III. LA DÉCENTRALISATION : LA NÉCESSITÉ DE FRANCHIR UNE NOUVELLE ÉTAPE
Les
trois dernières années se caractérisent à la fois
par une recentralisation croissante des ressources des collectivités
locales et l'accélération de la réflexion sur l'avenir de
la décentralisation.
Le rapport établi par notre collègue Michel Mercier au nom
de la
mission d'information
présidée par notre
collègue Jean-Paul Delevoye, a dressé un bilan complet et
clairement mis en évidence les pistes qui devraient être
poursuivies pour permettre l'émergence d'une
«
République territoriale
».
A la suite des conclusions du rapport de la
commission pour l'avenir
de la décentralisation
, présidée par notre
collègue Pierre Mauroy, le Gouvernement a, pour sa part, annoncé
la mise en chantier d'un certain nombre de réformes par la voie
législative ou réglementaire. Lors du débat d'orientation
sur la nouvelle étape de la décentralisation, organisé
à l'Assemblée nationale le 17 janvier 2001, le Premier ministre a
ainsi affirmé six priorités : la rénovation des
institutions locales, l'approfondissement de la démocratie locale, un
meilleur partage des compétences, la modernisation des finances locales
sur la base d'un rapport à paraître avant la fin de
l'année, la réforme de la fonction publique territoriale, et
l'approfondissement de la déconcentration.
Le Gouvernement a déposé un projet de loi relatif à la
démocratie de proximité, adopté par l'Assemblée
nationale au mois de juin dernier. Ce texte sera examiné par le
Sénat au mois de janvier prochain.
Le Sénat et l'Assemblée nationale avaient, sans attendre,
adopté des propositions de loi visant à relancer la
décentralisation. La proposition de loi constitutionnelle relative
à la libre administration des collectivités territoriales et
à ses implications fiscales et financières, signée par le
Président Christian Poncelet et nos collègues Jean-Paul Delevoye,
Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin, adoptée
par le Sénat le 26 octobre 2000, propose d'inscrire dans la Constitution
le principe d'un financement majoritaire des collectivités locales par
la fiscalité. Celle présentée par M. Pierre
Méhaignerie et adoptée par l'Assemblée nationale le 16
janvier 2001, vise à instituer un droit à
l'expérimentation au bénéfice des collectivités
locales.
Dans le cadre du présent avis, votre commission des Lois examinera
trois questions essentielles
pour la décentralisation : les
conditions d'exercice des mandats locaux pour lesquelles certains
progrès, enregistrés sous l'impulsion du Sénat, doivent
être amplifiés, la réforme de l'intercommunalité et
l'avenir du système de financement local.
A. L'AMÉLIORATION PROGRESSIVE DES CONDITIONS D'EXERCICE DES MANDATS LOCAUX
Depuis
plusieurs années, le Sénat a fait de la sécurité
juridique des mandats un thème prioritaire de ses réflexions et a
pris dans ce domaine des initiatives. Mettre en place un
environnement
juridique sûr
apparaît, en effet, indispensable pour
éviter un
découragement
de beaucoup d'élus locaux,
périlleux pour notre démocratie locale.
Avant d'évoquer brièvement la question du
« statut » de l'élu, qui sera à nouveau
examinée par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif
à la démocratie de proximité, votre rapporteur souhaite
jeter un regard sur deux réformes importantes survenues en 2001. La
première, réglementaire, est l'entrée en vigueur d'un
nouveau code des marchés publics ; la seconde, législative
et à laquelle le Sénat a apporté une contribution
décisive, concerne les chambres régionales des comptes.
1. L'entrée en vigueur du nouveau code des marchés publics
Le
nouveau code des marchés publics, fruit d'une réflexion
engagée en 1995 et d'une large concertation avec les associations
d'élus et les entreprises, est entré en vigueur le 9 septembre
2001.
Le décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 auquel il est annexé
prévoit, en effet, qu'il entrera en vigueur six mois après sa
publication, sauf pour les dispositions afférentes à la
computation des seuils, qui ne prendront effet qu'à compter du
1
er
janvier 2002.
