II. L'AVENIR DE LA REDEVANCE
On a vu ci-dessus que la redevance représentait en 2001 64,2 % des ressources de l'audiovisuel public. Cette proportion est en légère décroissance par rapport à 1999 (66,1 %) et 2000 (66,9 %) en raison de l'augmentation de la part des crédits budgétaires due à l'adoption du principe du remboursement total des exonérations. Ces remboursements, liés à l'existence de la redevance, représentent en 2001 10,3 % des ressources de l'audiovisuel public. Directement ou non, la redevance assure donc 74,5 % du financement de l'audiovisuel public. C'est dire la portée des questions régulièrement soulevées à l'égard de sa pérennité. Ce débat a été relancé avec éclat par la parution en juillet dernier d'un rapport d'information 1 ( * ) de M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée générale, qui se livre à une critique en règle de ce prélèvement et présente des propositions de remplacement.
Dans son rapport sur l'état des lieux de la communication audiovisuelle en 1998, votre rapporteur avait résumé de façon lapidaire la problématique de la redevance : " en ce qui concerne les problèmes de l'avenir, on notera simplement les doutes que l'on peut avoir sur la pérennité d'un prélèvement qui finance une part de plus en plus étroite de l'offre audiovisuelle, une part plus étroite encore de l'offre effectivement consommée, et qui s'analysera de plus en plus comme la rémunération arbitraire d'une consommation virtuelle forcée. A plus long terme, la possibilité de recevoir des émissions de télévision sur les écrans d'ordinateur, non taxés, aura les mêmes conséquences déstabilisatrices sur cette ressource. Si un jour le financement du secteur public devenait entièrement budgétaire, et l'on ne peut manifestement pas négliger cette hypothèse, il est probable que l'époque des objectifs publicitaires excessivement hardis que nous avons l'habitude de dénoncer aujourd'hui apparaîtrait comme un temps béni de vaches grasses et de créativité ".
Un problème pas encore posé, une légitimité décroissante, une sécurité supérieure à celle des crédits budgétaires : telle était l'analyse de votre rapporteur, qui notait en conclusion le caractère inopportun d'une baisse autoritaire des recettes publicitaires exposant simultanément l'audiovisuel public au risque d'un délitement progressif de la redevance et à celui du recours compensatoire aux crédits budgétaires.
C'est une démarche bien différente que la commission des finances de l'Assemblée nationale a adoptée, en condamnant sans sursis la redevance au terme d'une analyse sans nuance de ses inconvénients.
A. CRITIQUE DE LA REDEVANCE
Le rapport de M. Didier Migaud décrit la redevance comme un impôt archaïque, injuste, fraudé, coûteux.
• L'archaïsme de la redevance est lié au fait qu'elle taxe la détention des récepteurs de télévision, produit d'usage courant donnant accès à des services dépourvus de tout caractère de monopole public et de plus en plus concurrencés par des services privés financés par la publicité et par l'abonnement.
Pourquoi, dès lors, maintenir une taxation sur cette base, demande le rapport de M. Didier Migaud, si l'audiovisuel public peut trouver d'autres sources de financement ?
• La redevance est ainsi, selon le rapport de M. Didier Migaud, un impôt injuste car non progressif tout en portant sur un produit d'usage courant. Il est vrai que le système d'exonération est complexe et peu précis et par conséquent arbitraire, comme votre rapporteur le relevait en signalant dans son avis sur le projet de budget de 1998 une discrimination qui se perpétue " il semble que les établissements d'enseignement public soient dispensés du paiement de la redevance sur simple demande adressée au centre régional compétent, les établissements privés la payant en revanche pour tout récepteur à finalité pédagogique installé dans leur enceinte. Cette discrimination institue une inégalité devant la loi d'autant plus choquante qu'elle affecte un instrument pédagogique qui jouera un rôle de plus en plus important pour l'accès au savoir. "
L'administration des finances justifie cette situation avec d'étranges arguments comme le montre la lecture des réponses apportées en février 1995 puis en février 1996 à deux questions écrites identiques de M. Claude Huriet.
