III. DES EVOLUTIONS NÉCESSAIRES
Pour satisfaisante qu'ait été son application ces dernières années, le droit français et communautaire de la concurrence est perfectible et doit s'adapter aux comportements des acteurs économiques afin de mieux répondre, en particulier, au besoin accru de sécurité juridique des opérateurs.
Le développement du droit de la concurrence rendait nécessaire un renforcement du pouvoir des autorités de contrôle, tant au niveau national, qu'au niveau communautaire.
a) Le projet de loi " nouvelles régulations économiques "
Au terme de 13 ans d'application du droit de la concurrence, fondé sur l'ordonnance du 1er décembre 1986, il était nécessaire d'examiner si le dispositif en vigueur permettait d'assurer sa mission de régulation du bon fonctionnement du marché. Il est apparu qu'il convenait de renforcer l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et d'adapter le contrôle des concentrations aux évolutions du marché. De surcroît, les assises du commerce et de la distribution du 13 janvier dernier ont mis en évidence qu'il était nécessaire de mettre fin à certaines dérives dans les relations entre les fournisseurs et les distributeurs. L'ensemble de ces facteurs ont conduit le Gouvernement à inclure dans le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques un volet droit de la concurrence.
Dans cette optique, le projet de loi comporte trois axes pour une meilleure régulation de la concurrence :
Moraliser les pratiques commerciales
L'évolution des rapports de force entre producteurs et distributeurs a conduit à un déséquilibre des relations commerciales voire à l'imposition de contrats abusifs plaçant les producteurs et notamment les plus petits d'entre eux dans des situations de dépendance économique qui les empêchent de lutter à armes égales sans qu'aucun bénéfice ne soit répercuté pour le consommateur.
Pour rétablir un " civisme commercial ", le gouvernement a retenu un dispositif préventif avec la création d'une commission des pratiques commerciales et des relations contractuelles entre les fournisseurs et les distributeurs. Elle sera en particulier chargée de suivre l'évolution de la distribution et des relations entre producteurs et distributeurs et d'élaborer des référentiels définissant les bons usages commerciaux.
Le projet de loi comporte également un axe répressif pour constater et sanctionner les abus : ceux-ci seront d'abord plus clairement définis afin de permettre au juge civil de mieux les appréhender pour en assurer la réparation et la sanction. La réparation et la sanction de l'abus de dépendance économique ne nécessitera plus que le marché soit affecté mais simplement la relation contractuelle entre le fournisseur et le distributeur.
Enfin, dans le souci d'assurer l'effectivité du droit, il est prévu que le ministre, garant de l'ordre public économique, puisse, même en l'absence de la victime à l'instance, demander outre la cessation des pratiques, l'annulation des clauses et contrats sur lesquels elles reposent et la réparation des préjudices subis. De plus, le ministre pourra demander au juge de sanctionner le trouble à l'ordre public économique par le prononcé d'une amende civile .
Prenant acte de ce que la grande distribution a souvent trouvé les moyens de contourner les règles fixées par le législateur, votre Commission estime que ces mesures rendront plus rigoureuses les dispositions existantes, mais qu'elles devront sans doute être complétées, notamment en confortant le rôle de la commission d'examen des pratiques commerciales.
Si elle estime également nécessaire de favoriser l'émergence de nouvelles relations entre producteurs et distributeurs, les mesures proposées lui semblent insuffisantes à réduire la domination qu'exercent aujourd'hui les distributeurs sur les PME, tant dans les secteurs industriel qu'agro-alimentaire.
Lutter plus efficacement contre les pratiques anticoncurrentielles
Pour assurer une meilleure efficacité du droit, le Gouvernement propose de renforcer les moyens de détection et d'établissement des faits compte tenu des difficultés concrètes rencontrées en ce domaine. Le projet de loi prévoit un allégement des procédures pour rechercher les pratiques en train de se commettre et l'introduction d'un dispositif de clémence qui permet aux entreprises qui le souhaitent d'apporter leur coopération à l'assainissement des marchés et à la lutte contre les cartels secrets.
Le renforcement de l'effectivité des sanctions passe par des mesures destinées à contrer les stratégies des entreprises qui minimisent le chiffre d'affaires servant de référence au calcul des sanctions et par une élévation du niveau des sanctions possible, en particulier pour les entreprises ayant réitéré leurs pratiques.