L'ensemble de la réforme a une portée considérable puisque
les dépenses d'achat des administrations publiques (Etat,
collectivités territoriales, sécurité sociale)
s'élevaient en 1999 à 746,1 milliards de francs soit
15,7 % des dépenses des administrations publiques et 8,5 % du
produit intérieur brut. Dans cet ensemble,
le montant des
marchés publics
s'élève à
191 milliards
de francs
,
60 % étant passés par les
collectivités locales
.
En moyenne annuelle, sur la période 1995-1998, les collectivités
locales ont ainsi passé 188.600 marchés, d'un montant moyen
de 700.000 francs, et l'Etat 39.900 marchés, d'un montant moyen de
2,3 millions de francs.
Il convient de souligner que le nouveau code des marchés publics
pourrait subir des modifications prochaines, en raison de la refonte des
directives communautaires tendant à la coordination des
procédures de passation des marchés publics de fournitures,
services et travaux
15(
*
)
.
La réforme du code des marchés publics s'est opérée
autour de deux axes majeurs : la clarification des textes et la
simplification des procédures.
a) La clarification des textes
Sur le
plan formel, les règles du nouveau code des marchés publics sont
désormais présentées suivant l'ordre chronologique de la
passation d'un marché, à savoir de la définition des
besoins à son exécution. Par ailleurs, les dispositions
afférentes à la passation des marchés de l'Etat et des
collectivités locales ont été fusionnées, ce qui a
permis de réduire le nombre d'articles à 136 au lieu de 399.
Sur le fond, les dispositions de ce texte définissent aussi
précisément que possible tant le champ d'application du code que
les procédures de passation à mettre en oeuvre. De telles
définitions sont de nature à lever les interrogations et les
interprétations divergentes générées par
l'imprécision des articles du précédent code. Les
marchés d'entreprise de travaux publics sont supprimés.
De plus, les modalités de computation des seuils, jusqu'alors sources de
nombreuses contestations, sont désormais précisées par
l'article 27 du nouveau code des marchés publics. La notion de
fournitures ou de prestations de services homogènes étant au
coeur de l'appréciation de tous les seuils fixés dans le code, il
est indiqué que ce caractère homogène sera
apprécié par référence à une nomenclature
définie par arrêté interministériel.
Le code vise ainsi à fournir aux élus locaux un recueil clair et
synthétique des principales règles applicables à la
passation et à l'exécution d'un marché public.
b) La simplification des procédures
Les
modalités de passation des marchés publics sont fonction, soit du
montant du marché, soit de sa nature.
S'agissant des modes de passation des marchés en raison de leur montant,
le code adopte désormais une structure simple à trois
étages. Il prévoit le relèvement du seuil des achats
passés sans formalisme à 90.000 euros HT au lieu de 300.000
francs TTC. Au-delà de ce seuil s'applique une procédure
simplifiée qui combine la transparence de l'appel d'offres et les
avantages du marché négocié
16(
*
)
. A partir des seuils communautaires,
c'est-à-dire 200.000 euros HT pour les collectivités locales, il
convient de recourir à l'appel d'offres. Dès lors, la
superposition entre appels d'offres au plan communautaire et au plan national
disparaît. Cette mesure de simplification est de nature à limiter
les contraintes de procédure qui pesaient jusqu'alors sur les petits
marchés des collectivités locales.
Il sera cependant toujours possible de recourir à la procédure du
marché négocié, notamment en cas d'urgence
impérieuse résultant de circonstances imprévisibles telles
que celles rencontrées lors des tempêtes de fin décembre
1999.
Par ailleurs, en ce qui concerne les modalités de passation des
marchés en raison de leur nature, les dispositions du nouveau code
prévoient que les services récréatifs, culturels et
sportifs, sociaux, sanitaires, d'éducation, de qualification ou
d'insertion professionnelle peuvent être passés selon une
procédure allégée de tout formalisme.
