3. Une mesure injuste
La ristourne dégressive de CSG proposée par le gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale constitue à maints égards une mesure injuste, au point même d'entacher la mesure d'une interrogation sur sa constitutionnalité.
La première source d'injustice réside dans le choix de faire porter la hausse du revenu net sur la CSG. En effet, cette dernière est une imposition cédulaire, donc assise sur chaque source de revenu indépendamment de toute autre considération. L'imposition cédulaire présente notamment l'avantage d'être plus indolore et de permettre une perception à la source du prélèvement. Cependant, il a l'inconvénient d'empêcher tout mécanisme de progressivité puisqu'il ne prend pas en compte les autres revenus de la personne considérer ainsi que du foyer fiscal auquel elle appartient.
Ainsi, alors que deux conjoints occupant un emploi rémunéré au SMIC bénéficieront chacun de la ristourne, le ménage où un seul conjoint travaille mais gagne plus que 1,4 SMIC ne bénéficiera d'aucun allégement :
L'injustice entre ménages
Situation du foyer fiscal |
Revenus annuels d'activité des ménages |
Gain annuel de CSG et CRDS en 2003 |
- deux conjoints payés au SMIC |
134.626 |
12.960 |
- un conjoint payé à 1,4 SMIC |
94.238 |
0 |
- un conjoint payé à 2 SMIC |
134.626 |
0 |
Ainsi, non seulement deux ménages percevant un revenu d'activité identique, dans la même situation de famille, auront l'un un avantage de 12.960 francs, l'autre un avantage nul, mais en plus deux ménages dont l'un perçoit davantage (40 %) de revenus d'activité que l'autre bénéficiera de 12.960 francs et l'autre rien. Comment nier une injustice aussi flagrante ?
La seconde source d'injustice provoquée par le mécanisme du revenu cédulaire est le cas des personnes occupant deux emplois à temps partiel par rapport à celui de celles qui n'en occupent qu'un seul à plein temps.
L'injustice entre actifs et pluriactifs
Situation d'activité |
Revenus annuels d'activité |
Gain annuel de GSG et CRDS en 2003 |
Un emploi à temps plein payé 1,4 SMIC |
94.238 F |
0 |
Deux emplois à temps partiel payé 0,7 SMIC chacun |
94.238 F |
9.072 F * |
* 70 % de l'avantage obtenu pour un SMIC à temps plein soit 0,7 X 6.480 X 2 emplois.
Ainsi, pour un revenu d'activité strictement identique, fixé ici à 1,4 SMIC, une personne employée à temps plein ne bénéficiera d'aucun avantage alors qu'une autre employée à deux endroits différents à temps partiel se verra exonérée de CSG et de CRDS soit un avantage de plus de 9.000 francs. Comment nier cette autre injustice ?
Votre rapporteur pour avis pourrait enfin aussi évoquer le cas des familles. Le mécanisme du gouvernement ne prend aucunement en compte les charges de famille. Ainsi, si on rapporte l'avantage aux unités de consommation du foyer, les différences révèlent une nouvelle injustice.
Gain annuel de CSG et de CRDS en 2003
par unité de consommation pour un foyer gagnant 1 SMIC
Foyer |
Gain/unité de conservation |
Célibataire |
6.480 F |
Couple sans enfant |
4.320 F |
Couple avec 1 enfant |
3.600 F |
Couple avec 2 enfants |
3.085 F |
Couple avec 3 enfants |
2.700 F |
Hypothèses :
un seul des conjoints travaille et gagne 1 SMIC
les enfants ont moins de 14 ans
coefficients : 1 pour le 1 er adulte, 0,5 pour le second, 0,3 par enfant de moins de 14 ans.
Là aussi, cette mesure apparaît fondamentalement dirigée contre les familles puisque pour un même revenu, le gain est identique quelle que soit la composition du foyer. Belle progressivité que celle proposée par le gouvernement qui ne prend en compte ni la situation de famille ni les autres ressources du ménage !
Toutes ces injustices, singulièrement la seconde puisqu'elle concerne des personnes dans une situation de revenus et de famille strictement identiques, font émettre des doutes sur la constitutionnalité du dispositif. Le rapporteur de la commission des affaires culturelles a reconnu ces difficultés au cours des débats à l'Assemblée : M. Alfred Recours a ainsi indiqué à notre collègue M. Charles de Courson qui soulevait la question " Nous ne nous en sortirons pas sans faire un montage très compliqué. (...) Sur le fond, vous soulevez un vrai problème, mais en l'état actuel des choses, nous n'avons pas d'autres solutions que celles que je viens d'indiquer " 33 ( * ) . En revanche, le gouvernement s'est distingué par son silence complet, Mme Elisabeth Guigou se contentant laconiquement de remarquer que " les services avaient vu le problème et qu'ils y travaillent " 34 ( * ) . Votre rapporteur pour avis n'insistera pas sur le peu de considération du Parlement que ce silence manifeste.
Le gouvernement joue ici à l'apprenti sorcier et risque bientôt de se mordre les doigts de cette mesure mal préparée, mal conçue, mal négociée, mal coordonnée avec le reste du système fiscal français, dangereuse pour la sécurité sociale, porteuse d'inégalités fortes dont il devra se justifier.
Le Sénat prendra ses responsabilités pour proposer une solution alternative de nature à atteindre certains des objectifs du gouvernement en préservant et en consolidant la sécurité sociale dans laquelle il voit, lui, un élément essentiel du contrat social français.
* 33 Journal officiel des débats , Assemblée nationale, 3 ème séance du 25 octobre 2000, page 7507, 2 ème colonne.
* 34 Journal officiel des débats , Assemblée nationale, 3 ème séance du 25 octobre 2000, page 7508, 2 ème colonne.