CHAPITRE III -
L'ESPACE ET LE RENSEIGNEMENT MILITAIRES
Après la guerre du Golfe et le conflit du Kosovo, les
attentats du 11 septembre dernier et l'opération militaire en cours
en Afghanistan viennent une nouvelle fois d'illustrer le rôle majeur des
capacités humaines et techniques de renseignement et des
équipements spatiaux, tant dans la prévention que dans la gestion
des crises.
L'actuelle loi de programmation avait fait du renforcement de ces moyens une
orientation forte de notre politique de défense. En dépit des
efforts accomplis, qui permettent à la France de se placer au tout
premier rang en Europe pour le recueil de renseignement et les moyens de
communication, les résultats obtenus n'ont pas été aussi
loin qu'on pouvait l'espérer, du fait de la relative modestie des moyens
budgétaires alloués à ces différentes fonctions et
de la difficulté d'entraîner nos partenaires européens dans
des programmes dépassant nos strictes possibilités
financières nationales.
En matière spatiale, après l'abandon du projet franco-allemand
d'observation radar Horus, l'effort se concentre sur le renouvellement de nos
satellites de télécommunications et d'observation optique,
renvoyant à une coopération européenne encore balbutiante
d'éventuelles capacités supplémentaires en matière
d'observation tout temps, mais aussi dans des domaines clés tels que
l'écoute ou l'alerte avancée.
Le renforcement des moyens humains et techniques des services de renseignement
réalisé tout au long de la loi de programmation militaire se
poursuit quant à lui à un rythme lent mais régulier.
I. L'ESPACE MILITAIRE
Limité dans ses ambitions, le programme spatial
militaire
français s'est trouvé très fortement contrarié au
cours de la première partie de l'actuelle loi de programmation par la
défection de plusieurs de nos partenaires européens sur des
projets majeurs.
L'inclusion du renseignement de niveau stratégique et des moyens
spatiaux parmi les capacités prioritaires identifiées par les
quinze pays européens pour leur force de réaction rapide a
quelque peu atténué les craintes justifiées qui portaient
sur l'avenir du programme spatial français, l'Allemagne et l'Italie
ayant notamment manifesté l'intention de se doter de moyens
d'observation satellitaires complémentaires aux nôtres.
En termes budgétaires, après trois années de fort recul,
les crédits consacrés à l'espace poursuivent leur
redressement amorcé en 2001, principalement en raison de la
montée en puissance du programme satellitaire de
télécommunications Syracuse III. Pour autant, ces crédits
demeurent très en deçà de l'enveloppe financière
définie par la loi de programmation.
Cette modestie des moyens dévolus à l'espace laisse subsister
dans nos projets d'équipements d'importantes lacunes qui ne pourront
être comblées que par un appel à la coopération
européenne.
A. L'AVANCEMENT DU PROGRAMME SPATIAL FRANÇAIS : UN EFFORT CONCENTRÉ SUR LE RENOUVELLEMENT DE NOS SATELLITES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS ET D'OBSERVATION OPTIQUE
1. Le programme spatial de télécommunications
La
nécessité de couvrir toutes les zones géographiques
où peuvent se dérouler des opérations, tout comme celle de
protéger les liaisons militaires, ont justifié le
développement de satellites de télécommunications
militaires aux côtés de moyens spatiaux civils couramment
utilisés par les armées.
Avec 4 satellites en orbite lancés entre 1991 et 1996 et 100 stations
sol mises en service entre 1992 et 1997,
le programme Syracuse II
couvre
les principaux besoins des armées en télécommunications
vers les théâtres d'opérations extérieures, besoins
qui exigent la permanence de 2 satellites opérationnels.
Le quatrième satellite, lancé en 1996, a fait l'objet d'actions
de complément afin de
prolonger sa durée de vie jusqu'en
2006
, date à laquelle le relais devra être entièrement
pris par le système successeur Syracuse III.
Du fait du retrait britannique du programme Trimilsatcom et de la
volonté allemande de retarder ses engagements,
la France doit faire
face seule,
du moins dans un premier temps,
à la mise au point de
Syracuse III
. Rappelons que ce programme doit assurer la continuité
du service -ce qui implique nécessairement la mise sur orbite du premier
satellite au plus tard fin 2003- tout en assurant une zone de couverture plus
large, en augmentant le nombre et le type de stations et en améliorant
la capacité de résistance à la guerre électronique.
La composante spatiale, qui devait comporter trois ou quatre satellites, selon
les hypothèses de coopération, serait
réduite à
deux satellites
dans le cadre d'un programme purement national, le nombre
de stations au sol étant de l'ordre de 500, parmi lesquelles de
nombreuses petites stations tactiques.