Contrôler plus systématiquement et de manière plus transparente les concentrations
Le système actuel est peu lisible et peu transparent et une harmonisation avec le dispositif communautaire était devenue nécessaire. Le projet de loi vise par conséquent à :
- instaurer une procédure systématique et lisible avec une notification obligatoire au dessus de seuils définis de manière objective (chiffres d'affaires) ;
- mettre en place une procédure plus rapide pour les opérations simples et accorder le maximum de garanties pour les opérations posant les questions les plus délicates, supposant une saisine pour avis du Conseil de la concurrence ;
- améliorer la transparence : le marché doit être informé des opérations en cours tout en préservant le secret des affaires des entreprises concernées. Les acteurs du marché seront en mesure de présenter leurs observations.
Votre commission approuve le renforcement de l'autorité du Conseil de la concurrence, à condition qu'il s'accompagne d'une plus grande indépendance de cet organisme. Elle est favorable à l'alourdissement des sanctions maximales que celui-ci peut prononcer en cas de pratiques anticoncurrentielles. En revanche, elle estime qu'un renforcement des pouvoirs d'enquête ne doit pas aller à l'encontre des libertés publiques.
Votre rapporteur pour avis, quant à elle, juge nécessaire un renforcement du contrôle des opérations de concentration, et approuve l'élargissement du champ de compétences du Conseil de la concurrence à ces opérations. Elle estime toutefois que les contrôles doivent être plus systématiques.
b) Les réformes du droit communautaire en cours
L'action de la Commission européenne cette année s'est également illustrée par la mise en chantier de deux réformes importantes du droit de la concurrence.
L'aménagement des règles relatives aux accords verticaux
La Commission a adopté, le 29 décembre 1999, un nouveau règlement d'exemption des accords verticaux de distribution (distribution exclusive, franchise, distribution sélective, etc...) qui entrera en vigueur le 1 er juin 2000.
La DGCCRF a pris part activement aux travaux du Conseil, comme porte-parole de la délégation française, ainsi qu'à l'élaboration définitive du texte. Ce dernier exempte automatiquement les accords verticaux des opérateurs dont la part de marché ne dépasse pas 30 %, à condition qu'ils ne contiennent pas une liste de clauses dites " noires ", comme par exemple des prix minimums imposés. Au-dessus de ce seuil, il n'y aura pas de présomption d'illicéité à l'encontre des accords, ceux-ci faisant alors l'objet d'un examen individuel. Le pouvoir de retirer l'exemption vis-à-vis d'un accord qui, bien que couvert par le règlement, produirait des effets négatifs sur un marché, est désormais reconnu aux autorités nationales de concurrence.
Ces contrôles décentralisés seront opérés, pour appliquer l'article 81 du traité, en étroite liaison avec la Commission pour garantir une application cohérente du droit communautaire au sein du marché intérieur. La DGCCRF participe également à la mise au point des lignes directrices, qui ont vocation à aider les entreprises à évaluer elles-mêmes leurs accords en exposant le raisonnement économique qui sous-tend les décisions de concurrence dans ce domaine. Parallèlement à une étroite coopération avec la Commission sur ce dossier, elle entretient un dialogue étroit avec le monde économique, dans la perspective de la mise en oeuvre prochaine de cette nouvelle réglementation.
La modernisation de la politique communautaire de concurrence
La Commission européenne a adopté le 27 septembre dernier une proposition de règlement d'application des articles 81 et 82 du traité, qui feraient les règles de concurrence communautaires applicables respectivement aux ententes et aux abus de position dominante des entreprises. Cette proposition vise à remplacer le système actuel, qui date de 1962, d'autorisation administrative des ententes, centralisé dans les mains de la Commission, par un système dans lequel non seulement la Commission, mais aussi les autorités et les juridictions nationales pourront appliquer pleinement l'article 81.
La proposition de règlement adoptée par la Commission modifie profondément le système d'application des articles 81 et 82 du traité. Elle ne concerne ni les aides d'Etat ni le contrôle des concentrations. Le nouveau texte remplacera le règlement n° 17 de 1962, une des clés de voûte du droit communautaire de la concurrence mais qui, après quatre décennies, doit être adapté à un contexte économique et institutionnel sensiblement différent. Le règlement doit être adopté par le Conseil après consultation du Parlement européen.
En avril 1999, la Commission avait adopté un Livre blanc esquissant les grandes lignes de la proposition de réforme. La Commission propose un système dans lequel les autorités de concurrence et les juridictions nationales pourront appliquer l'article 81 du traité dans son intégralité à l'instar de ce qu'elles peuvent déjà faire pour l'article 82. Les autorités de concurrence et la Commission agiront de manière concertée au sein d'un réseau pour réprimer les infractions aux règles de concurrence communautaires. Les juridictions nationales protégeront les droits subjectifs que les citoyens tirent du droit communautaire en octroyant des dommages et intérêts ou en statuant sur l'exécution de contrats.
