communautaires régissant les aides d'Etat. Les conditions
posées répondent, au demeurant, aux critères posés
par la Cour de justice des Communautés européennes dans un
arrêt du 22 novembre 2001, Ferring SA. S'agissant d'aides à la
mise en oeuvre d'un service public, elles ne seraient pas soumises à
l'obligation de notification à la Commission européenne.
5. Exclusion des réseaux câblés
Le
cinquième et dernier paragraphe (V)
du texte proposé
par cet article pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales a pour objet de
laisser inchangé le régime applicable aux réseaux
câblés et aux services de télécommunications fournis
sur de tels réseaux.
Selon les indications recueillies par votre rapporteur pour avis, ces
modifications seraient réalisées par le projet de loi transposant
les directives du « paquet télécom ».
L'objet de cette disposition est, en fait, de valider les activités de
fourniture de services de télécommunications des
opérateurs des réseaux câblés.
Les réseaux câblés sont en effet soumis, selon qu'ils sont
utilisés pour fournir des services audiovisuels ou des services de
télécommunications, à deux régimes juridiques
distincts et parfois difficiles à concilier.
Les réseaux distribuant par câble des services de radiodiffusion
sonore et de télévision sont des réseaux de
télécommunications régis, pour l'essentiel, par l'article
34 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la
liberté de communication, les réseaux du plan câble
étant régis par le loi du 29 juillet 1982 sur la
communication audiovisuelle.
Cet article dispose que les communes autorisent l'établissement sur leur
territoire de réseaux distribuant par câble des services de
radiodiffusion sonore et de télévision.
Dans un certain nombre de cas, les communes exploitent elles-mêmes ou par
l'intermédiaire de sociétés d'économie mixte un
réseau câblé fournissant des services audiovisuels.
Aux termes de l'article L. 34-4 du code des postes et
télécommunications, la fourniture des services de
télécommunications hors service téléphonique sur
les réseaux câblés est soumise, après information de
la commune ayant autorisé le réseau, à déclaration
auprès de l'Autorité de régulation des
télécommunications.
La fourniture du service téléphonique sur les réseaux
câblés est, quant à elle, soumise à l'autorisation
du ministre chargé des télécommunication après
instruction de l'Autorité et consultation de la commune ou de
l'établissement public de coopération intercommunale ayant
établi le réseau ou autorisé son établissement.
Par ailleurs, l'article L. 1511-6 du code général des
collectivités locales ne permet pas aux collectivités locales
d'exercer une activité d'opérateur de réseau ou de
services de télécommunications au public.
Les collectivités territoriales sont ainsi confrontées à
la coexistence de deux cadres juridiques distincts, l'un leur reconnaissant des
droits spécifiques dans le domaine des services audiovisuels, l'autre
prévoyant un régime de liberté pour les activités
de télécommunications, qui leur interdit d'intervenir dans le
domaine des services de télécommunications sur le câble.
L'Autorité de régulation des télécommunications
souligne ainsi que :
«
L'objectif qui doit être poursuivi consiste à
simplifier le droit en distinguant le régime juridique des
réseaux et celui des services, de sorte qu'un même réseau
ne puisse être soumis en même temps à deux régimes
juridiques. Les réseaux câblés étant des
réseaux de télécommunications, il serait naturel que le
droit des télécommunications s'y applique, à tout le moins
pour la création de nouveaux réseaux et pour la fourniture de
services de télécommunications sur les réseaux
existants
.
«
Il faudra sans doute envisager rapidement la possibilité
d'une harmonisation complète du régime juridique, s'appliquant
également aux réseaux existants. En effet, les
collectivités ou les organismes qui en dépendent n'étant
pas autorisés à fournir des services de
télécommunications, il n'est pas possible aujourd'hui, pour les
communes qui exploitent déjà des réseaux
câblés, de fournir des services d'accès à Internet
ou le service téléphonique sur ces réseaux. Dans ce cas,
il serait sans doute préférable, dans l'intérêt
même de la commune et pour répondre aux besoins de ses
administrés, que celle-ci ne continue pas à exploiter
elle-même son réseau, voire s'en dessaisisse, moyennant juste
rémunération, au profit d'un opérateur privé, afin
que ses administrés puissent effectivement bénéficier de
ces nouveaux services
.
«
La question mérite d'être examinée avec soin
compte tenu des difficultés juridiques qui s'y attachent. Elle
favoriserait à tout le moins le développement des services de
télécommunications sur les réseaux câblés
actuellement détenus et exploités, directement ou indirectement,
par des collectivités territoriales. Une telle solution contribuerait
ainsi à l'aménagement du territoire et au développement
des communes concernées
16(
*
)
. »
Dans le cadre de l'
amendement de réécriture
du texte
proposé pour insérer un article L. 1425-1 dans le code
général des collectivités territoriales, votre commission
des Lois vous demande, au cinquième paragraphe, de réparer un
oubli.
6. Dispositions transitoires
Votre commission des Lois vous soumet un
amendement
destiné
à assurer la sécurité juridique des infrastructures
destinées à supporter des réseaux de
télécommunications créées par les
collectivités territoriales en application de l'article L. 1511-6
du code général des collectivités territoriales que le
présent article tend à abroger.
7. Coordination
Votre commission des Lois vous soumet un
amendement de coordination
avec
les dispositions du III de l'article L. 1425-1 nouveau du code
général des collectivités territoriales, ayant pour objet
de modifier l'article L. 36-8 du code des postes et
télécommunications relatif aux compétences de
l'Autorité de régulation des télécommunications,
afin de prévoir sa saisine sur les différends relatifs aux
conditions techniques et tarifaires d'exercice d'une activité
d'opérateur de télécommunications ou
d'établissement, de mise à disposition ou de partage des
réseaux et infrastructures de télécommunications par les
collectivités territoriales et leurs groupements.
Votre commission des Lois a donné un
avis favorable
à
l'adoption de l'article premier A
ainsi modifié
.