Désormais, il sera possible de prendre en compte les conditions sociales
et environnementales de l'exécution d'un marché public (mais non
les utiliser comme critère de choix des candidats)
17(
*
)
. La règle du
choix du
« mieux disant »
plutôt que du « moins
disant » est affirmée (principe du choix de l'offre
économiquement la plus avantageuse). Dans l'objectif d'une ouverture
à l'innovation, les entreprises candidates pourront proposer des
variantes de nature à améliorer le projet de l'administration.
Afin d'ouvrir
les marchés aux petites et moyennes entreprises
et aux artisans, le contrôle de la régularité de la
situation sociale et fiscale des sociétés est simplifié et
la retenue de garanties allégée. Les collectivités
publiques devront s'engager contractuellement sur des
délais de
paiement
globaux auprès de leurs fournisseurs, tout retard de
paiement étant sanctionné automatiquement par le versement
d'intérêts moratoires. Enfin, l'accès des petites et
moyennes entreprises à la commande publique devrait être
facilité par l'encouragement du recours à l'allotissement et au
groupement des offres.
c) La nécessité d'une réforme législative
Votre
commission des Lois se félicite de l'entrée en vigueur du nouveau
code des marchés publics, tout en regrettant que le Parlement n'ait pas
été associé à cette réforme essentielle.
Certes, le code des marchés publics était une construction
entièrement réglementaire en vertu, d'ailleurs, de textes forts
anciens
18(
*
)
, tous
antérieurs
à la Constitution de la
V
ème
République qui instaure
un partage
constitutionnel entre domaine de la loi et domaine réglementaire
.
Comme le soulignait notre collègue Pierre Jarlier dans son rapport pour
avis sur le projet de loi portant mesures urgentes de réformes à
caractère économique et financier, l'un des aspects les plus
importants d'une véritable réforme de la commande publique
eût été le
reclassement des règles
entre les
principes fondamentaux, qui sont du ressort de la
loi
, les
mécanismes d'application d'ordre public, qui relèvent du
décret
, et les règles supplétives, qui peuvent
trouver place dans de simples recommandations.
La réforme du code des marchés publics, comme l'a montré
le projet de loi déposé en 1997 par le Gouvernement de M. Alain
Juppé, était l'occasion de
donner une valeur
législative
aux
principes
qui gouvernent l'achat public par
l'Etat et ses établissements publics, par parallélisme avec ce
qui était
constitutionnellement
nécessaire pour les
marchés des collectivités territoriales.
En effet, le Conseil d'Etat a jugé, dans un arrêt du 29 avril
1981
19(
*
)
, que
les
dispositions du code des marchés publics applicables aux
collectivités locales relevaient du domaine de la loi.
Ce changement de fondement juridique pouvait sembler justifié car la
réglementation des marchés constitue, en pratique, une
organisation de la liberté du commerce et de l'industrie. Ainsi, par
exemple, des principes d'appel public à la concurrence et
d'égalité de traitement des candidats, dont il pouvait sembler
utile que la loi les explicitât pour l'Etat, comme elle doit le faire
pour les collectivités locales.
Le Gouvernement n'en a pas jugé ainsi, qui a simplement proposé,
lors de l'examen du projet de loi portant mesures urgentes de réformes
à caractère économique et financier, de reprendre dans la
loi la définition jurisprudentielle de la notion de
délégation de service public et de qualifier d'administratifs
tous les contrats soumis au code des marchés publics.
Ce projet de loi, adopté définitivement par l'Assemblée
nationale le 20 novembre dernier, prévoit également
d'autoriser les présidents des conseils généraux et
régionaux, par délégation de l'assemblée
délibérante, à passer des marchés d'un montant
inférieur à 90.000 euros HT et, d'autre part, de ne plus rendre
obligatoire la transmission au préfet, dans le cadre du contrôle
de légalité, les marchés publics des collectivités
locales d'un montant inférieur à 90.000 euros HT, en
cohérence avec la nouvelle définition des modes de passation et
des seuils.
