B. UNE FORTE INSÉCURITÉ AU QUOTIDIEN MAL RETRACÉE PAR LES STATISTIQUES

Les statistiques officielles ne suffisent pas à retracer l'insécurité subie et perçue par les citoyens dans leur vie quotidienne.

1. L'inadaptation de l'appareil statistique

Comme votre commission l'a souligné les années antérieures, les statistiques officielles de la criminalité issues des états dits " 4001 " sont en décalage avec la réalité. Elle reflètent en effet plus l'activité des services de police que la délinquance réelle si bien qu'il est justifié d'évoquer un " chiffre noir de la criminalité ".

En premier lieu, les statistiques ne recensent que les crimes et délits transmis à l'autorité judiciaire. N'y sont donc pas comptabilisées les contraventions , y compris certaines d'entre elles, telles les violences entraînant une incapacité de travail de moins de huit jours, pouvant avoir d'importantes répercussions sur la vie quotidienne.

Une tendance actuelle consiste au demeurant à minimiser la délinquance en cachant sous le vocable " d'incivilités " des comportements provocants pourtant tout à fait susceptibles d'être réprimés pénalement.

Par ailleurs, une étude menée par l'IHESI en 1999 a fait ressortir un important décalage entre les faits portés sur les mains courantes des services de police et ceux qui ont fait l'objet de plaintes répertoriées dans les états 4001.

En tout état de cause, les chiffres officiels ne recensent que les faits signalés par leurs victimes . Or, de nombreux facteurs, déjà relevés par votre rapporteur les années précédentes dissuadent les citoyens de porter plainte, dès lors que cette démarche n'apparaît pas comme une condition préalable à l'obtention d'une indemnisation de la part d'une compagnie d'assurance.

Ces statistiques doivent donc être complétées par des enquêtes de victimation du type de celles réalisées en 1999 par l'IHESI en association avec l'INSEE. D'après cette enquête, les faits de délinquance commis en 1998 auraient été cinq fois supérieurs aux chiffres officiels.

Les travaux menés par la section villes et banlieues du service des renseignements généraux recensant les faits de violence urbaine et classant les quartiers sensibles sur une échelle de la violence sont également d'utiles indicateurs.

Outre ce décalage entre les chiffres et la réalité, on peut déplorer un certain manque de transparence de nature à alimenter de fausses rumeurs. Les élus comme les journalistes rencontrent fréquemment des difficultés pour obtenir des informations à jour sur la situation de la criminalité, notamment au niveau local, comme l'a expérimenté un grand quotidien national à l'occasion d'une enquête menée en juin dernier.

Une réflexion serait en cours au sein de la direction de la police judiciaire pour améliorer la cohérence du dispositif de dénombrement des infractions constatées .

Votre commission souhaite que ces travaux soient menés dans la plus grande transparence et que le Parlement puisse y être associé . Il est en effet indispensable de disposer d'indicateurs incontestables capables de mesurer de manière fiable tant l'activité des services de sécurité que les atteintes à la sécurité subies par nos concitoyens.

2. De faibles taux d'élucidation

La faiblesse des taux d'élucidation contribue à alimenter l'insécurité et à décourager les citoyens de porter plainte.

Le taux moyen d'élucidation s'est établi à 27,63% en 1999. Il convient d'observer que ce taux est en baisse constante ces dernières années puisque qu'il était de 30,20% en 1996, 29,47% en 1997 et 28,63% en 1998.

Ce taux moyen cache de profondes disparités entre les infractions. Si 80,06% des homicides sont élucidés, seuls le sont 9,02% des cambriolages et 3,4% des vols à la tire si bien que le taux d'élucidation de l'ensemble de la délinquance de voie publique s'élève à 9,32%.

Les infractions subies le plus couramment par les citoyens ont donc une chance minime d'être élucidées.

Une fois élucidées, elles ont en outre plus d'une chance sur trois d'être classées sans suite par les parquets faute de moyens. Votre commission a fréquemment déploré cette rupture de la chaîne répressive qui accroît le sentiment d'impunité chez les délinquants et provoque le découragement des citoyens et des forces de police.

3. La forte croissance de la violence de proximité

La violence affecte de plus en plus les Français dans leur vie quotidienne. Au sein de la délinquance de voie publique annoncée en diminution en 1999, les coups et blessures volontaires et les vols avec violence ont continué à augmenter respectivement de 9,7% et 14,8% et ont chacun plus que doublé depuis 1988 .

Évolution des infractions violentes les plus courantes

Infractions

1988

1992

1996

1998

1999

Évolution 1999/1998

Évolution 1999/1988

Coups et blessures

volontaires

42 512

55 613

75 425

86 796

95 235

+ 9,7%

+124%

Vols avec violence

43 409

60 324

70 031

76 191

87 432

+ 14,8%

+101%

Données communiquées par le ministère de l'Intérieur

Les vols à main armés , en diminution ces dernières années, ont connu une recrudescence au premier semestre 2000, principalement à l'encontre des banques et des convoyeurs de fonds (74 attaques, soit une augmentation de 12,8%).

La loi n° 2000-646 du 10 juillet 2000, adoptée en urgence par le Parlement, sur le rapport, au Sénat, de notre collègue M. Jean-Pierre Schosteck, a prévu que des aménagements devraient être réalisés par les donneurs d'ordre pour limiter la phase piétonne du transport de fonds. Lors de son audition par la commission des Lois, le 28 novembre 2000, le ministre de l'intérieur a garanti que le décret d'application de cette loi paraîtrait avant la fin de l'année 2000, c'est à dire avant l'expiration du délai de six mois prescrit par la loi. Les locaux existants devront ensuite être mis en conformité avec les dispositions du décret avant le 31 décembre 2002, sous peine de sanctions pénales.

La violence urbaine devient de plus en plus préoccupante. En 1999, le service des renseignements généraux a répertorié 818 quartiers sensibles en proie à ce type de violence, dans lesquels ont été comptabilisés plus de 288 000 incidents contre 260 000 en 1998 . Un quart de ces quartiers est régulièrement le siège de violences anti-policières.

Certains quartiers, paisibles en apparence, sont par ailleurs placés sous la coupe des trafiquants de drogue, les forces de sécurité hésitant à s'y aventurer.

Ce phénomène de violence urbaine tend à se diluer géographiquement en touchant des quartiers de petites villes. Quarante deux départements ont ainsi franchi le cap des 100 incidents sur les cinq premiers mois de l'année 2000. La violence tend en outre à s'exporter à l'extérieur des quartiers, les fauteurs de trouble tendant de plus en plus à sortir de leur cité et à se rendre notamment dans les centres villes. C'est ainsi que Paris, longtemps épargné, est de plus en plus fréquemment confronté aux exactions de bandes venant de banlieue.

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