Les difficultés de la coopération européenne ont conduit
à prévoir
deux phases de réalisation
:
- une
première étape exclusivement sous maîtrise
nationale
en vue de mettre en orbite un premier satellite fin 2003 ;
au cours de cette période, l'Allemagne, qui recherche une garantie
d'accès à une capacité militaire, pourrait louer
l'accès au système français ;
- une seconde étape, indispensable pour satisfaire l'ensemble du besoin
opérationnel, doit compléter la constellation, avec un
deuxième satellite, à partir de la fin 2006. Cette étape
devra être conduite en coopération.
Cette situation nouvelle conduit à une
réévaluation du
coût du programme pour la France
, aujourd'hui estimé à
2,28 milliards d'euros, alors qu'il avait été chiffré
à 1,95 milliard d'euros en 1997 sur la base d'une coopération
trilatérale.
2. Le programme spatial d'observation
Le
système d'observation optique Hélios I est en service depuis 1995
et bénéficie, depuis décembre 1999, du
second satellite
Hélios I-B
, ce qui permet d'accroître la cadence de
renouvellement des images. Hélios I a été
réalisé en coopération avec l'Italie (à hauteur de
14,1 %) et l'Espagne (7 %). Chacun des partenaires bénéficie,
à hauteur de sa participation, d'un accès national et
confidentiel à la programmation et à l'exploitation, 20 % des
prises de vues étant toutefois communes aux trois pays.
La poursuite du programme vise à assurer la continuité du
système Hélios I par le système
Hélios
II
; le premier satellite Hélios II doit être prêt
au lancement au printemps 2004 et le deuxième satellite doit être
disponible à l'été 2005.
Hélios II
se caractérisera par des
performances bien
supérieures à celles d'Hélios I.
Les principaux
progrès seront les suivants :
- une
capacité infrarouge
permettant une observation de nuit et
par temps clair ainsi que la détection d'indices d'activités, de
jour comme de nuit ;
- une
amélioration de la résolution
(actuellement comprise
entre 1 et 2 mètres pour Hélios I) qui sera
inférieure au mètre et se déclinera selon deux modes,
la
haute résolution
, permettant la reconnaissance de tout
objectif d'intérêt militaire, et une capacité de prise de
vues à
très haute résolution
, dont le principe a
été arrêté au cours de l'année 2000 ;
- une
réduction de moitié des délais d'acquisition
et de mise à disposition de l'information alors que
le nombre de
prises de vues sera multiplié par trois.
3. Le budget spatial militaire
Lors du
vote de la loi de programmation militaire, l'objectif assigné sur les 6
années 1997-2002 pour le budget spatial militaire français se
situait à hauteur de 4 % du total des dépenses
d'équipement militaire, soit environ 520 millions d'euros par an, ce qui
représentait déjà, par rapport au début de la
décennie, une réduction de plus de 10 % des crédits.
Que ce soit en loi de finances initiale ou en exécution
budgétaire, les crédits alloués aux moyens spatiaux de
1997 à 2002 sont constamment restés en deçà de cet
objectif.
Crédits de paiement consacrés à l'espace
(en millions d'euros)
|
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
Crédits inscrits en loi de finances initiale
|
503
|
474
|
413
|
350
|
416
|
451
|
Crédits consommés
|
475
|
473
|
374
|
321
|
- |
- |
Le
tableau ci-dessus montre qu'après un fort recul en 1999 et 2000, les
crédits relatifs à l'espace ont progressé en 2001 et
seront également notablement augmentés en 2002, sans pour autant
retrouver leur niveau du début de la loi de programmation.
Les
dotations consacrées à l'espace dans le budget 2002
s'établissent à
451 millions d'euros en crédits de
paiement et à 343,7 millions d'euros en autorisations de programme,
soit une hausse de 8,4 % des crédits de paiement et une diminution de
28,7 % des autorisations de programme.
Répartition des dotations entre les différents
programmes spatiaux en 2002
(en millions d'euros)
|
AP |
CP |
Syracuse II |
27,1 |
51,1 |
Syracuse III |
104,9 |
156,5 |
Hélios II |
29,3 |
24,2 |
Hélios III |
99,3 |
176,4 |
Pour 2002, l'essentiel des crédits de paiement seront consacrés aux coûts de fabrication d'Hélios II, qui reçoit une dotation sensiblement analogue à celle de 2001, et de Syracuse III, dont la dotation passe de 110 millions d'euros en 2001 à 156 millions d'euros en 2002.
B. PERSPECTIVES ET LIMITES DE LA COOPÉRATION EUROPÉENNE EN MATIÈRE SPATIALE
Hormis
les participations italienne et espagnole sur la construction d'Hélios
I, la coopération européenne en matière spatiale se limite
actuellement à des accords d'échanges de capacité sur les
satellites de télécommunications.