Votre commission regrette, enfin,
l'absence
d'une
réforme d'ensemble de la commande publique
qui eût permis
de rassembler dans un même code l'ensemble des règles dans ce
domaine qu'il s'agisse, par exemple, des dispositions relatives aux
délégations de service public ou des dispositions de la loi
n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage
publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre
privée.
2. La réforme des chambres régionales des comptes
Les
chambres régionales des comptes ont été
créées par la loi n° 82-213 du 2 mars 1982
relative aux droits et libertés des communes, des départements et
des régions, en contrepartie du renforcement des pouvoirs dévolus
aux collectivités locales et de la suppression de la tutelle
préfectorale sur leurs actes.
Elles remplissent une triple mission : le
jugement des comptes
,
qui est leur seule attribution juridictionnelle, le contrôle des
actes budgétaires et l'examen de la gestion des collectivités
territoriales. Corollaire indispensable de la décentralisation, ce
contrôle représente également un indéniable facteur
de transparence de la gestion publique locale.
Toutefois, la charge croissante de travail pesant sur les magistrats financiers
et l'imperfection des procédures applicables devant les chambres
régionales des comptes ont suscité, au fil des années,
incompréhensions, défiances et crispations.
a) Une gestation difficile
Prenant
très tôt conscience du malaise des magistrats et des élus,
le Sénat avait décidé, en avril 1997, la création
d'un groupe de travail commun à la commission des Lois et à celle
des Finances, présidé par notre collègue Jean-Paul Amoudry
et dont le rapporteur était notre collègue Jacques Oudin.
Sur la base de ces travaux, il avait adopté, le 11 mai 2000, une
proposition de loi tendant à réformer les conditions d'exercice
des compétences locales et les procédures applicables devant les
chambres régionales des comptes.
De son côté, l'Assemblée nationale votait, le 30 mars 2000,
non sans l'avoir enrichi de deux articles tendant à réformer les
conditions d'examen de la gestion locale, un projet de loi
élaboré par le Gouvernement afin de revaloriser le statut des
magistrats des chambres régionales des comptes, en prenant pour exemple
celui de leurs homologues des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel.
Finalement, au terme d'une longue procédure législative, les deux
assemblées sont parvenues à un accord sur un texte qui permet de
répondre tout à la fois aux attentes légitimes des
magistrats financiers de jouir d'un meilleur déroulement de
carrière et au souhait des élus d'une réforme des
procédures applicables devant les chambres régionales des comptes
qui leur offre une plus grande sécurité juridique.
b) Une avancée réelle
Le texte
adopté par le Sénat le 21 novembre 2001, sur les conclusions de
la commission mixte paritaire, donne une définition législative
de
l'examen de la gestion locale
, affirmant clairement que celui-ci ne
peut porter sur l'opportunité des objectifs fixés par les
collectivités territoriales. Il améliore également la
procédure de contrôle. Les documents provisoires des chambres
régionales des comptes seront soumis à la règle de non
communication déjà en vigueur pour les mêmes documents de
la Cour des comptes. Les élus seront désormais en mesure
d'apporter une réponse écrite aux observations des juridictions
financières, qui sera publiée en même temps que le rapport
d'observations définitives. En cas d'élections, celles-ci ne
pourront être publiées ou communiquées dans un délai
de trois mois précédant le renouvellement de l'assemblée
délibérante de la collectivité concernée. En cas
d'erreur matérielle ou d'erreur manifeste, les personnes mises en cause
disposeront d'un droit à rectification du rapport d'observations.
En revanche, la proposition du Sénat de considérer les
observations définitives des chambres régionales des comptes
comme des actes faisant griefs, susceptibles d'un recours pour excès de
pouvoir devant le Conseil d'Etat, n'a pas été retenue en
commission mixte paritaire.