Première réponse : " La réflexion sur l'harmonisation des conditions d'assujettissement à la redevance de l'audiovisuel des établissements d'enseignement a été menée mais n'a pu aboutir à une modification de la réglementation en vigueur. Accorder un régime plus favorable aux établissements d'enseignement privés sous contrat d'association conduirait à diminuer le produit de la redevance. Or, en raison des besoins financiers de l'audiovisuel public, accrus avec l'arrivée de la télévision de la formation, du savoir et de l'emploi, il n'a pu être envisagé d'étendre les cas d'exonération ".
Seconde réponse : " Les frais de fonctionnement des établissements d'enseignement privés sous contrat d'association sont prix en charge par l'Etat pour le personnel et par les collectivités locales collectivités territoriales pour le matériel. La contribution de ces dernières est calculée sur la base d'un coût moyen d'un élève de l'enseignement public majoré de 5 % pour couvrir les charges diverses qui s'imposent spécifiquement aux établissements privés sous contrat. Les dépenses au titre de la redevance audiovisuelle sont prises en considération dans ce forfait. Par conséquent, si les conditions d'assujettissement à la redevance de l'audiovisuel sont différentes pour les établissements publics d'enseignement et les établissements privés, il ne semble pas pour autant qu'il en résulte une disparité financière au détriment des établissements privés.
La première réponse assume avec un certain cynisme les vraies raisons de la discrimination maintenue. La seconde réponse entoure le même refus d'accorder un traitement égal aux deux catégories d'établissements de faux prétextes tirés des modalités de prise en charge par les collectivités territoriales des frais de fonctionnement en matériel des établissements privés sous contrat d'association. On ne saurait assimiler une taxe à un frais de fonctionnement en matériel ! Votre rapporteur considère donc indispensable la correction de cette discrimination illégitime et dont la légalité est à tout le moins douteuse au regard du principe d'égalité devant la loi.
Le rapport de l'Assemblée nationale observe de son côté que ce régime ne profite pas à des redevables qui pourraient en bénéficier justement : les bénéficiaires du RMI ne sont pas exonérés, bien que leurs demandes de remise gracieuse soient " souvent satisfaites " (étrange conception de la justice sociale et de l'égalité devant la loi !).
Injuste, le système est aussi d'une complexité " source d'incompréhension pour les personnes âgées ". Il est vrai que le régime des exonérations évolue de façon empirique au gré de la fluctuation des préoccupations sociales et financières des gouvernements, ce qui écarte simplicité et lisibilité comme le montre le tableau récapitulatif ci-dessous.
Conditions d'exonération de la redevance définies par le décret n° 92-304 du 30 mars 1992 modifié • Les personnes âgées de soixante-cinq ans au 1 er janvier de l'année exigibilité sont exonérées aux conditions suivantes : - être titulaire de l'allocation supplémentaire du fonds de solidarité vieillesse (cette condition a été institué à partir du 1 er janvier 1998) ; - vivre seul ou avec son conjoint et, le cas échéant, avec des personnes à charge ou avec des personnes bénéficiant, l'année précédente, d'un montant de revenus n'excédant pas la limite prévue à l'article 1417-1 du code général des impôts, en matière de dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'habitation. • Les mutilés et invalides civils ou militaires atteints d'une infirmité ou d'une invalidité au taux maximum de 80 % sont exonérées aux conditions suivantes : - bénéficier l'année précédente d'un montant de revenus n'excédant pas la limite prévue à l'article 1417-1 du code général des impôts ; - ne pas être passible de l'impôt de solidarité sur la fortune ; - vivre seul ou avec son conjoint et, le cas échéant, avec des personnes à charge, ou avec des personnes bénéficiant, l'année précédente, d'un montant de revenus n'excédant pas la limite prévue à l'article 1417-1 du code général des impôts, avec une tierce personne chargée d'une assistance permanente, ou avec ses parents en ligne directe si ceux-ci bénéficient, eux-mêmes, l'année précédente, d'un montant de revenus n'excédant pas la limite prévue à l'article 1417-1 du code général des impôts. |
Au cours de la discussion du projet de budget de 2001, l'Assemblée nationale a prévu en outre d'exonérer les personnes âgées de soixante-dix ans au 1 er janvier de l'année d'exigibilité de la redevance, non imposées à l'impôt sur le revenu au titre de l'avant-dernière année précédant l'année d'exigibilité ni passibles de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Ce retour de balancier inversera la tendance à la diminution du nombre des comptes payants des personnes âgées. De 2 907 000 au 31 décembre 1999, celui-ci était estimé à 2 821 0200 pour le 31 décembre 2000 devait se situer autour de 2 716 000 pour le 31 décembre 2001.