Ainsi, un accord a été signé entre le Royaume-Uni et la
France en 1995, sur une extension de couverture et une aide mutuelle en cas
d'indisponibilité de leurs satellites Syracuse (France) et Skynet
(Royaume-Uni). Il permet à l'une des parties d'utiliser les ressources
spatiales disponibles de l'autre partie.
Un arrangement a été signé avec la Belgique en novembre
1997 pour une location de ressources sur une charge utile Syracuse.
Au début de 1998, des contacts ont été pris avec l'Otan
pour un prêt éventuel de ressources sur Syracuse. Un arrangement
d'entraide et de secours mutuel a été signé à
l'automne 2000. Un arrangement du même type a été
signé avec l'Espagne en 2001.
S'agissant de la construction d'Hélios II, seule la Belgique a pour
l'instant manifesté, l'été dernier, son engagement,
à hauteur de 2,5 %, l'Espagne étant pour sa part susceptible
d'être associée à hauteur de 2,5 à 3 %.
Pour Syracuse III, l'échec du projet de coopération
franco-germano-britannique Trinilsatcom laisse la France seule pour la
réalisation du premier satellite devant assurer la continuité du
service. Pour la seconde phase (réalisation des stations utilisatrices,
de la composante système et des satellites complémentaires) une
coopération franco-allemande est espérée. Par ailleurs,
les Pays-Bas, en mars 2001, se sont montrés intéressés par
le principe d'une participation aux futures charges utiles Syracuse III.
Pour l'heure, les perspectives les plus concrètes concernent la mise en
oeuvre d'un système d'observation satellitaire européen
grâce à l'engagement allemand et italien dans l'imagerie radar. Si
elle se confirmait, cette perspective pallierait l'abandon du programme Horus
et permettrait l'accès de la France, via ses partenaires
européens, à une capacité d'observation « tout
temps ».
1. Vers un système d'observation satellitaire européen
Rappelant que les satellites de reconnaissance figuraient au
rang
des équipements clés pour doter les pays européens de
l'autonomie d'appréciation indispensable à la gestion civile et
militaire des crises, l'état-major des armées indiquait le 7
septembre dernier que les états-majors des armées allemandes,
espagnoles, italiennes et françaises avaient élaboré un
document précisant les besoins opérationnels communs pour un
système global européen d'observation par satellites à
des fins de sécurité et de défense.
Un tel système s'appuierait sur le programme Horus II
complété par deux systèmes en cours de
définition : le programme allemand Sar-Lupe et le programme italien
Cosmo-Skymed.
Le
programme allemand Sar-Lupe
est un projet de système
satellitaire, composé de quatre à six mini-satellites munis de
capteurs d'imagerie radar. La phase de définition s'est achevée
en mai 2001. L'objectif de mise en orbite du premier satellite est 2004 et la
constellation complète devrait être opérationnelle à
l'horizon 2006. Le coût prévisionnel du programme serait de 380
millions d'euros.
L'Italie
a étudié pour sa part un
programme de
constellation Cosmo-Skymed
associant des satellites radars et des
satellites optiques. Initialement dédié à une
activité civile, ce système a fait l'objet d'une étude
d'application militaire. Sur la base de ce programme et de son homologue
français Pléiades, des négociations se déroulent
pour examiner la possibilité d'une coopération franco-italienne
duale, sur la
réalisation conjointe d'un système d'observation
satellites optiques et radars.
Les satellites d'observation radar devraient
être mis en orbite entre 2003 et 2005. Le segment spatial optique est
constitué d'une partie du programme français Pléiades du
CNES. Les satellites d'observation optique de résolution
légèrement submétrique seraient déployés en
2005 et 2007. Le coût global du système est évalué
à 1 070 millions d'euros ( composante radar : 570 millions
d'euros, composante optique : 440 millions d'euros, segment sol ; 60
millions d'euros). La décision de poursuivre cette coopération
dépend des résultats de la phase de définition, attendus
à l'été 2002.
L'intérêt de la coopération autour de ces projets
réside essentiellement pour la France dans la possibilité
d'acquérir ainsi un accès aux capacités d'observation tout
temps, en offrant une alternative au projet d'observation radar Horus
abandonné faute d'accord franco-allemand.
2. Des lacunes à combler
Si
l'engagement allemand et italien se confirme, un pas supplémentaire
important pourra être franchi dans l'accession des pays européens
à une capacité spatiale minimale.
Toutefois, les seuls programmes de télécommunications et
d'observation ne couvrent pas toute l'étendue des besoins
opérationnels. Quatre autres domaines sont identifiés comme
importants pour une future défense spatiale européenne :
- la navigation par satellite,
- la surveillance de l'espace,
- l'écoute électronique,
- l'alerte avancée.