S'agissant du
jugement des comptes
, le texte confie à l'apurement
administratif, c'est-à-dire aux comptables supérieurs du
Trésor, les comptes des quelque 15.000 associations syndicales
autorisées et des associations de remembrement, ce qui allégera
considérablement la tâche des chambres régionales et leur
permettra de concentrer leurs travaux sur les collectivités locales. Il
relève également les seuils démographiques et financiers
en dessous desquels le jugement des comptes des collectivités
territoriales, de leurs établissements publics et des
établissements publics de coopération intercommunale sera
confié aux comptables publics.
Il ramène de trente à dix ans la durée de la prescription
en matière de
gestion de fait
et met fin à la sanction
automatique d'inéligibilité, applicable aux comptables de fait.
Lui sera substitué un mécanisme de suspension des
exécutifs locaux de leurs fonctions d'ordonnateur à l'issue d'un
jugement définitif. Ce dispositif n'aura toutefois pas pour effet
d'écarter toute sanction élective : de telles sanctions
subsisteront pour les gestions de fait dont le caractère frauduleux
conduirait à la mise en oeuvre d'une procédure pénale, au
terme de laquelle des peines complémentaires
d'inéligibilité peuvent, le cas échéant, être
prononcées.
Enfin, le projet de loi tend à rénover le
statut des
magistrats
des chambres régionales des comptes, à
accroître leurs liens avec la Cour des comptes et à mettre en
place une gestion plus concertée du corps.
3. Des progrès à amplifier
Ces
progrès incontestables, qui portent sur la sécurité
juridique des mandats, doivent être amplifiés par des mesures
destinées à améliorer le «
statut »
des élus locaux
dans un contexte marqué par une
diversification de plus en plus grande de leurs tâches.
Le Livre blanc élaboré au sein de l'Association des Maires de
France, qui a été présenté lors du
82
è
congrès de l'association, a formulé de
manière très pertinente divers éléments de
réflexion.
La mission sénatoriale d'information a fait de cette question du
« statut » de l'élu un autre thème
prioritaire de ses réflexions. Son rapport d'étape
précité souligne l'inadaptation du cadre juridique en vigueur
-très largement issu de la loi du 3 février 1992-
lequel ne garantit plus l'
égal accès de tous les citoyens
à un mandat local
, comme en témoigne la forte
représentation des retraités et des agents de la fonction
publique parmi les maires.
La mission d'information a formulé un ensemble de propositions pour
favoriser l'accès des citoyens aux fonctions électives et
rééquilibrer
la représentation sociologique des
élus. Ces propositions tendent à
concilier
plus
aisément une activité professionnelle et l'exercice d'un mandat
local et à faciliter
l'exercice à plein temps
du mandat
local. Tout en exprimant son attachement au principe de gratuité du
mandat, la mission d'information a néanmoins préconisé une
revalorisation des indemnités de fonction
. Enfin, elle a
souhaité que
l'exigence de formation
de l'élu soit mieux
reconnue et généralisée.
Sur le rapport de notre collègue Jean-Paul Delevoye, au nom de la
commission des Lois, le Sénat a adopté, le 18 janvier 2001, une
proposition de loi
relative à la démocratie locale qui
s'inscrit dans le droit fil de ces orientations et servira de base pour
l'examen du projet de loi relatif à la démocratie de
proximité.
B. LE NÉCESSAIRE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE
Votre commission des Lois souhaite que se poursuive le mouvement indispensable d' approfondissement de la coopération intercommunale, dont elle a souligné l'ampleur. Aussi nécessaires soient-elles, les incitations financières ne pourront aboutir que si elles se conjuguent avec une véritable volonté des élus de travailler ensemble autour de projets communs.
1. Assouplir le cadre juridique de la coopération intercommunale
Dans ce
but, la mission d'information sur la décentralisation a, à juste
titre, souhaité, d'une part, que soit poursuivie la
simplification du
cadre juridique
de l'intercommunalité et la
rationalisation des
structures
, d'autre part, que le rôle de la commission
départementale de la coopération intercommunale soit
renforcé
(
proposition n° 8
).