• L'archaïsme et l'injustice couplée à la complexité aboutissent à la fraude. Un rapport de l'inspection générale des finances évaluait celle-ci à 15 % du total potentiel des résidences équipées, le service de la redevance ne concédant qu'un taux de 7,6 %. La fraude concernerait 65,9 % des résidences secondaires. Le même rapport, cité par M. Didier Migaud, note que " le droit de communication d'information dont dispose le service de la redevance est limité, et que, faute de pouvoir procéder à des perquisitions en l'absence de disposition législative, l'accès des agents du service au domicile des particuliers est impossible sans l'accord de ces derniers. On peut même s'interroger sur la légalité des investigations entreprises dans les parties communes des immeubles d'habitation (enquêtes auprès des gardiens, relevés de boîtes à lettres, questionnements des voisins du redevable par exemple) ".
On conçoit, de fait, que le financement de l'audiovisuel public par une taxe parafiscale aussi contestée dans sa légitimité ne justifie pas l'atteinte aux libertés publiques que représenterait l'ouverture des domiciles aux agents du service de la redevance.
Les récalcitrants semblent du reste bien camper sur leur position de refus, puisque, toujours selon l'inspection générale des finances, seuls 60 % des comptes ouverts en 1996 à la suite d'un contrôle à domicile étaient encore payants en 1998, ce pourcentage étant susceptible de tomber à 25 % d'une année à l'autre dans des " quartiers difficiles ".
• Le même rapport de l'inspection générale des finances tente par ailleurs d'évaluer le coût réel de gestion de la redevance, qu'il évolue à 7,06 % des encaissements alors que le taux moyen d'intervention des services fiscaux serait en France de 1,6 %.
Ce taux de 7,06 % résulte de la prise en compte, à côté de la dotation de 488,4 millions de francs allouée au service en 1998, d'un certain nombre d'autres résultant du fonctionnement du service : 94,4 millions de francs de frais de personnel ; 4 millions de francs de coût immobilier ; 303,7 millions de francs de coût de recouvrement contentieux et 5,6 millions de francs au titre de quote-part des frais de structure de l'administration centrale, ce qui représente un total de quelque 407,8 millions de francs le coût global du service s'élevant en conséquence à 896,2 millions de francs en 1998.
Il convient de relativiser ce résultat en observant que les efforts de productivité accomplis par le service de la redevance et une recherche constante de maîtrise des coûts a permis le maintien du budget de fonctionnement du service à 488,4 millions de francs en 1998 et 1999 et sa diminution à 482,4 millions de francs en 2000, ce chiffre étant reconduit en 2001. Le coût de gestion de la redevance par le contribuable est donc bas, et tend à diminuer à proportion de la diminution du budget de fonctionnement (-1,23 % de 1998 à 1999) et de l'augmentation du nombre de comptes payants (+ 524,305 en 1999 après + 550 061 en 1998).
Le service de la redevance apparaît donc performant, il n'en reste pas moins qu'en raison du faible montant unitaire de la taxe, le coût de gestion de la redevance est destiné à rester élevé.
* 1 N° 2543, AN, onzième législature.