La proposition de règlement a pour objectif de renforcer la protection de la concurrence dans la Communauté. A cette fin elle étend le pouvoir d'appliquer pleinement le droit communautaire aux autorités de concurrence et aux juridictions nationales. Dans la perspective de l'élargissement, une telle décision s'impose, une seule institution - la Commission - ne pouvant assurer à elle seule le respect des règles communautaires. Le régime actuel est basé sur un système de notifications des accords à la Commission européenne, seule compétente pour autoriser des accords restrictifs de la concurrence. L'expérience a montré que ce système de notifications n'est pas utile en termes de protection de la concurrence. L'abolition de ce système permettra à la Commission de concentrer son action sur la lutte contre les restrictions et abus les plus graves. Enfin, il est proposé de renforcer les moyens d'action dont dispose la Commission pour détecter et sanctionner les cartels et autres infractions. Ainsi, la proposition permettra d'améliorer la protection de la concurrence et de faire bénéficier pleinement les consommateurs du marché intérieur.
L'implication accrue des autorités de concurrence et des juridictions nationales est au coeur de la proposition de la Commission. En effet, il importe de rapprocher les instances de décision des citoyens afin de diffuser plus largement une culture commune en matière de concurrence et de favoriser l'acceptation des règles communautaires. Néanmoins, ainsi que le Parlement européen l'a maintes fois rappelé, une plus grande décentralisation ne doit en aucun cas conduire à une renationalisation de la politique de concurrence, pilier de la Communauté. L'ensemble des opérateurs économiques doivent être traités sans discrimination sur tout le territoire de la Communauté. C'est la raison pour laquelle la proposition de règlement maintient un pouvoir de décision autonome pour la Commission et institue des mécanismes d'information et de coopération destinés à assurer la cohérence de l'application des règles dans toute la Communauté.
Un des aspects majeurs de la proposition de règlement est l'application par toutes les instances décisionnelles d'une seule règle de droit dès lors qu'il existe un effet sur les échanges entre les Etats membres. Les entreprises seront confrontées à l'avenir non plus à seize législations distinctes mais au seul droit communautaire lorsque leurs opérations affecteront le commerce. Ceci garantira aux opérateurs économiques des conditions de concurrence homogènes dans toute la Communauté et réduira considérablement les coûts auxquels elles doivent faire face pour mettre en oeuvre leurs accords. En outre, la suppression du système de notification réduira les contraintes administratives que leur impose le système actuel.
La Délégation pour l'Union européenne du Sénat, qui s'était prononcée sur le livre Blanc, a estimé qu'il s'agissait d'une réforme bienvenue, sous certaines conditions. La proposition de résolution présentée par M. Denis Badré invite, en effet, le Gouvernement à veiller sur plusieurs aspects de cette réforme.
Le rapport de M. Denis Badré 9 ( * ) souligne que la suppression du régime de notification des ententes actuellement en vigueur est une mesure de bon sens.
Il observe néanmoins que le Livre Blanc propose de maintenir un pouvoir d'évocation au profit de la Commission, pour les affaires présentant un intérêt particulier du point de vue communautaire. Cette compétence partagée entre la Commission et les autorités nationales de concurrence peut être une source d'incertitude pour les entreprises concernées. La proposition de résolution n° 176 demande, en conséquence, que les critères de répartition des compétences de la Commission et des autorités nationales soient clairement précisés au préalable, comme cela est déjà le cas en matière de contrôle des concentrations.
Le Livre Blanc propose, en outre, de laisser à la Commission la possibilité de prononcer a priori des décisions positives de validation de certaines ententes, afin qu'elle puisse illustrer par des cas concrets sa définition du droit communautaire des ententes. Cette suggestion ne doit en aucun cas aboutir à recréer une nouvelle forme de notification. La proposition de résolution invite donc à bien encadrer cette possibilité d'intervention de la Commission, en précisant ses modalités.
La Délégation pour l'Union européenne du Sénat estime également que les échanges d'informations confidentielles entre la Commission et les autorités nationales de concurrence doivent impérativement être entourés de garanties procédurales respectant les droits de la défense et le principe du contradictoire, qui restent à préciser.
Elle considère, par ailleurs, que la centralisation du contrôle judiciaire des vérifications au profit d'une juridiction communautaire proposée par le Livre Blanc n'apparaît pas nécessaire, l'assistance prêtée par les autorités nationales à la Commission pour ces vérifications étant suffisante. En revanche, elle estime utile de progresser dans l'harmonisation des pouvoirs d'enquête, de contrôle et de sanction des ententes anticoncurrentielles dans les différents Etats membres.
* 9 Proposition de résolution n° 176 (1999-2000) sur le Livre blanc sur la modernisation des règles d'application des articles 81 et 82 du traité CE.