Cette proposition traduit l'idée majeure selon laquelle la
coopération intercommunale devant reposer sur la libre volonté
des communes, la loi ne doit pas prétendre régler dans les
moindres détails les problèmes qui peuvent se poser au quotidien
mais, au contraire,
faire confiance aux élus locaux
pour trouver
les meilleures solutions correspondant au contexte local. Ainsi, comme l'avait
voulu le Sénat, le législateur n'a pas donné une
définition uniforme de la notion
d'intérêt
communautaire
des compétences transférées,
préférant laisser une marge de discussion aux acteurs locaux.
En outre, des
assouplissements
du cadre juridique doivent être
envisagés chaque fois qu'une règle mal adaptée constitue
une entrave au renforcement de l'intercommunalité.
Comme l'a parfaitement souligné la mission d'information sur la
décentralisation, ce développement de la coopération
intercommunale ne doit pas se faire au détriment de
l'identité
communale
. Niveau d'administration de proximité, les communes
doivent jouer un rôle essentiel dans la prise en charge d'un certain
nombre de besoins relevant de la vie quotidienne de nos concitoyens. Cette
dimension devra être prise en compte dans les réflexions sur la
désignation au
suffrage universel direct
des
délégués intercommunaux, perspective ouverte tant par la
mission sénatoriale d'information que par la commission pour l'avenir de
la décentralisation, et introduite par l'Assemblée nationale dans
le projet de loi relatif à la démocratie de proximité.
2. Rénover le cadre financier de la coopération intercommunale
La
politique consistant à financer en partie l'intercommunalité par
des concours extérieurs à la dotation globale de fonctionnement,
afin de ne pas pénaliser la dotation de solidarité urbaine et la
dotation de solidarité rurale, atteint ses limites et ne parvient
d'ailleurs pas toujours à garantir à ces dotations une
progression convenable.
Pour remédier à cette difficulté, la création d'une
enveloppe spécifique
destinée au financement de
l'intercommunalité au sein de la dotation globale de fonctionnement
constitue une piste de réflexion souvent évoquée. Il
convient cependant d'avoir en mémoire le lien existant entre les
dépenses des communes et celles des établissements publics de
coopération intercommunale dont elles sont membres. Il pourrait donc
être envisagé de remplacer le lien actuel entre la dotation
d'intercommunalité et les dotations de solidarité urbaine et
rurale par un
lien entre la dotation forfaitaire des communes et celle des
établissements publics de coopération intercommunale
.
La réforme du financement de la dotation d'intercommunalité doit
s'accompagner d'une réflexion sur les
critères de
péréquation
, utilisés pour sa répartition.
Aujourd'hui, les budgets et les compétences des structures
intercommunales sont tels que celles-ci ne peuvent plus s'accommoder
d'attributions de dotation globale de fonctionnement dont le montant peut
fluctuer dans des proportions importantes d'une année sur l'autre du
fait de l'évolution des coefficients d'intégration fiscale (CIF)
des établissements publics de coopération intercommunale au sein
d'une même catégorie. La réforme du mode de calcul du CIF
devient d'ailleurs prioritaire : les modalités de prise en compte
des dépenses de transfert sont devenues d'une extrême
complexité et susceptibles de nombreuses contestations.
La question du développement de l'intercommunalité apparaît
donc étroitement liée à celle de la réforme des
finances locales.
C. L'AVENIR DU SYSTÈME DE FINANCEMENT LOCAL
La
nécessité de réformer le système de financement
local semble faire l'objet d'un large consensus. L'an passé, votre
rapporteur avait exposé les propositions de la mission commune
d'information du Sénat sur la décentralisation. La commission
pour l'avenir de la décentralisation et le Conseil économique et
social ont également apporté des contributions importantes
à la réflexion
20(
*
)
.
Le Premier ministre lui même a annoncé une « grande
réforme » des finances locales, avec la présentation,
à la fin de l'année 2001, d'un rapport sur les voies et moyens
d'une réforme des ressources des collectivités locales. Une note
d'étape a été communiquée au Comité des
finances locales et aux commissions parlementaires, le 12 juillet 2001. Les
membres du comité ont réagi à ce document lors d'un
séminaire au mois de septembre.