La localisation par satellite
contribue de plus en plus à
l'action militaire, que ce soit pour la définition des positions des
forces ou pour l'utilisation des armements modernes. Elle repose
essentiellement sur le GPS (Global positionning system) mis en oeuvre et
contrôlé par la défense américaine. La France
utilise le GPS en vertu d'un accord avec les Etats-Unis qui expire en 2015 et
qui lui permet un accès contrôlé crypté et garanti
en cas de crise. Cette dépendance a conduit les européens
à étudier le projet de navigation satellite Galileo. Bien
que directement intéressés par l'accès à un tel
système, en complément du GPS, il n'est pas pour l'instant
prévu de développer dans le cadre de Galileo un signal
spécial et sécurisé destiné aux utilisateurs
gouvernementaux. Le coût de développement de cette application
gouvernementale a été chiffré à 150 millions
d'euros sur 8 ans, le budget français de la défense ne pouvant en
tout état de cause supporter à lui seul cette charge.
La
surveillance de l'espace
vise à détecter et identifier
tous les objets spatiaux et participe de ce fait à la prévention
de la militarisation de l'espace et au renseignement sur l'activité
spatiale militaire. A l'issue de la « revue de
programmes », en 1998, la France a renoncé à
développer cette capacité, se trouvant dépendante, comme
les autres pays européens, des données fournies par la Russie ou
les Etats-Unis.
En matière d'
écoute électromagnétique,
la
France, en complément de ses moyens terrestres, navals et
aériens, a développé deux
démonstrateurs lancés avec Hélios IA et Hélios
IB. Le premier a fourni durant 5 ans des renseignements sur l'activité
radar et le second opère dans le domaine des radiocommunications. Par
ailleurs, dans le cadre du programme Essaim, le lancement de trois
micro-satellites destinés à l'écoute des communications
est prévu en 2004. Toutefois, aucune suite n'est pour le moment
envisagée pour ces programmes expérimentaux. Selon
l'état-major des armées, un éventuel programme spatial
européen d'écoute représenterait un coût de 1 220
millions d'euros répartis sur dix ans.
Enfin, dans un contexte profondément modifié depuis la fin de la
guerre froide, à l'heure où les capacités balistiques
à courte et à moyenne portée se développent dans de
nombreux pays, les
systèmes d'alerte avancée
seront
appelés à jouer un rôle majeur dans la protection contre
les menaces visant le territoire national ou les troupes
déployées.
Si les projets américains de défense antimissiles reposent sur
une importante composante spatiale, la France s'est limitée en la
matière à des études d'architecture. Elles visent
à mesurer la valeur d'un concept d'un ou plusieurs satellites
géostationnaires dotés de détecteurs infrarouge, capables
de détecter la phase propulsive des missiles balistiques de moyenne et
longue portée (au-dessus de 1 000 km de portée). Un tel
système, capable d'effectuer dès le temps de paix des missions de
renseignement et de contrôle de la prolifération balistique,
permettrait également de confirmer l'identification du pays lanceur. En
matière de trajectographie, l'utilisation de constellations importantes
de satellites infrarouge en orbite basse observant les objets sur fond d'espace
est nécessaire.
Par ailleurs, une
étude de faisabilité concernant la
défense antimissiles des troupes en opération
a
été lancée par l'OTAN. Cette étude, qui devrait
s'achever en 2004, sera menée par deux équipes industrielles. Une
partie de cette étude portera sur les systèmes d'alerte
avancée, basés dans l'espace ou par radar basé au sol. Les
Américains proposent de partager avec l'Alliance les données
provenant de leur système d'alerte avancée satellitaire futur
SBIRS.
En tout état de cause, et au-delà de ces études,
l'acquisition d'une capacité spatiale d'alerte avancée
apparaît désormais indispensable, mais son coût
-estimé à 760 millions d'euros sur 10 ans pour les seules
études- impose une coopération européenne.
Au total, l'état-major des armées a estimé que
l'acquisition d'une capacité spatiale européenne militaire
minimale mais performante dans l'ensemble des domaines intéressant la
défense représenterait un investissement de l'ordre de 8,3
milliards d'euros, soit un flux annuel moyen de 730 millions d'euros.
Coût d'une capacité spatiale militaire européenne
Applications |
Coût du programme
|
Durée de vie du programme |
Coût annuel
|
Telecom |
3 100 |
15 |
207 |
Observation |
2 300 |
10 |
230 |
Galileo |
150 |
8 |
19 |
Ecoute |
1 220 |
10 |
122 |
Surveillance espace |
760 |
10 |
76 |
Alerte avancée |
760 |
10 |
76 |
Total |
8 290 |
|
730 |
On constate que le coût annuel d'un tel système dépasse largement le niveau actuel du budget spatial militaire, et encore plus celui prévu par la prochaine loi de programmation militaire 2003-2008 (en moyenne 214 millions d'euros).