Ces différentes contributions cernent les mêmes enjeux, sans pour
autant toujours aboutir aux mêmes préconisations. A ce stade,
votre commission des Lois souhaite simplement souligner que la réforme
du système de financement local devra reposer sur deux piliers :
l'autonomie fiscale des collectivités territoriales et la
péréquation.
a) L'indispensable autonomie fiscale des collectivités territoriales
L'autonomie financière constitue l'une des conditions,
essentielle, de la libre administration des collectivités territoriales,
dont le principe est affirmé à l'article 72 de notre Constitution.
D'aucuns, prenant exemple sur la situation d'autres pays européens tels
que le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, voudraient la réduire à une
autonomie de dépenses. Votre commission des Lois estime, au contraire,
que
l'autonomie fiscale
constitue non seulement un
facteur
d'efficacité
de la gestion des collectivités territoriales
mais surtout un
fondement de la démocratie locale
.
La
Constitution
n'établit aucun lien explicite entre le principe
de libre administration et celui d'autonomie fiscale locale, ni d'ailleurs avec
celui d'autonomie financière. Elle réserve à la loi
(article 34) le pouvoir de fixer «
l'assiette, le taux et les
modalités de recouvrement des impositions de toute
nature
». C'est de la loi du 10 janvier 1980 que les conseils
élus des collectivités territoriales tiennent le pouvoir de voter
chaque année les taux des impôts directs locaux.
Toutefois, dans sa décision n° 98-405 du 29 décembre
1998, relative à la suppression de la part salariale de l'assiette de la
taxe professionnelle, le Conseil constitutionnel a rappelé, selon une
jurisprudence bien établie, que les règles posées par la
loi
« ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources
fiscales des collectivités au point d'entraver leur libre
administration »
. Il a considéré en l'espèce
que,
« puisqu'en contrepartie de la suppression progressive de la
part salariale de la taxe professionnelle, la loi institue une compensation
(...) ces règles n'ont ni pour effet de diminuer les ressources globales
des collectivités locales, ni de restreindre les ressources fiscales au
point d'entraver leur libre administration. »
Telle est la raison pour laquelle le Sénat, sur le rapport de notre
collègue Patrice Gélard, a adopté le 26 octobre 2000 une
proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration
des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et
financières, signée par le Président Christian Poncelet et
nos collègues Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech
et Jean-Pierre Raffarin, qui tend à inscrire dans la Constitution le
principe d'un financement majoritaire des collectivités locales par la
fiscalité.
Comme l'a souligné la mission d'information du Sénat sur la
décentralisation, la réforme de la fiscalité locale
suppose, tout d'abord, de
réviser les
bases des
impôts
. L'assiette de l'impôt local a vieilli ; elle est
à l'origine de nombreuses inégalités, entre les citoyens
comme entre les collectivités, et fausse les mécanismes de la
péréquation dont elle détermine largement les
critères. L'existence de bases d'imposition justes et
régulièrement actualisées permettrait, au contraire, de
maintenir durablement une fiscalité locale vivante et de réduire
les charges incompressibles pesant sur le budget de l'Etat. En la
matière, si l'hypothèse du transfert aux communes de la
possibilité de réviser les bases locatives paraît
séduisante, il convient d'en mesurer toute la complexité,
dès lors que les impôts locaux sont partagés entre
plusieurs niveaux de collectivités locales.
La
simplification
des impôts semble également une
nécessité. La fiscalité locale est
caractérisée par une grande complexité, en raison
notamment du partage du produit des impositions entre plusieurs niveaux de
collectivités.
L'idée d'une
spécialisation des impôts locaux
,
reprise à son compte par la commission pour l'avenir de la
décentralisation, doit être examinée avec prudence.
Appliquée de manière stricte, elle ferait dépendre les
ressources d'un niveau de collectivité d'une seule base fiscale, ce qui
pourrait compromettre leur stabilité. Par ailleurs, les propositions
généralement avancées de répartition des
impôts existants entre niveaux de collectivités ne semblent pas
compatibles avec le maintien de leurs ressources actuelles.
La spécialisation « de fait », par le biais de
mécanismes tels que la taxe professionnelle unique, sur la base de
l'adhésion libre des communes, semble à la fois plus souple et
plus opérationnelle. De même, l'affectation au profit de certaines
collectivités d'impôts spécifiques pourrait les conduire
à ne plus souhaiter percevoir l'un des impôts existants.
Enfin, la
possibilité d'affecter aux collectivités locales une
fraction du produit d'un ou plusieurs impôts d'Etat
doit être
envisagée à l'aune de deux exigences : une base susceptible
d'être territorialisée et un taux susceptible d'être
modulé par la collectivité bénéficiaire. Sinon,
elle risquerait de s'assimiler à une dotation et de porter atteinte
à l'autonomie financière locale.
b) Le renforcement de la péréquation
L'autonomie financière des collectivités
territoriales, surtout si elle est très large, ne va pas sans certaines
inégalités et certaines distorsions économiques. La
péréquation s'avère donc indispensable pour assurer la
cohésion du territoire national. Si la solidarité entre
collectivités territoriales doit être encouragée, il
convient également de rénover les concours financiers que l'Etat
leur apporte.
La mise en place d'une
enveloppe normée
et d'un
engagement
pluriannuel
ont constitué un réel progrès, dans la
mesure où ils ont permis aux collectivités territoriales de
disposer de ressources stables et prévisibles. Il serait donc
souhaitable d'en reconduire le principe, en retenant une
indexation
qui
permette aux collectivités locales de bénéficier davantage
des fruits de la croissance : l'indexation devrait être
portée de 33 % à 50 % de la croissance du produit
intérieur brut. Le maintien de la dotation de compensation de la taxe
professionnelle dans le rôle de variable d'ajustement de l'enveloppe
normée doit également être réexaminé.
Comme l'a souligné la mission d'information du Sénat sur la
décentralisation, il conviendrait en outre, afin de permettre aux
élus locaux d'avoir une vision claire de leurs ressources, de
simplifier
et de
globaliser
, autant que faire se peut, les
dotations de l'Etat. Une condition nécessaire de la réussite du
processus de simplification serait l'interruption de la pratique consistant
à financer à partir d'une même enveloppe des actions sans
cesse plus nombreuses. Le Fonds national de péréquation de la
taxe professionnelle et le Fonds national de péréquation en sont
les meilleurs exemples.
Enfin, les mécanismes de péréquation au sein de la
dotation globale de fonctionnement
pourraient être
améliorés. La dotation de solidarité urbaine et la
dotation de solidarité rurale représentent moins de 10 % de
la dotation globale de fonctionnement des communes. La dotation
d'intercommunalité est en revanche très
péréquatrice, puisque 85 % de son montant est réparti
en tenant compte du potentiel fiscal des structures intercommunales.
Le montant des crédits consacré à la
péréquation pourrait être accru en ramenant la part de
l'augmentation de la dotation globale de fonctionnement d'une année sur
l'autre consacrée à la dotation forfaitaire à moins de
50 % (contre 50 % à 55 % aujourd'hui).
Assurer une meilleure péréquation entre les collectivités
locales nécessite surtout une
refonte des critères de
répartition des dotations
, ceux-ci étant trop nombreux d'une
part, et de moins en moins pertinents d'autre part. Ainsi, le potentiel fiscal
est calculé à partir de bases d'imposition obsolètes et se
trouve considérablement affecté par la croissance des
compensations fiscales.
Les pistes de réflexion sont donc nombreuses. En tout état de
cause, il conviendra d'instituer des mécanismes de
péréquation respectueux de la libre administration des
collectivités locales.
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Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois a décidé de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à l'administration territoriale et à la décentralisation, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2002.